"Les gens ne me connaissent pas."
Ce mardi soir, il donne sa liste des joueurs français sélectionnés pour l'Euro. L’homophobie dans le foot, l'éducation de son fils, sa mentalité de gagnant… Didier Deschamps s'est livré en interview pour Brut.
Ce mardi soir, il donne sa liste des joueurs français sélectionnés pour l'Euro. L’homophobie dans le foot, l'éducation de son fils, sa mentalité de gagnant… Didier Deschamps s'est livré en interview pour Brut.
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00:00Les gens ne me connaissent pas. Ils me connaissent à travers ce qu'ils peuvent voir de moi,
00:04toutes les discriminations quelles qu'elles soient.
00:08Elles n'ont pas de place, ce n'est pas dans le football, c'est dans le sport en général.
00:12Quand on se voit déjà arriver, on n'a pas d'accord.
00:15J'ai payé aussi, je suis passé par là.
00:20Bonjour Didier Deschamps.
00:21Bonjour.
00:22Merci d'accorder cette interview à Brut.
00:24Vous êtes originaire de Bayonne, là-bas c'est plus une terre de rugby.
00:27Comment vous en êtes arrivé au football ?
00:29Avant le rugby, j'ai joué au rugby aussi.
00:32J'étais très sport, j'ai fait un peu tous les sports.
00:34J'ai fait de l'athlétisme, du cross, du handball.
00:38J'ai joué au rugby, mais je préférais par-dessus tout le football.
00:43J'ai choisi à un moment, il a fallu que je choisisse très tôt,
00:46puisque j'avais 14 ans et j'étais sollicité pour intégrer un centre de formation.
00:51J'ai dû prendre la décision de modifier ma trajectoire.
00:55C'est-à-dire qu'il était d'abord études pour voir après ce que j'aurais pu faire.
01:00Mais là, c'était un choix déjà important, très tôt, d'intégrer le centre de formation de Nantes.
01:06On ne peut pas tout avoir dans la vie.
01:08À partir du moment où on fait le choix de rentrer dans un centre de formation,
01:11de tout faire pour être professionnel, d'aller le plus haut possible,
01:15ça implique aussi d'avoir une hygiène de vie, un cadre de vie qui est différent, forcément.
01:23L'exposition, c'est deux époques différentes.
01:26À l'époque, il n'y avait pas les réseaux sociaux.
01:28Aujourd'hui, on voit quasiment en temps réel la vie des joueurs.
01:32Pour le plus grand bonheur de tout le monde, quand ça se passe bien, c'est merveilleux.
01:36C'est le monde d'aujourd'hui, c'est la multiplication des médias
01:39et avec les réseaux sociaux, bien évidemment,
01:42avec le côté positif qui permet d'avoir des images,
01:46des émotions qu'on n'aurait pas pu avoir avant, en instantané, quasi en instantané.
01:53C'est le monde d'aujourd'hui.
01:54Je ne me bats pas contre ça, ça fait partie de la vie,
01:57même si moi, personnellement, je n'y suis pas et je n'y serai pas
02:01parce que je n'ai pas d'intérêt, je n'ai pas de plaisir à y être ou de faire partager.
02:08Mais c'est une question de génération aussi.
02:10Les jeunes d'aujourd'hui, c'est de montrer ce qu'ils font, avec qui ils sont, où ils sont.
02:16Moi, je préfère ne pas savoir où je suis, avec qui je suis.
02:21Mais c'est le monde d'aujourd'hui, je ne vais pas lutter contre ça,
02:26ça fait partie de la vie médiatique aujourd'hui.
02:31En tenant compte de l'évolution de cet aspect de la multiplication des médias
02:37et des réseaux sociaux qui fait qu'aujourd'hui,
02:41la discrétion est de plus en plus réduite, bien évidemment.
02:46Et comment on gère ça d'un point de vue groupe ?
02:48On l'a vu en 2018, à la Coupe du Monde, on suivait quasiment en temps réel tout ce qui se passait.
02:52Comment vous, en tant que sélectionneur, vous arrivez à mettre un peu la limite ?
02:55J'étais déjà confronté à ça en 2014, à la Coupe du Monde au Brésil.
03:00Interdire, c'est impossible pour moi.
03:04Je ne m'en voyais pas interdire parce que c'est enlever une liberté.
03:07Ils ont cette liberté-là.
03:09Après, le plus important, c'est de pouvoir cadrer pour qu'ils ne se mettent pas en difficulté,
03:14qu'ils ne mettent pas le groupe en difficulté, ce que représente l'équipe de France,
03:18la fédération et ce maillot beugant rouge.
03:21Et des fois, quelque chose qui peut faire rire sur le moment,
03:24avec le temps et très vite après, peut devenir très vite une polémique.
03:30Je vais prendre un exemple, je l'ai toujours pris,
03:34où on était au Brésil en 2014 pendant la Coupe du Monde,
03:38où les joueurs avaient des temps libres, on était dans un camp de base plutôt agréable,
03:41où il y avait des piscines.
03:42Ils peuvent se prendre en vidéo autour de la piscine,
03:47ils ont un moment de relâche, il n'y a rien de mal.
03:51Mais les supporters français qui sont en France et qui voient ça,
03:56et si ça se passe mal le match qui suit,
03:59ils disent qu'ils n'ont que ça à faire, de faire de la bronzette et rien faire autour de la piscine.
04:03C'est un exemple, mais c'est la réalité.
04:07Quand ils parlent d'eux ou qu'ils se mettent eux en image,
04:13après ils sont libres à eux en faisant attention à ce qu'ils peuvent mettre aussi comme commentaire,
04:19mais surtout ne pas mettre en difficulté ou partenaire, ou adversaire, ou l'institution,
04:25parce que l'institution est au-dessus de tout, de toute façon.
04:28Ce qu'on retient beaucoup dans la construction de Parkour, c'est la haine de la défaite.
04:33Clairement, vous ne lâchez jamais rien, même quand vous jouez avec votre fils.
04:37Oui, c'est encore le cas.
04:41Après, c'est plus ma vision de l'éducation.
04:44Je ne dis pas que c'est la bonne pour tout le monde,
04:48mais mon fils reconnaît aujourd'hui que c'est quelque chose qui lui sert,
04:53qui lui a servi, qui lui sert et qui lui a forgé un mental.
04:58Parce que moi aussi, j'ai été éduqué comme ça,
05:01et d'être dans l'adversité, ça oblige à aller puiser au plus profond de soi,
05:13et les qualités psychologiques, mentales sont très importantes aussi dans le sport de haut niveau,
05:19à qualité égale.
05:21Forcément, après, c'est le mental qui fait la différence,
05:25mais ce qui ne veut pas dire que certains papas peuvent éduquer leur fils d'une autre manière
05:31et que le fils ne réussisse pas très bien sa vie.
05:36C'est une vision d'une forme d'éducation qui peut réussir avec certains enfants,
05:44mais qui peut ne pas être la bonne avec d'autres aussi.
05:47Le mental, justement, vous passez de Nantes à Marseille.
05:50Oui, il y a très longtemps.
05:52Avec une grosse pression.
05:54Des exigences.
05:56Pression, ça me vient à moi.
05:58Ça aussi, c'est en termes...
06:00Pareil, oui, c'est des mots qui reviennent à la pression.
06:03Non, c'est de l'adrénaline.
06:05Tout ce qui est négatif, moi, je n'aime pas.
06:07Pression, stress...
06:09Non, c'est de l'adrénaline, de l'excitation.
06:12Après, il y a comment on appréhende l'environnement extérieur
06:16qui peut avoir plus ou moins d'influence sur sa façon d'agir, de réagir.
06:24Mais ce n'est pas de la pression, c'est de l'exigence.
06:27Soit on veut rester là et on a toujours l'ambition d'aller plus haut.
06:31Si on va plus haut, il y a plus d'exigence, il y a plus d'attente.
06:34Il faut toujours plus...
06:36Ou on se contente de se dire, c'est très bien et j'en reste là.
06:39Ça peut convenir, mais quand on veut toujours...
06:42Quand on fait quelque chose de bien, on peut toujours faire mieux.
06:46Quand c'est très bien, on peut toujours.
06:48Il y a toujours la possibilité de s'améliorer, de faire mieux,
06:52même si ça a permis de réussir ou de gagner.
06:56Ce n'est pas se contenter de ce qu'on a fait,
06:59c'est s'enrichir, se nourrir de ce qui a été bien fait,
07:03mais pouvoir encore améliorer certaines choses.
07:06Et dans le sport de très haut niveau,
07:10il y a la formule, les détails, mais c'est souvent des détails,
07:13l'accumulation de détails.
07:15Je pars du principe, 1%, 2%, ce n'est pas grand-chose,
07:18mais ces 2%-là, je préfère les mettre de l'autre côté
07:20plutôt que de les donner à l'adversaire.
07:23À Marseille, il y a une rencontre, c'est celle avec Bernard Tapie.
07:27On dit souvent que dans le football moderne,
07:29il y a de moins en moins de dirigeants forts en gueule ou charismatiques.
07:34C'est réduiteur de dire ça.
07:36Est-ce que c'est deux époques différentes ?
07:38Ce n'est pas possible de faire les choses comme ça aujourd'hui.
07:42C'était une autre période, une autre génération.
07:49De faire des copier-coller ce qui marchait il y a dix ans,
07:52il y a vingt ans, ne marche pas forcément aujourd'hui
07:54parce qu'on n'a pas les mêmes personnes en face,
07:57pas avec les mêmes centres d'intérêt,
07:59ils ne fonctionnent pas de la même façon.
08:01Il y a un maître mot dans tous les domaines professionnels.
08:06Quand on est dirigeant ou on a une responsabilité,
08:10c'est s'adapter, s'adapter au contexte,
08:12s'adapter aux personnes qu'on a en face de soi,
08:15avec leur caractère, leur personnalité différente.
08:19Ça a marché à ce moment-là,
08:21parce que tout était réuni certainement
08:24de par la personnalité des uns et des autres,
08:27mais ce n'est pas se dire,
08:28et au même moment refaire la même chose à un autre endroit,
08:31ce n'est pas forcément que ça aurait à coup sûr bien marché aussi.
08:35Est-ce que ce franc-parler n'est plus possible aujourd'hui ?
08:38C'est la vie, oui, aujourd'hui, malheureusement.
08:41Aujourd'hui, chaque mot peut avoir des conséquences très importantes.
08:50Aujourd'hui, la communication prend une place essentielle
08:54et le moindre mot peut amener...
08:57Drogater ?
08:58Non, je m'adapte, c'est comme ça.
09:01C'est pour ça qu'il faut faire très attention à la maîtrise,
09:07mais de notre côté, je ne vais pas dire que je le subis,
09:10mais l'environnement médiatique sportif va dans cet excès-là,
09:15où on va plus dans tout ce qui est le plus agressif, le plus violent.
09:21Ce n'est pas une bonne chose,
09:23ce n'est pas comme pousser une gueulante,
09:25ce n'est pas forcément aussi crier plus fort que tout le monde.
09:29On peut dire les choses sans pour autant monter les décibels.
09:34Ce qui est le plus important, c'est le choix des mots, pour moi,
09:39et l'adéquation entre ce qu'on dit et le visage.
09:45Vous avez souvent évoqué votre fierté de jouer pour l'équipe de France.
09:50Est-ce qu'aujourd'hui, ce sentiment de fierté nationale,
09:54il existe encore chez les jeunes générations ?
09:56On est très forts.
09:58Il est redevenu très fort.
10:00À un moment, ça va avec la courbe des résultats
10:04et l'histoire historique de l'équipe de France.
10:07Mais aujourd'hui, depuis quelques années, oui.
10:11Vous avez senti des moments où c'était plus compliqué ?
10:13Plus ou moins, mais c'est par rapport à ce qui a pu se passer,
10:16avec des périodes plus ou moins difficiles.
10:20Cet attachement, ce que représente ce maillot,
10:24et l'importance que peuvent avoir les joueurs quand ils ont ce maillot,
10:28les devoirs qu'ils ont vis-à-vis des supporters,
10:32notamment de la nouvelle génération.
10:34Je n'aime pas le mot exemplaire.
10:37Être exemplaire, ça veut dire que personne n'a le droit à l'erreur.
10:40Mais ce sont des exemples.
10:42Et dans les exemples, il y a de bons et de mauvais exemples.
10:45Il vaut mieux être de bons exemples pour les jeunes.
10:47Personne ne sera jamais au-dessus d'un collectif.
10:50Et tous les joueurs qui peuvent être importants sont importants à travers un collectif.
10:54Et à un moment, dans un sport collectif,
10:58il y a toujours des équilibres à avoir,
11:02des équilibres purement spécifiques sur le terrain,
11:07des équilibres sociaux aussi.
11:10Ce qui m'amène, avec mon staff,
11:13à beaucoup réfléchir, discuter, échanger,
11:16et à un moment, à prendre des décisions.
11:19Je les fais, je les assume à chaque fois.
11:23Mais il y en a qui n'ont pas été d'accord,
11:26qui ne seront pas d'accord.
11:27Mais ça, ça fait partie.
11:28Mais ça ne me gêne pas.
11:31Je suis là pour choisir.
11:32Autrement, je ferais un autre métier.
11:34Quand on ne choisit pas, on n'a pas de problème.
11:36Tout le monde est d'accord.
11:37Mais à partir du moment où on choisit,
11:39on parle toujours de ce qui nous concerne.
11:42Quand je fais une sélection,
11:43on va toujours me parler de ce que je n'ai pas pris.
11:45Mais si j'avais pris ce que je n'ai pas pris,
11:47je me parlerais de ce que je n'aurais pas pris aussi.
11:49Ce n'est pas très clair.
11:50Mais vous m'avez compris quand même.
11:52Et si, justement, il y avait un conseil à donner
11:54à cette jeune génération,
11:55dans le comportement, dans l'attitude à avoir ?
11:58Il n'y a pas de conseil.
12:00Ils sont comme ils sont,
12:01avec des centres d'intérêt différents,
12:03modes de fonctionnement différents.
12:05Mais pourquoi voir que le côté négatif ?
12:07Elle a aussi beaucoup de qualités,
12:10cette jeune génération,
12:12qu'on n'avait peut-être pas la mienne et celle d'avant.
12:16Aujourd'hui, ils veulent tout, tout de suite.
12:18Ils ont cette faculté.
12:20S'il y a besoin de partir, d'aller à l'étranger,
12:22jeunes, il n'y a pas de souci.
12:23Avant, c'était quelque chose qui était quand même...
12:25On était quand même plus réticents.
12:28Ils ont une énorme confiance en eux.
12:30Il y a un sujet dont on parle beaucoup,
12:32c'est la lutte contre l'homophobie dans les stades.
12:34Qu'est-ce que ça vous a inspiré ?
12:36Je suis désolé, ce n'est pas l'homophobie.
12:39C'est les discriminations.
12:40Pourquoi ressortir l'homophobie plutôt qu'une autre ?
12:42Ou le racisme ?
12:43Le racisme, c'est toutes les discriminations,
12:45quelles qu'elles soient.
12:47Elles n'ont pas de place.
12:48Ce n'est pas dans le football,
12:49c'est dans le sport en général.
12:51S'il y a des choses qui se passent,
12:53c'est faire en sorte,
12:55en concertant un peu tout le monde,
12:58pour que ça arrive moins dans un premier temps,
13:02et en espérant que ça n'arrive plus.
13:05Je ne voudrais pas ressortir.
13:07Après, c'est autrement mettre un curseur et dire
13:09que cette discrimination est plus importante ou moins importante.
13:13Non, toutes les discriminations,
13:15quelles qu'elles soient.
13:16Parce que le sport pour moi,
13:17et le football qui est le sport le plus populaire,
13:20c'est certainement le meilleur moyen
13:23d'unir et de réunir les gens.
13:25Et le fait d'arrêter un match, par exemple,
13:27est-ce que c'était une bonne idée ?
13:28On a vu ces derniers temps,
13:29à partir du moment où il y a eu des...
13:30Ce n'est pas des idées.
13:32À un moment, c'est la responsabilité des instances
13:37de dire stop.
13:39Après, moi, je peux avoir mon propre avis,
13:41de dire là il faut aller, là il ne fallait pas.
13:44Il y aura toujours des pour et des contre.
13:47À un moment, quand on veut lutter contre quelque chose,
13:51oui, il faut prendre des décisions,
13:52des décisions qui soient fortes.
13:54Mais je ne suis pas là pour dire
13:56oui, là il fallait le faire, là il ne faut pas le faire.
13:58Chacun peut avoir un avis
14:00et pas forcément détenir la vérité.
14:02C'est au contraire réunir tout le monde
14:05pour que ça arrive moins dans un premier temps
14:08jusqu'à ce que ça n'arrive plus du tout.