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  • 25/03/2025
Luz, dessinateur et victime de Charlie Hebdo, parle de sa résilience depuis les attentats, grâce aux dessins, et à Vernon Subutex.
Transcription
00:00Quand vous enterrez 8 ou 9 personnes que vous connaissez et que vous aimez aussi,
00:05ça met énormément de temps.
00:08C'est presque impossible de finaliser quelque chose.
00:10Si je n'avais pas eu la fin de ma vie à côté de moi,
00:15je pense que je ne m'en serais jamais sorti.
00:18Juste après les attentats,
00:21il y avait déjà une espèce d'injonction qui était « il faut tout de suite dessiner ».
00:24Moi j'ai dit que je ne pouvais pas.
00:26Et je pensais que c'était fini.
00:27Je pensais que c'était fini, que je ne pouvais plus du tout dessiner.
00:31C'était mort.
00:32Et en même temps, il y avait ceux du journal qui restaient là,
00:37qui étaient encore vivants ou qui n'étaient pas blessés à l'hôpital.
00:41On s'est réunis pour voir ce qu'on pouvait faire.
00:44Après avoir dit « ok, je participe, mais je ne sais pas si je pourrais faire quelque chose »,
00:48le soir même, je me suis mis à dessiner.
00:50Et finalement, j'ai été le premier à dessiner.
00:52Et finalement, j'ai fait la couvre.
00:53Et finalement, j'ai continué.
00:54Il y avait un manque absolu.
00:57Alors à la fois, j'avais réussi à retrouver mon dessin,
01:00c'est-à-dire à faire des retrouvailles en dessin.
01:04Mais pour raconter ces retrouvailles, du coup, j'ai fait un bouquin.
01:06Il s'appelle « Catharsis ».
01:07Je fais « Catharsis ».
01:08Et c'est là où je me suis rendu compte que pour avancer, il fallait faire des bouquins.
01:11Travailler sur Vernon pendant 4 ans,
01:15c'était aussi se créer une espèce de groupe de parole avec des amis imaginaires.
01:21C'est-à-dire tous les matins, j'allais les voir.
01:25Ça paraît con comme ça de dire « on discute avec des personnages », etc.
01:29Mais en fait, pour moi, c'est vrai.
01:30C'est-à-dire que je les ai retrouvés parce que je les ai fabriqués.
01:34Je les ai fabriqués aussi avec ce que Virginie m'a donné comme indication.
01:41Mais avec mes propres envies, avec mes propres peurs,
01:45avec mes propres rêves.
01:51En Vernon, il y a des choses aussi très fortes, très drôles, très graphiques, très comiques.
01:58Ça ne me parle pas uniquement d'un drame, mais ça parle de la vie.
02:02Et en fait, le seul truc, c'est que je ne pouvais pas avoir le dessin.
02:08J'ai toujours les mains tachées d'encre.
02:13Parce que je préfère déjà les avoir tachées d'encre que les tachées de sang.
02:16Ça, c'est une certitude.
02:18Et que lui, le dessin, il était toujours là pour moi.
02:21Le fait d'être toujours sous protection, policière, etc.
02:25Est-ce que finalement, vous êtes entouré, mais seul ?
02:27Vernon, il est en exil mental.
02:30Et il est en exil, quelque part, géographique.
02:32Parce qu'il est encore à Paris, mais il est hors de la société.
02:39Il est en exil social, voilà, exactement.
02:41Moi, il y a un truc qui me sauve.
02:43Moi, il y a un truc qui me sauve.
02:46C'est que j'accepte par obligation cette situation,
02:52mais je me refuse d'être en exil graphique.
02:55Ça, c'est la chose la plus importante.
02:58C'est-à-dire, je continue.
03:00Je continue inacceptablement à dessiner.
03:02Et justement, à dessiner des gens bien.
03:04Ce qui est complètement différent de la caricature.
03:06Une chose que j'ai comprise, c'est que si moi, j'avais pas eu une personne à côté de moi,
03:12si j'avais pas eu la femme de ma vie à côté de moi,
03:16je pense que je m'en serais jamais sorti.
03:19Jamais sorti.
03:20Mais je m'en suis pas forcément rendu compte,
03:22parce que j'étais dans ma tête, en fait.
03:24Et elle apprenait tout sur elle.
03:26Moi, j'ai été victime d'un attentat,
03:29mais elle a été devenue une victime par ricochet.
03:33De quoi avez-vous le plus peur ?
03:36Moi, ce dont j'ai le plus peur, je dirais, c'est de l'oubli.
03:47De ne plus me rappeler ce qui était avant,
03:50de ne plus me rappeler ce qui était pendant, aussi.
03:52Parce que c'est important.
03:54De ne plus... De voir que les autres oublient, aussi.
03:58Paradoxalement, je vais pas dans les commémorations,
04:01parce que tout ça est complètement en moi.
04:06Et j'espère que la France, les Français, le monde, etc.,
04:11n'oublie pas pourquoi, à un moment donné,
04:15ils sont descendus le 11 janvier.

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