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On a d’abord envie, avant d’essayer de répondre, de prolonger la question : comment supporter ce monde où fleurissent tant de populistes et de démagogues, comment supporter ce qui semble à bien des égards un retour en arrière géopolitique, comment supporter que nous ne soyons pas capables d’un sursaut écologique, comment supporter ces torrents de haine et de ressentiment sur les réseaux sociaux ?

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (5 Avril 2025)
Retrouvez toutes les chroniques de Charles Pépin sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-charles-pepin
Transcription
00:00La question philo Charles Pépin, aujourd'hui, c'est celle que vous pose Vierane.
00:05Bonjour, c'est une question de Vierane, pour Charles Pépin.
00:09Dis-moi, comment supporter ce monde ?
00:13Belle question Charles, et vraiment pas évidente.
00:16Comment supporter ce monde ? On a d'abord envie, avant d'essayer de répondre, de prolonger la question de Vierane.
00:21Comment supporter ce monde où fleurissent tant de populistes et de démagogues ?
00:25Comment supporter ce qui semble à bien des égards un retour en arrière géopolitique ?
00:29Comment supporter que nous ne soyons pas capables d'un sursaut écologique ?
00:33Comment supporter ces torrents de haine et de ressentiment sur les réseaux sociaux ?
00:37Eh bien, première réponse, en essayant de réparer le monde.
00:40Au moins un peu, car c'est notre inaction, au moins autant que l'état du monde, qui fait monter notre angoisse.
00:45Alors, vous dites réparer le monde, agir pour réparer le monde.
00:50Mais ce qui est insupportable, c'est qu'on sait d'emblée que notre action, en tout cas individuellement, ne suffira pas ?
00:56Il n'est pas dit, déjà, que notre action ne suffise pas, on ne connaît pas exactement les effets de seuil.
01:00Et puis, de toute façon, quand bien même elle ne suffirait pas, elle nous ferait quand même du bien.
01:04N'oublions pas de rappeler que c'est l'action, même incomplète, même partielle, même petite,
01:09même butant sur la résistance du réel, c'est l'action qui nous libère le mieux de l'angoisse.
01:14L'action plus que la réflexion.
01:17Nous croyons souvent que nous sommes angoissés parce que nous ne pouvons rien faire.
01:20Mais en vérité, comme le rappelle Sartre, ce qui nous angoisse, c'est plutôt ce que nous pourrions faire
01:25et ensuite regretter, ou alors ne pas faire et ensuite regretter.
01:29Bref, c'est notre liberté qui nous angoisse, bien plus tôt que notre absence de liberté.
01:34– Alors, pour que ce soit vraiment clair, est-ce que vous pourriez prendre un exemple ?
01:37– Oui, je vais prendre un exemple que prend Sartre, quand on a le vertige.
01:40Et bien, ce qui nous angoisse, quand on est en haut d'un bâtiment et qu'on a le vertige,
01:43c'est qu'on sait très bien qu'on pourrait sauter, on pourrait sauter dans le vide.
01:46C'est donc bien notre propre liberté qui nous angoisse, cette liberté que Sartre qualifie
01:51tantôt de totale, tantôt de monstrueuse.
01:54On comprend mieux alors la définition que donne Sartre de l'angoisse,
01:58la saisie réflexive de la liberté par elle-même.
02:01– Quand on a le vertige, on n'a finalement pas peur de tomber, on a peur de se jeter.
02:06– Voilà, on a peur de ce qu'on pourrait faire.
02:08– Et alors, si on revient à la question de Vieran, comment supporter ce monde ?
02:12– Et bien, peut-être que nous nous voilons la face en pensant que ce qui nous est insupportable,
02:17c'est que nous ne puissions rien faire pour réparer le monde.
02:20C'est peut-être plutôt tout ce que nous pouvons faire, mais précisément ne faisons pas.
02:24Nous pouvons nous unir en une véritable force de progrès et de combat à l'échelle européenne.
02:29Nous pouvons ne pas cesser de nous battre pour nos valeurs humanistes et progressistes.
02:33Nous pouvons changer nos habitudes pour lutter contre le réchauffement climatique.
02:37Nos habitudes de déplacement, de consommation de viande, d'aliments, de vêtements.
02:42Nous pouvons résister à la saisonnalité de la mode qui est un drame écologique.
02:47Ici même, souvenez-vous, il n'y a pas longtemps, Al Gore, ici, à cette table,
02:51ancien vice-président américain et prix Nobel de la paix, nous expliquait qu'un euro investi dans l'énergie verte
02:58créait trois fois plus d'emplois qu'un euro investi dans l'énergie fossile.
03:03Nous pouvons chercher ces infos-là plutôt que de nous tourner toujours vers les mêmes infos anxiogènes.
03:09Et fort de ces infos, à l'écoute de ces voix-là, trouver la force de croire en notre action.
03:16Première réponse, donc, à Vieran, l'action même minimale.
03:20Deuxième réponse, la joie, même paradoxale, dont vous parliez, la joie dont parlait Séo Georges récemment.
03:26Car cette joie lucide et contrariée par la conscience de tout ce qui ne va pas est l'autre grande ressource dont nous disposions.
03:35Bien sûr, cette joie n'est pas le bonheur, elle dure moins que le bonheur.
03:38Elle n'est qu'une émotion qui soudainement surgit et puis s'en va aussi vite qu'elle est venue.
03:43Mais chaque fois qu'elle pointe le bout de son nez et qu'on est capable de l'accueillir,
03:48elle nous donne de la force et même parfois de la force pour essayer de changer ce que nous pouvons changer.
03:54Mais cette joie, en effet, est proprement paradoxale.
03:57Car c'est en nous disant, dans l'instant de son jaillissement, que nous sommes capables de dire oui à cette vie, même pourrie,
04:04d'aimer ce monde, quand bien même nous échourions à le sauver,
04:08qu'elle nous donne en même temps la force de nous battre pour essayer d'améliorer les choses
04:13et donc de réparer ce que nous pouvons encore réparer.
04:17Deux manières donc de supporter ce monde, l'action même minimale et la joie paradoxale comme les toutes vraies joies.
04:26Eh bien, si on prend un peu de distance, l'action et la joie sont les deux grandes manières également de dissiper l'angoisse.

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