Hôtel du lac d'Anita Brookner (2/2) - La chronique de Juliette Arnaud

  • l’année dernière
Juliette Arnaud nous livre la deuxième partie de sa chronique sur "Hôtel du lac" d'Anita Brookner.

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Transcript
00:00 D'Anita Bruckner, alors l'héroïne de ce roman, elle est écrivaine.
00:04 Pourquoi est-elle dans cet hôtel du lac ? On la croit un peu seule et vous nous racontiez
00:10 la semaine dernière qu'elle écrit en réalité à un homme qui s'appelle David.
00:14 Que va-t-il se passer dans ce huis clos, la custre ?
00:17 Oh mon Dieu ! Et c'est la culte !
00:22 Anita Bruckner, l'écrivaine, est arrivée tard à l'écriture.
00:26 53 ans.
00:27 Avant ça, Anita Bruckner a enseigné l'histoire de l'art à Cambridge, dont elle a été
00:31 la première femme à occuper la prestigieuse chaire des Beaux-Arts.
00:35 Figurez-vous qu'on la sent la peinture dans les descriptions des paysages lacustres,
00:40 justement, dans les descriptions qu'elle fait des brumes, des demi-teintes, des nuances
00:44 indéfinissables.
00:45 Et puis quand Edith Hope, l'héroïne, quitte les bords du lac pour une balade en montagne
00:49 avec un des clients de l'hôtel du lac, Monsieur Neville, Anita nous prévient qu'on
00:53 va changer de baraquet dans l'intrigue en nous exposant d'abord que c'est la lumière
00:58 qui a changé.
00:59 Je la cite sur les hauteurs.
01:00 L'air était à la fois brûlant et glacé, resplendissant et sombre, brûlant en plein
01:05 soleil, glacé à l'ombre.
01:07 Et dans cette atmosphère tranchée, Edith Hope, l'héroïne, est revigorée.
01:12 La petite personne craintive qu'elle était au bord du lac se sent plus solide.
01:15 Et il vaut mieux qu'elle se sente plus solide parce que là, Monsieur Neville, sensible
01:19 à ce changement sans doute, va en profiter pour lui rentrer dedans.
01:22 Alors à la différence des autres, lui, il va s'intéresser à elle, à sa vie intérieure,
01:25 à sa vie cachée surtout.
01:26 Et il va lui demander, ex abrupto, un nouveau mot pour vous Alex, je vous le jette.
01:31 Alex Vizorek - Tu le joues bien.
01:32 Je ne le connaissais pas mais je comprends.
01:34 C'était pas le cas de la custre.
01:35 Nathalie Cohen - Donc Monsieur Neville demande à Edith Hope, ex abrupto, ce qu'elle fait
01:39 ici dans cet hôtel où, objectivement, il le voit bien, elle meurt d'ennui.
01:42 Nous, on se doute qu'il y a un rapport avec ce David à qui elle écrit tous les jours
01:46 et qui ne lui répond pas d'ailleurs.
01:48 Et Edith tente de ne pas répondre la vérité.
01:50 Mais Neville insiste.
01:51 Elle dit qu'elle a l'air malheureuse.
01:52 Et là, Edith craque et elle dit oui.
01:54 Je suis malheureuse et ça m'embête énormément.
01:56 Neville, brutal mais pas idiot, assène.
01:59 Il est probable que vous êtes amoureuse et vous avez tort.
02:02 Assimiler le bonheur à une personne particulière est une erreur grossière.
02:06 Pas idiot Neville.
02:07 Mais Edith Hope, si elle écrit des romans sentimentaux, elle n'est pas dupe de la petite
02:12 morale tiède qu'il infuse à l'intérieur de ce genre de romans.
02:15 Edith Hope connaît la fable qui marche le mieux.
02:18 Elle dit que c'est celle de la course entre le lièvre et la tortue.
02:21 Qui a d'abord été écrite dans l'Antiquité par Hésope et puis qui a été reprise par
02:26 La Fontaine.
02:27 Et elle dit que c'est la fable préférée notamment par les femmes et puis par tous
02:30 ceux et toutes celles qui fabriquent tout un tas de fictions qui racontent toujours
02:33 en gros la même foutue histoire.
02:36 Celle de la jeune fille effacée et discrète qui conquiert le héros et triomphe de la
02:40 dédaigneuse tentatrice.
02:43 Anita Bruckner écrit "Évidemment c'est une fiction, le lièvre gagna tous les coups".
02:49 Hésope écrivait "Pour être lue par les tortues.
02:51 Les lièvres n'ont pas le temps de lire, ils sont beaucoup trop occupés à gagner
02:55 la course".
02:56 Hésope écrivant pour les tortues.
02:58 Vraiment, Anita Bruckner, iconoclaste.
03:01 Anita Bruckner, l'écrivaine de La Solitude, je vous disais la semaine dernière, celle
03:05 qui avait estimé un jour pouvoir postuler pour le Guinness Book des records dans la
03:09 catégorie "Femme solitaire".
03:10 J'aime autant vous dire qu'elle n'écrit pas pour les tortues ou pour les lièvres.
03:14 Le dénouement de son intrigue n'est absolument pas prévisible.
03:16 Et les nappes de compréhension surgissent les unes après les autres.
03:20 Et quand on referme le bouquin, on se dit que c'est vivifiant, les balades en sentier
03:24 non balisé.
03:25 Non balisé par exemple ce moment où Neville, plutôt bel homme, riche, divorcée, est tout
03:29 à fait consciente de qui est Edith et du moment vulnérable où elle est.
03:33 Elle a 40 ans, elle est célibataire, elle est dans une histoire avec ce David qu'on
03:36 peut qualifier de merdique.
03:37 Une femme, Edith, qui résume son rêve de bonheur par "celle d'une serre chaude où
03:41 je passerai mes journées à lire ou à écrire avec la certitude totale que l'homme que
03:46 j'aime viendra me retrouver le soir, tous les soirs".
03:49 Ah c'est marrant, on a le même rêve.
03:50 Neville donc va faire à Edith une proposition.
03:55 Une proposition du genre qu'on ne peut pas refuser.
03:58 Ou du moins une proposition qu'on ne peut pas écarter d'un revers de la main en reprenant
04:01 une part de flanc.
04:02 Moi, lectrice, instantanément j'étais à la place d'Edith Hope.
04:05 Et je me demandais ce que moi j'aurais fait avec une proposition de cette sorte.
04:08 Et vous aussi.
04:09 Mais pour ce faire, il va falloir bouquiner.
04:11 Merci, bisous, merci.
04:13 Merci Juliette Arnault.
04:14 Et elle s'appelle Hope ?
04:15 Bien sûr, évidemment.
04:17 Les références ?
04:18 Ça vient d'être réédité dans une très très très jolie maison d'édition qui s'appelle
04:22 Barthia.
04:23 Oh, très bien.
04:24 Merci ma chère Juliette.
04:25 Si vous aviez raté le premier épisode, vous pouvez le réécouter en ballade de diffusion
04:30 ou sur Youtube, bien sûr, comme toutes ses chroniques.

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