Le 14 février 2022, Aissé, 13 ans, est morte dans l'incendie d'un immeuble HLM de Garges-lès-Gonesse. Massalé, son grand frère, alerte sur le mal-logement dans les quartiers populaires.
Aissé, 13 ans, morte à cause du mal-logement https://www.streetpress.com/sujet/1676896309-aisse-morte-cause-mal-logement-garges-hlm-marchand-sommeil-val-oise
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00:00 Le feu est parti du troisième.
00:02 Mais s'il y avait cette putain de trappe de désenfumage,
00:04 excusez-moi, peut-être qu'elle serait encore là.
00:06 Moi, c'est pas ma petite sœur qui a déclenché l'incendie.
00:08 Elle était juste rentrée pour manger.
00:10 Moi, aujourd'hui, je veux juste savoir
00:12 qui est responsable de la mort de ma petite sœur.
00:15 On est arrivé dans la ville de Garges-le-Gonesse
00:25 en 89 avec nos parents.
00:28 Cet appartement, on y est arrivé deux ans après.
00:29 On y a vécu toute notre vie, en fait.
00:31 On est tous nés là-bas, tout le monde nous connaît.
00:33 On avait quelques problèmes d'humidité.
00:35 On avait aussi un problème de compteur électrique
00:40 qui n'était pas du tout à jour.
00:42 On a fait des relances pendant des années,
00:44 mais on n'avait jamais de réponse.
00:45 Mais sinon, l'état global de l'appartement,
00:48 ça allait parce qu'on l'entretenait.
00:49 Ma releçon avec ma petite sœur, c'était un peu comme un père.
00:54 C'est à l'IC, elle avait 13 ans, elle était au collège.
00:56 Elle était vraiment proche de tous les frères et sœurs
00:59 parce que c'est notre petite dernière, notre petite princesse.
01:01 Des fois, on la taquinait parce qu'elle était assez susceptible.
01:05 Du coup, pour énerver ma mère, on était en train de la piquer
01:07 un petit peu de temps en temps, mais c'était mignon.
01:09 Ce 14 février 2022, comme tous les jours,
01:13 Aïssé est rentré du collège.
01:15 Il était à peu près midi, midi et demi.
01:17 Elle est arrivée, elle est montée, elle a pris l'ascenseur,
01:19 elle est rentrée, elle a jeté son sac,
01:21 elle a commencé à, je pense, se faire à manger.
01:23 Quelques minutes après, un feu s'est déclenché au troisième étage.
01:28 De l'immeuble, mes parents habitaient au huitième étage.
01:30 C'est la première fois que je vois ça.
01:32 Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici.
01:33 Je suis venu ici pour boire de l'eau.
01:35 Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici pour boire de l'eau.
01:37 Et du coup, ce qui s'est passé, c'est qu'à un moment,
01:39 je crois qu'elle ouvre la porte, de ce qu'on comprend,
01:41 et elle voit de la fumée qui commence à arriver, une chaleur.
01:44 Elle referme la porte et là, elle appelle ma mère
01:46 parce que ma mère était à l'hôpital.
01:47 Comme ma mère était en panique, c'est des infirmières là-bas
01:49 qui ont pris le téléphone et qui ont essayé de l'aider à distance
01:52 en lui demandant de prendre des serviettes et de les mouiller,
01:56 les caler sous la fenêtre et d'essayer de s'éloigner un petit peu
01:58 et de rester au sol.
01:59 En ouvrant la porte, il y a trop de fumée.
02:01 Elle portait des lunettes en fait.
02:03 Et ce qui s'est passé, c'est qu'elle a eu une grosse vague de fumée
02:07 qui a envahi l'appartement d'un coup.
02:09 Du coup, elle a été déstabilisée et avec la panique,
02:12 elle a perdu ses moyens.
02:13 Finalement, elle a été retrouvée asphyxiée
02:16 peut-être une demi-heure, 45 minutes plus tard par les pompiers.
02:19 Et ça a été la seule victime de cet incendie.
02:24 C'est la première fois que je perds quelqu'un d'aussi proche,
02:31 quelqu'un que je considérais comme mon enfant.
02:33 Moi, je n'y croyais pas trop sur le coup,
02:35 je ne comprenais pas trop ce qui se passait.
02:36 En sortant de la gare déjà, je vois déjà un peu de fumée vers le haut.
02:40 Je comprends que c'est réellement vers là-bas.
02:41 Et là, plus je marche, plus je m'approche,
02:44 plus je vois des barrages de pompiers, de police.
02:47 Je vois une bâche blanche, je vois que la zone est un peu bâchée.
02:50 Et là, je vois son corps.
02:51 On pète les plombs, on ne comprend pas.
02:56 Sur le coup, on ne se pose pas beaucoup de questions.
02:57 On ne pense pas aux circonstances,
02:59 on sait juste que là, notre sœur est décédée.
03:01 On a appris rapidement, vraiment dans la journée,
03:07 que c'était une surstantion électrique.
03:09 On a appris quelques minutes après
03:11 qu'il y avait 18 personnes qui habitaient dans cet appartement.
03:14 18 personnes dans un appartement,
03:15 on se dit tout de suite que c'est un marchand de sommeil.
03:18 C'est quelqu'un qui va surexploiter des gens
03:19 en leur vendant des lits, en fait.
03:21 Ils n'appellent pas ça des chambres ou de la colocation,
03:23 mais c'est vraiment des lits.
03:25 Ils parlent en lit en général.
03:26 Encore dans la journée, il y a plein de gens qui se posaient des questions.
03:29 Justement, en voyant le feu,
03:31 il y en a qui disaient "mais c'est bizarre,
03:32 pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de fumée qui ressort au niveau du toit ?"
03:35 En général, quand il y a un incendie comme ça,
03:38 il y a beaucoup de fumée qui ressort par le toit,
03:40 mais là, en fait, il n'y a rien qui ressortait.
03:42 Et c'est là qu'on s'est aussi rendu compte
03:43 qu'il n'y avait pas de trappe de désenfumage.
03:45 C'est un dispositif qu'on actionne au rez-de-chaussée
03:48 qui va lever une trappe en cas d'incendie
03:50 ou qui va faire une sorte d'appel d'air
03:51 et qui va aspirer toute la fumée vers le toit.
03:54 Et quand on commence à poser ces questions-là,
03:55 on se dit "mais pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de trappe de désenfumage ?"
03:58 C'est là qu'on apprend que l'immeuble est sous administrateur
04:02 et qu'il était en cours de réhabilitation.
04:03 Donc en gros, c'est un administrateur judiciaire
04:06 qui gère cette barre d'immeubles
04:09 parce que la copropriété est endettée
04:12 et du coup, il y a de l'argent qui est injecté par l'État
04:15 pour pouvoir réhabiliter ses logements.
04:17 En me renseignant, je vois qu'il était sous plan de sauvegarde depuis 2016.
04:23 Et ma question aujourd'hui, là où j'arrive sur le plafond de verre,
04:26 où j'ai eu la réponse à toutes mes questions,
04:28 maintenant aujourd'hui, c'est que j'essaie de comprendre
04:29 pourquoi depuis 2016, il n'y a rien qui a été fait.
04:32 [Bruits de boulot]
04:38 [Musique]
04:46 Moi, je suis aussi celui dans la famille qui ne lâche pas l'affaire.
04:49 Je suis un peu la grande gueule.
04:51 Quand il y a un problème, c'est moi qui vais ouvrir ma bouche.
04:55 Et c'est pour ça qu'en fait, naturellement,
04:57 j'ai pris ce "lead" pour cette enquête.
04:59 Aïssé est décédé à 13 ans le 14 février dans un immeuble
05:03 dans lequel on est arrivé en 1989.
05:05 Voilà, un départ de faute, troisième étage,
05:09 où logeaient 18 personnes, ce qui est inadmissible.
05:13 Quand je retournais sur les lieux du drame, donc dans l'immeuble,
05:15 j'ai fait mon enquête, j'ai pris des photos, des vidéos.
05:18 J'allais aussi pour questionner des fois les voisins.
05:21 Et c'est un combat qui est en train de me changer.
05:26 Je dors avec, je me réveille avec,
05:28 j'ai mon téléphone qui sonne toute la journée.
05:30 J'en fais des cauchemars, très clairement.
05:32 Et moi, je ne veux pas que cette affaire m'aide d'homme en fait.
05:34 Moi, ce que je ne trouve pas normal dans cette histoire,
05:36 c'est de vivre encore dans des habitations comme ça.
05:39 J'ai appelé aujourd'hui moi des "caja-poules".
05:41 Ce n'est pas possible de mourir dans de telles conditions.
05:45 Elle avait 13 ans, elle n'a rien demandé.
05:46 Tout ce qu'on veut, c'est que justice soit faite.
05:49 Nos vies comptent, oui, c'est sûr.
05:51 Nos vies comptent en banlieue aussi, surtout.
05:53 Et dans tous nos quartiers, parce que c'est là,
05:55 il n'y a que dans nos quartiers qu'on peut rencontrer ce type de problème.
05:58 Dans les banlieues, c'est quoi le plus gros problème ?
06:01 C'est l'habitation, c'est la précarité.
06:04 Et ça commence par quoi ?
06:05 Être bien, c'est être bien chez soi.
06:06 Vous payez vos charges, elles doivent être...
06:09 Il y a un service derrière en fait.
06:11 Vous êtes des étrangers, OK, mais pour l'instant, vous êtes en France.
06:13 Vous avez la chance d'être en France.
06:14 Et être en France, c'est ça.
06:15 C'est un pays de loi et elle doit être appliquée par tout le monde.
06:18 Les gens sont tellement en survie qu'en fait,
06:20 ils ne se rendent pas compte.
06:22 Et moi, c'est ça que je n'ai envie de faire aucun.
06:23 On est tous dans cette survie-là.
06:25 Mais en attendant, là, nous, on a perdu une vie.
06:27 Je toquerai à chaque porte.
06:29 Tant que la personne suivante chez qui je vais toquer me dira,
06:32 "Écoute, ce n'est pas moi, j'ai fait ce qu'il faut."
06:34 Je passerai à l'étape suivante et on ira ensemble.
06:36 Parce que si ce n'est pas toi,
06:38 tu vas vouloir te dépatouiller de cette histoire,
06:40 tu vas me suivre et on va aller plus haut.
06:41 [Générique]