Retraites : validation, censure partielle ou totale... les scénarios du Conseil constitutionnel sur la réforme

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00:00 Bonjour Laureline Fontaine, vous êtes professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle,
00:04 autrice de l'ouvrage "La constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel"
00:09 aux éditions Amsterdam, paru le 3 mars dernier.
00:13 Le Conseil constitutionnel est là, on l'a vu, pour juger de la conformité de la loi avec la Constitution.
00:18 D'après vous, quels sont les points qui peuvent être litigeux, qui peuvent faire débat ?
00:22 Alors, on l'a largement commenté ces dernières semaines.
00:26 Il y a en effet pas mal d'arguments qui peuvent plaider en faveur de la censure, y compris de la censure totale.
00:33 Il y a d'autres arguments qui, au contraire, pourraient plaider en faveur simplement d'une censure partielle.
00:38 Mais parmi les premiers arguments, parce que c'est ça qui est intéressant, et je crois que c'est pour cela qu'il y a beaucoup de gens qui se mobilisent,
00:44 c'est qu'il y a la manière dont le projet a été adopté, ou en tout cas dont le gouvernement a fait adopter le projet.
00:52 Et cette manière-là, vous l'avez rappelé, c'est le projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale,
01:00 qui initialement n'est pas du tout fait pour adopter des mesures sociales aussi importantes que l'âge légal de départ à la retraite.
01:07 Et ce véhicule n'a pas été choisi par hasard, puisque, vous l'avez dit, il permet de limiter dans le temps la délibération, et même plus que ça encore,
01:16 il permet, comme ça a été le cas dans cette affaire-là, que l'Assemblée nationale ne se prononce pas sur le texte.
01:23 En première lecture, l'Assemblée n'a pas voté, et en plus elle n'a pas voté non plus le texte en dernière lecture,
01:28 puisque une motion de censure a été déposée qui n'a pas été votée, et de ce fait le texte a été considéré comme adopté.
01:36 Donc, quand on parle de chemin démocratique, c'est évidemment cette question du caractère démocratique de ce qui s'est passé,
01:43 qui est en cause devant le Conseil constitutionnel.
01:46 Et de la procédure, donc. Pensez-vous qu'il y a suffisamment d'arguments juridiques pour que la loi, dans son ensemble, puisse être retoquée ?
01:53 Alors, la problématique, c'est que ce n'est pas moi qui le pense. C'est-à-dire que c'est le Conseil qui sera ou non sensible à ce type d'argumentation.
02:01 Et, évidemment, dans son rôle d'interprète de la Constitution, eh bien, il est sensible à certaines manières de la voir,
02:09 il est sensible à certaines dispositions de la Constitution plus qu'à d'autres.
02:15 Et ce que je prétends, moi, c'est que dans le passé, il a eu une certaine lecture de la Constitution, mais qu'on pourrait tout à fait discuter.
02:24 On va revenir, mais on s'attend plutôt, par exemple, à ce qu'on appelle les cavaliers, c'est-à-dire des ajouts à la loi.
02:29 Est-ce que ça, par exemple, ça pourrait être retoqué ?
02:32 Alors, c'est ce qu'a dit Laurent Fabius, et ce qui a fait comprendre Laurent Fabius, dès le mois de janvier.
02:38 Il s'est exprimé avant même que la loi soit adoptée, et il a dit que certaines dispositions n'auraient rien à faire dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale,
02:49 et à ce titre, pourraient être expurgées de la loi, mais ça serait mineur, en réalité.
02:55 S'il s'agit de dire que placer l'index des seigneurs dans cette loi n'est pas conforme à la Constitution, on l'enlève, mais ça ne change pas l'essentiel de la loi.
03:04 Et est-ce que la validation du référendum d'initiative partagée, le RIP, va être, d'après vous, validée ou pas, puisque jusqu'à présent, ce recours démocratique n'a jamais été utilisé ?
03:15 Oui, alors, là, c'est pareil, c'est un petit peu difficile de dire par avance ce qui va se passer.
03:20 C'est vrai que, politiquement, beaucoup de gens pensent qu'il va valider la proposition, ce qui ne suspendra pas la réforme des retraites,
03:28 parce que ce sont deux choses complètement différentes, à ce moment-là, commencerait un chemin de 9 mois, voire ensuite, au-delà des 9 mois, 6 mois,
03:37 donc on n'y est pas, pour ne pas savoir, à la fin, si la loi sur les 62 ans serait adoptée, et qui, en tout état de cause, serait de toute façon, une simple loi.
03:48 C'est-à-dire que, quelques mois plus tard, le gouvernement pourrait de nouveau déposer un projet de loi pour revenir à 64 ans.
03:55 C'est-à-dire que ce serait un jeu de chat et la souris, comme ça.
03:58 La proposition de RIP, ici, ne porte pas sur une disposition constitutionnelle, c'est simplement une loi.
04:04 Oui, sauf que s'il y a 5 millions de signatures recueillies, ça a quand même un poids politique.
04:08 C'est un poids politique, néanmoins, c'était aussi le cas pour le projet de réforme des retraites, qui ne semble pas avoir l'assentiment des Français, qui a quand même été adopté.
04:19 Alors, on le voit, toutes ces décisions, elles ont des conséquences politiques, mais elles sont présentées comme exclusivement juridiques.
04:25 La composition, d'abord, du Conseil constitutionnel en France, est-ce qu'elle est conforme à cette exigence de compétence juridique ?
04:32 Alors, il y a la question de la compétence juridique, et il y a la question de départ, aussi, qui est très importante, qui est celle que, normalement, un juge ne doit pas être jugé parti.
04:40 Or, la situation du Conseil fait que, très souvent, le Conseil statue comme s'il était une partie, parce qu'il juge d'anciens collègues, puisque la composition du Conseil est très politique, ce sont des anciens politiques.
04:54 Parfois, on passe d'un jour à l'autre du gouvernement au Conseil constitutionnel, comme c'était, par exemple, le cas de Jacqueline Gourault, ou ça a été le cas de Laurent Fabius.
05:02 Et, de ce fait, non seulement on juge des anciens collègues, ce qui n'est pas conforme au principe élémentaire de la justice, mais, parfois, même, on juge de textes auxquels on a participé anciennement.
05:12 Donc, ça, c'est un problème, un problème, aussi, qui est la cause de ce que les membres du Conseil ne se déportent pas quand ils le devraient.
05:20 Mais il y a, aussi, effectivement, la question de leur compétence et du travail qu'ils font au Conseil constitutionnel, qui ne se voient pas, véritablement, dans leurs décisions,
05:29 parce que celles-ci sont très peu argumentées au plan du droit. C'est-à-dire que ce sont souvent des affirmations, une succession d'affirmations,
05:36 et il y a très peu d'argumentations sur le plan juridique, ce qui fait que leurs décisions peuvent apparaître comme, parfois, très opaques, voire très discutables.
05:44 Et c'est pour ça qu'on peut les soupçonner de décisions plus politiques que juridiques.
05:48 Et il y a d'autres pays, je pense à la Cour suprême aux Etats-Unis, ou même à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne, "Der Bundesverfassungskorrekt".
05:55 Là, les 16 juges, ils sont exclusivement nommés pour moitié par le Bundesrat et le Bundestag, et absolument pas par la chancelière ou le chancelier actuel.
06:04 Est-ce que vous pensez qu'il faudrait, du coup, réformer en France la composition du Conseil constitutionnel, à cet égard ?
06:12 Si on veut une véritable justice constitutionnelle, je pense que c'est indispensable, en effet.
06:17 Maintenant, il faut s'accorder sur est-ce qu'on veut une justice constitutionnelle capable de dire aux pouvoirs politiques quelles sont les limites qui sont fixées par la Constitution, parce que c'est le sens même d'une Constitution, sinon ça ne sert à rien.
06:29 Donc de limiter le pouvoir de l'exécutif ?
06:31 Et du législatif, exactement. En vertu, évidemment, de la Constitution et seulement de la Constitution.
06:36 Alors, évidemment, à partir d'un certain pouvoir d'interprétation.
06:39 Soit on estime que la loi ne doit pas être contrôlée par une instance qui n'est pas elle-même élue.
06:45 Et dans ce cas, j'allais presque dire qu'on peut laisser le constitutionnel en l'état, parce qu'il ne représente pas une très grande gêne jusqu'à présent pour le pouvoir, indépendamment des quelques censures qu'il a pu prononcer dans le passé.
06:56 Mais si on veut un véritable juge constitutionnel, alors oui, il faut réformer le système de nomination et de composition du Conseil.
07:03 Parce que, par exemple, les anciens présidents de la République en France, ils sont tous membres de droit du Conseil constitutionnel.
07:07 Alors, François Hollande et Nicolas Sarkozy ont refusé d'y siéger, mais on se souvient que l'ancien président Jacques Chirac ou encore Valérie Giscard d'Estaing y ont siégé au Conseil constitutionnel.
07:16 Et Nicolas Sarkozy aussi y a siégé, il est reparti.
07:19 Mais la disposition présente dans la Constitution peut faire que si François Hollande et Nicolas Sarkozy veulent revenir au Conseil constitutionnel, ça ne serait pas complètement impossible.
07:29 Et on voit bien qu'il y a une collusion entre le pouvoir politique et cette instance qui est censée être en dehors du pouvoir politique.
07:38 Merci beaucoup, Loréline Fontaine, pour votre décryptage et merci d'être venue sur France 24.

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