AVEC LES ÉBOUEURS EN COLÈRE : "SI C'EST 64 ANS, ON VA CREVER AU BOULOT"

  • l’année dernière
Pour le Média, Cemil Sanli nous emmène une nouvelle fois prendre l’air.
Et cette fois-ci, l'air risque bien d’être chargé en odeurs : d’abord celles des ordures qui envahissent Paris, mais surtout l'odeur de la colère des grévistes qui luttent contre la réforme des retraites dont le texte a été adopté manu militari par les sénateurs (majoritairement de droite) ce samedi peu avant minuit.

Ce matin, lundi 13 mars 2023, notre journaliste s'est rendu à l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine au bord du 13e arrondissement de Paris, où se mobilisent les éboueurs et autres travailleurs-euses du secteur qui bloquent le site depuis une semaine sur trois piquets de grèves.

Alors que ces derniers jours, politiques et éditorialistes mainstream se ont défilé sur les plateaux télé pour hurler à l'horreur.
Le maire LR du 6e arrondissement de la capitale étant allé jusqu'à remettre en cause le droit de grève, face à un "risque sanitaire".

Certains sont même allé jusqu’à exiger de la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, qu’elle fasse appel à un service de nettoyage privé afin de venir évacuer les déchets dans les rues...
Mais ne serait-ce pas là un risque de passer pour une casseuse de grève?
Et puis, que pensent ces travailleurs essentiels habituellement silencieux et invisibles?
Quelle est la véritable ampleur du phénomène de grève ici?
Comment va évoluer cette guerre des ordures?

C’est ce qu’on va voir dans ce nouveau reportage.

Journaliste et montage : Cemil SANLI
Caméra : Andreï MANIVIT
Transcript
00:00 Donc maintenant c'est même plus un gouvernement avec une démocratie,
00:03 il n'y a plus de démocratie.
00:04 Et là tout est bloqué depuis une semaine ?
00:05 Tout est fermé, il n'y a plus aucun clément qui se sort.
00:07 La seule réponse qu'on peut leur apporter, c'est le rapport de force massif.
00:11 On va crever au boulot.
00:13 C'est peut-être ce que cherche le gouvernement, remarquez.
00:15 Moi je trouve que ces paroles elles sont très inquiétantes.
00:17 C'est très grave de dire ça.
00:19 Et ceux qui disent le contre-cadre, ils ont qu'à venir faire le boulot.
00:21 Hier j'ai regardé un reportage sur Mai 68,
00:23 et je vous avoue que là je suis chaud bouillant pour continuer.
00:25 Salut c'est Jemil et pour le Média je vous emmène aujourd'hui une nouvelle fois prendre l'air.
00:29 Et cette fois-ci il risque d'être bien chargé en odeurs.
00:32 D'abord celle des ordures qui envahissent Paris,
00:35 mais surtout celle de la colère des grévistes qui luttent contre la réforme des retraites,
00:39 dont le texte a été adopté manu militari par le Sénat,
00:43 majoritairement dominé par la droite, ce samedi peu avant minuit.
00:46 Nous sommes lundi matin, ce 13 mars 2023,
00:49 et je suis actuellement à l'incinérateur d'Ivry, au bord du 13ème arrondissement de Paris,
00:54 où se mobilisent les éboueurs, les travailleurs et travailleuses du secteur,
00:57 qui bloquent le site depuis une semaine déjà.
00:59 Ces derniers jours, vous l'avez entendu comme moi,
01:01 dans la bouche des politiques comme dans nombre de reportages télévisés,
01:04 la même petite musique.
01:05 Des poubelles qui jonchent les rues de Paris,
01:08 et qui s'entassent sur les trottoirs,
01:10 sous le regard désabusé des riverains.
01:12 Ici il y a Marguerite, qui est une touriste américaine qui vient du New Jersey.
01:15 Les éboueurs de la ville de Paris sont en grève contre la réforme des retraites.
01:19 Insupportable pour un pays comme le nôtre.
01:21 Il suffit d'aller derrière, c'est envahidrase, alors j'ai une phobie totale.
01:25 L'image de Paris, c'est une honte.
01:27 On ne peut pas laisser croître des montagnes d'ordures dans les rues de la capitale.
01:31 Toute la merde là, qu'il y a derrière,
01:34 parce qu'il y a une grève qui s'est organisée.
01:35 On en a un peu ras-le-bol, effectivement, nous les commerçants,
01:38 d'être pris systématiquement en otage.
01:40 Certains vont même jusqu'à exiger de la maire de Paris, Anne Hidalgo,
01:43 qu'elle fasse appel à un service de nettoyage privé,
01:46 pour venir évacuer les déchets de la capitale.
01:48 Mais ne serait-ce pas là un risque de passer pour une casseuse de grève ?
01:51 Et puis, que pensent ces travailleurs et travailleuses,
01:53 habituellement silencieux et invisibles ?
01:56 Quelle est la véritable ampleur du phénomène de grève ici ?
01:59 Et comment va évoluer cette guerre des ordures ?
02:02 C'est ce qu'on va voir dans ce nouveau reportage.
02:04 Écoutez, il y a un vide du feu, donc un petit peu de barbecue et merguez.
02:21 Donc on a dit "tiens, ça serait sympa".
02:23 On ne savait pas quoi faire, donc on est venus là.
02:24 Je suis égouttier à la ville de Paris,
02:26 et donc mon syndicat, on est contre cette réforme.
02:30 Et donc on est avec les camarades du site à bloquer l'usine,
02:35 et les garages de Benne, pour ne pas que les Benne sortent
02:39 et aillent collecter les déchets sur Paris.
02:41 Excusez-moi de vous déranger, là vous pouvez laisser passer qui ?
02:44 On laisse passer tous les ouvriers qui viennent pour le chantier.
02:47 C'est le chantier du nouvel incinérateur qui va être mis en place.
02:51 Et vous bloquez finalement que les déchets ?
02:55 Je vous rappelle que les égouttiers ont une expérience de vie de 17 ans en moins
03:00 par rapport à la population de référence du 93.
03:05 Donc si en plus on nous rajoute deux années de plus,
03:09 on va crever au boulot.
03:11 C'est peut-être ce que cherche le gouvernement, remarquez.
03:14 Là on contourne l'incinérateur derrière moi
03:16 pour aller voir un autre garage qui bloque encore plus de camions.
03:20 Tiens c'est là, transformation du centre de valorisation des déchets
03:23 ménagers à Ivry, Paris 13.
03:26 Vous avez suivi j'imagine les débats au Sénat,
03:29 et l'adoption du texte, ça vous fait quoi ?
03:31 Notre action je pense peut encore fonctionner.
03:34 Maintenant le gouvernement est totalement contre nous.
03:37 N'importe comment, même si en commission paritaire ça passe pas,
03:40 n'importe comment elle a prévu de le passer au 49.3.
03:43 Donc maintenant c'est même plus un, comment dire,
03:45 un gouvernement avec une démocratie, y'a plus de démocratie.
03:48 Écoutez, le CPE a été définit-- définitivement adopté.
03:52 Une fois que ce texte a été adopté,
03:54 y'a eu une continuité dans la mobilisation,
03:57 et ils ont retiré le CPE, donc oui,
04:00 rien n'est figé de toute manière,
04:02 et c'est les salariés de ce pays et les citoyens
04:06 qui vont décider si cette réforme passe ou pas.
04:08 On a retraite à 60 ans, hein.
04:10 Donc c'est plus-- en fait on est plus sur les 62 là.
04:12 Ah non, faut-- moi je vis 60.
04:14 On sait que-- qu'il n'y a pas de pénibilité reconnue pour votre métier,
04:18 qu'est-ce que vous en dites ?
04:19 Mais ça c'est pas normal, parce que c'est--
04:21 on travaille pas tous les temps déjà.
04:23 C'est un métier qui est très difficile,
04:25 et puis euh, tout ce qui porte en retraite,
04:28 la vie derrière euh... elle est très courte, quoi.
04:31 Tout à l'heure, vous me disiez avec vos collègues que
04:34 l'espérance de vie dans votre branche est plus faible qu'ailleurs,
04:37 et que vous avez connu des collègues qui sont--
04:39 qui n'ont pas eu la chance de vivre leur retraite.
04:41 Oui oui, on a des collègues-- deux collègues récemment,
04:43 qui, il y a quelques mois en arrière, ils sont partis euh...
04:45 bien avant la retraite.
04:46 Y en a un qui devait partir deux mois après,
04:48 et ben il est mort malheureusement d'un arène cardiaque.
04:50 Alors est-ce que c'est dû complètement au travail, c'est moins sûr,
04:53 mais bon, c'est forcément lié.
04:55 Vu le stress de conduite qu'on a.
04:56 Voilà, puis y en a un qui est parti, maladie.
04:58 Cancer, malheureusement.
05:00 Puis y en a un à la retraite euh...
05:01 il était à la retraite depuis six, sept mois.
05:04 Parti aussi.
05:06 Et c'est-- c'est pas fini, hein.
05:08 Peut-être dans quelques années, je serai plus là non plus.
05:10 Faut se bouger et être avec nous.
05:12 Être solidaires avec nous.
05:13 Parce que...
05:14 après cette réforme-là, c'est la case de la sécurité sociale.
05:18 La question c'est qu'est-ce qu'on va laisser pour nos enfants derrière ?
05:20 On sortira plus, on va faire des-- on va essayer de s'organiser pour euh...
05:23 pour perdre le moins d'argent possible.
05:25 Même ce que-- on va faire forcément pas d'éplumes.
05:27 Et mais bon euh... là faut vraiment vraiment dire ça au mouvement.
05:30 Et tant pis, ça s'entasse dans Paris,
05:31 ben tant pis, dommage pour les Parisiens, mais bon, c'est comme ça.
05:34 Quand y a le privé qui fait-- qui fait grève,
05:36 ils font appel à nous.
05:38 Quand c'est nous, ils font appel au privé,
05:39 mais c'est toujours pour casser la grève à chaque fois.
05:41 Mais euh... le-- le fond du-- du problème,
05:44 on-- on essaie pas de le résoudre au final.
05:46 Et là, tout est bloqué depuis une semaine.
05:48 Là, depuis euh-- depuis lundi, mardi,
05:51 depuis-- surtout mardi, euh...
05:52 tout est-- tout est fermé, y a plus aucun camion qui sort.
05:54 La retraite à 60 ans, hein.
05:56 Donc c'est plus-- en fait on est plus sur les 62, là.
05:58 Ah non, faut-- faut-- moi j'y vis 60.
06:00 Nous, la retraite à 60 ans, c'est mérité.
06:03 Et ceux qui disent le contre-cadre, ben ils ont qu'à venir faire le boulot.
06:05 Ils verront ce que c'est.
06:07 Parce que apparemment euh... c'est si facile que ça.
06:10 Mais c'est compliqué, vous me disiez, pour conduire, ben évidemment,
06:12 parce que conduire un gros truc comme ça dans Paris, euh...
06:14 Ça devient, ouais, on prend un 26 tonnes comme celui-là, là.
06:16 Euh... — Ah oui, celui-là !
06:18 Dans Paris, c'est un 26 tonnes.
06:19 Ça, c'est un... un 19 tonnes.
06:21 Ça, c'est un 12 tonnes.
06:22 Et je vous avoue que conduire ça dans Paris, des fois, c'est...
06:26 c'est stressant.
06:27 Parce que les trottinettes qui font tout et n'importe quoi,
06:29 les vélos, on n'en parle pas,
06:30 les piétons qui mettent du lard aussi...
06:32 Y a une di-- y a une euh... comment je pourrais dire,
06:33 une cohabitation dans l'espace public est compliquée.
06:35 Elle est compliquée, elle est compliquée.
06:37 Il a eu la-- la malchance... qu'un piéton
06:39 se soit retrouvé sous ses roues arrière.
06:41 Mais c'était pas de sa faute.
06:43 C'est pas de sa faute, le piéton, euh, bien sûr, le portable à la main, donc euh...
06:47 Tout Paris, au niveau mairie de Paris, tout garage poids lourd est bloqué.
06:49 Sont bloqués.
06:50 Ce qui veut dire que... y a une partie de la ville
06:52 qui est gérée par le... privé, par exemple,
06:54 le système arrondissement, vous me disiez à l'instant.
06:55 Le système arrondissement, y a 10 arrondissements
06:57 qui sont collectés par le privé,
06:58 et 10 arrondissements par la régie.
07:00 Donc, mairie de Paris.
07:01 On parle de combien de... de déchets, là, en tonnes, dans les rues ?
07:04 On a dépassé les 5 500 tonnes, j'pense.
07:06 Par jour, euh... par jour, ça doit être entre 800 et 1 000 tonnes, j'pense.
07:10 Ouais...
07:11 Dans les plus gros, me dit-on, on peut mettre jusqu'à 11 tonnes de déchets.
07:16 En fait, quand j'étais gosse, j'voulais conduire les bus.
07:18 C'était mon rêve. Moi, je vous doute, vous voulez vétériner
07:20 ou conduire des fusées, moi c'était des bus.
07:22 Ce genre de truc, ça m'fait kiffer, en fait.
07:23 C'est pas déplaisant, conduire.
07:24 Les gens qui sont contre nous ne comprennent pas notre travail.
07:26 Je reviens sur ce que disait mon collègue Didier.
07:28 Euh... la conduite à Paris en poids lourd,
07:30 et là je pars pour la majorité des conduiteurs poids lourds
07:32 qui travaillent dans Paris,
07:33 c'est-- ça devient extrêmement stressant.
07:35 Si jamais le texte est vraiment, définitivement adopté par...
07:39 bah dans la loi, en fait, c'est-- votre réaction, ce serait quoi ?
07:42 - Yerj aga d'un reportage sur mai 68,
07:52 et j'vous avoue que là, j'suis chaud bouillant pour continuer.
07:55 - Sur ces piquets de grève, des personnes extérieures,
07:58 en grève elles aussi ou pas,
07:59 viennent régulièrement en soutien aux éboueurs grévistes
08:01 de ces dépôts du sud de Paris.
08:03 Comme Youri, étudiant, ou encore Morgane et Magali,
08:06 agents territoriaux à la mairie d'Ivry-sur-Seine, toutes proches.
08:09 Ce qui permet des discussions entre personnes
08:11 qui ne se croisent pas vraiment, hors des mouvements de grève.
08:13 Et même les automobilistes klaxonnent leur soutien au passage.
08:17 - Nous, depuis le début de la mobilisation dans les facs,
08:21 on doit, en tant qu'étudiants, soutenir les travailleurs en grève, etc.
08:24 - Je suis agent et on est là pour-- parce que ça a de l'impact,
08:27 on est là pour bloquer et...
08:29 on n'a pas du tout envie d'aller jusqu'à 64 ans,
08:31 on a une pénibilité du travail énorme, donc... donc voilà.
08:35 - Tous les soutiens sont très bien accueillis,
08:36 parce que, en fait, ça permet d'avoir des soutiens extérieurs
08:39 pour en fait aider à maintenir le piqué, à bloquer,
08:42 à venir créer des liens, pouvoir en fait aux-- aux assemblées générales après,
08:46 proposer des actions communes, etc.
08:48 - Et quel âge vous avez, si c'est pas un discret ?
08:50 - 20 ans.
08:51 Non, c'est-- [rires]
08:53 39.
08:54 — 39 et ? — Moi j'en ai 28.
08:56 — Tu devrais travailler jusqu'à 67 ans ?
08:58 — Nooon, mais j'irais même pas jusque là !
09:00 Je vais arrêter avant, hein.
09:01 Même si c'est obligé, je pourrais pas.
09:03 Je me vois pas avec mon dérubulateur, aller servir les enfants,
09:07 « eeeeh, je vais perdre mon dentier », tout.
09:09 Non, non, c'm'est mort.
09:09 Dans tous les cas, notre travail à nous, qu'on fait actuellement,
09:11 c'est impossible d'aller jusqu'à 64 ans.
09:13 Déjà 60 ans, c'est très compliqué.
09:15 Euh, 64 ans, et puis après ça va être 67 ans, c'est clairement impossible.
09:19 Et on-- on voit, y a 78% de la population, déjà, qui-- qui--
09:22 qui malgré, en fait, le soutien massif à-- aux grèves contre la réforme,
09:26 qui-- qui considère que de toute façon la réforme va passer.
09:28 Et ça, ça vient pas de la ré-- de la résignation d'office des-- des--
09:32 des travailleurs en grève, etc. Ça vient d'abord
09:34 de l'offensive du gouvernement, qui utilise les-- les armes les plus antidémocratiques
09:37 euh, de-- de la Ve République.
09:39 Je sais pas si vous avez entendu le président Macron,
09:41 'fin, l'avoir lu dans l'opinion, disant qu'il reculerait que si Paris serait en feu,
09:45 ou s'il y aurait des morts.
09:46 On va mettre le feu, euh...
09:48 On va tuer des gens, et il a dit faut des morts pour bouger, bah on va tuer, tester...
09:53 Bah moi j'trouve que ces paroles, elles sont très inquiétantes.
09:55 C'est très grave de dire ça.
09:56 Pour être volontaire, pour avoir un corps ?
09:58 Non, non, on va pas aller jusqu'à tuer des gens,
10:00 mais en tout cas on va essayer de mettre le pays à l'arrêt,
10:02 au plus possible, et puis euh, et puis on espère que ça a de l'impact
10:05 et que ça va fonctionner.
10:06 Vous n'avez pas l'air confiantes.
10:07 On a peur !
10:09 Je pense que c'est plus la peur, et puis vu les paroles de... de Macron, c'est...
10:13 C'est inquiétant. Voilà.
10:15 Mais on est là.
10:16 La seule réponse qu'on peut leur-- leur apporter, c'est de-- c'est de--
10:19 c'est le rapport de force euh... massif,
10:21 dans la rue, dans la grève générale en fait.
10:23 C'est-- c'est-- sans grève générale, on-- on n'arrivera pas à...
10:26 à faire plier un gouvernement pareil.
10:27 Macron ne veut pas nous, on est làààà !
10:31 [musique]
10:33 [musique]
10:35 [musique]
10:38 [musique]
10:40 [musique]
10:42 [musique]
10:44 [musique]
10:46 [musique]
10:48 [musique]
10:50 [musique]
10:52 Je vous remercie.
10:54 Je vous remercie.
10:56 Je vous remercie.
10:58 Je vous remercie.
11:00 Merci à tous !
11:02 [SILENCE]

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