Xerfi Canal a reçu Joan Le Goff, professeur en sciences de gestion à l'IAE Paris Est, pour parler du business de la sécurité.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Johan Legoff. Bonjour Jean-Philippe Denis. Un soupçon de compétition dans la
00:12sécurité enquête sur le marché de la protection publique et privée. Vous êtes professeur des
00:17universités de sciences de gestion et du management à l'IEU Paris-Escretail, ouvrage que
00:21vous avez créé avec Faouzi Benzema, édition L'Armattan. Un ouvrage de recherche, c'est un
00:26ouvrage de recherche et toutes ces collections nous produisent des ouvrages de recherche sur
00:30la beauté, sur la mort, sur la musique, sur la seconde main et donc aujourd'hui sur la sécurité.
00:35Pourquoi je dis ça ? Parce que spontanément, on va se dire là on va trouver une cartographie. Il
00:41y a ça aussi, une cartographie des acteurs. Et vous, vous partez de Foucault, vous partez de
00:47Bentham et du panoptisme, le fameux voir sans être vu et vous en arrivez jusqu'aux sociétés de
00:52contrôle de Deleuze. Pour arriver à Harari, autant dire que ça vole assez haut. Alors,
00:58comment la mobilisation de ces grands auteurs, ces grands concepts nous éclairent, nous permettent
01:03d'avoir un regard vraiment de chercheur sur ces questions ? Alors ça vole haut, mais c'est aussi
01:08accessible. C'est l'intérêt de la collection, c'est d'être accessible au grand public avec une
01:11analyse d'experts. Ça vole haut parce que c'est un marché, et comme les autres marchés que vous
01:17avez cités, c'est un marché hybride, c'est-à-dire que c'est un marché où les acteurs ont des rôles
01:21fluctuants, où on est à la frontière du légal et du moral, il y a des pratiques qui sont un peu
01:25aux limites, et c'est un marché qui amène ces analyses-là, parce que c'est un marché sur
01:30lesquels on a en quelque sorte des prophéties autoréalisatrices. Lorsque j'affiche dans un
01:35quartier des pancartes, qui sont celles d'une entreprise privée, un voisin vigilant, une
01:39entreprise privée très lucrative par ailleurs, qu'est-ce que je dis à ceux qui voient ces
01:43pancartes ? Est-ce que je dis que c'est un quartier sûr parce qu'il y a des voisins vigilants, ou est-ce
01:47que je dis que c'est un quartier qui n'est pas sûr parce qu'on a eu besoin de ces voisins vigilants ?
01:51Qu'est-ce que je dis à ceux qui n'ont pas ces pancartes dans leur quartier ? Nous, on n'a pas
01:55de voisins vigilants, on doit être inquiet parce qu'il n'y a pas ça dans notre quartier, dire qu'on
01:58crée un besoin de sécurité en créant un sentiment d'insécurité, et on arrive à suggérer les choses,
02:04c'est-à-dire qu'on n'a même plus besoin du contrôle lui-même, on arrive simplement à créer des mots
02:08d'ordre, des injonctions, qu'évoquaient Deleuze et Guattari dans leurs ouvrages, cette idée qu'on
02:13va suggérer qu'il faut se protéger parfois alors qu'il n'y a pas forcément la nécessité.
02:19Je vais vous poser une question, si vous me permettez, un peu brutale,
02:22parce que le contexte s'y prête quand même. Il y a eu une série qui s'appelle La fièvre,
02:26et certains ont dit que quand Emmanuel Macron a décidé de la dissolution, le pays est saisi
02:31d'une fièvre. Dans cette série, à un moment, le débat porte sur la liberté de port d'armes,
02:37et sur l'autodéfense. Quand on voit aujourd'hui l'imaginaire américain, l'élection de Donald
02:42Trump, qui nous dit que le Canada va être le 51ème état, que le Panama va être repris par
02:49la force, etc., que le Groenland va être acheté au Danemark, on se dit que cet imaginaire américain,
02:54où on sait l'importance de ce débat sur la sécurité et la liberté de port d'armes,
02:58vous évoquez Locke aussi dans l'ouvrage, est-ce qu'à un moment, au vu de l'analyse que vous
03:06avez conduite, est-ce qu'il y a un risque quelque part qu'un débat de ce type-là finisse par émerger,
03:13chez nous ? Le débat émerge sur quels sont les agents de sécurité, public ou privé,
03:19qui peuvent être légitimement armés. Le débat a commencé à apparaître dans le cadre de la
03:26culture politique française. Le premier débat a porté sur les polices municipales,
03:29qui historiquement n'étaient pas armées. Aujourd'hui, c'est un vrai enjeu, et pas
03:34uniquement un enjeu de sécurité d'être armé ou pas armé, mais aussi un enjeu de recrutement,
03:38c'est-à-dire que pour la police municipale de Paris, on a du mal à pouvoir les passer,
03:42parce que les agents n'ont pas d'armes létales. Dans les villes de la Petite Couronne,
03:47les polices municipales sont armées, et les candidats vont dans ces villes-là. La question
03:51de l'armement a gagné historiquement les forces régaliennes, elle a gagné les polices municipales,
03:56on l'évoque pour certaines catégories de vigiles, par exemple pour les sites Céveso ou des sites
03:59d'importance nationale, comme Disney ou d'autres, et on voit bien que par contagion, on commence à
04:04se déplacer. À quel moment elle va toucher des personnes qui ne sont plus des agents de sécurité
04:09publique ou privée, mais des particuliers ? Ça arrivera un moment ou un autre, et cette
04:12question de l'armement, ou de ce qui sont des armes un peu par destination, les tasers, etc.,
04:19est quelque chose qui va s'imposer dans le discours politique français et dans le discours économique,
04:23puisque c'est un marché phénoménal. Merci beaucoup. Merci, je vous fais plaisir. A lire
04:27absolument, un soupçon de compétition dans la sécurité en quête sur le marché de la
04:31protection publique et privée de l'arme à temps. Merci. C'est bien.