L'interview d'actualité - Raphaël Nedilko

  • l’année dernière
Chroniqueuse : Julia Vignali


Julia Vignali reçoit Raphaël Nedilko officier de police judiciaire et auteur de l'ouvrage "L'obstiné Confessions du flic qui exhume les cold cases" paru aux éditions Studiofact en mars 2023. Il revient sur ces "cold cases", ces affaires non résolues depuis plus de 18 mois, sur lesquelles il a eu l'occasion d'enquêter au cours de sa carrière au 36 quai des orfèvres. 

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Transcript
00:00 Bonjour Raphaël Nédilco, merci d'avoir accepté l'invitation de Télématin.
00:03 Vous êtes officier de police judiciaire au commissariat de Châlons-sur-Saune.
00:07 Vous avez travaillé 7 ans au 36 Quai des Orfèvres et 8 ans à la police judiciaire de Dijon.
00:13 Alors votre spécialité à vous, si on peut appeler ça comme ça, ce sont les "cold case".
00:18 Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous rappeler ce que c'est, ce que sont les "cold case" ?
00:22 – Alors déjà c'est une définition qui a été précisée dernièrement
00:26 à la suite de l'étude de la commission de la chancellerie
00:28 qui a conduit à la création du pôle "cold case" de Nanterre le 1er mars 2022.
00:33 Ce sont des meurtres non résolus, des crimes, des viols et aussi des disparitions inquiétantes
00:39 dont l'ancienneté remonte à plus de 18 mois.
00:42 – D'accord, donc tout crime dont on n'a pas trouvé l'origine de plus de 18 mois est un "cold case".
00:46 Mais pourquoi vous avez cet intérêt particulier, vous, pour ces affaires non résolues ?
00:51 – Alors il faut prendre le problème de façon beaucoup plus générale.
00:54 Moi j'ai eu, de par mon passage au Quai des Orfèvres, au QLADPJ de Dijon,
00:58 une appétence particulière pour l'homicide de façon générale.
01:01 Mais lorsque je suis arrivé du Quai des Orfèvres à Dijon,
01:04 j'ai trouvé en portefeuille des dossiers particulièrement anciens
01:07 dont leurs caractéristiques ont particulièrement attisé mon intérêt,
01:12 de par la qualité des victimes notamment.
01:14 – Alors votre livre est intitulé "L'obstiné", pourquoi ?
01:17 Il faut vraiment être obstiné pour résoudre ces affaires ?
01:19 – Oui, surtout lorsque dans le plus ancien des deux cas dont je me suis occupé,
01:23 l'affaire Christelle Maheri de 1986,
01:26 vous avez une famille dans la souffrance puisque en plus d'avoir perdu un enfant,
01:30 ce sont des gens qui ont été laissés pour compte par les institutions
01:33 à peine au bout de six mois puisqu'ils n'ont vu plus aucun enquêteur ni magistrat
01:37 pour conduire à une ordonnance de non-lieu reçue par voie postale en février 1990.
01:43 – Il faut une sacrée obstination pour continuer à enquêter
01:46 alors que tout le monde a fermé le dossier.
01:48 – Oui, et puis s'ajoute à cela en plus une destruction
01:52 complètement incompréhensible des scellés judiciaires à la fin des années 90,
01:56 donc il n'y avait, tel qu'on considère maintenant,
01:58 aucune chance scientifique de pouvoir faire avancer le dossier,
02:01 donc il a fallu trouver autre chose.
02:03 – Alors la preuve de votre obstination c'est que justement deux grandes affaires
02:07 ont marqué votre carrière à l'époque des disparus de l'Assis,
02:10 vous venez d'en parler, c'est l'affaire Maheri et l'affaire Blétris,
02:14 deux jeunes filles qui partageaient le même prénom, Christelle,
02:18 et qui ont été sauvagement assassinées en Saône-et-Loire.
02:21 Vous avez résolu ces affaires respectivement au bout de 25 ans pour l'une
02:24 et 18 ans pour l'autre, qu'est-ce qu'on ressent quand on parvient,
02:27 après autant de temps, à trouver justement le criminel et à faire éclater la vérité ?
02:32 – Alors d'abord c'est de l'incompréhension puisque des leçons devraient être tirées
02:37 justement des difficultés qui sont celles de ces enquêteurs,
02:39 puisque je ne suis pas le seul, bien évidemment,
02:41 j'ai plein de collègues policiers et gendarmes
02:43 qui sont passionnés par ces meurtres non résolus,
02:46 mais si vous voulez c'est la difficulté d'avoir, pour la plupart d'entre nous,
02:49 à traiter ces dossiers en plus d'une actualité chargée
02:52 puisqu'ils ne font pas pour la plupart partie de services dédiés
02:55 aux traitements criminels anciens.
02:58 – Donc ils n'ont pas le temps ?
02:59 – Ils n'ont pas le temps et ils sont obligés de compter sur la résolution
03:04 des familles des victimes qui sont rassemblées en association
03:08 et par des actions financées, leurs frais de justice
03:11 ainsi que les frais de justice de toutes les familles qui sont affiliées,
03:15 elles servent également d'aiguillon servant à vaincre l'inertie de la justice.
03:19 Donc sans l'action de ces gens qui sont des gens absolument extraordinaires,
03:23 je n'aurais rien pu faire.
03:24 – Alors ce qui caractérise votre méthode enquête,
03:26 c'est votre implication sans borne, notamment auprès des familles de victimes,
03:30 on vous a d'ailleurs beaucoup reproché cette implication dans vos enquêtes,
03:34 mais pour vous c'est vraiment indispensable d'avoir ce lien intime,
03:36 notamment avec les familles de victimes, on ne peut pas travailler autrement ?
03:39 – Oui, déjà c'est à la base de ma vocation,
03:41 je n'ai pas attendu que mon administration me remette un code de déontologie
03:45 pour avoir sens de l'humain, que ce soit l'humanité de la victime
03:49 ou l'humanité du mis en cause,
03:50 j'avais reçu ça dans mon éducation, aussi bien humaine que spirituelle.
03:55 Donc si vous voulez, quand vous vous retrouvez dépositaires d'une autorité publique,
03:59 en contact direct avec des gens qui ont eu la double peine,
04:02 celle de la disparition d'un proche et celle de l'oubli des institutions,
04:06 vous ne pouvez rentrer qu'en communion, qu'en phase avec leur souffrance.
04:09 – Mais cette communion, cette phase justement,
04:12 être en phase avec les familles de victimes, c'est aussi très éprouvant,
04:15 pour vous personnellement, vous avez eu beaucoup de pépins de sang,
04:18 vous avez fait deux burn-out, un infarctus, vous avez vécu un divorce,
04:22 franchement, vous n'avez jamais voulu arrêter tout ça ?
04:25 Parce que c'est tellement glauque, excusez-moi,
04:27 mais ça vous implique forcément, vous dans votre vie ?
04:29 – Oui, bien évidemment, mais ça fait partie de ces métiers,
04:32 au même titre que l'enseignement ou le corps médical,
04:35 où on promet de se consacrer totalement aux personnes qui vous sont confiées.
04:39 Moi, je me suis retrouvé récipiendaire de dossiers particulièrement complexes,
04:44 aussi bien humainement que judiciairement parlant,
04:47 j'ai fait la promesse de les aider jusqu'au bout,
04:49 et ma promesse, je continue à la respecter aujourd'hui en écrivant ce livre.
04:53 – Alors dans votre livre justement,
04:54 vous livrez également une critique acérée de votre institution,
04:57 notamment de la police judiciaire de Dijon,
05:00 vous pointez des policiers fainéants,
05:02 que vous nommez "chatte-coussin" et une hiérarchie bas de plafond,
05:06 franchement, ces propos, ça ne doit pas vous attirer à la sympathie de vos collègues,
05:09 vous êtes un peu seul, non ?
05:10 – Alors, c'est un peu le cadet de mes soucis,
05:12 dans la mesure où vous vous retrouvez sur le terrain à plonger votre regard
05:15 dans celui de victimes qui ne comprennent pas ce qui leur est arrivé,
05:18 qui sont incapables de parler de leur propre enfant,
05:21 parce que pour eux, tout s'est écrasé en l'espace de quelques minutes, de quelques heures,
05:26 donc ce que les gens pensent de ma façon de m'y prendre,
05:29 c'est le cadet de mes soucis, le plus important c'est que la police,
05:32 la police judiciaire, le service d'enquête,
05:34 est un service d'appétence et de compétence,
05:36 avec des anciens qui transmettent ce qu'ils ont reçu avec vocation, avec foi,
05:40 et qui assurent un encadrement,
05:42 et c'est quelque chose qu'on a tendance à perdre aujourd'hui.
05:44 – Alors, en tout cas, pas beaucoup de reconnaissance de la part de vos collègues,
05:47 vous racontez notamment un pot de départ,
05:49 racontez-nous ce qui s'est passé lors de ce pot de départ, c'est infusant.
05:52 – Oui, c'est un pot de départ qui a été assuré par l'un de mes supérieurs,
05:57 qui au préalable de son discours, va mettre en avant justement ces deux dossiers
06:02 qui resteront certainement les plus marquants du service et ceux de ma carrière,
06:06 mais qui n'est pas foutu de restituer le bon prénom des deux victimes,
06:10 donc c'est un grand moment de flottement, oui.
06:11 – C'est ça, Isabelle à la place de Christelle ?
06:13 – Isabelle à la place de Christelle, effectivement.
06:15 – Bon, bref, pour se donner les moyens de résoudre ces affaires non élucidées,
06:19 on a parlé du pôle Colquès qui a été créé au Parc des Nanterres,
06:22 il en faudrait partout en France ?
06:24 – Oui, alors là c'est un avis technicien, puisque pour avoir été sur le terrain
06:28 et avoir été justement la direction d'enquête résolue,
06:30 je peux me prévaloir d'une certaine expérience dont je vous fais part aujourd'hui.
06:33 C'est une bonne nouvelle la création du pôle de magistrats à Nanterre,
06:37 puisque les magistrats sont énormément chargés dans leur cabinet,
06:40 je suis devenu ami avec pas mal d'entre eux pour vous dire
06:43 que c'est très difficile pour eux.
06:44 Donc avoir des magistrats dédiés à cette matière, c'est une bonne chose.
06:48 Le nombre de dossiers qui va affluer au cours de l'année
06:51 sera tellement considérable que je crains qu'il ne suffise pas,
06:54 mais plus que ce pôle de magistrats dédié,
06:56 je pense qu'il est indispensable de créer de pôles d'enquêteurs dédiés,
07:00 si possible mixtes, alors moi j'ai une appétence pour travailler
07:03 avec les gendarmes qui sont des gens extrêmement compétents,
07:06 et à travers le territoire, puisque le travail d'enquêteur
07:09 demeure un travail de terrain.
07:11 Eh bien merci beaucoup Raphaël Nédilco,
07:13 je rappelle la sortie de votre livre "L'obstiné, confession d'un flic
07:17 qui exhume des colcaises" chez Studio Fact Édition,
07:21 et c'est passionnant.

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