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INTERVIEW - L’historienne Virginie Girod reçoit le journaliste Charles Villeneuve, spécialiste des questions de défense et "grande voix" d’Europe 1, pour évoquer la guerre en Ukraine. Il y a un an en effet, le 24 février 2022, la Russie de Vladimir Poutine lance une offensive militaire sur le territoire de son voisin ukrainien. Dans la foulée, le président ukrainien Volodymyr Zelensky décrète la mobilisation générale suite à la violation de la souveraineté territoriale de son pays. Une offensive russe qui intervient huit ans après que Moscou ait annexé la Crimée en 2014 et soutenu la prise de contrôle des régions du Donbass par des séparatistes pro-russes. Un an après le début de la guerre en Ukraine, et au regard de l’Histoire, quelles leçons en tirer ? Quelles sont les réelles motivations de Vladimir Poutine ? Cette invasion russe a-t-elle renforcé l’OTAN ? Quelles sont les armes utilisées par les belligérants ? Le conflit peut-il encore durer pendant de long mois, voire des années ? Pour Charles Villeneuve, cette guerre est aussi l’occasion de rappeler que le duopole mondial hérité de la Guerre froide s’est éloigné de la Russie au profit de la Chine. Alors que la guerre se poursuit aux portes de l’Europe, cet expert nous apporte des éléments de compréhension face à un conflit en de nombreux points inédit. « Au Cœur de l’Histoire » est un podcast Europe 1 Studio.
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NewsTranscription
00:00 Bienvenue au cœur de l'histoire dans les interviews du vendredi.
00:03 Je suis Virginie Giraud.
00:05 Il y a un an éclatait une guerre aux portes de l'Europe entre l'Ukraine et la Russie.
00:10 Pour prendre le temps d'en parler après un an de conflits, j'ai le plaisir de recevoir une grande voix d'Europe 1.
00:16 Bonjour Charles Villeneuve.
00:17 Bonjour.
00:18 Vous êtes journaliste, spécialiste des questions de défense,
00:22 et vous connaissez mieux que personne à Europe 1 les tenants et les aboutissants du conflit en Ukraine.
00:27 On va essayer d'y voir un peu plus clair grâce à vous.
00:30 L'Ukraine et la Russie partagent une longue histoire très complexe,
00:34 mais il y a une date qui va entrer dans les livres d'histoire,
00:37 c'est le 24 février 2022, quand la Russie envahit l'Ukraine.
00:43 Pourquoi selon vous Vladimir Poutine ordonne-t-il cette invasion ?
00:47 Pour des raisons profondément russes.
00:51 La Russie se sent comme une civilisation à part entière qui se définit par opposition aux autres.
00:58 La Russie ne veut pas, absolument pas, être occidentale.
01:02 Et elle considère l'Ukraine comme une terre historiquement russe.
01:07 Elle ne peut pas, elle ne veut pas accepter sa bascule vers l'Europe.
01:12 L'Europe, évidemment, pays occidental.
01:15 Et dès lors, pays adversaires, pays ennemis.
01:19 Que l'Ukraine, profondément russe, par rapport à ce que pense profondément Poutine, c'est inacceptable.
01:28 C'est un ennemi. Il faut donc la récupérer. Et on l'envahit.
01:32 Et la deuxième raison qui est très importante, parce que c'est un déterminant stratégique pour la Russie,
01:40 la mer Noire, il faut de toute façon la contrôler.
01:44 Pour une raison simple, c'est qu'elle permet de déboucher sur le détroit du Bosphore,
01:50 et au-delà du détroit du Bosphore, le détroit des Dardanelles,
01:54 c'est-à-dire l'accès aux mers chaudes, à la Méditerranée, à l'Afrique, au Moyen-Orient, au Proche-Orient.
02:00 Et dès lors, pour la Russie, c'est évidemment, si elle est privée de cet accès,
02:07 elle se considère comme inactive sur le plan de la reconstitution de l'empire impérial qu'elle a perdu.
02:14 Et vous pensez qu'elle pourrait vouloir reprendre la Pologne et d'autres pays qui étaient autrefois des satellites ?
02:18 Je pense que si elle finit par gagner et par évidemment envahir toute l'Ukraine,
02:24 vous avez aujourd'hui un phénomène qui est en train d'émerger, qui est considérable.
02:29 Deux pays sont en train de s'allier fortement, l'un est profondément occidental,
02:35 les Britanniques, les Anglais, et l'autre la Pologne.
02:39 La Pologne qui a eu une armée et qui a combattu notamment avec les Alliés en 39-45,
02:46 qui avait une division en Grande-Bretagne,
02:49 la Pologne est en train de s'armer pour constituer sans doute la première armée d'Europe.
02:54 Elle avait zéro obusier. Elle vient de commander 762 obusiers.
03:00 Des obusiers, ce sont des ?
03:02 Des chars, des canons et se doter d'une artillerie considérable qu'elle n'avait plus.
03:08 Et pour être la première armée d'Europe.
03:11 Et ce phénomène est appuyé par les Américains, par les Etats-Unis,
03:15 c'est-à-dire l'adversaire principal de Moscou, bien sûr.
03:18 Et ce phénomène, personne n'y fait attention à l'heure actuelle.
03:22 Or il commence, non seulement à émerger, mais deviendra considérable.
03:26 Parce que les commandes sont les commandes.
03:28 Je ne vais pas les multiplier, je ne vais pas vous faire une liste d'articles de guerre.
03:32 Mais les commandes m'ont impressionné au premier coup d'œil.
03:36 On les connaît, officiellement.
03:38 Donc vous l'avez dit, ces pays se tournent vers l'OTAN.
03:40 L'OTAN a aussi un peu la main mise sur la Méditerranée.
03:43 Mais est-ce que vous pouvez nous rappeler en quelques mots ce qu'est exactement l'organisation du traité de l'Atlantique Nord ?
03:48 Quand est-ce qu'il est né ? Qui en fait partie ?
03:51 En 1949.
03:52 1949.
03:53 C'est le traité de Washington.
03:55 C'est les États-Unis évidemment qui sont à l'origine de l'OTAN.
03:59 C'est le bras armé de l'Alliance Atlantique.
04:02 Et c'était pour répondre en quelque sorte aux menaces explicites de l'URSS.
04:10 Et aussi à la constitution de l'équivalent de l'OTAN, mais de l'autre côté de l'Allemagne, notamment de l'Est, le pacte Varsovie.
04:20 Aujourd'hui le pacte Varsovie a disparu avec l'Union Soviétique, avec l'URSS.
04:25 Mais par contre, l'OTAN est aujourd'hui membre évidemment d'un certain nombre de pays qui ont rejoint cet OTAN-là, cette alliance.
04:35 Près de 30 pays, dont 10 pays du pacte Varsovie et 4 pays des républiques yougouslaves.
04:43 C'est-à-dire que ces 30 pays aujourd'hui obéissent à un unique décideur, les États-Unis.
04:50 Et qui a pour devise, un pour tous et tous pour un, qui était la devise d'ailleurs des mousquetaires sous 1913.
04:58 C'est-à-dire que si l'un des pays de l'OTAN est attaqué, c'est l'OTAN qui participe à la conflagration.
05:05 - Et est-ce que ça explique que ce soit les États-Unis et l'Europe qui livrent des armes aux Ukrainiens finalement pour faire entrer l'Ukraine dans le giron de l'OTAN ?
05:13 Est-ce que c'est quelque chose qui est espéré ?
05:16 - L'Ukraine est candidat à l'OTAN. L'Ukraine est candidat aussi à l'Union Européenne.
05:22 Il y a donc une double raison pour Moscou, évidemment, de récupérer l'Ukraine.
05:29 Récupérer pour les raisons que nous avons expliquées il y a quelques minutes, mais récupérer aussi, évidemment, pour ne pas laisser aux États-Unis le fait d'OTANiser toutes les mers.
05:43 Non seulement la Méditerranée est déjà OTANisée, n'oubliez pas que l'Atlantique est OTANisée, que le Pacifique est en grande partie OTANisé.
05:51 Sauf qu'il y a évidemment un adversaire qui est apparu, qui est en train de s'armer, et notamment sur le plan de la marine de guerre, c'est la Chine.
05:59 Et la mer du Nord est en train de s'OTANISER complètement.
06:06 La Baltique, qui était une mer soviétique, une mer russe, est en train de s'OTANISER, puisque tous les pays, Balte, la Finlande, la Suède, la Danemark, font partie de l'OTAN maintenant.
06:18 Et les pays qui ne l'étaient pas jusqu'à présent le veulent, sont candidats.
06:22 Et en quelques mots pour les néophytes comme moi qui ne connaissent pas très bien les armes, quel genre d'armes sont livrées aux Ukrainiens ?
06:29 Alors vous avez deux catégories d'armes. Les armes de la quatrième génération, qui ne sont pas des armes décisives, c'est l'artillerie, c'est par exemple le canon César.
06:40 Et puis des armes de la cinquième génération, dont un batterie de missiles qui a changé le cours de la guerre, qui a mis en échec toute l'armée russe, c'est ce qu'on appelle les I-Mars.
06:52 Alors c'est des armes de la cinquième génération, ce sont des batteries de missiles extrêmement précis, dévastateurs, qui sont situées sur un front de 700 km en Ukraine,
07:03 et qui empêchent l'invasion, ou qui freinent l'invasion russe, avec beaucoup d'efficacité.
07:09 Mais les Américains ont mis au point une autre arme de cinquième génération, qui jusqu'à présent n'a pas été livrée aux Ukrainiens, ce sont des drones furtifs,
07:21 et ces drones furtifs sont équipés d'un certain nombre de munitions qui peuvent arrêter quasiment toute l'invasion blindée que prépare la Russie.
07:32 - Est-ce que si nous, la France, l'Europe et les Etats-Unis livrent des armes à l'Ukraine, est-ce qu'on pourrait être considérés comme des co-belligérants et qu'on nous déclare la guerre ?
07:42 - C'est pas nous qui considérons, qui si vous voulez, décidons de la co-belligérance, c'est la Russie.
07:50 A partir du moment où elle aura décidé ça, évidemment on sera impliqué, mais vous observerez que jusqu'à présent nous livrons des armes, puisqu'ils ont choisi le camp occidental,
08:02 mais nous livrons que des armes. Alors nous allons former des Ukrainiens, notamment les Français, à la Légion étrangère.
08:10 Vous savez qu'il y a 930 combattants ukrainiens qui sont dans la Légion étrangère, et parmi les meilleurs combattants avec les Croates.
08:18 Donc il faut savoir que ce sont des soldats aguerris, assez durs, et que depuis 2014, les Américains, les Canadiens, les Britanniques forment les sous-officiers de l'armée ukrainienne.
08:30 Et c'est ce qui fait justement qu'ils combattent avec une dextérité et une formation militaire située à très haut niveau, et résistent à l'invasion russe.
08:43 Mais pour autant, il leur faut beaucoup plus de munitions qu'ils n'en ont, et un armement beaucoup plus sophistiqué.
08:49 Les États-Unis s'ils le décident, et s'ils livrent cet armement, je pense que je plains le tankiste russe et l'artilleur russe.
08:58 Alors la co-militance, vous remarquerez que jusqu'à présent, nous livrons de l'armement, mais nous ne participons pas, et nous ne participons pas à, évidemment, livrer aussi, doter l'armée ukrainienne d'un certain nombre de conseillers militaires.
09:19 Français, Britanniques, Allemands, Polonais, etc. Parce qu'il y a un acteur nucléaire dans cette confrontation, c'est la Russie.
09:32 Dès lors que si les pays nucléaires occidentaux, comme la France, comme l'Angleterre, comme les États-Unis, participent activement sur le plan des hommes, c'est un affrontement que jusqu'à présent, deux pays nucléaires ont toujours évité.
09:50 Évidemment.
09:51 Et c'est la raison pour laquelle je pense que pour l'instant, l'extension à une guerre générale, mondiale, les raisons me semblent infimes jusqu'à présent.
10:02 Rappelez-vous que depuis 1949, jusqu'à la dispersion de l'Union Soviétique en 1991, il y a eu la guerre froide, et cette guerre froide n'a jamais débouché sur un conflit nucléaire.
10:14 C'est plutôt rassurant. Mais la guerre se livre aussi sur le terrain psychologique, et les Russes utilisent aussi le viol comme arme de guerre. Ils l'ont beaucoup fait à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ils le font aussi en Ukraine.
10:25 Pourquoi considère-t-on le viol comme une arme de guerre ?
10:29 Vous savez que Pamela Pratt-Enne, qui est la représentante spéciale de l'ONU, a considéré, après l'avoir observé être allée en Ukraine, que l'arme du viol était utilisée par les forces russes.
10:46 Et vous l'avez rappelé, 1945, l'invasion, la prise de Berlin, 220 000 femmes d'ailleurs allemandes, de tout âge, ont été violées, battues, torturées, tuées.
11:02 Et lorsque la Russie, soit par ses substituts militiains, comme l'armée Wagner, ou comme les militiains de Tchétchène, de Kadirov, engage ces substituts sur un terrain comme en Syrie, par exemple,
11:20 sur même en Libye, en Afrique, et en Tchétchénie, et bien on constate toujours que c'est accompagné de l'arme du viol.
11:29 Parce que le viol, évidemment, répand un phénomène de terreur auprès de la population, et petit à petit, cette population évidemment très active, y compris en Ukraine, fait pression sur les combattants pour céder.
11:45 - Vu l'extérieur, on a l'impression que le combat s'enlise. Je sais qu'on est dans un podcast d'histoire, mais je vais vous demander de faire un petit peu de prospective.
11:54 Au vu de votre expérience, Charles Villeneuve, vous pensez que cette guerre va s'achever bientôt, ou qu'au contraire, elle pourrait être le prélude d'une troisième guerre mondiale ?
12:02 - Non, je ne pense pas pour l'instant le prélude d'une troisième guerre mondiale.
12:06 Pour les raisons que j'ai expliquées, tous les pays nucléaires, pour l'instant, il n'y en a qu'un seul qui est engagé sur le terrain, c'est la Russie.
12:13 Tous les autres évitent d'envoyer des hommes, mais je pense que la résistance des Ukrainiens est compte tenu du fait que la Russie a été surprise par la qualité des armes fournies aux Ukrainiens,
12:27 et qu'elle a été mise en échec. Mais c'est souvent le cas des militaires, vous savez, les militaires ne se rendent pas toujours compte des progrès technologiques, notamment de l'armement.
12:38 Il y a un pays qui a finalement été envahi en 1940, c'est la France, et l'armée française, et l'état-major français a été pris de court par la modernité des armes allemandes.
12:53 Eh bien, c'est caractéristique des militaires, qui ne s'aperçoivent jamais, ou qui ne calculent jamais, ou qui ne raisonnent jamais que l'adversaire a fait des progrès.
13:03 Et là, on est dans ce cas-là, c'est au tour des militaires russes de ne pas s'être rendu compte que les États-Unis avaient fait une transformation complète de son armée,
13:15 notamment de sa technologie d'armement, avec des armes d'une modernité considérable, qui lui donne, moi je considère, à peu près 30 ans d'avance à l'heure actuelle sur la plupart des armées.
13:27 L'armée américaine est totalement transformée, et depuis à peu près 10 ans a changé fondamentalement son armement.
13:33 Et on appelle ça le plan offset. Et bien évidemment, les russes n'en resteront pas là.
13:39 Les russes aussi ont un dynamisme de recherche. Vous savez que Poutine vient de mobiliser toute l'industrie privée en renfort, et a mobilisé près d'un million d'hommes.
13:49 C'est la raison pour laquelle on s'attend, et je répondrai à votre question directement, on s'attend à ce que la guerre dure, s'étende, toute l'année encore, au moins.
13:59 Et ce million d'hommes, il est vraisemblable qu'il passera à l'offensive au début de l'été.
14:04 Est-ce qu'on peut considérer que le monde reste polarisé entre les Etats-Unis et l'URSS, comme pendant la guerre froide, où cette polarisation est en train de changer ?
14:12 Mais je pense que la guerre d'Ukraine a montré une faiblesse de la Russie.
14:18 Faiblesse au niveau économique, faiblesse au niveau militaire, et que petit à petit, la Russie est en train de se, si vous voulez, de rejoindre en réalité ce qui est en train de se constituer comme un duopole au niveau de la planète, entre les Etats-Unis et la Chine.
14:38 La Chine s'arme considérablement, quasiment un porte-avions par an, évidemment.
14:45 C'est énorme !
14:46 C'est énorme. Sur le plan commercial, sur le plan économique, la Russie est devenue une véritable puissance.
14:53 Bien qu'elle ait des difficultés à l'heure actuelle, ne serait-ce que sur le plan démographique, il y a d'autres puissances qui sont en train de naître.
15:02 L'Inde, un milliard, quatre cents millions de personnes. L'Inde qui est en train de s'armer, mais sur le plan occidental, la France y participe,
15:10 notamment avec la dotation d'une chasse aérienne, d'avions de chasse, des rafales, etc. Je ne rentrerai pas dans le détail.
15:18 Mais le duopole qui va dominer certainement les trente prochaines années, ce sont les Etats-Unis et la Chine.
15:26 Tout cet armement, tous ces pays qui s'arment, c'est juste de manière défensive, c'est pour faire peur, c'est pour impressionner, ou il faudra que ça serve un jour ?
15:34 C'est difficile de faire des prévisions de ce type, mais c'est surtout sur le plan défensif pour l'instant. Mais vous savez, du défensif, on passe à l'offensif aussi.
15:46 Merci Charles Villeneuve pour cet éclaircissement sur la guerre en Ukraine. C'est un honneur d'avoir une grande voix d'Europe 1 comme vous au micro d'Au coeur de l'Histoire.
15:54 C'est un plaisir de répondre à vos questions.
15:56 Merci à tous nos auditeurs toujours fidèles et de plus en plus nombreux à nous suivre. Au coeur de l'Histoire est un podcast original Europe 1 Studio.
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