Recep Tayyip Erdogan est-il le nouveau Vladimir Poutine ? Le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, a été incarcéré dimanche, accusé de corruption. Son arrestation a déclenché une vague de protestation inédite dans le pays. Écoutez l'analyse de Max-Valentin Robert, docteur en sciences politiques, spécialiste de la Turquie, chercheur à l'Espol (European School of Political and Social Sciences).
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 24 mars 2025.
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00:00Yves Calvi et Agnès Bonfillon, RTL Soir.
00:03Il est 18h44, bonsoir Max Valentin-Robert.
00:06Bonsoir.
00:07Vous êtes spécialiste de la Turquie,
00:09chercheur à l'école européenne de sciences politiques en Turquie
00:12depuis près d'une semaine chaque soir.
00:14Des dizaines de milliers de manifestants
00:16défilent dans la rue en soutien au maire d'Istanbul.
00:18Ekrem İmamoğlu a été démis de ses fonctions.
00:21Il est incarcéré pour corruption et terrorisme.
00:23Faut-il préciser qu'il est surtout le principal rival politique du président Erdogan ?
00:28Le parti d'opposition auquel appartient İmamoğlu
00:31affirme que c'est un coup d'État politique.
00:34Un coup d'État, ces propos vous semblent...
00:36méritent d'être tenus ?
00:39Oui, je trouve que l'expression n'est en rien exagérée
00:43puisque cette incarcération du maire d'Istanbul
00:47s'inscrit dans une dynamique d'autocratisation du régime,
00:51dans une dynamique de raidissement autoritaire du régime
00:54qui désormais essaye de remodeler l'opposition à sa guise.
00:58Il y a déjà eu dans le passé des incarcérations
01:01de dirigeants politiques d'opposition en Turquie,
01:04notamment les anciens co-présidents du Parti démocratique des peuples,
01:08Selahattin Demirtas et Figen Yükseldar,
01:11ou encore plus récemment le dirigeant nationaliste Ümit Özdal.
01:15Mais la volonté de remodeler le principal parti d'opposition
01:20selon ses propres désirs et d'écarter de la course à la présidentielle
01:24son principal opposant constitue en soi un nouveau palier
01:27dans l'affirmation de l'autoritarisme erdoganien.
01:32Mais le maire d'Istanbul est accusé d'avoir dirigé une organisation criminelle,
01:36truqué des appels d'offres et accepté des pots de vent.
01:39Comment les autorités justifient-elles ces accusations ?
01:42Les autorités turques justifient ces accusations en disant
01:46qu'il aurait effectivement mis en place un vaste réseau de corruption,
01:50qu'il aurait été en étroite collusion avec le PKK,
01:53la guérilla séparatiste kurde.
01:56Dans les faits, il s'agit surtout de prétextes recherchés par les autorités
02:02pour écarter un candidat d'opposition gênant.
02:07Pas plus tard qu'aujourd'hui, d'ailleurs,
02:08des poursuites ont été initiées contre un autre opposant à Recep Tayyip Erdogan,
02:15le maire d'Ankara Mansour Yavac.
02:17Dans ce cas, l'accusation qui a été retenue,
02:20c'est une accusation de corruption relative à l'organisation de concerts,
02:25en lien avec la mairie d'Ankara.
02:26Donc en fait, d'une certaine manière,
02:28le régime turc fait feu de tout bois pour discréditer son opposition,
02:33surtout lorsqu'elle est menaçante auprès des enquêtes d'opinion.
02:36On peut parler de grossir manipulation, pour dire les choses simplement ?
02:40De la part du pouvoir ?
02:41Incontestablement.
02:44Plus d'un millier de manifestants ont également été arrêtés.
02:46Parmi eux, dix journalistes turcs,
02:48dont un photographe de l'agence France Presse.
02:51Ça fait partie de ce que l'on observe en ce moment en Turquie ?
02:55Alors, il y a eu effectivement un redissement du régime turc
03:00par rapport à plusieurs médias d'opposition.
03:04Là, on parle beaucoup actuellement du climat de répression à l'égard du CHP,
03:10le principal parti d'opposition en Turquie,
03:11mais il y a eu aussi d'autres parties qui ont été touchées plus récemment.
03:15Par exemple, il y a un autre petit parti d'opposition de gauche en Turquie,
03:19le Parti ouvrier de Turquie,
03:20et son leader a déclaré récemment
03:22que plusieurs de ses membres auraient été incarcérés également.
03:25Mais effectivement, ça s'inscrit dans un contexte plus général
03:28d'affirmation des tendances autoritaires du régime,
03:31notamment un redissement vis-à-vis de l'opposition,
03:34mais également vis-à-vis de certains médias.
03:36Il y a eu également des institutions assez reconnues,
03:38comme par exemple l'Association des avocats,
03:40qui a également été réprimée récemment
03:44pour certaines déclarations de soutien à Imamoglu,
03:47ainsi que certaines organisations patronales
03:50liées à des milieux d'affaires proches de l'opposition.
03:52Donc on voit que, d'une manière générale,
03:55le régime erdouanien souhaite non seulement remodeler son opposition partisane,
03:59mais également l'ensemble des structures de la société civile
04:04qui pourraient constituer une certaine autonomie à son endroit,
04:11qui pourraient incarner une voix dissidente à son endroit.
04:13– Les autorités turques ont interdit tout rassemblement
04:16dans les trois plus grandes villes du pays,
04:18est-ce que ça peut suffire pour calmer la contestation ?
04:23– J'aurais tendance à avoir un point de vue un peu dubitatif
04:29sur le fait que ce mouvement pourrait s'essouffler très rapidement,
04:33notamment parce que, évidemment, la répression peut inquiéter
04:38les citoyens turcs mobilisés auprès de l'opposition
04:41et peut également inquiéter même les citoyens non mobilisés
04:47auprès de l'opposition par rapport au climat actuel.
04:50Mais en fait, lorsqu'on compare par exemple les protestations actuelles
04:55avec le printemps de Guézy de 2013,
04:58certes le mouvement était alors plus étendu par rapport à aujourd'hui,
05:03mais il concernait des fractions plus réduites de la société,
05:06notamment les jeunes et les milieux urbains.
05:08Or là, ce qu'on constate, c'est qu'il y a des mobilisations,
05:13y compris dans des fiefs traditionnelles de l'AKP,
05:15par exemple, il y a eu des mobilisations d'agriculteurs à Konya,
05:18qui est un fief de la droite religieuse depuis les années 70,
05:22et lorsque les primaires du parti d'opposition CHP
05:26ont été organisées hier, il y a eu une sur-mobilisation
05:29des citoyens turcs pour participer à cette primaire,
05:32y compris, là encore, dans des fiefs traditionnelles de l'AKP
05:37Donc on peut penser qu'effectivement la répression et la dureté du régime
05:41pourraient inciter les gens à la résignation
05:46et au retrait vis-à-vis de l'activisme,
05:50mais en même temps, le climat d'autoritarisme s'est tellement durci,
05:54et aussi le climat économique et social s'est tellement dégradé
05:57par rapport à 2013,
05:59que ça produit également une sorte de radicalisation
06:03au sein de l'opinion publique sympathisante de l'opposition en Turquie.
06:07Que pense la population du président Erdogan ?
06:10Quelle image a-t-il ?
06:13En réalité, ça dépend auprès de qui vous vous adressez,
06:17puisque la société turque est extrêmement polarisée.
06:20Si vous parlez aux sympathisants de l'AKP,
06:23aux sympathisants du président Erdogan,
06:25Erdogan est vu comme celui qui a modernisé l'économie turque,
06:28qui a recréé et réaffirmé la puissance turque à l'échelle internationale,
06:32et qui a libéré le régime turc de la tutelle de l'establishment militaro-kemaliste,
06:40qui exerçait un pouvoir très important sur les institutions d'État pendant plusieurs années.
06:44Si maintenant vous vous adressez à la fraction de la société turque sympathisante de l'opposition,
06:50Erdogan est vu comme un autocrate et comme un chef de gouvernement,
06:58puis un chef d'État qui a plongé la Turquie dans un autoritarisme croissant.
07:02Dans les faits, la situation est un peu plus contrastée,
07:08c'est-à-dire qu'il y a eu bel et bien une période où la Turquie s'est démocratisée sous Erdogan,
07:14au début des années 2000, notamment jusqu'au début des années 2010,
07:18puis après il y a eu une période de raidissement autoritaire constant qui n'a fait que s'affirmer depuis.
07:23En tout cas, reste une question, la rue turque peut-elle faire reculer le président Erdogan ?
07:27On va le voir dans les jours qui viennent.
07:29Merci infiniment Max Valentin Robert, spécialiste de la Turquie et chercheur à l'école européenne de sciences politiques.
07:35Dans un instant, un démocrate de progrès.
07:37Marc-Antoine Lebray, C'est le Breaking News.