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À personnalité exceptionnelle, émission d’exception : Claire Chazal reçoit Jean-Paul Kauffmann comme invité unique de « Au bonheur des Livres », pour évoquer son dernier ouvrage, « L'accident » (Éditions des Équateurs) et retracer quelque chose comme le parcours d’une vie.Le nom et le visage de Jean-Paul Kauffmann sont entrés dans l'existence quotidienne de nombreux Français, au milieu des années 1980, lorsqu’à chaque journal télévisé il nous était rappelé que le grand reporter était otage au Liban, ce qu'il restera pendant près de trois ans, de 1985 à 1988.Cet épisode douloureux de sa vie a été aussi le point de départ d’une sorte de vocation : il était journaliste, il est devenu authentiquement, écrivain, racontant dans de beaux livres son rapport à la vie, au vin, à la foi, aux voyages, etc. Il donne aujourd’hui dans « L’accident » une sorte de récit rétrospectif remontant à son enfance heureuse et à l'« accident » qui a peut-être orienté son destin... Quoi qu’il en soit, ce beau livre autobiographique est l’occasion de rencontrer un homme affable et passionnant, qui porte avec allant ses 80 ans et dont nous écouterons avec le plus vif intérêt la conversation à laquelle nous convie Claire Chazal. Année de Production :

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Transcription
00:00Retrouvez au bonheur des livres avec le Centre National du Livre.
00:24Bienvenue dans l'émission littéraire de Public Sénat.
00:26Je suis ravie de vous retrouver pour un nouveau numéro de notre émission hebdomadaire au bonheur des livres.
00:31Avec aujourd'hui un invité exceptionnel que nous sommes très heureux de recevoir car il est rare, à la télévision en tout cas.
00:41C'est un journaliste mais à l'œuvre littéraire remarquable.
00:45C'est Jean-Paul Kaufmann.
00:46Bonjour Jean-Paul Kaufmann.
00:47Bonjour.
00:47Merci infiniment de venir nous voir dans cette émission.
00:50Vous proposez un livre très personnel, très touchant, peut-être le plus intime, qui s'appelle « L'accident » aux éditions des Équateurs,
00:59dans lequel vous revenez tout simplement, j'allais dire, sur votre enfance, votre jeunesse, votre adolescence,
01:04dans une petite commune d'Ile-et-Vilaine qui s'appelle Cornu,
01:07là où a eu lieu, et c'est le titre de votre livre, c'est une des explications du titre,
01:15« Un terrible accident de la route » qui va se dérouler le 2 janvier 1949 et qui va faire de nombreuses victimes.
01:22On va en reparler.
01:23Depuis l'archipel des Kerguelen, c'était en 1993.
01:26Voyons chercher les dates.
01:27La Chambre noire de Longhoun en 1997, la lutte avec l'ange en 2011, bien d'autres.
01:33Vous avez été journaliste, je le rappelle, bien sûr, à Radio France, au matin de Paris, à l'événement du jeudi.
01:38Et c'est là d'ailleurs que vous vous êtes envoyé au Liban et que vous vous êtes enlevé le 22 mai 1985 avec Michel Seurat
01:45pour être libéré seulement trois ans après, le 4 mai 1988.
01:51Et on le disait, ça fait presque 40 ans et c'est ainsi.
01:56Et vous avez évidemment vécu avec nous quotidiennement et on espérait tous votre retour.
02:02Alors dans ce livre, « L'accident », vous évoquez cette captivité.
02:06Vous l'aviez un peu évoqué en fait en 2007 dans « La maison du retour »
02:11et vous ne l'avez pas tellement évoqué dans vos livres, je ne me trompe pas.
02:14– Peu à peu.
02:16– Un peu comme ça, oui.
02:17– Dans les premiers, ce sont des allusions en effet.
02:20Et puis bon, je me suis enhardi peu à peu.
02:23Et là, en effet, peut-être, oui.
02:26Alors ce livre-là ne porte pas évidemment sur cette captivité.
02:31C'est seulement, je raconte, le premier et le deuxième jour,
02:36les deux fois où j'ai cru véritablement mourir.
02:40Et vous le racontez parce que, et on va en reparler bien sûr,
02:44et c'est ce qui est très beau dans ce livre,
02:46c'est qu'au fond, vous expliquez, mais on va le redire,
02:49que c'est votre enfance et ses souvenirs lumineux
02:51qui vous ont permis notamment, bien sûr, de tenir pendant cette captivité.
02:55Alors vous parlez, je le disais, de votre enfance.
02:57On revient tout simplement dans votre commune d'enfance
03:00avec vos deux parents, Boulanger, à Cornu.
03:03Pourquoi aujourd'hui ?
03:05Pourquoi vous décidez aujourd'hui à raconter cette enfance ?
03:08C'est un livre un peu de gratitude.
03:10Oui.
03:11Vous faisiez allusion à cette enfance,
03:14et bien cette enfance heureuse.
03:16Je suis désolé, j'ai eu une enfance heureuse.
03:18C'est rare qu'on évoque ça, oui.
03:20Et bien une enfance enchantée, radieuse,
03:24austère peut-être, un peu.
03:27Et bien cette enfance m'a sauvée
03:30lorsque je suis devenu adulte.
03:32Voilà.
03:33Et donc c'est un livre,
03:35je rembourse ma dette en quelque sorte avec ce livre.
03:38Et c'est vrai que c'est d'autant plus rare
03:40que beaucoup en ce moment, je crois,
03:43beaucoup de livres sortent sur les origines,
03:44sur la recherche du père, la recherche de la mère,
03:46même des grands-parents.
03:48Et la plupart du temps,
03:49c'est tout de même des évocations assez sombres.
03:52Et là, c'est lumineux.
03:53C'est une enfance modeste, simple,
03:57mais faite de jolis moments.
04:00Oui, et puis dans un moment aussi,
04:02de l'histoire de France,
04:06l'immédiate après-guerre,
04:08où c'est un monde quand même,
04:09qu'on peut dire, élémentaire,
04:13qui, au fond, les gens,
04:16dans les années 50, que je raconte,
04:18n'aspirent qu'à une seule chose,
04:20retrouver la vie des années 30,
04:22laquelle était exactement la même
04:24qu'au début de la Troisième République.
04:26Donc, c'était un monde rural.
04:29Parce que ce monde rural est quand même
04:32très différent de ce monde de la ville urbain.
04:36Donc, un monde rythmé par les fêtes patronales,
04:41les kermesses, les commissaires agricoles,
04:43les mariages qui durent trois jours.
04:48Et aussi, il y a un monde qui est encore,
04:50qui croyait au surnaturel.
04:53Tout cela, évidemment, va disparaître,
04:56être anéanti, désintégré,
05:00on peut le dire, à jamais,
05:01au milieu des années 60.
05:03Mais ça, on ne le savait pas.
05:04Bien sûr, et vous, vous revenez,
05:06vous nous faites revivre ces années
05:08où, au fond, on avait manqué,
05:10parce que nos parents avaient manqué
05:11des choses pendant la guerre,
05:12et puis retrouver une forme,
05:14oui, de bien-être,
05:17tout simplement un peu matériel,
05:19et peut-être pas d'insouciance,
05:21mais quand même, relativement.
05:22On sortait d'une paillonne noire
05:23et on revivait.
05:25Oui, enfin, en même temps,
05:26oui, insouciance, vous avez raison,
05:28mais en même temps, bon,
05:29moi, je dis, dans ce livre-là,
05:32on pourrait le penser,
05:32mais ce n'est pas du tout un livre nostalgique.
05:35Oui, oui.
05:36Je ne dis pas, avant, c'était mieux.
05:38C'est, pour moi, le contraire.
05:40Parce que, quand même,
05:41c'est un monde assez revêche,
05:44assez renfrogné,
05:45vous voyez, ces villages d'Île-et-Vilaine,
05:48avec cette pierre de schiste,
05:52là, c'est un peu sombre,
05:55et, au fond, c'est un monde en noir et blanc.
05:58On ne va connaître la couleur
06:00qu'au milieu des années 60.
06:01C'est là où tout va basculer.
06:04Donc, je n'ai aucun regret de ces années-là.
06:08Aucun de ces...
06:09Bon, c'était un monde inconfortable, quand même.
06:12Mais on s'y faisait.
06:13Un peu triste.
06:13Oui.
06:14Mais vous avez tout à fait raison.
06:15En même temps, bon, heureux, spartiate,
06:18mais on régnait, en effet, peut-être,
06:22une forme de bienveillance, d'entraide.
06:27Et voilà.
06:29Alors, peu de gens discernaient, à l'époque,
06:31que tout ça allait, en quelque sorte,
06:35s'effondrer quelques années plus tard.
06:37Peut-être, ce prêtre dont je parle,
06:41dans ce livre,
06:42qui voyait quand même l'édifice en train de se lézarder.
06:46Là, il a d'ailleurs une figure,
06:47on va en reparler, un peu trouble,
06:48un peu bizarre, ce prêtre.
06:50Et l'Église, bien sûr, est très importante
06:51dans votre vie, dans cette enfance.
06:53Alors, un mot, peut-être,
06:55pour que vous compreniez le titre de ce livre,
06:57qui s'appelle L'accident.
06:58Donc, je rappelle que ça se passe en janvier 1949.
07:02Et c'est un peu comme un fil rouge dans votre livre,
07:04même si ça ne teinte pas le livre
07:07de quelque chose de dramatique.
07:09Je préfère le préciser.
07:11Mais c'est quelque chose qui a existé dans cette région,
07:13qui a suscité énormément de réactions
07:15et d'émotions, bien sûr,
07:17puisqu'à ce moment-là,
07:18cet accident provoque la mort de 18 personnes.
07:21Ça se passe dans un camion Dodge,
07:22donc c'est assez important,
07:23c'est un camion américain.
07:25Et ce sont des joueurs de football
07:26et leurs supporters
07:27qui vont disputer,
07:28des matchs à côté
07:29et qui sont transportés
07:31par le fils du maire
07:33qui est à ce moment-là au volant.
07:35Et là, vous allez retrouver,
07:37Jean-Paul Kaufmann,
07:38tous les détails,
07:38parce que vous allez mener une enquête
07:40sur cet accident.
07:41– Ah oui, vous avez tout à fait raison.
07:43Alors, souvent, on dit d'un livre,
07:44c'est un livre de journaliste
07:46de manière un peu dédaigneuse.
07:49Je revendique tout à fait.
07:50– Nous revendiquons notre métier.
07:53– Oui, tout à fait.
07:54Et donc, oui, c'est un livre d'enquête.
07:56Je suis allé voir beaucoup de gens.
07:58J'ai essayé de retrouver des témoins.
08:01J'ai essayé de retrouver…
08:01J'ai essayé de savoir ce qu'était devenu
08:05l'auteur de cet accident quand même.
08:0918 jeunes hommes morts dans cette petite commune.
08:13Comment on peut vivre après cela ?
08:14– Elle est fauchée, sa vie.
08:15– Oui, alors, justement,
08:18je retrouve sa trace.
08:21Et puis, bon, il était mort
08:23depuis quand même un certain nombre d'années.
08:25Et j'ai voulu aussi retrouver,
08:27eh bien, sa fille.
08:29Et ce n'était pas évident,
08:31parce qu'elle se méfiait beaucoup des journalistes.
08:33Donc, mon livre aussi,
08:37je dirais que c'est un livre de réconciliation.
08:40C'est-à-dire que, pour moi,
08:41on n'est pas lié à jamais à une erreur
08:45ou à une faute qu'on a commise.
08:47Moi, je crois beaucoup à la rédemption.
08:49On n'est pas…
08:52Je trouve que c'est une des plus belles inventions
08:55du christianisme.
08:56Donc, on n'est pas assujetti à jamais
08:59à une erreur, à une dévue.
09:02Et cet homme-là,
09:03donc, a essayé de cohabiter
09:05avec ce drame jusqu'à la fin.
09:08Ça n'a pas été facile pour lui.
09:11Je n'oublie pas, évidemment, les victimes.
09:13Mais, bon, c'est…
09:15Voilà, c'est un livre, oui,
09:18qui porte sur la réconciliation aussi.
09:21– Alors, puisque vous parlez
09:22de cette notion de rédemption et de…
09:24Bien sûr, on en vient à la religion.
09:26Et c'est vrai, on l'a dit tout à l'heure.
09:27Eh bien, l'église joue un rôle très important,
09:30son clochet, qui a une drôle de forme, d'ailleurs,
09:34parce que c'est une des singularités de cette commune.
09:36– Ah oui, tout à fait.
09:37C'est un livre…
09:38Il y a beaucoup de singularités.
09:40– Ah ben, il y a déjà le nom, Cornu.
09:41– Oui, il fallait se battre.
09:43Il fallait défendre l'honneur.
09:44On se moquait de nous, du côté de Cornu.
09:47Alors, il fallait défendre l'honneur de notre village
09:49et la dignité du nom.
09:52Ça a été des bagarres perpétuelles
09:54lorsque j'étais enfant.
09:55Alors, cette église est vraiment étonnante,
09:59disproportionnée, je dirais dissonante
10:02par rapport à la petite taille de la commune
10:06et avec ce clocher en bulbe
10:10qui fait ressembler ce clocher autour du Kremlin.
10:16Et c'est tellement russe que, pendant l'occupation,
10:19les Allemands ont voulu tourner une scène de propagande
10:24qui était censée se dérouler en Ukraine
10:28et à cause de ce clocher en bulbe.
10:33Donc, c'est vrai qu'il y a trois, on pourrait dire aujourd'hui,
10:37trois impensés.
10:39Le nom, l'accident,
10:42parce que l'accident qui a marqué cette commune,
10:46c'était comme l'Alsace-Lorraine,
10:48ils pensaient toujours, n'en parlaient jamais.
10:50C'était tellement énorme pour cette petite commune
10:53que ça n'avait pas eu lieu.
10:55Donc, on n'en parlait pas.
10:58Et alors, donc,
11:00cet accident, le nom...
11:02Et l'accident.
11:02Et l'église.
11:03Et cette église.
11:04Et donc,
11:07ces 18 personnes-là qui vont trouver la mort,
11:13bien sûr, ça a marqué mon enfance.
11:16Il est vrai que, dans les jours,
11:18dans les semaines qui ont suivi cet événement,
11:20toute la France en a parlé.
11:23On a même observé une minute de silence
11:27pendant les matchs qui se déroulaient le dimanche suivant.
11:32mais après coup, bon, un événement,
11:35on a chassé un autre et on a vite oublié.
11:38Mais les Cornusiens, les habitants de Maconny,
11:41n'ont pas oublié.
11:43– On l'a dit, les Cornusiens.
11:45Mais alors, cette église,
11:47elle est importante pour vous
11:48parce que, Jean-Paul Kaufmann,
11:49vous servez la messe.
11:51Enfin, il y a quelque chose,
11:53il y a un engagement religieux important dans votre famille.
11:56Quelle place a occupé ?
11:58Est-ce qu'il y avait ces moments à l'église ?
12:02C'était important pour vous ?
12:03De recueillement, de…
12:05– D'ennui, surtout.
12:07– D'ennui, surtout, oui.
12:07– Moi, c'est plus tard que j'ai découvert,
12:09oui, l'évangile, la radicalité de l'évangile,
12:15le renversement que constituait ce message.
12:19Mais quand j'étais enfant,
12:21pour moi, c'était un truc d'adulte.
12:23Je m'ennuyais.
12:24Et l'ennui, c'est très important en province.
12:27Vous voyez, ça stimule l'imagination.
12:29Donc, il fallait inventer toutes sortes de jeux.
12:33Cette église a joué un rôle très important
12:35dans mon éducation sensorielle.
12:39La boulangerie, bien sûr.
12:40– Les odeurs.
12:41– Ce monde d'odeurs.
12:42Mais l'église aussi, c'est un monde d'odeurs.
12:45L'encens, tous les sens sont mis à contribution.
12:48L'orgue, la solennité, le côté grandiose de ces offices.
12:57C'est ça aussi qui était un peu paradoxal.
13:00Et j'allais dire, en décalage,
13:02vous voyez ce petit village austère,
13:06d'aspect un peu revêche, prosaïque,
13:09même à certains égards.
13:12Il y avait quand même une forme aussi,
13:14j'allais dire, d'élévation.
13:16Donc, cette église a joué un rôle déterminant.
13:20Mais on parlait tout à l'heure de la boulangerie.
13:23Les deux lieux d'éducation, dirons-nous,
13:27c'est l'église et le fourni paternel.
13:30Le fourni paternel, là aussi,
13:32c'est véritablement un laboratoire des cinq sens.
13:36Et principalement, un sens qui est très important
13:40dans ce livre, l'olfaction.
13:42Et je pense qu'on ne parle pas assez...
13:44On parlait de notre beau métier de journaliste.
13:48On ne parle jamais assez du corps du journaliste.
13:52Parce que quand on va en reportage,
13:54quand on interview quelqu'un,
13:56les cinq sens tournent à plein régime.
14:00D'abord, vous serrez la main.
14:02Il y a le côté tactile.
14:03Vous avez de la lumière, le son de sa voix,
14:06l'odeur de la maison.
14:08Et tout ça nous donne un certain nombre d'informations.
14:11– Et matière à reportage.
14:12Et c'est ce qui donne d'ailleurs du corps au texte.
14:14Après, c'est cette chair-là qu'on a envie d'écrire.
14:17C'est bien sûr.
14:17– Et vous voyez, quand on dit...
14:19Vous savez, quand on est en reportage,
14:21on dit « je ne le sens pas »
14:23ou « ça sent mauvais ».
14:24Il y a un certain nombre de détails
14:26qui sont un peu intrigants.
14:31Il faut partir.
14:33Donc, tous ces mots-là,
14:35subodorer, pressentir...
14:37– C'est la base de notre métier.
14:38– Et puis le cinquième sens, l'intuition.
14:41– Bien sûr.
14:42Alors, entre cette église et ce fournil,
14:45et ce foyer aussi,
14:47comment naît l'envie de lire ?
14:49Parce que vous le dites.
14:50Et d'ailleurs, vous précisez,
14:51vous allez partir en pension à 11 ans.
14:54– Mais ça s'arrête à 11 ans et demi.
14:57La pension, c'est après.
14:59– Oui, c'est ça.
15:00Mais il y a quand même la pension.
15:02Mais comment vous vous voyez,
15:04adolescent, ouvert à la lecture,
15:07mais un enfant un peu décalé,
15:09un qui est toujours un petit peu ailleurs,
15:11un peu...
15:11Comment vous vous définissez ?
15:14– C'est difficile à dire.
15:16D'abord, je n'ai pas eu une enfance exceptionnelle.
15:20Véritablement, je ne peux pas dire ça.
15:22Mais en même temps,
15:22alors peut-être qu'il y avait une forme de curiosité
15:26qui va amener peut-être au métier de journaliste.
15:30En tout cas, moi, il n'y avait rien à lire à la maison.
15:33– Oui, mais il y a quand même un cousin prêtre
15:36qui vient vous inciter.
15:37– Oui, mais ce prêtre-là, il n'est pas là tout le temps.
15:39Il vient de Paris et celui, ce prêtre,
15:43va être l'initiateur en quelque sorte.
15:46Il va me donner à lire Le Petit Prince,
15:48que je n'ai pas tellement aimé.
15:51Il est très déçu d'ailleurs.
15:52Mais je pense que Le Petit Prince
15:55n'est pas un livre pour les enfants.
15:57C'est un livre d'adultes.
15:58– Bien sûr.
15:59– Bon, mais il apportait un certain nombre de livres.
16:02Et pour moi, j'ai toujours eu la peur de manquer de livres.
16:06Et cette hantise, évidemment, s'est réalisée pendant ma détention.
16:11– D'autant plus, parce que c'est ce qui vous a fait le plus souffrir,
16:13d'une certaine façon.
16:14– Oui.
16:15– L'absence de livres, l'absence…
16:16– Et les quelques livres que j'ai pu avoir, là, m'ont sauvé la vie.
16:21– Et ces souvenirs dans le paradis.
16:24– Et puis, vous savez, quand vous êtes dans cette situation-là,
16:30pardonnez-moi, vous êtes dans cette cellule,
16:37dans le silence, éclairé par une bougie.
16:43Vous êtes en communion totale avec le texte.
16:46Vous oubliez votre condition.
16:49Donc, il y a une adhésion absolument totale avec le texte.
16:55Une sorte d'engloutissement.
16:58Que j'ai perdu, peut-être, aussi, par la suite.
17:02– C'est ce que vous dites.
17:03En revenant, vous n'avez pas tout de suite retrouvé l'envie de lire
17:06ou l'envie de…
17:08– Je n'ai pas retrouvé cet appétit.
17:11Vous voyez.
17:12– Paradoxalement, puisque vous en avez été privé.
17:15– Je ne vais pas avoir la nostalgie de cette époque-là, non plus,
17:18pour pouvoir lire avec autant d'intensité.
17:22– Oui, mais vous l'avez retrouvé après.
17:24Ça a pris du temps.
17:25– Non, pas tout à fait.
17:26– Pas tout à fait.
17:27J'achète toujours des livres, je les lis,
17:29mais je pense que ça fait partie
17:33d'hommages collatéraux, peut-être.
17:36– Et pourtant, vous vous êtes mis à l'écriture,
17:38Jean-Paul Coffman.
17:39– Alors, c'est peut-être…
17:41– À la littérature, je dirais, vous-même.
17:43– Oui, alors, c'est peut-être parce que je suis un lecteur,
17:46j'allais dire déchu, que je me suis mis à écrire, peut-être.
17:51Non, je me suis mis à écrire aussi,
17:53je crois que c'est important,
17:56je crois qu'il faut le dire aussi,
17:59je l'ai peut-être dit tout à l'heure,
18:01moi, je n'ai pas la conscience malheureuse,
18:03je n'ai pas la conscience victimaire.
18:05– Oui.
18:05– Et trop souvent, on a vu en moi que la victime,
18:11et être victime, ce n'est pas une identité,
18:14ce n'est pas ça qui vous détermine à jamais.
18:16– Non, bien sûr.
18:17– Et je crois que je me suis mis à écrire aussi
18:21pour faire oublier ce statut de victime, vous voyez,
18:25prendre possession de soi par l'écriture.
18:29– Et ô combien, oui.
18:32C'est-à-dire qu'il y a eu un moment,
18:33vous n'avez plus voulu exercer votre métier de journaliste
18:36et vous êtes consacré à la littérature.
18:41– Oui, alors ça aussi, c'est un problème que vous soulevez,
18:44je crois, en effet, que pendant ces trois années-là,
18:47j'ai réfléchi à ce métier-là,
18:49un métier quand même où on voit la souffrance d'autrui,
18:53vous voyez, on regarde, on est au bord du volcan
18:56et un jour, on bascule dans la lave.
18:59Et il est évident que ça change totalement
19:03votre perception de ce métier.
19:06Donc il est possible que lorsque je suis revenu,
19:09ça a tué le journaliste, peut-être.
19:11– Oui, vous n'avez plus vu d'intérêt, au fond,
19:13vous aviez vécu tout.
19:14– Il y a quand même une part de voyeurisme dans notre métier, non ?
19:17– Oui, bien sûr, bien sûr.
19:19– J'ai rejoint la cohorte des victimes
19:23et donc ça a changé mon regard.
19:26– Je comprends.
19:27Et après, vous vous êtes mis à écrire.
19:28Est-ce qu'on peut dire, Jean-Paul Kaufmann,
19:29que le titre « L'accident » fait aussi référence
19:32à l'enlèvement, à la capitale ?
19:35– Oui, c'est « L'accident libanais ».
19:36Vous voyez, je pense à un bon titre de livre,
19:40c'est un livre ambigu, un livre polysémique.
19:44Évidemment, comme vous l'avez dit tout à l'heure,
19:46cet accident qui a eu lieu dans mon village, Scand,
19:50c'est le fiole rouge, vous l'avez dit,
19:52mais il y a aussi cet accident libanais.
19:55Et les deux sont accolés de manière indissoluble,
19:59j'allais dire, l'un à l'autre.
20:02Et c'est deux événements à la fois attendus et imprévisibles
20:08pour ceux qui croient ce qu'on pourrait appeler,
20:12je ne sais pas, la force du destin
20:15et son caractère irrévocable.
20:18Donc, les deux sont liés.
20:20– Est-ce que ce livre est aussi une façon de,
20:25comment dirais-je, de creuser un peu votre identité ?
20:29À un moment, quand vous racontez cette captivité,
20:32ce nom que vous portez, Kaufmann,
20:35il résonne bizarrement, enfin, il résonne,
20:38non, pas bizarrement, malheureusement,
20:40pour les preneurs d'otages,
20:42et il pense que vous êtes juif.
20:43– Oui, bien sûr.
20:44– Et donc, ça fait référence, bien sûr,
20:47à des grands-parents, à votre histoire, à ses ancêtres.
20:50– Oui, alors, c'est vrai, oui.
20:52– Qui sont venus de l'est de la France et non pas…
20:56– Oui, alors, ça a toujours été, en effet,
21:00un problème pour moi, c'est le fait de se sentir hors cadre,
21:05pas conforme, à l'écart, oui, à cause de ce nom,
21:11à cause aussi, peut-être aussi, le nom de ce village.
21:15Donc, oui, une façon de ne pas être conforme.
21:22– Mais ça, dès l'heure, c'est…
21:23– Et en même temps, le désir, alors j'ai raté mon coup, là,
21:27le désir, quand même, d'être invisible,
21:30de ne pas se faire remarquer.
21:31– Oui, là, vous avez raté, oui, ça, c'était…
21:33Là, après, vous êtes allé dans la lumière,
21:35et Dieu merci, vous êtes revenu.
21:38Mais ça a quand même ajouté au danger de la captivité,
21:41puisqu'ils étaient d'autant plus inquiétants,
21:46ce qu'ils disaient sur vous était d'autant plus inquiétant.
21:48– Je crois que là aussi, ça faisait partie de leur cynisme.
21:53Ils ne m'en ont jamais parlé personnellement.
21:56Ils n'y ont jamais fait allusion.
21:58Et c'est vrai que lorsque Jean-Charles Marciani…
22:02– Oui, qui était le négociateur pour Jacques Chirac, bien sûr.
22:05– Voilà, a négocié.
22:09Mes ravisseurs disaient « Oui, type, je le j'ai eu. »
22:14Et heureusement, Chirac a dit « Les trois ou rien ».
22:18– Oui, oui, bien sûr.
22:21Et on se souvient de…
22:23Et vous avez compris, d'ailleurs, après coup,
22:24comment tout ça s'était passé, comment cette libération…
22:26– Ça a été, pour moi, une révélation,
22:33parce que moi, je pensais qu'au début,
22:35on avait quelques nouvelles de l'extérieur,
22:38mais, disons, pendant deux ans et demi,
22:41moi, je pensais, évidemment, qu'on nous avait abandonnés,
22:45qu'on allait crever là, quoi.
22:48Et il est évident que, lorsque j'ai découvert
22:51qu'en effet, la télévision…
22:53– Tous les soirs…
22:54– Chaque jour, annonçait notre séquestration,
22:59je pense que ça a été déterminant pour notre libération.
23:03– Vous l'avez compris à ce moment-là ?
23:04– Oui, bien sûr.
23:05– Oui, oui, ça a été, je crois.
23:07Et puis, je pense aussi que, bon,
23:10peut-être que les gens en avaient assez d'entendre
23:12répéter la même litanie.
23:15Et aussi, c'était une manière de dire au gouvernement,
23:19alors, bougez-vous, une sorte d'aiguillon aussi.
23:22– Bien sûr, bien sûr.
23:23– Donc, trouvez une solution.
23:25– Ce n'est pas déterminant.
23:25– Donc, ça a été déterminant.
23:27– Est-ce que vous diriez que vos valeurs,
23:29celles qu'on vous a transmises dans l'enfance,
23:31le travail, je vois, c'est ce qu'on comprend dans le livre,
23:35une espèce d'une forme de discipline,
23:37l'exemple des parents, un peu de religion ?
23:40Est-ce que tout ça a changé après votre captivité,
23:45après les épreuves que vous avez subies ?
23:47Est-ce que la hiérarchie des valeurs s'est modifiée pour vous ?
23:52– Pour moi, en effet, bon, c'est vrai,
23:57je parlais tout à l'heure d'une enfance heureuse,
23:59oui, une enfance, en effet, très cadrée,
24:02très cadrée, très structurante.
24:07Et c'est vrai que, pour la suite,
24:11je pense que ça m'a servi aussi.
24:14Vous voyez, ça a été, bon, je parle à un moment,
24:19une raclée que je reçois par mon institut SRIS,
24:24eh bien, bon, évidemment, c'est choquant aujourd'hui,
24:27mais bon, ça faisait partie de l'éducation,
24:34vous voyez, en tout cas, je n'en garde aucune rancune,
24:41aucune rancune.
24:42Et c'est vrai que tout cela,
24:44bon, tout cela, on voit bien,
24:47s'est transformé peu à peu,
24:51jusque dans ces années 65,
24:5365, c'est vraiment le basculement,
24:57l'élection du président de la République
25:02au suffrage universel,
25:03les premiers hypermarchés,
25:05mais ça, on ne le savait pas,
25:07on n'apercevait pas ces changements,
25:11cette couleur, en quelque sorte,
25:14qui allait apparaître dans le film.
25:16Oui, voilà.
25:18Parce que le monde que je décris
25:21est un monde, évidemment,
25:22qui paraîtra très exotique
25:25aux générations actuelles,
25:27vous voyez, c'est ce monde des...
25:32C'est Madame Bovary, encore.
25:34C'est un monde,
25:36on est à la fin du 19e.
25:40Donc, voilà, c'est...
25:42Mais un monde...
25:42Et on ne le sait pas.
25:44On ne sait pas.
25:45J'aime pas cette expression-là,
25:47mais on ne connaît pas encore
25:49la suite du film.
25:50Merci beaucoup,
25:51Jean-Paul Kaufmann,
25:52d'être venu nous voir.
25:53Ça s'appelle L'accident,
25:53c'est un très beau livre,
25:55j'allais dire,
25:55comme tous ceux de Jean-Paul Kaufmann,
25:57mais plus personnel encore,
25:59et donc très touchant.
26:00Merci infiniment.
26:01Merci.
26:01Quelques coups de cœur
26:01pour conclure cette émission.
26:03D'abord, quelqu'un qui,
26:04évidemment,
26:05qui est proche de vous,
26:05c'est Grégoire Kaufmann,
26:06c'est votre fils aîné,
26:07cher Jean-Paul.
26:08Ça s'appelle L'enlèvement.
26:09C'est un récit nourri,
26:12bien sûr,
26:13par toutes les archives
26:14conservées par votre femme
26:16et par sa mère,
26:17par sa maman.
26:19Et évidemment,
26:21c'est une histoire intime
26:22de cette affaire
26:23des otages français au Liban,
26:24dont vous nous avez dit
26:26quelques mots.
26:27C'est touchant pour vous
26:28de voir que votre...
26:28Oui, bien sûr,
26:29mais oui,
26:31c'est vrai que
26:31nos deux livres se répondent.
26:34Vous voyez,
26:35l'accident,
26:36l'enlèvement,
26:37le côté un peu
26:39elliptique
26:41des titres aussi,
26:43c'est...
26:44Il y a un petit clin d'œil,
26:45peut-être.
26:46Et puis,
26:46c'est tout de même,
26:47j'imagine,
26:47très émouvant
26:48de voir que le fils
26:49s'est intéressé
26:50à l'histoire du père
26:52au point d'en écrire un livre.
26:53Oui, oui,
26:54et puis,
26:54alors,
26:55ce que je veux dire aussi,
26:57peut-être,
26:58ce n'est pas un livre
26:59agiographique
27:00parce qu'il raconte
27:04des choses
27:04qui sont étonnantes
27:07quand même
27:08et pas...
27:09Même pour vous.
27:11Pas toujours.
27:13Et dans ce sens-là,
27:16je trouve en effet
27:17que c'est un livre
27:18intéressant,
27:19en tout cas,
27:20et moi,
27:20j'ai appris
27:21beaucoup de choses.
27:22Voilà,
27:23sur vous-même.
27:24Parce que j'étais
27:24de l'autre côté,
27:25moi.
27:25Bien sûr,
27:26évidemment,
27:27donc passionnant.
27:28Donc,
27:28les deux Kaufmann à lire.
27:29Voilà.
27:30Simon Libératis,
27:31Stanislas,
27:32lui,
27:32il revient sur son enfance,
27:33alors un peu plus dur,
27:34dans le collège Stanislas,
27:36où là,
27:36évidemment,
27:37c'était presque l'enfer,
27:40mais c'est fait aussi
27:41avec l'humour
27:41de Simon Liberati
27:42et c'est un très joli livre.
27:45Et puis,
27:45pour ma part,
27:46je recommande
27:46Michel Azanavissus
27:47qui prend la plume,
27:48le dessin aussi,
27:49puisqu'il est auteur
27:51de films animés,
27:53films d'animation.
27:54Mais là,
27:55ce sont des carnets d'Ukraine
27:56et il est parti
27:57comme un journaliste,
27:58mais pas un journaliste,
27:59au contact
28:00de tous ces bénévoles
28:01qui se battent
28:02sur le front ukrainien.
28:03et il en fait aussi
28:04des portraits
28:04avec son crayon.
28:07Et c'est évidemment
28:08très intéressant
28:09pour nous,
28:10journalistes.
28:10Merci beaucoup.
28:11Merci Jean-Paul Kaufmann.
28:12Merci à vous tous
28:13de nous avoir suivis.
28:13On se retrouve très vite
28:14pour Bonheur des livres.
28:15C'était Au Bonheur des livres
28:36avec le Centre National du Livre.
28:37Sous-titrage Société Radio-Canada
28:39– Sous-titrage Société Radio-Canada
28:40– Sous-titrage Société Radio-Canada

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