"J'avais un contrat avec moi-même : je finis mes études et je pars."
Rouler de Plouër-sur-Rance à Téhéran seule à vélo, c'est le défi qu'elle s'est lancé. À 23 ans, Isabel Del Real a quitté son village natal de Bretagne pour passer un an sur les routes. Entre rencontres et paysages, elle raconte son incroyable voyage à notre journaliste Laurène Gris.
Rouler de Plouër-sur-Rance à Téhéran seule à vélo, c'est le défi qu'elle s'est lancé. À 23 ans, Isabel Del Real a quitté son village natal de Bretagne pour passer un an sur les routes. Entre rencontres et paysages, elle raconte son incroyable voyage à notre journaliste Laurène Gris.
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00:00 "Qu'est-ce que je fous là ?" c'est la question qui m'a le plus accompagnée durant tout ce voyage.
00:04 Quand on fait un long voyage, il y a plein de choses à raconter.
00:06 Il y a la routine, le fait de monter sa tente tous les soirs,
00:09 le plaisir de s'installer dans son duvet quand il fait froid,
00:11 le plaisir de cuisiner un repas chaud, évidemment les rencontres.
00:14 Mais il y avait quand même une ligne directrice, une grande interrogation tout le long de la route.
00:16 C'était "mais qu'est-ce que je fous là ?"
00:18 Cette question-là, on se la pose plus facilement quand on est tout seul au milieu de la montagne ou du désert.
00:20 Et à la fin, au bout d'un moment, je me suis rendu compte que je me demandais plus ce que je foutais là.
00:24 [Musique]
00:37 Depuis très longtemps, j'avais envie de partir et j'avais envie de partir toute seule.
00:40 Et j'avais un peu un contrat avec moi-même qui était, je finis mes études d'abord et ensuite je pars.
00:45 J'ai décidé de partir à vélo quand je me suis rendu compte que ça allait être long à pied.
00:49 J'ai commencé à faire un calcul tout bête. J'ai sorti mon téléphone, la calculatrice.
00:53 J'ai regardé le nombre de kilomètres par jour, les montagnes.
00:55 Et là, je me suis dit "oui, trois ans, c'est vrai que peut-être que c'est un peu abusé".
00:58 À ce moment-là, quelqu'un m'a dit "ben, essaye à vélo".
01:01 Et puis, c'était en 2020, donc pas de vélo sur le marché suite au Covid.
01:05 Il faut un vélo un peu en acier, qui tienne bien la route,
01:08 sur lequel tu peux mettre des pneus qui soient assez larges
01:10 parce que je voulais aller dans les montagnes, donc sur des routes un peu rocailleuses.
01:12 Et donc, je décide de le construire de toute pièce avec des potes qui m'aident.
01:15 Ça avait l'air désorganisé de l'extérieur. Je pense que ça avait l'air désorganisé, oui.
01:18 Mes parents m'ont acheté une petite laisse électronique qui s'appelle un Garmin.
01:23 Et donc, je l'allumais et ils voyaient comment je progressais sur la carte.
01:26 Donc apparemment, mon frère m'a dit qu'ils avaient installé dans la cuisine un ordi
01:28 et ils voyaient mon poing qui avançait sur la carte.
01:30 Ils savaient exactement où j'étais, où je dormais.
01:32 Les premières nuits dans les montagnes, c'était hyper apaisant.
01:35 Après, il y a eu d'autres nuits qui étaient glauques parce que c'était l'hiver,
01:38 parce qu'il neigeait, parce que c'était en montagne,
01:40 parce que les sapins, ils faisaient un peu peur.
01:42 Je me souviens de nuits dans le massif central,
01:45 vraiment au milieu de la forêt, toute seule, avec les bruits.
01:48 Tu te dis "mais si n'importe qui arrive, je ne suis vraiment pas en sécurité.
01:52 J'ai ma bombe à poivre, j'ai mon couteau, j'ai mon Garmin".
01:55 Et même comme ça, ça fait peur en fait.
01:56 Sur la route, on est souvent invités.
01:59 Il y a des applications qui permettent aux cyclistes de se rencontrer entre eux
02:01 et d'être logés pour prendre des douches ou des choses comme ça.
02:03 Donc ça, c'était chouette. C'était toujours des belles rencontres.
02:05 Je pense que le fait de partir, juste au moment où l'Europe se déconfinait,
02:09 il y a eu beaucoup de gens qui n'avaient eu personne à qui parler de nouveau
02:11 pendant peut-être un an parfois.
02:12 Et moi, j'avais peur qu'ils aient peur du Covid et des contaminations.
02:16 Donc j'avais tout le temps un masque, je me nettoyais tout le temps les mains,
02:19 je parlais loin, j'essayais de rester très distante.
02:21 Et en fait, les gens étaient hyper chaleureux,
02:23 avaient très très envie de m'inviter et beaucoup des gens avaient très envie de parler.
02:27 Et donc, j'ai eu plein d'échanges qui étaient vraiment très chouettes,
02:28 plein d'invitations, des gens qui m'ont invité à dîner, qui m'ont invité à dormir.
02:31 Donc ça, c'était vraiment chouette.
02:33 Je n'étais pas maître du temps et pas maître de la carte.
02:36 Donc il fallait voir qu'est-ce qui allait ouvrir et où je pouvais aller.
02:39 Et ça, c'est aussi un peu une leçon d'humilité parce qu'on grandit en Occident,
02:42 là où toutes les frontières sont tout le temps ouvertes.
02:44 On ne se pose même pas la question concrètement de où on va aller,
02:48 de si on va avoir un visa.
02:49 Et donc là, on se dit déjà qu'on a de la chance de pouvoir traverser la France.
02:54 On a de la chance de pouvoir passer une frontière.
02:57 Et donc ça, c'est bien aussi.
03:00 Déjà que c'est posé le voyage à vélo, là, on est encore plus posé.
03:03 De Bretagne jusqu'à Istanbul, j'ai été beaucoup toute seule,
03:06 mais vraiment beaucoup toute seule.
03:07 Et ça a duré à peu près 5 mois, à peu près 7000 kilomètres.
03:10 Et ensuite d'Istanbul à Téhéran, j'ai été tout le temps avec des gens,
03:12 même s'il y a eu des moments où j'étais toute seule pendant une semaine
03:14 ou des choses comme ça.
03:15 Mais globalement, j'étais tout le temps avec des gens
03:16 où j'allais tout le temps retrouver des gens.
03:18 Quand on a fait toute la route qu'on a mis
03:20 presque dix mois à arriver jusque là, les paysages, ils ont changé.
03:23 En plus, avant ça, en Arménie, j'ai eu vraiment le temps d'attendre mon visa,
03:27 de lire beaucoup de choses, de rencontrer plein d'Iraniens qui habitaient à Yerevan,
03:30 discuter avec eux, d'aller au resto iranien avec eux.
03:32 Je commençais à avoir une base sur la culture de ce pays.
03:35 C'est une arrivée assez spéciale, d'arriver par les gorges de l'Araks,
03:38 au nord de l'Arménie.
03:38 C'est vraiment un endroit mythique.
03:40 C'est des gorges ultra serrées entre le Nahr-e-Chevan azerbaïdjanais,
03:44 l'Arménie et l'Iran.
03:46 Il n'y a que des postes frontières.
03:47 Tu as les montagnes acérées, tu as le fleuve, il est vénère.
03:50 Et tu as les gens, tous avec leurs mitraillettes.
03:53 Et toi, tu passes, tu pousses ton vélo parce qu'il y a du vent.
03:55 Je n'ai pas non plus envie de rigoler aux postes frontières.
03:57 Ils tamponnent mon visa et ils sont là en mode "Bienvenue, amusez-vous bien".
04:01 Maintenant, je sais que je ne voyagerais pas juste pour être sur la route.
04:11 Ça, je l'ai fait.
04:12 J'avais très besoin de le faire.
04:12 Je l'ai fait pendant un an.
04:14 Maintenant, je pense que je cherche des histoires à raconter, des choses à dessiner.
04:16 Qu'est-ce qu'on raconte d'un tel voyage ?
04:17 Qu'est-ce qu'on a à dire ?
04:18 Parce que c'est bien beau de passer un an sur la route à vélo.
04:21 Le nombre de personnes, quand je suis rentrée, qui m'ont dit
04:22 "On ne peut pas vivre d'amour et d'eau fraîche".
04:24 Et j'étais là en mode "Ouais, mais il y a des choses à dire là-dessus
04:26 sur le fait d'être nomade, sur le fait d'être en déplacement,
04:28 sur le type de conversation qu'on a aussi quand on est sur la route,
04:31 qu'on sait qu'on voit des gens une journée, que ça peut être très intense
04:33 mais qu'on ne va pas les revoir potentiellement le lendemain, potentiellement jamais.
04:36 Et donc, quelle est la nature des échanges ?
04:38 Est-ce qu'il y a une chaleur entre les personnes ?
04:40 Et est-ce qu'on est plutôt méfiant ? Est-ce qu'on est plutôt ouvert ?
04:42 Et de raconter ce sentiment, ces émotions d'être en haut d'une montagne tout seul,
04:45 de rencontrer quelqu'un et de se rendre compte qu'on va devenir amis.
04:48 Oui, ce sont des histoires qui valent la peine d'être racontées.
04:49 Et si ça peut donner envie à d'autres personnes de se lancer sur la route,
04:54 moi j'étais tellement une néophyte, je ne savais tellement pas dans quoi je me lançais,
04:58 je sais toujours à peine changer une chambre à air, j'allais dire un pneu, la preuve,
05:02 que tant mieux, il ne faut pas avoir plein de connaissances, il ne faut pas être très fort,
05:07 je ne suis pas une immense sportive du tout.
05:09 Donc, oui, de raconter ça, ça me tient vraiment à cœur maintenant.
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