Rencontre avec Florian Zeller, réalisateur de "The Son" : comment représenter la dépression d'un adolescent, comment adapter une pièce de théâtre à l'écran, ses choix de casting (Hugh Jackman, Laura Dern)...
"The Son", en salles depuis le 1er mars 2023.
"The Son", en salles depuis le 1er mars 2023.
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Court métrageTranscription
00:00 Hugh Jackman, il porte ça en lui, je trouve.
00:01 Je voulais un être dont on pressent, dont on sent vraiment qu'il est bon.
00:05 C'est l'histoire d'un père, je dirais,
00:23 qui tente d'accompagner, d'aider son garçon de 17 ans,
00:28 Nicolas, qui traverse une période difficile.
00:30 On ne sait pas très bien si c'est une dépression, en tout cas.
00:32 Il cesse d'aller à l'école ou d'adhérer à la vie,
00:35 ou il cesse d'être l'enfant qu'il avait été jusque-là.
00:37 Au moment où j'ai fait "The Father",
00:38 je savais que si j'avais l'opportunité de faire un autre film,
00:41 ce qui est jamais acquis, ce serait "The Son".
00:43 Ça tenait au fait que c'était une pièce que j'ai écrite
00:46 et c'était une histoire que je voulais vraiment raconter
00:48 et aussi une histoire dont j'avais l'impression qu'il fallait,
00:50 qui devait être racontée, qui n'était pas racontée.
00:52 C'est une histoire que j'ai écrite sans être étranger
00:56 à toutes les émotions qu'elle explore.
01:00 Mais ce n'est pas pour cette raison que j'ai voulu en faire un film,
01:02 dans le sens où ce n'est pas pour me raconter,
01:04 pour raconter mon histoire.
01:04 D'ailleurs, ce n'est pas mon histoire,
01:05 mais ce sont des situations, des territoires qui me sont familiers.
01:09 Mais c'est davantage parce que, notamment en faisant la pièce,
01:13 j'ai senti à quel point beaucoup de gens, en fait,
01:16 savent de quoi il s'agit.
01:18 Et d'ailleurs, souvent après la pièce,
01:20 au moment où se finissait le spectacle,
01:21 quelque chose d'autre commençait,
01:23 lors de la conversation, du partage,
01:26 où les gens disaient « je sais de quoi vous parlez,
01:29 parce que mon fils, parce que ma fille, parce que mon oncle… »
01:31 Et j'ai ressenti physiquement presque à quel point ce désarroi,
01:36 en tant que parent, quand on ne sait plus quoi faire
01:38 pour aider quelqu'un qui nous est aussi cher qu'un fils ou qu'une fille.
01:43 Ce désarroi-là, il est commun.
01:45 Il y a tellement de gens en souffrance.
01:46 Est-ce qu'il a pu vous dire ce qui s'est passé à l'école ?
01:50 Non, il ne dit pas grand-chose.
01:52 Je ne comprends pas d'où vient la tristesse.
01:57 Il est un adolescent, OK ?
01:59 Vous avez vu un adolescent qui brille avec la joie ?
02:01 Ce n'est pas juste ça.
02:02 Il est différent de…
02:06 les autres.
02:07 Le casting, ça répond à un processus purement intuitif.
02:11 Je ne voulais pas faire un film sur un mauvais père.
02:12 Et donc, même si c'est un père qui prend parfois de mauvaises décisions
02:15 ou qui est confronté à tellement de frustration,
02:17 qu'il en devient parfois violent,
02:18 mais je voulais un être dont on pressent, dont on sent vraiment qu'il est bon.
02:22 Et Hugh Jackman, il porte ça en lui, je trouve.
02:25 C'est-à-dire qu'on a accès à l'être et à la bonté qu'il est.
02:31 Mais ceci dit, ce n'est pas moi qui l'ai choisi dans un premier temps.
02:34 C'est plutôt lui qui est venu vers moi.
02:35 Il avait entendu parler du film que j'adaptais, "The Son",
02:38 il connaissait la pièce.
02:38 Et il m'a envoyé une lettre pour me dire,
02:41 voilà, si vous êtes en conversation déjà avec un acteur,
02:44 vous avez oublié ma lettre, mais si jamais c'était quelque chose
02:46 qui était encore ouvert, j'aimerais vraiment avoir dix minutes avec vous
02:48 pour vous expliquer pourquoi je devrais faire ce rôle.
02:50 Très vite, justement, il m'a donné accès à l'homme qu'il est.
02:53 Et j'ai senti en tant qu'homme et aussi en tant que père
02:57 et peut-être même aussi en tant que fils,
02:59 qu'il était connecté à cette histoire-là, à ces émotions-là.
03:03 Laura Dern, c'est une actrice que j'admire depuis toujours.
03:08 J'adore David Lynch, alors pour moi, elle appartient tellement à ce monde-là.
03:12 Mais pas simplement, j'ai une grande admiration pour elle,
03:14 mais c'est aussi parce que j'ai senti en parlant avec elle
03:18 qu'elle était non seulement cette grande actrice, mais aussi une mère.
03:22 Elle savait aussi de quoi il s'agit.
03:23 Elle a des adolescents, il y a eu le Covid, etc.
03:26 [Musique]
03:46 Je ne voulais surtout pas faire, disons, l'adolescent dépressif,
03:51 la performance un peu cliché qu'on peut attendre de ce genre de personnage.
03:56 Je voulais au contraire me tenir à un endroit qui soit celui du seuil.
04:00 On a du mal à déchiffrer ce qui se passe.
04:02 D'abord parce que c'est des moments où les gens dissimulent énormément,
04:05 notamment vis-à-vis de leurs parents.
04:07 Il y a aussi une honte d'être parfois pas en capacité de dépasser ses propres démons.
04:13 Et donc je voulais que ce soit une sorte d'ange comme ça,
04:15 mais dont on sent qu'il brûle quelque part en enfer
04:18 et qu'on ne sache jamais vraiment exactement ce qu'il traverse.
04:21 Il y a une violence qui plane, disons une potentialité de violence
04:24 qui plane autour de cette famille.
04:26 Et c'est vrai que la forme de ce film, elle est celle d'une ligne droite.
04:30 Ça me semblait important de trouver une linéarité
04:33 parce que je voulais retrouver ce sentiment tragique.
04:35 Pour moi, la tragédie, elle se déploie dans la linéarité,
04:38 c'est-à-dire d'emblée dans les tragédies, on sait où l'on va aller,
04:42 on connaît quel est le destin qui va écraser les personnages.
04:47 Et on voit ces personnages se bagarrer pour tenter de dévier la course de ce destin.
04:50 Et plus ils le font, plus ils accomplissent ce destin, paradoxalement.
04:54 Et la raison pour laquelle je voulais que ça soit construit ainsi,
04:57 c'est que tout le sens de ce film, pour moi,
05:00 c'était de dire que cette tragédie aurait pu être évitée
05:07 et aurait dû être évitée si les bons mots avaient été employés,
05:10 si les bonnes conversations avaient été engagées,
05:12 si l'aide dont ce jeune garçon avait besoin avait été sollicitée.
05:18 Et donc, c'était une façon d'interroger tout ce qui aurait dû ou pu être fait
05:23 pour ne pas finir dans cette tragédie.
05:27 [Musique]