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Comme chaque semaine dans "À l'épreuve des faits", notre journaliste Lisa Hadef tente de démêler le vrai du faux dans l'actualité de la semaine.

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00:00 Emmanuel Macron qui est au salon de l'agriculteur, il veille passer la journée.
00:04 Il est arrivé ce matin, le président qui a été interpellé notamment sur les retraites.
00:08 C'était sa première vraie sortie au contact des Français depuis le lancement de sa réforme.
00:13 La première vraie c'était mardi, pour être tout à fait exact, au marché international de Rungis.
00:18 Lisa, il y a une phrase du président qui n'est pas passée inaperçue.
00:22 Je pense que tout le monde a du bon sens dans notre pays.
00:25 Dans l'ensemble, les gens savent que oui, il faut travailler un peu plus longtemps en moyenne tous,
00:30 parce que sinon on ne pourra pas bien financer nos retraites.
00:33 Cette réforme, elle permet de créer plus de richesses pour le pays,
00:36 parce qu'on va avoir plus d'heures travaillées.
00:37 Si on a plus d'heures travaillées dans le pays,
00:39 c'est aussi pour ça que je veux qu'on continue ce qu'on fait sur l'apprentissage et sur le reste,
00:43 vous créez plus de richesses, vous réindustrialisez davantage le pays.
00:46 Et cette réindustrialisation, c'est celle qui permet de financer l'éducation, la santé.
00:51 Alors on va reprendre les mots.
00:52 Lisa, il faut travailler plus longtemps, c'est ce que dit Emmanuel Macron.
00:57 Mais est-ce qu'il dit vrai ?
00:59 On va vérifier.
01:00 Avant toute chose, pour que tout le monde puisse suivre avec les mêmes bases,
01:02 voici un petit rappel pratique.
01:03 Notre système de retraite est un système par répartition.
01:06 Ça veut dire que les personnes en activité cotisent pour financer les retraites.
01:10 Vous travaillez, vous cotisez.
01:11 Et une fois arrivé à la retraite, vous avez un pourcentage de votre salaire
01:14 qui devrait vous permettre de maintenir plus ou moins votre niveau de vie pendant votre retraite.
01:18 Le système est solidaire.
01:19 Donc les femmes en congé maternité, les chômeurs, les personnes en arrêt maladie,
01:23 en situation de handicap ou encore avec de faibles revenus acquièrent également des droits.
01:27 Aucune personne à la retraite n'est laissée sans ressources.
01:30 Aussi, de façon schématique, si vous partez à la retraite avant l'âge légal de départ,
01:34 vous avez une pension moins élevée, c'est la décote.
01:36 Si vous partez à l'âge légal, vous avez une retraite à taux plein.
01:39 Et si vous partez après l'âge légal, vous bénéficiez de ce qu'on appelle une surcote.
01:44 Selon notre président et son gouvernement, il faut travailler plus longtemps
01:48 parce que, premier argument, le report de l'âge légal à 64 ans
01:52 doit permettre de ramener le système à l'équilibre financier en 2030.
01:56 Alors d'après le dernier rapport du COR, le Conseil d'orientation des retraites,
02:00 sur lequel s'appuie le gouvernement, le solde global des régimes de retraite,
02:04 c'est-à-dire l'argent à disposition pour financer les retraites, devrait se dégrader.
02:08 Les scénarios les plus optimistes prévoient un retour à l'équilibre
02:11 entre le milieu des années 2030 et la fin des années 2050.
02:14 Les plus pessimistes, eux, voient un système déficitaire jusqu'en 2070.
02:19 Dans la réforme proposée par le gouvernement,
02:21 le ministre de l'Économie chiffre les économies à 17,7 milliards d'euros d'ici à 2030.
02:27 Alors c'est très complexe.
02:28 J'ai contacté les économistes Michael Zemmour et Philippe Traynard.
02:31 L'un est plutôt contre les arguments du gouvernement,
02:33 l'autre plutôt pour. Vous voyez ce qu'ils en disent.
02:36 Le déficit des retraites qui est prévu n'est pas un très gros déficit.
02:40 Ce n'est pas très difficile de le combler.
02:42 La difficulté, c'est que le choix qu'a fait le gouvernement
02:44 pour combler ce déficit est un choix assez brutal
02:47 puisqu'il a choisi de concentrer les économies sur les personnes de 55 ans et plus
02:52 aux portes de la retraite en décalant assez rapidement leur départ en retraite.
02:56 Et de cette façon, il fait porter beaucoup d'économies, jusqu'à 18 milliards,
03:00 sur en fait un tout petit nombre de personnes,
03:02 alors qu'il aurait été possible de faire très différemment.
03:06 Ça crée du chômage et notamment, ça crée du chômage chez les seniors
03:09 qui sont déjà plus en emploi aujourd'hui à 61 ans.
03:13 Elle est absolument nécessaire, mais elle n'est pas suffisante.
03:16 Tout d'abord, son scénario central est trop optimiste
03:20 avec quasiment un taux de chômage de 5%.
03:23 Le Corps oublie qu'il y a plus de 30 milliards de déficits
03:27 sur les régimes de retraite des fonctionnaires.
03:30 En tout état de cause, je pense qu'il faudra d'autres réformes en retraite encore
03:35 que le problème de l'équilibre des finances publiques n'est pas résolu
03:38 du côté de l'assurance vieillesse.
03:41 Donc l'argument de l'équilibre financier n'est peut-être pas le plus significatif ?
03:46 Selon tous les experts que j'ai contactés,
03:48 si vous n'avez pas d'équilibre financier dans le système des retraites,
03:51 l'un des meilleurs moyens de financer les pensions,
03:53 c'est d'aller piocher dans les caisses de l'État.
03:55 Et ces caisses qui sont plutôt utilisées pour financer les problèmes de court terme
03:58 comme le Covid ou le choc de la guerre en Ukraine.
04:02 Donc, deuxième argument du gouvernement,
04:05 il faut travailler plus longtemps pour avoir de meilleures retraites
04:08 avec notamment la revalorisation des petites pensions
04:10 pouvant atteindre 85% du SMIC,
04:13 sauf que la réforme ne va pas foncièrement améliorer les choses.
04:16 La retraite n'est pas meilleure.
04:18 Aujourd'hui, par exemple, si vous pouvez partir à la retraite à 62 ans
04:22 et que vous choisissez de partir deux ans plus tard,
04:25 vous bénéficiez d'un bonus, ce qu'on appelle une surcote.
04:28 Et du fait de la réforme,
04:30 à la fois on va obliger les personnes à partir jusqu'à deux ans plus tard,
04:33 mais en même temps on va leur faire perdre une partie de leur bonus éventuel
04:37 qu'elles auraient eue aujourd'hui si elles avaient choisi de partir plus tard.
04:40 Donc, dans l'ensemble, la réforme ne change pas grand-chose au niveau des pensions.
04:45 Elle va très légèrement l'améliorer pour les très petites pensions
04:48 avec une revalorisation de quelques dizaines d'euros
04:51 pour les très petites pensions validées sans décote, sans malus.
04:55 Mais pour l'essentiel de la population,
04:57 la réforme ne joue pas sur le montant de la pension ou alors très marginalement
05:01 et fait plutôt perdre des bonus pour les personnes
05:03 qui avaient choisi d'elles-mêmes de partir plus tard.
05:06 Mais sans réforme, les retraites auraient fini par être moins élevées sur le long terme.
05:11 Si les Français travaillent moins ou ne travaillent pas plus,
05:15 ça veut dire qu'il y a un problème financier, ça veut dire que vous devez baisser les pensions.
05:20 C'est tout, il n'y a pas beaucoup de paramètres sur lesquels jouer
05:24 ou alors essayer de réduire la durée de vie des Français.
05:26 Mais je crois que personne n'a proposé cette solution absurde.
05:31 Voilà, donc pour maintenir les pensions, il faut travailler plus.
05:36 Et si on voulait les augmenter, il faudrait travailler encore plus.
05:40 Les oppositions attaquent en grande partie le gouvernement sur ces deux aspects.
05:43 Et si ce n'est pas le cas, ils arrivent quand même à s'accorder pour une fois sur un point.
05:47 Pour eux, la réforme est injuste.
05:50 Cette réforme est injuste et injustifiée.
05:52 Injustifiée parce que le système de retraite n'est pas en faillite.
05:56 Injuste parce qu'elle pénalise les femmes, les jeunes.
05:59 Elle brutalise les précaires, les salariés du public comme du privé.
06:03 Et ce, pour faire baisser les pensions.
06:05 Est-ce qu'il faut déjà une réforme des retraites ?
06:08 La réponse est oui.
06:10 Est-ce qu'il nous faut accepter de travailler un peu plus longtemps
06:13 parce que nous vivons plus longtemps ?
06:14 La réponse est oui aussi.
06:17 J'ai toujours pensé qu'il nous faudrait à l'horizon de 10 ans
06:20 accepter de travailler deux années de plus.
06:23 Mais il y a une condition, c'est que la réforme soit juste.
06:26 Et cette réforme présentée hier, elle est injuste.
06:30 C'est un projet monstrueux sur le plan social.
06:33 Ceux qui n'ont pas de boulot, ceux qui meurent 10 ans avant les autres,
06:38 toutes les classes populaires qui ont travaillé tôt
06:41 vont devoir traîner jusqu'à 64 ans sans retraite.
06:44 Je pense que c'est une véritable escroquerie,
06:46 c'est une véritable injustice,
06:47 que c'est inefficace sur le plan budgétaire.
06:50 Et donc on va s'y opposer jusqu'au bout.
06:54 C'est vrai que tout le monde a des propositions,
06:57 tous les partis ont des propositions.
06:59 Est-ce qu'il existe peut-être une alternative économique
07:02 aux propositions du gouvernement ?
07:04 Parmi les propositions, il y a celle notamment
07:06 de mettre à contribution les plus riches.
07:08 Selon Philippe Trénard, notre économiste qui est plutôt pour la réforme,
07:12 ce n'est pas viable sur le long terme.
07:14 Vous allez, comme le disent certains hommes politiques,
07:17 chercher l'argent où il se trouve.
07:18 Donc vous allez piocher dans la poche des plus riches
07:21 et vous faites de la redistribution.
07:24 Mais honnêtement, un système de retraite qui serait fondé
07:27 sur la redistribution est un pur non-sens.
07:30 Donc vous créez plutôt des problèmes économiques
07:32 plutôt que vous les résolvez.
07:33 Et donc ça veut dire, quelque part,
07:35 là aussi vous aménagez des pensions plus basses,
07:39 peut-être pas à très court terme,
07:40 mais à moyen terme ou plus long terme, sûrement.
07:44 Donc en somme, il ne faut pas travailler plus longtemps,
07:46 comme l'a dit le président de la République,
07:47 pour assurer le bon fonctionnement du système de retraite actuel.
07:50 Mais c'est la solution la plus efficace à moyen terme,
07:54 sans créer d'autres failles économiques.
07:55 Anne Charlène, on s'y perd un peu avec tous ces chiffres.
07:58 On a du mal à y voir clair où est la vérité,
08:00 quelle solution pour nos retraites ?
08:04 C'est vrai.
08:05 Alors déjà, peut-être redonner aussi un argument institutionnel.
08:07 On se fonde beaucoup, le gouvernement en tout cas,
08:09 sur les prévisions du COR, Conseil d'orientation des retraites,
08:12 qui est un organe consultatif.
08:13 Et il faut rappeler un peu la manière dont ils travaillent.
08:15 Le COR, en fait, propose différents schémas.
08:18 Alors par exemple, vous aviez un encadré avec des schémas
08:21 où l'État devrait lui-même prendre en charge les dépenses
08:25 qui seraient plus importantes pour financer les retraites.
08:28 Vous avez un encadré numéro deux,
08:29 où on vous parle de la productivité qui pourrait être différente.
08:32 Donc on le voit bien, le COR envisage un petit peu toutes les hypothèses.
08:35 Donc ce n'est pas lui qui peut donner des réponses législatives.
08:38 Et il faut le redire, le choix de la retraite et d'augmenter l'âge légal,
08:41 c'est un choix politique.
08:42 Pourquoi ? Parce que les données économiques, en fait, elles sont complexes.
08:44 On peut leur faire dire beaucoup de choses.
08:46 Par exemple, vous avez un vieillissement de la population,
08:48 mais ça ne coûte pas forcément beaucoup plus cher.
08:50 On n'a pas vu que ça pesait sur les recettes.
08:52 Le défi démographique, il est complètement là,
08:54 mais on aurait pu le baisser avec l'idée d'une baisse
08:57 de la générosité publique.
08:58 Pourtant, le gouvernement ne veut pas non plus travailler
09:01 sur une hausse des cotisations patronales,
09:02 parce qu'il veut essayer de parler de relance de l'économie.
09:06 Donc on le voit, en fait, il y a beaucoup d'impératifs.
09:08 Il y a beaucoup de chiffres auxquels on peut faire dire beaucoup de choses,
09:10 parce qu'en réalité, il faut le rappeler,
09:12 c'est avant tout le choix politique qui va dominer.
09:14 Le choix politique.
09:15 Agathe Lambret, juste un mot.
09:17 On a écouté ensemble les mots d'Emmanuel Macron à Rungis,
09:20 mardi, il parlait du bon sens des Français.
09:22 Il comptait sur le bon sens des Français pour comprendre cette réforme.
09:24 Là, il est en train de déambuler dans les allées du salon.
09:27 Ce n'est plus la même tonalité.
09:28 Pour l'instant, en tout cas, le président n'a pas reparlé de bon sens.
09:32 C'était une petite phrase qui avait fait réagir les oppositions,
09:34 parce que parler de bon sens des Français,
09:37 comme si c'était lui le chef de l'État qui détenait la définition du bon sens,
09:41 comme si sa réforme était forcément de bon sens,
09:43 ça pouvait sembler un peu arrogant, un peu décalé.
09:47 Donc non, aujourd'hui, Emmanuel Macron se cantonne à cet argument
09:50 que la réforme est nécessaire, qu'elle est indispensable
09:53 pour sauver notre système par répartition.
09:55 Déjà, ça change de la communication de l'exécutif ces dernières semaines,
09:58 qui s'était un peu pris les pieds dans le tapis en parlant d'une réforme juste,
10:01 un argument qu'on leur avait renvoyé dans la figure.
10:05 Pardonnez-moi l'expression.
10:06 Mais donc aujourd'hui, Emmanuel Macron se cantonne à cette ligne.
10:09 Et par ailleurs, il affiche aussi toujours à Rungis, comme aujourd'hui, son inflexibilité.
10:14 Parce que c'est ça aussi le message que le président veut envoyer en ce moment
10:19 aux manifestants, aux parlementaires.
10:21 En vue de cette journée du 7 mars, de la France à l'arrêt le 7 mars,
10:24 Emmanuel Macron dit d'emblée "je ne bougerai pas,
10:27 vous pouvez continuer à manifester, ma réforme, j'irai au bout".

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