Mode - La révolte des "Midinettes", les ouvrières des ateliers de couture parisiens
Yvane Jacob nous raconte la révolte des "Midinettes", les ouvrières des ateliers de couture parisiens.
Retrouvez "Mes aïeux quelle époque !" sur : http://www.europe1.fr/emissions/mes-aieux-quelle-epoque
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00:00 Europe 1, historiquement votre, avec Stéphane Bern.
00:04 Mais aïe, quelle époque, mais aïe, quelle époque !
00:07 Oui mais aïe, quelle époque, une époque et même plusieurs qu'on vous raconte chaque jour pendant deux heures.
00:11 Toujours avec Jean-Luc Lemoyne, David Castellopès qu'on retrouve dans un instant,
00:15 et aujourd'hui avec vous Ivan Jacob, notre journaliste à la mode.
00:18 Ça s'est passé dans le passé, on remonte au temps de la Première Guerre Mondiale en 1917,
00:23 exactement une année marquée, Ivan, par la révolte des "midinettes",
00:27 c'est-à-dire les ouvrières des ateliers de couture parisiens,
00:30 contre leurs conditions de travail et leur temps de travail surtout.
00:33 Oui Stéphane, et pour commencer je vais donner la parole au reporter de l'Humanité
00:37 qui était sur place hier 15 mai 1917, vous allez peut-être reconnaître sa voix.
00:42 Sur les grands boulevards, un long cortège s'avance.
00:44 Ce sont les midinettes parisiennes, au corsage fleuri de lilas et de muguets.
00:48 Elles courent, elles sautent, elles chantent, elles crient,
00:50 et pourtant ce n'est ni la Sainte-Catherine, ni la Micarème, c'est la grève.
00:54 C'est la grève, l'heure est grave en cette mi-mai 1917, les midinettes sont dans la rue.
01:01 Alors aujourd'hui si on dit "midinette", bon déjà on ne le dit plus beaucoup,
01:05 si on a moins de 80 ans, mais si jamais on le dit,
01:07 c'est dans le sens "jeune fille un peu fleur bleue, un peu sentimentale,
01:10 qui lit les romans de Marc Lévy et qui aime bien ça".
01:14 Mais ce sens-là du mot, il n'existe que depuis les années 20,
01:17 avant, c'est-à-dire à la Belle Époque, "midinette" c'est un métier.
01:22 Les midinettes ce sont les couturières qui travaillent dans les ateliers de haute couture parisienne,
01:26 rue de la Paix ou dans le quartier du Palais Royal,
01:28 là où on fabrique des robes très chères pour les femmes très riches,
01:31 ou bien qui travaillent chez des maudistes, là où on fabrique des accessoires,
01:35 et notamment des chapeaux très chers pour les femmes très riches.
01:39 Les midinettes travaillent 10 heures par jour et elles ont à peine le temps de déjeuner.
01:43 Elles mangent sur le pouce en faisant une petite dinette le midi,
01:47 et c'est pour ça qu'on les appelle les midinettes.
01:50 - C'est midi-dinette en fait. - Oui, c'est une contraction.
01:52 Comme on entre très tôt en apprentissage dans ces ateliers de couture,
01:56 parce qu'il faut des gens très qualifiés,
01:58 les midinettes sont souvent jeunes et célibataires,
02:01 ce qui fait naître tout un tas de fantasmes sur les mœurs de ces jeunes femmes,
02:05 qui ont une vie relativement libre.
02:07 Pensez donc, elles travaillent et elles déjeunent hors de chez elles,
02:11 au risque de rencontrer quoi ?
02:13 Des garçons.
02:14 - Donc on les considère comme des filles frivoles.
02:16 - Oui, et pourtant elles vont se montrer déterminées et courageuses.
02:20 Tout commence dans l'atelier de la maison Jenny.
02:22 Jenny, c'est Jenny Sacerdote, une grande couturière française formée chez Paquin,
02:27 qui a créé sa maison en 1909.
02:28 Elle est installée rue Royale.
02:30 Aujourd'hui, son nom a été totalement oublié,
02:32 mais à l'époque, elle est aussi connue que Chanel,
02:35 notamment pour son petit tailleur gris.
02:37 Alors ça a l'air un peu chiant dit comme ça,
02:39 mais c'est une révolution de simplicité chic pour les femmes de la belle époque,
02:42 qui sortent du corset et des attirailles compliquées.
02:45 Elle a tellement de succès, cette Jenny,
02:48 qu'elle ouvre des ateliers sur les Champs-Elysées,
02:50 et c'est de là que part la contestation en 1917,
02:53 avec 250 ouvrières qui se retrouvent dans la rue.
02:56 - Oui, mais pourquoi elle manifeste alors ?
02:58 - Eh bien, figurez-vous qu'avec la guerre,
03:00 les riches américaines sont partis, les commandes s'effondrent.
03:03 En réaction, les maisons décident de supprimer une demi-journée de travail,
03:07 le samedi après-midi, pour réduire les coûts.
03:09 Le dimanche et le samedi après-michomé, c'est ce qu'on appelle la semaine anglaise,
03:13 parce que c'est déjà comme ça qu'on fait en Angleterre.
03:15 Ça, les midinettes l'acceptent, elles veulent bien.
03:17 En revanche, ce qu'elles ne veulent pas, c'est perdre une demi-journée de salaire.
03:20 Alors elles chantent dans la rue,
03:22 "Et l'on s'en fout, on fera la semaine anglaise,
03:24 et l'on s'en fout, on aura nos 20 sous."
03:27 Elles crient aux autres midinettes des autres maisons,
03:29 "Descendez, descendez, descendez !"
03:32 Et elles descendent, les ouvrières de chez Lanvin, de chez Deuillet,
03:35 enfin, descendent celles qui le peuvent,
03:36 puisque certaines ont été enfermées à clé
03:39 par leur patron à l'intérieur des ateliers pour les empêcher de manifester.
03:42 Bientôt, elles sont quand même près de 2000 dans les rues.
03:45 Les détracteurs disent que ce sont évidemment des agents de l'Allemagne,
03:49 les accusent de remettre en cause l'Union sacrée,
03:52 mais l'opinion est plutôt favorable à ces jeunes filles.
03:55 Les journalistes aussi qui les côtoient,
03:56 puisque la plupart des journaux sont installés juste à côté,
03:59 dans le quartier de la Bourse, à Paris.
04:01 Et même si leur revendication en matière de salaire
04:03 semble légitime à la plupart des observateurs,
04:06 on estime que la réduction du temps de travail, là quand même, c'est abusé,
04:10 et que cette idée a été glissée par des fauteurs de trouble,
04:13 des monteurs de grève, aux innocentes midinettes
04:15 qui n'y auraient jamais pensé toutes seules.
04:18 Malgré tout, la mobilisation continue.
04:21 Le 23 mai, plus de 100 maisons de couture sont à l'arrêt.
04:24 Bientôt, emportées dans leur élan,
04:26 les midinettes vont même demander des augmentations,
04:28 les gourgandines, et au bout de deux semaines de grève,
04:31 elles obtiennent satisfaction.
04:32 La loi est votée en juin 1917.
04:35 C'est une victoire pour les femmes,
04:37 mais bientôt c'est une victoire aussi pour tout le monde,
04:39 puisque deux ans après, ce jour et demi de repos
04:41 est généralisé à tous les travailleurs.
04:44 Et oui Stéphane, c'est à ces frivoles midinettes
04:46 que nous devons notre week-end.
04:48 Comme dirait Maggie Smith dans "Dawton Abbey",
04:52 "A week-end? What is a week-end?"
04:56 Vous vous souvenez ?
04:57 Mais à yokel époque, merci beaucoup Ivan,
05:00 grâce aux midinettes, nous avons notre week-end.