• il y a 5 jours
Comment en est-on arrivé à cette déconstruction socio-culturelle des relations entre les sexes. A ce que la famille ne soit plus une institution sacrée avec le père comme repère d'autorité et la mère au coeur de la reproduction. Dans notre société contemporaine, nous assistons à une baisse constante des mariages, à une hausse soutenue des divorces, un quart des familles sont monoparentales dont 85% de femmes, bien souvent démunies et 65% des enfants naissent hors mariage. Autrement dit, la famille n'est plus ce qu'elle était, elle existe mais autrement.
Même constat du côté de la sexualité en constante évolution, qu'on en juge : de moins en moins de rapports sexuels, mais des pratiques polymorphes où se croisent des fellations, des cunnilungus, des sextoys, de la masturbation et autre sodomie. Il ne s'agit pas de juger mais de constater que le genre, masculin et féminin, bouscule la frontière des sexes et la famille traditionnelle dans son archétype traditionnel et d'être le lieu de la reproduction. Ce qui n'empêche pas la majorité des jeunes générations à faire couple et de chercher de manière générale à plébisciter la famille. Avec des séparations et des recompositions, de l'amour et des chamailleries, aussi des violences qui peuvent parfois confiner aux viols monstrueux - le procès Pélicot de Mazan en témoigne.
Émile Malet reçoit :
- Clotilde Leguil, psychanalyste, philosophe, professeure des Universités,
- Julien Damon, sociologue, enseignant à Sciences Po Paris,
- Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l'Éducation nationale, présidente de France Terre d'Asile,
- Boris Cyrulnik, médecin, écrivain.

L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Générique
00:02...
00:22Bienvenue dans ces idées qui gouvernent le monde,
00:25les chamailleries du féminin et du masculin.
00:29Comment en est-on arrivés à cette déconstruction
00:33socioculturelle des relations entre les sexes ?
00:37A ce que la famille ne soit plus une institution sacrée
00:41avec le père comme repère d'autorité
00:44et la mère au coeur de la reproduction ?
00:47Dans notre société contemporaine,
00:49nous assistons à une baisse constante des mariages,
00:52à une hausse soutenue des divorces.
00:54Un quart des familles sont monoparentales,
00:57dont 85 % sont des femmes,
01:00bien souvent démunies,
01:02et 65 % des enfants naissent hors mariage.
01:06Autrement dit, la famille n'est plus ce qu'elle était,
01:10mais elle existe autrement.
01:12Même constat du côté de la sexualité en constante évolution.
01:15Qu'on en juge de moins en moins de rapports sexuels,
01:19mais des pratiques polymorphes où se croisent
01:22des fellations, des cunnilinguises, des sextoys,
01:26de la masturbation et autres sodomies.
01:29Il ne s'agit pas de juger,
01:31mais de constater que le genre masculin et féminin
01:34bouscule la frontière des sexes et la famille traditionnelle
01:37dans son archétype d'être le lieu de la reproduction.
01:42Ce qui n'empêche pas la majorité des jeunes générations,
01:45comme des autres, à faire couple et chercher,
01:49à faire famille et à plébisciter la famille
01:52avec des séparations et des recompositions
01:56de l'amour et des chamailleries,
01:58mais aussi des violences qui peuvent parfois
02:01prendre l'allure de crimes, voire de viols monstrueux.
02:05Je fais allusion au procès Pellicot de Mazan.
02:09Pour en parler, je vous présente mes invités.
02:13Najat Vallaud-Belkacem,
02:15vous êtes ancienne ministre de l'Education nationale,
02:18présidente de France Terre d'Asile.
02:20Clotilde Le Guil, vous êtes psychanalyste,
02:23philosophe, professeure des universités.
02:26Julien Damon, vous êtes sociologue,
02:28ancien ayant à Sciences Po Paris,
02:31et Boris Cyrulnik, que nous avons en audio,
02:35et non pas audiovisuel, mais simplement en audio,
02:39mais nous lui laisserons la parole quand il voudra s'exprimer,
02:42qui est médecin écrivain.
02:45Avant de commencer cette émission, si vous voulez bien,
02:49nous allons nous rendre dans l'hémicycle
02:52de l'Assemblée nationale pour écouter ce que disait
02:55Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice,
02:58en réponse à une question du député de La Manche,
03:01Philippe Gosselin, Les Républicains.
03:04C'était le 24 avril 2013.
03:10Nous voulons vous redire, monsieur le Premier ministre,
03:13que ces Français, ces Françaises,
03:15ne veulent pas de ce projet qui les inquiète.
03:17Ils ne veulent pas de la PMA.
03:19Ils ne veulent pas, par la suite, de la gestation pour autrui.
03:23Ils ne veulent pas de cette logique de l'enfant à tout prix.
03:26C'est cela qui effraye les Françaises et les Français.
03:30Monsieur le député Gosselin, vous savez pertinemment
03:33que vous ne parlez pas au nom de tous les Français.
03:35Et vous savez que les Français sont nombreux
03:37à accepter cette grande avancée, cette grande réforme de société.
03:41Vous avez été assis dû à nos travaux en 1re et 2e lecture.
03:45Par conséquent, vous savez probablement mieux que personne
03:47ce que contient ce texte.
03:49Et ce texte ouvre le mariage et l'adoption
03:51aux couples de même sexe.
03:53Les autres sujets sur lesquels vous voulez continuer
03:55à faire diversion ne sont pas ceux qui sont soumis
03:58cet après-midi au vote solennel de l'Assemblée.
04:02Vous savez parfaitement donc que nous avons travaillé ensemble,
04:06et l'Assemblée a bien enrichi, ainsi que le Sénat,
04:09ce texte qui ouvre le mariage et l'adoption
04:11aux couples de même sexe et qui permet donc à ces couples,
04:14au-delà de l'Union libre, au-delà du pacte civil
04:17de solidarité, de construire un projet conjugal
04:21et un projet parental.
04:22Alors, Najat Vallaud-Belkacem,
04:24vous venez d'écouter Christiane Taubira.
04:27C'était hier, c'est aujourd'hui.
04:28Qu'est-ce que vous pensez de ces évolutions constantes
04:31et de ce que dit Mme Taubira ?
04:35Forcé de constater que ce qui a fait quand même controverse
04:38il y a 10 ans de cela, avec beaucoup, beaucoup de force,
04:42de puissance, voire de brutalité et de violence,
04:46ne fait plus controverse aujourd'hui,
04:48y compris des formations politiques
04:50qui s'étaient opposées au mariage pour tous,
04:52qui défilaient dans la rue.
04:54Quand vous les interrogez, elles conviennent
04:56qu'au fond, ça allait dans le sens des choses,
04:59que c'est un progrès de société
05:01qui est difficile de remettre en question.
05:03Je trouve que c'est intéressant de relire ces débats-là
05:07à l'aune de la perception qu'on a aujourd'hui
05:10de ce droit des couples de même sexe de se marier.
05:13Aujourd'hui, ça paraît être évident,
05:15beaucoup plus qu'il y a 10 ans.
05:17Merci. Écoutez, alors, on va commencer
05:19notre questionnaire d'émission.
05:22En termes de statistiques
05:23et pour ce qui concerne la société française,
05:26on dirait par ailleurs ce qu'il en est dans le monde,
05:29tant la famille que la sexualité subissent
05:31des évolutions considérables de véritables métamorphoses.
05:35Pensez-vous, Julien Damon, que ce sera durable
05:39ou est-ce une mouvance passagère
05:42qu'on pourrait lier à des militances minoritaires ?
05:45Vous avez évoqué, depuis le début de l'émission,
05:48un nombre assez conséquent d'évolutions.
05:51Si on prend certaines évolutions qui, à mon sens,
05:54condensent ces transformations de la famille,
05:57on peut aller jusqu'à 100 % d'un phénomène.
06:00Qu'avez-vous dit ? Vous avez dit
06:02que vous aviez 2 tiers des naissances hors mariage.
06:05C'est vrai que, du début du Code civil,
06:07au début du XIXe siècle, jusqu'aux années 70,
06:10vous n'aviez que 10 % des naissances hors mariage.
06:13Depuis lors, vous avez une augmentation,
06:15systématiquement, chaque année,
06:17un bouleversement intégral de la famille.
06:19C'est vrai en France et ailleurs,
06:21dans les pays démocratiques.
06:23D'abord, je vais dire Cocorico,
06:25parce qu'à l'échelle occidentale,
06:27nous sommes le pays où la proportion
06:29des naissances hors mariage est la plus élevée.
06:31C'est un bien ou un mal, on ne sait pas.
06:34C'est une singularité française qui, d'ailleurs,
06:36peut expliquer la relative bonne tenue
06:39de la démographie, parce qu'on accepte
06:41la diversité des formes familiales.
06:43Quelle est la transformation ?
06:44D'ailleurs, cela, c'est qu'auparavant,
06:47il fallait se marier pour avoir des enfants.
06:49Aujourd'hui, c'est quand on a un enfant
06:51que parfois on se marie.
06:53Une deuxième question était sur l'évolution de la sexualité.
06:56On peut très bien avoir des enfants
06:58dans le mariage ou hors mariage.
07:00Le problème est d'abord une question de sexualité.
07:03La grande transformation, c'est qu'aujourd'hui,
07:05les enquêtes montrent qu'il y a, vous l'avez évoqué,
07:08une diversité des pratiques qui augmente.
07:10La question que vous me posiez, c'est,
07:12va-t-on aller vers 100 % des naissances hors mariage ?
07:15Pourquoi pas, je ne sais pas si c'est un bien ou un mal,
07:18mais il y a des tendances récentes qui bouleversent la famille.
07:22Deuxième chose, sur la sexualité, je n'en fais trop rien,
07:25je dirais juste qu'il semble que,
07:27même si le nombre de rapports diminue,
07:29les gens sont plutôt heureux de passer
07:31par les possibilités dont vous nous faisiez la liste.
07:35Boris Cyrulnik, vous, vous avez mis en perspective
07:38cette question des échanges amoureux,
07:41non pas pour ce siècle,
07:44mais vous êtes remonté très loin.
07:47Comment vous appréhendez ces évolutions
07:51par rapport à l'échelle du temps ?
07:53C'est une question qui peut avoir de très grands développements,
07:56mais juste donnez-nous votre impression
07:59de comment vous reliez un peu le passé lointain
08:02avec ce qui se passe aujourd'hui.
08:05Eh bien, tout ce qui est vivant évolue.
08:08Les plantes évoluent, les animaux évoluent,
08:11physiquement, les êtres humains évoluent,
08:13le cerveau des êtres humains n'est plus le même aujourd'hui qu'hier,
08:18et bien sûr, les cultures évoluent à une vitesse folle,
08:21donc c'est la vie.
08:22Si on ne peut pas y échapper, c'est la vie.
08:25Mais les anciens nous apprennent que dans d'anciennes cultures,
08:30par exemple, à l'époque de Sapiens, à l'origine,
08:34il y avait des groupes humains de 30 ou 40 jeunes gens
08:38et qui mouraient très tôt.
08:40Les squelettes sont 35 ans en moyenne.
08:45Donc il y avait beaucoup d'accouplements,
08:47mais il n'y avait pas de couple, pas de structure de la parenté,
08:51donc ça veut dire qu'il n'y avait pas de père.
08:53On ne pouvait pas concevoir le père dans un groupe de 30 jeunes gens
08:58où il y avait beaucoup d'accouplements
09:00et on ne savait pas qui était le père.
09:02Donc on ne pouvait pas penser l'inceste.
09:05L'inceste n'a pu être pensé, l'interdit de l'inceste,
09:09seulement pas quand il y avait des structures familiales,
09:13ce qui veut dire que quand il y a une désorganisation sociale,
09:18culturelle et familiale,
09:20l'inceste est de moins en moins interdit
09:24parce qu'il n'est pas pensé.
09:26Et on voit qu'actuellement, il y a un chiffre faramineux d'inceste
09:30autour de 3 % de la population,
09:33ce qui est forcément l'indication d'une désorganisation familiale.
09:38Boris Cyrulnik, permettez-moi juste une précision.
09:42Vous dites que le père n'était pas reconnu,
09:46mais dans les religions monothéistes,
09:48c'est-à-dire que ça remonte quand même à quelques millénaires,
09:51si je ne me trompe pas, que l'on prenne les Évangiles,
09:55le Coran, la Torah, il y a une distinction très nette
10:00entre le père et la mère.
10:01Donc, je veux vous parler...
10:03-"Le Coran, la Torah, la chrétienté,
10:07ça vient de naître, ça vient d'apparaître."
10:10-"C'est quand même plusieurs millénaires."
10:12-"Ce n'est que plusieurs millénaires."
10:15Là, je vous parle de l'archéo-psychologie,
10:18où on sait très bien, par exemple,
10:21vous vérifierez dans Patou-Matisse,
10:23tous les archéo-psychologues qui disent
10:26qu'il y a des groupes humains à l'origine,
10:29c'est-à-dire il y a 100, 200 ou 300 000 ans,
10:32il y a des archives qui montrent
10:34qu'il n'y a pas de squelettes âgées de plus de 35 ans
10:38et que ça a duré jusqu'à la découverte de Simmelweiss,
10:42c'est-à-dire la prophylaxie de l'accouchement,
10:45en 1869, si je ne m'en démonde pas.
10:47Boris, si vous permettez, Najat Vallaud-Belkacem
10:50veut intervenir à ce niveau-là,
10:52et comme ça, l'échange sera plus vif.
10:54C'était simplement une question,
10:56parce qu'un des propos de Boris Cyrulnik
10:58a attiré mon attention, quand il dit
11:01qu'on est aujourd'hui à 3 % de cas d'inceste,
11:03et il semblait lier cela au fait que ces dernières décennies,
11:08donc, de multiples formes de familles
11:11étaient apparues,
11:12et notamment les familles monoparentales,
11:15et donc je voulais juste avoir une précision.
11:17Est-ce que, d'après les études et les chiffres qu'il a,
11:20on a plus de cas d'inceste aujourd'hui
11:23et ce serait lié à cette désorganisation des familles ?
11:26C'est ça qu'il faut comprendre ?
11:27Boris, c'est ce que vous disiez, non ?
11:56où le Qatar est un pays tellement riche
11:59que les mères gardent une structure affective.
12:03Les enfants respectent encore les mères.
12:05Le père n'est jamais là.
12:07C'est-à-dire que la richesse du Qatar,
12:10c'est qu'il y a une désorganisation familiale.
12:14Alors, je ne connais pas le chiffre des incestes au Qatar,
12:17mais je sais que les pères sont complètement disqualifiés.
12:21Il cherche à se requalifier
12:24en se servant du Coran
12:26pour surjuguer leurs enfants
12:30parce qu'il n'y a plus de structure familiale.
12:32Boris, est-ce qu'on va faire intervenir,
12:36si vous voulez bien, Clotilde Le Guil,
12:38pour nous dire ce qu'elle pense de ces évolutions,
12:41mais plus de manière globale et historique,
12:44mais au niveau du sujet ?
12:46Oui, merci, Emile, de me donner la parole.
12:48Il y a beaucoup de sujets qui sont apparus en très peu de temps.
12:51D'abord, on est parti de la procréation médicalement assistée,
12:55c'est-à-dire de la façon dont la médecine scientifique
12:59participe aujourd'hui, pour certains couples
13:03ou pour certaines futures familles monoparentales,
13:08à la problématisation du désir d'enfant.
13:12Et je crois que c'est un point important aussi
13:15à aborder,
13:17qui est que de se focaliser uniquement
13:21sur les méthodes procréatives,
13:23les nouvelles méthodes procréatives,
13:26conduit quelquefois à gommer un peu
13:28la complexité
13:31de la problématique subjective du désir d'enfant.
13:34C'est-à-dire que le sujet se focalise uniquement
13:38sur tous les processus
13:41qui sont souvent extrêmement douloureux
13:44et complexes.
13:45Mais les chiffres sont les chiffres.
13:47Vous m'avez invitée en tant que psychanalyste,
13:50mais je ne suis pas statisticienne.
13:52Je vous parle à partir de la clinique du sujet.
13:54Je voulais commencer par préciser le fait que,
13:57bien qu'aujourd'hui, il y ait des progrès
13:59qui aient été faits en matière de procréation médicalement assistée,
14:03le désir d'enfant continue de renvoyer
14:06à des problématiques inconscientes,
14:08continue d'ouvrir toute la question
14:12de ce dont on hérite, justement,
14:15du point de vue inconscient,
14:17de par sa famille, de par ses parents,
14:19c'est-à-dire continue de s'inscrire dans une histoire.
14:22L'approche purement scientifique de la question de la procréation
14:26tend un peu à gommer, finalement,
14:28le fait que pour chaque individu,
14:30d'arriver à un moment de sa vie
14:32où la question du désir d'enfant se pose,
14:34le confronte à une véritable métamorphose,
14:37car il a un moment à s'enraciner dans une histoire.
14:40Quand le désir d'enfant arrive tard,
14:43le nombre d'enfants diminue, forcément.
14:46On est bien d'accord là-dessus.
14:47Moi, j'ai pas de statistiques là-dessus.
14:50Ca, c'est...
14:51C'est en tout cas une première remarque que je voulais faire.
14:55La deuxième, c'est qu'on aborde la question du père.
14:58Donc, il y a la science d'un côté, le père de l'autre.
15:01Bon, effectivement, nous sommes dans un moment
15:04où la question des abus,
15:06et en particulier la question de l'inceste,
15:09est montée sur le devant de la scène
15:12et on aperçoit à quel point, aujourd'hui,
15:16il s'agit de reconnaître aussi l'inceste
15:19comme un fait social total
15:21et qu'il s'agit, en effet, de le prendre en compte
15:24et non pas de privilégier, au fond, un silence
15:28qui permettrait à tout prix de maintenir en l'état
15:31des familles qui, finalement,
15:33sont le lieu de certains abus.
15:37La question du père, aujourd'hui,
15:39en effet, on est dans une transformation radicale
15:43de la question du père,
15:45mais je pense qu'il faut faire une distinction importante
15:49et qui m'intéresse beaucoup.
15:50On parle de la critique du patriarcat.
15:53Moi, du point de vue de la psychanalyse,
15:55je vous dis comment j'interprète cette critique.
15:58C'est du point de vue de la psychanalyse,
16:00mais dans cette critique actuelle du patriarcat,
16:03ce n'est pas tant la fonction du père
16:06traditionnelle au sens de Lacan,
16:09c'est-à-dire en tant que porteur d'un interdit,
16:12justement de l'interdit de l'inceste,
16:15c'est-à-dire qui est là
16:17pour réguler quelque chose de la jouissance,
16:19ce n'est pas tant ce père-là qui est critiqué
16:22que le père qui est dans l'abus de pouvoir,
16:25qui est dans l'exercice d'une domination,
16:27qui peut aller jusqu'à l'imposition d'une jouissance.
16:30Ca, ça me semble important à prendre en compte
16:33pour faire des distinctions par rapport à la question du père.
16:36On est là, au coeur du sujet,
16:39avec cette question du père.
16:42En ce qui concerne toutes ces évolutions sociétales,
16:46on laisse souvent entendre
16:49que tout ce qui arrive ici
16:51est le produit de l'exportation d'une américanisation
16:55qui va du wauquisme à un féminisme radical, etc.
16:59On laisse entendre qu'on finit par suivre les Etats-Unis.
17:04A votre avis, la nouvelle approche de Donald Trump,
17:08qui a fait savoir, et dans un discours politique officiel,
17:12au Congrès, etc.,
17:13que, pour lui, il y avait une détermination binaire,
17:17le père et la mère,
17:19est-ce que vous pensez
17:21que ça va s'exporter ailleurs dans le monde ?
17:27Je voudrais répondre sur ce qui vient d'être dit,
17:30qui me paraît particulièrement juste.
17:32Je veux insister et conforter ce qui vient d'être dit.
17:35A travers la remise en cause du patriarcat,
17:37ce n'est pas la figure du père qui est attaquée.
17:40C'est un exemple type, comme vous venez de le dire,
17:43c'est l'abus, c'est la surdomination,
17:46c'est une structuration sociale et sociétale
17:48qui nous pose problème.
17:50Mais c'est très intéressant comme illustration
17:53de comment un certain nombre des combats
17:55qui sont menés aujourd'hui par des activistes,
17:59qu'ils soient féministes ou autres,
18:01mais qui n'aspirent qu'à plus d'égalité,
18:04sont retournés contre eux.
18:06Comme les combats d'un certain nombre d'antiracistes
18:09sont retournés contre eux,
18:11on les appelle eux-mêmes des racistes
18:13parce qu'ils utiliseraient le terme de race, par exemple.
18:16Sauf qu'à un moment donné, il faut bien qualifier les choses
18:19pour pouvoir, si vous voulez, combattre
18:22ce qui ne va pas, les dysfonctionnements.
18:24Pour faire le lien avec ce qui se passe aux Etats-Unis,
18:27moi, je trouve ça fascinant que, depuis des années maintenant,
18:31on nous bassine, en effet,
18:33en utilisant ce terme de woke, wokisme,
18:36avec le fait que...
18:38Alors, on qualifie ça d'ultra-gauche, généralement.
18:42L'ultra-gauche wokiste voudrait, par exemple,
18:45faire de la cancellation, c'est-à-dire de l'annulation
18:48à tout bout de champ de tel ou tel personnage historique, etc.
18:51Et puis, quand Donald Trump, pour le coup,
18:54prend le pouvoir aux Etats-Unis,
18:56justement en ayant attaqué ceux qu'il qualifiait de wokistes,
18:59quelles sont ses premières mesures ?
19:01C'est de la cancellation, c'est de l'annulation.
19:04Lorsqu'il interdit des recherches à l'université
19:07ou dans les laboratoires de recherche,
19:09lorsqu'il fait sortir des livres des bibliothèques ou des écoles,
19:13est-ce que quelqu'un relève autant qu'il faudrait le relever
19:16que, parmi tous les livres qui ont été sortis des bibliothèques,
19:20y compris Anne Frank ?
19:21Vous voyez, il y a un moment, mais c'est absolument insupportable,
19:25la vraie annulation, elle nous vient de la droite extrême,
19:28elle nous vient, en l'occurrence, aujourd'hui, de Trump
19:31et de tous ceux qui sont ses affidés.
19:33L'accusation en wokisme,
19:35moi, je ne l'ai jamais beaucoup supportée dans l'absolu,
19:38parce que je trouve qu'être woke,
19:41ça veut dire être éveillé à un ensemble de dysfonctionnements,
19:44qu'ils soient sexistes, qu'ils soient racistes,
19:47qu'ils soient antisémites, qu'ils soient xénophobes,
19:50tout ce que vous voulez, c'est normal d'être éveillé
19:53à ces dysfonctionnements structurels et de les combattre.
19:56Je n'ai jamais beaucoup supporté cette accusation-là,
19:59mais je la supporte encore moins lorsque je vois
20:02ceux qui portaient cette accusation, une fois au pouvoir,
20:05leur premier réflexe, c'est, eux, de silencier,
20:08empêcher les gens de s'exprimer, de rechercher,
20:10et tout simplement, j'allais dire, d'exister à la fin des fins.
20:16Donc, voilà.
20:17Boris Cyrulnik, vous avez écouté différents points de vue.
20:21Vous, à travers vos études sur la famille,
20:25sur la fonction du père, la fonction de la mère,
20:28est-ce que ce qu'on appelle la déconstruction du patriarcat,
20:33c'est une chose continue
20:35dans notre histoire et dans notre civilisation
20:39ou est-ce qu'aujourd'hui,
20:41ça s'exprime d'une manière distincte et plus radicale ?
20:58...a été socialisante.
21:00Presque toutes les frontières sont le résultat de guerres.
21:04S'il y a une cartographie des religions,
21:06c'est parce qu'il y a eu des guerres de religions.
21:09Le patriarcat a été conçu dans une période d'adaptation
21:13à une extrême violence quotidienne et sociétale.
21:18Donc, aujourd'hui, on n'accepte plus ça,
21:22ce qui est un progrès immense.
21:24Le patriarcat a été légitimé
21:28au moment où les hommes avaient connaissé
21:30cinq ou six guerres au cours de leur existence.
21:34Encore aujourd'hui, il y a des peuples chasseurs-cueilleurs
21:38qui connaissent cinq ou six guerres
21:40dans les 50-60 ans d'existence.
21:43Par bonheur, nos progrès ont disqualifié ça.
21:46Et le mot père, la notion de père,
21:49dépend étonnamment de la culture.
21:52Le père napoléonien est né en 1804,
21:56à une époque où la France mettait l'Europe à feu et à sang.
22:01Le père était chef de famille,
22:02sauf qu'il n'était jamais dans sa famille.
22:05C'était des femmes qui n'étaient pas chefs de famille,
22:08qui faisaient tout dans la famille.
22:10Alors, ce patriarcat a été légitimé
22:13par la violence des hommes qui était sociale,
22:16qui était valorisée par la société,
22:18ce que j'ai personnellement connu,
22:20où on apprenait aux garçons à être violents.
22:23J'ai connu deux guerres, j'en ai subi une,
22:26et j'ai participé à l'autre.
22:28C'est-à-dire que la violence des hommes était privilégiée,
22:31enseignée obligatoirement par l'Etat.
22:34On appelait ça le service militaire,
22:36et avec un engagement.
22:38La notion de père, en Afrique,
22:40ou chez les Indiens d'Amérique,
22:43le père, c'est celui qui est désigné par la société
22:47pour s'occuper de l'enfant,
22:48en être responsable et s'y attacher affectivement.
22:53Or, en Occident, nous, on a cherché
22:56à fusionner les deux,
22:58et on cherche à penser que le père,
23:00c'est celui qui a fait l'enfant avec la femme.
23:04Bon, c'est notre culture qui a valorisé ça,
23:06mais c'était pour favoriser
23:10la transmission du capital,
23:11la transmission des biens et la transmission du non.
23:14C'est-à-dire, c'était pour faire du social.
23:16– Cher B.Sirulnik, si vous voulez bien,
23:18on va laisser maintenant cette fonction du père
23:21pour passer au genre, si vous voulez bien,
23:23avec Clotilde Le Guille.
23:25D'un point de vue sexuel et biologique,
23:27c'est évident, il y a un clivage homme-femme.
23:29Selon le genre, la palette est infiniment plus large.
23:32On peut être neutre, fluide, transgenre,
23:35agenre, etc.
23:36Clotilde Le Guille,
23:39est-ce que vous ne pensez pas que cette multiplication des genres,
23:42ça complexifie la rencontre, la relation,
23:46la possibilité de faire couple d'un point de vue amoureux,
23:50même famille, simplement le vivre ensemble,
23:53qui se trouve articulée maintenant de manière plus polymorphe,
23:57surtout avec les réseaux sociaux,
24:01et qu'on n'en est plus à cette intimité
24:06qui existait avec les rencontres concrètes ?
24:09– Alors, là aussi, il y a beaucoup d'éléments
24:12dans votre question, Emile Mallet,
24:14mais peut-être qu'effectivement,
24:16la question des conditions de la rencontre concrète,
24:20me touche plus particulièrement en tant que psychanalyste,
24:23puisque, en effet, les patients viennent parler
24:26de la difficulté, de l'angoisse, de l'inhibition
24:30qu'ils peuvent éprouver par rapport à la rencontre.
24:32Et c'est vrai que peut-être qu'on peut faire une première observation,
24:35qui est que la multiplication des rencontres ou des partenaires,
24:41les plateformes de rencontres
24:43qui promeuvent une certaine conception aussi de la rencontre,
24:48ne permettent pas nécessairement de résoudre l'angoisse
24:54qui surgit chez un sujet lorsqu'il a affaire à une vraie rencontre,
25:01c'est-à-dire véritablement à un événement dans son existence
25:06qui le renvoie à la fois à la vie sexuelle et à la vie amoureuse.
25:11Donc, moi, j'aurais à cœur de restituer à la rencontre
25:16sa dimension d'événement dans la vie d'un sujet
25:21et d'introduire, en fait,
25:25cette dimension du désir,
25:28depuis la psychanalyse,
25:30c'est-à-dire le désir qui renvoie toujours
25:32à une dimension inconsciente
25:35et qu'il n'est pas simplement un désir de jouir immédiatement,
25:41il n'est pas simplement une pulsion sexuelle.
25:44Peut-être qu'on est aussi dans un moment
25:46où on a besoin de faire cette distinction,
25:49en tout cas, elle m'aide dans la clinique,
25:51c'est une distinction que Lacan a proposée,
25:54entre la jouissance, la pulsion sexuelle,
25:56et le désir qu'il y a à avoir avec la rencontre,
26:01avec la rencontre du désir de l'autre
26:03qui nous confronte toujours à une énigme,
26:05parce qu'on ne sait pas très bien ce que l'autre attend de nous,
26:09ce qu'il veut de nous, comment on peut interpréter,
26:12les signes, au sein même de la rencontre,
26:17et donc, il me semble important, peut-être,
26:19de ne pas croire dans une résolution
26:22du malentendu amoureux par une codification
26:24de l'origine de la rencontre.
26:26Julien Damon, par rapport à ce qui est dit,
26:29est-ce que vous pensez
26:31que toutes ces évolutions sur le genre, etc.,
26:35est-ce que ça reste minoritaire ?
26:38Est-ce que ça imprime dans le tissu social ?
26:41Est-ce que les sociétés,
26:43dans leur majorité, font leurs, ces évolutions ?
26:49Et est-ce que ça bouleverse
26:52leur vie quotidienne,
26:54et notamment à travers ces rencontres
26:57dont on dit qu'elles sont majoritairement
26:59le fait de rencontres sur Internet,
27:02sur des réseaux sociaux ?
27:04Parce que vous voyez, Clotilde Le Guil,
27:06qui ne passe pas pour une réactionnaire,
27:08loin de là, nous dit la vraie rencontre.
27:13Est-ce que les gens sont à la recherche
27:16de cette vraie rencontre,
27:17où, finalement, ils se satisfont
27:19de ces rencontres multiples ?
27:21Ca doit dépendre des moments de leur existence.
27:23Il y a des moments où, plus jeune,
27:25on veut multiplier les expériences,
27:27et d'autres, on aspire à de la stabilité du projet.
27:30Je ferai plusieurs remarques,
27:32parce que c'est vrai, chère Emile,
27:34qu'à chaque question, il y a plein de fils.
27:37Plusieurs remarques.
27:38La première, sur les données,
27:42sans qu'elles soient parfaitement assurées,
27:44il se trouve que les nouveaux couples,
27:47les jeunes couples, les gens qui décident
27:49de partager un moment de leur existence ensemble,
27:52vivre plus de six mois ensemble,
27:54c'est majoritairement par Internet
27:56qu'ils se sont rencontrés.
27:57Aux Etats-Unis, vous avez 60 % des gens
28:01qui se sont mariés l'an dernier
28:03qui déclarent s'être rencontrés sur Internet.
28:06C'est les applications de rencontre,
28:08mais ils peuvent s'être rencontrés aussi
28:10par des tchats sur du téléachat ou ce que vous voudrez.
28:14Pour la France, les données ne sont pas forcément comparables,
28:17ce serait 40 %.
28:18Globalement, vous voyez que nous vivons là
28:21une transformation des modalités de rencontre
28:23qui est phénoménale.
28:25Il y a 30 ans, c'était 0 % sur Internet.
28:27J'exagère, peut-être.
28:28Il y a 40 ans, c'était 0 %.
28:30C'était, sinon, du côté de la paroisse, du travail,
28:33que l'on se rencontrait.
28:36Ca, c'est la rencontre.
28:38Deuxième chose, vous posez la question
28:40sur les genres, la fluidité de nos niveaux de rencontre,
28:43de nos expériences,
28:45qui peuvent être bien plus diverses qu'auparavant.
28:48Les gens plus âgés, comme moi, peut-être,
28:50peuvent estimer que tout ceci est surprenant.
28:53Je trouve que la jeunesse interrogée sur ces questions,
28:56dans des enquêtes d'opinion
28:58qu'Audy Né rencontre en famille,
29:00bah oui, elle a complètement incorporé
29:03le fait qu'on avait une vie sexuelle,
29:05une vie sentimentale qui n'avait pas forcément grand-chose
29:09avec celle de ses aînés.
29:10Ceci dit, il y a en la matière un typique effet d'âge,
29:15et il n'y a pas forcément là un effet de génération.
29:17Même si, et c'est ma troisième remarque,
29:20il y a un sujet, la technologie,
29:22pour revenir sur les affaires père-mère,
29:24pour les ramener au code civil, à Napoléon, au moins,
29:27ça compte beaucoup,
29:29et pour la transformation considérable que nous vivons,
29:32et faire quelque chose de pompeux, un petit adage en latin,
29:35c'est toujours chic,
29:36mater semper certae est,
29:38ça veut dire qu'on est toujours certains de la mère.
29:41Nous sommes toujours certains de la mère.
29:43C'est au fondement du code civil, du mariage.
29:45Pourquoi a-t-on institué le mariage ?
29:48C'est parce qu'on n'était pas certains du père.
29:50Qu'est-ce que le droit a organisé ?
29:52C'est le fait que l'enfant qui naissait d'une femme mariée
29:57avait un père.
29:58Quelles étaient les conditions de la conception de cet enfant ?
30:02Ce père, c'est le mari de la femme.
30:04Qu'est-ce qu'est le grand bouleversement contemporain
30:07lié à la technologie ?
30:08C'est que le père, maintenant,
30:10alors qu'on en était totalement incertain,
30:12sinon par le droit, on peut en être parfaitement certain.
30:15On prend un cheveu du bébé, un cheveu du papa,
30:18et à l'ADN, on a, à 99,99 %,
30:22la certitude de savoir s'il est vraiment le père.
30:24Symmétriquement, se posent des questions de genre,
30:27ou des questions plus largement d'évolution technologique,
30:30qui font qu'on n'est pas forcément certains de la mère.
30:33Le cas le plus sensible dans la discussion,
30:36c'est le cas de la GPA.
30:37Qui est la maman de l'enfant qui vient d'être mise au monde
30:40lorsqu'il y a eu une GPA ?
30:42En deux mots, là, nous avons une des métamorphoses
30:45les plus considérables des relations père-mère,
30:48des identités père-mère.
30:50Alors, Najat Vallaud-Belkacem,
30:52je voudrais vous poser une question
30:54qui a trait à votre casquette
30:56comme présidente France Terre d'asile.
30:58Toutes ces évolutions...
31:00-"Le lien avec la fuite d'idées".
31:02Je suis curieuse de vous entendre.
31:04Oui. Est-ce que toutes ces évolutions,
31:07comment elles sont perçues
31:09au niveau de populations défavorisées,
31:13un peu marginalisées,
31:15qui regardent un peu, si vous voulez,
31:18les lumières de la ville sans forcément y accéder ?
31:23Est-ce qu'elles utilisent beaucoup, également,
31:27les réseaux sociaux, etc.,
31:30ou elles sont plutôt attirées
31:33par le côté charnel de la vie ?
31:36C'est pas...
31:37C'est une bonne question.
31:38Oui.
31:40Bonne question.
31:42Pour m'être intéressée, au-delà de ma casquette France Terre d'asile,
31:46mais pour m'être intéressée à un sujet
31:48qui est crucial dans notre société,
31:50qui est celui de l'hyperconnexion numérique
31:53et notamment de ce que nous font les réseaux sociaux,
31:56et c'est pour ça que j'étais très intéressée
31:58par ce que vous disiez,
32:01et avoir constaté que, parmi toutes ces choses qu'ils nous font,
32:05y compris, vous disiez, des rencontres
32:07qui se font désormais sur Internet entre couples,
32:10mais il y a aussi des jeunes générations
32:13qui ont de moins en moins de relations sexuelles.
32:15Il y a plein de choses qui sont liées
32:17à cette hyperconnexion numérique et aux réseaux sociaux.
32:20Pour m'être intéressée à ce sujet-là,
32:23je peux vous dire que j'ai constaté
32:25que ce rapport exagéré à l'écran,
32:28le temps qu'on y passe,
32:30c'est une réalité qui traverse les frontières
32:32et qu'on retrouve dans toutes les sociétés.
32:35Je préférerais vous dire le contraire,
32:37parce que, d'une certaine façon, déjà que c'est triste
32:40de voir ce temps qu'on passe sur les écrans
32:42quand on appartient à des sociétés prospères comme la nôtre,
32:46c'est encore plus triste de voir des sociétés pauvres,
32:49des enfants pauvres, dans des continents très démunis,
32:54passer autant de temps à scroller sur les écrans.
32:57C'est la réalité.
32:58Ils passent énormément de temps à scroller sur les écrans.
33:01Et je le vois, y compris, par exemple,
33:04parmi les mineurs isolés, les mineurs non accompagnés
33:08qui nous viennent de pays en difficulté
33:11et qui arrivent parfois sur notre territoire.
33:13J'arrive tout de suite à faire la différence entre un mineur...
33:17Généralement, ces jeunes gens sont ceux qui m'impressionnent le plus,
33:21je dois le dire, à titre personnel.
33:23Ils sont d'un courage, ils sont d'un volontarisme,
33:25ils ont un objectif précis,
33:28et donc, du coup, ils sont prêts à travailler tout de suite.
33:31Les études, quand ils ont la chance d'y avoir accès,
33:34ils les font vraiment dans l'optique de réussir.
33:37Donc, c'est des gens vraiment assez exceptionnels.
33:40Eh bien, je vois que, contre certains d'entre eux,
33:43pour mille et une raisons, malheureusement,
33:46parce qu'ils n'ont pas été suffisamment accompagnés,
33:49et qu'ils se retrouvent simplement avec leur téléphone portable
33:52à scroller, comme ça, eh bien, finalement,
33:55ils vont complètement tomber dans une espèce de trou noir
33:59où il n'y a plus du tout cette énergie,
34:01cette volonté de se battre, etc.
34:04Et ce faisant, Emile, ce que je veux dire,
34:06c'est que c'est notre commune humanité,
34:09ça vaut pour nos enfants aussi.
34:10J'ai fait allusion à un livre qui a paru
34:14il y a quelques décennies,
34:16d'un écrivain qui a eu le prix Goncourt,
34:19qui s'appelle Tahar Ben Jelloun.
34:21Et l'un de ses premiers livres
34:23était sur la misère sexuelle des immigrés.
34:26La question, donc, il n'y avait pas dans ma question,
34:29c'était de savoir si les réseaux sociaux
34:32et si ces rencontres, si vous voulez, numérisées,
34:36viennent accroître, si vous voulez,
34:38parce qu'on apprend toujours,
34:40on apprend toujours des minorités,
34:43de ce qui participe pas aux mouvements d'ensemble.
34:46Voilà, c'était mon sentiment par rapport à cela.
34:50Alors, très franchement, je vois pas de différence
34:54particulièrement marquante à faire
34:56entre des personnes qui seraient d'origine immigrée
34:59et des personnes qui ne le seraient pas,
35:01des citoyens français.
35:03C'est plus une différence générationnelle,
35:05que je fais vraiment...
35:06Par exemple, pour vous donner un exemple très précis,
35:09vous savez qu'a été adopté, finalement,
35:12après moult péripéties,
35:15le programme dit EVARS,
35:16éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle,
35:19dans les établissements scolaires.
35:21Je dis moult péripéties,
35:23parce qu'il y a eu des réactionnaires
35:25pour combattre ce programme-là.
35:27Il y a 10 ans, quand j'étais en responsabilité,
35:30ils condamnaient un autre programme
35:32que j'avais mis en place, les ABCD de l'égalité.
35:34C'est toujours des gens qui considèrent
35:36que l'école ne devrait pas parler d'égalité fille-garçon
35:39ni de consentement ni de vie affective.
35:42Mais ce programme, désormais, est mis en place,
35:45et donc, récemment, j'en discutais
35:47avec une infirmière scolaire,
35:49et elle me redisait à quel point
35:53ce à quoi les jeunes générations sont confrontées
35:56sur les écrans en termes d'imaginaire et d'imagerie
35:59est extrêmement problématique,
36:00y compris dans leur construction
36:02de leurs rapports sexuels, etc.
36:04Elle me disait, par exemple,
36:07qu'elle avait eu, dans son bureau, récemment,
36:10un jeune homme qui venait la voir pour lui dire
36:13qu'il était embêté parce qu'il était en couple
36:16depuis quelques années, déjà,
36:18avec une femme, moi, ma compagne,
36:21on s'entend très bien, et tout ça,
36:24mais par contre, elle voudrait qu'on ait une relation sexuelle,
36:28et moi, je ne veux pas.
36:29Pourquoi vous ne voulez pas ?
36:31Parce qu'en fait,
36:33de ce que j'ai vu des relations sexuelles,
36:36son univers n'était constitué que de ces images pornographiques,
36:39c'est de la violence, c'est de la brutalité,
36:42je ne veux pas lui faire subir ça.
36:44C'était intéressant, on entend souvent la voix des filles,
36:47et on entend plus rarement la voix des garçons sur ces sujets-là,
36:51et voilà, en fait, on les fait grandir
36:55sur ces questions-là, dans des univers
36:57qui sont troubles, qui sont confus,
36:59et qui finissent par les éloigner
37:01complètement de ce rapport charnel que vous évoquiez tout à l'heure.
37:05Alors, écoutez, on va prolonger cette conversation
37:09en écoutant, en nous rendant à nouveau
37:11à l'Assemblée nationale,
37:13et cette fois, c'est pour écouter Gabriel Attal,
37:16il était ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse,
37:19c'était donc avant qu'il soit à Matignon,
37:22et il répond à une question de Sarah Legrain,
37:25députée de Paris, La France insoumise,
37:27et là, nous étions le 8 novembre 2023.
37:30-"L'éducation à la vie affective et sexuelle
37:33protège nos enfants.
37:34Elle les protège des violences et des cyberviolences en hausse,
37:38en parlant droit à l'intimité, respect du consentement,
37:41réciprocité, égalité,
37:42valeurs qui ne règnent pas toujours dans leur environnement
37:46ou sur leurs écrans.
37:47Elle les protège des grossesses non désirées,
37:49mais aussi des infections sexuellement transmissibles
37:52sur lesquelles l'information a régressé.
37:56Or, elle est menacée par votre inaction politique,
37:58par les agissements de l'extrême droite.
38:01Monsieur le ministre, de quoi avez-vous peur ?
38:03Comptez-vous faire respecter la loi ?
38:05Et que ferez-vous de ces 46 recommandations ?
38:08-"Quand près d'un garçon sur trois déclare,
38:11dans une récente enquête, penser qu'une femme peut aimer
38:14être forcée à une relation sexuelle,
38:16on voit qu'il y a un problème.
38:18Et quand, dans une enquête, on voit que plus de 40 % des garçons
38:21déclarent s'informer sur le sexe
38:25via des contenus pornographiques sur Internet,
38:28on voit qu'il y a un problème.
38:30C'est un problème de société qui dépasse l'éducation nationale.
38:33On y travaille avec Charlotte Cobell, Jean-Noël Barraud,
38:36Bérangère Couillard et d'autres,
38:38mais c'est un problème auquel l'éducation nationale
38:41doit contribuer à répondre.
38:43Et moi, je le dis, madame la députée,
38:45je pense que ce sujet-là doit être dépassionné politiquement.
38:50Alors, Najat Balo Belkacem,
38:52qu'est-ce qu'il faut à l'école ?
38:54Vous êtes favorable à ce débat sur la sexualité
38:58et comment l'orienter ?
39:01Non, mais moi, je suis évidemment favorable
39:04à un programme éducatif.
39:05Je pense que...
39:07En fait, il faut toujours partir du principe
39:10que l'école, pour les jeunes générations,
39:14est le seul endroit safe, en quelque sorte,
39:18complètement sain,
39:19dans lequel on puisse aborder un certain nombre de sujets.
39:23Alors, il faut former les enseignants
39:25ou les intervenants pour le faire,
39:27mais le fait est qu'un grand nombre d'enfants,
39:32on estime à deux enfants par classe en moyenne,
39:34subissent des violences intrafamiliales.
39:36Parmi ces violences, il y a des violences sexuelles.
39:39Je crois que c'était Boris Cyrulnik qui parlait de l'inceste,
39:43dont on parle de plus en plus.
39:44Donc, non, on ne peut pas simplement compter
39:47sur la cellule familiale pour éduquer,
39:49pour informer, pour sensibiliser les enfants
39:52sur tous ces sujets-là, et notamment le consentement.
39:55Et donc, oui, l'école a un rôle absolument majeur à jouer,
39:58et ça n'est pas, comme le disent les détracteurs
40:00de ce type de programme, inciter les enfants
40:04à pratiquer des activités sexuelles ou que sais-je.
40:07C'est simplement leur apprendre d'abord la dignité,
40:11le respect de soi-même, de son propre corps,
40:14le fait qu'il y a des choses qui ne se font pas.
40:16C'est des mécanismes de protection.
40:18C'est vraiment des mécanismes...
40:20-"Est-ce que l'éducation doit être genrée
40:23ou est-ce qu'elle part de quoi ?"
40:25Parce que les jeunes s'interrogent.
40:27Est-ce qu'on doit leur dire
40:30qu'il y a une éducation sexuelle différente selon les genres ?
40:34Non, je ne crois pas que ce soit d'ailleurs de ça
40:37qu'il est question.
40:38En revanche, ce qui est certain,
40:41c'est que l'intérêt d'avoir des écoles mixtes,
40:43comme nous l'avons en France,
40:45c'est que le message qui est passé, par exemple,
40:48sur le consentement, la dignité, le respect de son propre corps,
40:52la non-hierarchie entre les sexes,
40:54est passé en même temps aux filles et aux garçons.
40:57En fait, on ne s'en sortira jamais de cette affaire
41:00si on ne passe que le message aux filles de...
41:03Voyons, protégez-vous, ne dites pas oui à tout bout de champ,
41:07vous avez le droit de dire non jusqu'au bout.
41:09Il y a un moment où il faut aussi passer le message aux garçons
41:13de... Entendez ce qui vous est dit,
41:16ne dépassez pas telle ou telle limite, etc.
41:19Donc, il faut... Et encore une fois,
41:21il n'y a qu'à l'école qu'on a ce moyen de s'adresser
41:24à des groupes qui sont mixtes,
41:26qui sont de toute catégorie sociale,
41:28qui, pour certains, vivent dans des univers familiaux
41:31extrêmement confortables et protecteurs,
41:33et d'autres, malheureusement, ce n'est pas le cas.
41:36Je trouve que c'est un sujet d'intérêt fondamental
41:39et pour une fois, je suis d'accord
41:41avec ce qui a été dit par Gabriel Attal,
41:43qui ne devrait pas opposer les familles politiques.
41:46C'est de nos enfants qu'on parle.
41:48Boris Cyrulnik, de votre expérience comme enseignant,
41:51qu'est-ce que vous pensez de cette éducation sexuelle à l'école ?
41:57-"Pourtant, ça a toujours existé,
41:59c'est-à-dire qu'après chaque catastrophe,
42:02il y a une révolution anthropologique.
42:05Que la catastrophe soit une épidémie,
42:08une guerre, un tremblement de terre,
42:10il y a toujours une évolution de la société et des mœurs.
42:15Or, on est en plein dedans,
42:17on a eu la catastrophe du Covid,
42:19on a la catastrophe qui est en train de s'annoncer
42:22avec la réapparition des guerres proches de chez nous,
42:25donc on est en pleine catastrophe.
42:27Donc ça veut dire qu'il faut prévoir.
42:29Je pense que l'éducation sexuelle se fait constamment.
42:32Elle se fait dans la famille,
42:35parce que les enfants perçoivent,
42:38à condition qu'il y ait un père, une mère,
42:41des systèmes d'attachement avec plusieurs personnes
42:46dans la famille, l'appartement ou la maison,
42:50c'est le lieu où il y a le plus d'activités sexuelles,
42:54les parents, et le plus grand interdit de la sexualité,
42:58l'inceste, qui structure la société.
43:00Donc, de toute façon, on n'échappe pas au problème.
43:03A l'école, on peut en parler,
43:05mais on peut aussi en parler autour de l'école.
43:07Et autour de l'école, il y a les artistes.
43:11Au XIIe siècle, en Provence, il y a eu les troubadours,
43:15il y a eu les cours d'amour qui ont été faites
43:19parce que les femmes subissaient
43:21ce qu'elles appelaient la sexualité à la franque,
43:24c'est-à-dire brutale.
43:26Et elles se sont rassemblées
43:28pour dire comment elles voulaient être courtisées.
43:31Et c'est les artistes qui ont modifié la culture
43:35de l'Italie, de la France
43:37et de ce qu'on appellerait aujourd'hui l'Europe.
43:39C'est-à-dire que ça a été modifié en deux ans
43:42par les artistes, les troubadours,
43:44qui ont montré, et ça s'est répandu,
43:46et ça a été très efficace.
43:48Mais chaque fois que la culture change,
43:51les valeurs changent et les comportements changent.
43:53Dans une période de guerre,
43:55violer une femme, ça n'est pas grave.
43:58Les femmes allemandes, après l'effondrement du nazisme,
44:02il y a eu des viols immenses, en quantité immense,
44:05recommandés par l'armée russe, et personne n'a protesté.
44:09C'est-à-dire que ça faisait partie de la guerre.
44:11On tue les hommes, on viole les femmes, on pille.
44:14Pour aujourd'hui, comment vous voyez-vous
44:16cette éducation de la sexualité à l'école ?
44:21On est en plein aujourd'hui.
44:23Je viens de vous dire, c'est ce qu'on osa...
44:25Les artistes peuvent très bien enseigner,
44:28suggérer des débats sur la sexualité
44:31aujourd'hui, comme ça a toujours été fait,
44:33régulièrement, au cours de l'histoire humaine.
44:36C'est pas dans le passé, c'est aujourd'hui que ça se pose
44:39et qu'il y a une révolution des mœurs à faire dès aujourd'hui.
44:43Merci, Boris Sirionnik.
44:45On ne peut pas terminer cette émission sans évoquer...
44:48Il y a beaucoup de questions qui se posent
44:51et je ne voudrais pas éviter de poser deux questions,
44:54l'une sur l'intimité et l'autre sur le consentement.
44:56Je commencerai, Julien Damon, sur l'intimité avec vous.
45:01Parmi les revendications minoritaires,
45:05et notamment d'un féminisme qui soit, disons,
45:10très avancé, très éveillé, on le qualifiera comme on veut,
45:13il y a la politisation du privé, de l'intime.
45:17Tout comportement humain, à votre avis,
45:20doit-il être politisé et faire l'objet
45:24d'une normalisation sociale et politique ?
45:26Alors, parce que c'est un vrai sujet, aujourd'hui.
45:31On considère qu'il n'y a plus d'intimité
45:34avec les réseaux sociaux, le public et le privé,
45:38les interconnexions sont partout.
45:40Quelle est votre position sur cette question-là ?
45:43Il y a peut-être deux manières de répondre.
45:46Il y a une manière pour observer notre bête condition humaine
45:50et espérer que le politique s'éloigne
45:53de notre vie quotidienne au maximum,
45:56que, sans prévenance libérale trop prononcée,
45:59l'Etat ne s'immisce pas dans toutes nos activités,
46:03nos responsabilités, évidemment.
46:07Il y a également le fait que la diversité
46:11de nos relations consenties
46:15ne soit pas marquée du seau de l'infamie
46:17et contestée par le droit.
46:20Donc, je connais ce vocabulaire assez militant
46:23qui est de politiser l'intimité, tout est politique, etc.
46:27Je pense que tout ceci fait beaucoup de blabla.
46:30Et l'essentiel, c'est de protéger l'intimité, certes,
46:36mais que le droit protège également
46:41la liberté des uns et des autres.
46:43Je voudrais dire un petit mot sur les affaires des artistes.
46:46Les troubadours, c'est bien, mais le rap peut être critiqué.
46:49Très bien. Alors, écoutez, Clotilde Le Guilbeault,
46:52les questions sont liées,
46:54mais vous avez écrit un livre sur le consentement.
46:57Aujourd'hui, la notion de consentement
47:00fait l'objet, disons, de consensus,
47:03même si dans la pratique,
47:05le viol et le harcèlement sont toujours présents.
47:08Est-ce que vous pensez que le consentement
47:11doit régir l'ensemble des relations sociales,
47:15sexuelles, éducatives, politiques ?
47:18C'est-à-dire qu'à chaque fois,
47:20le consentement doit faire l'objet
47:22d'un contrat quasiment écrit.
47:24Et à certains niveaux,
47:29est-ce qu'on peut le mettre sous le tapis
47:32quand la relation amoureuse est sincère et durable ?
47:36Alors, moi, je distingue radicalement
47:39le régime du consentement de celui du contrat.
47:43Il me semble que l'expérience du consentement,
47:46en tout cas en matière amoureuse et sexuelle,
47:49ne peut pas être réduite à celle d'un contrat.
47:52Qu'elle repose sur la rencontre,
47:55sur l'émergence d'un désir
47:58et donc, avant tout, sur la confiance.
48:00Ce que je voudrais vous dire,
48:02puisqu'on a abordé l'éducation,
48:04c'est que depuis que mon livre est sorti en 2021,
48:07Cédé n'est pas consentir.
48:08J'ai été sollicité par un certain nombre de professeurs
48:11du secondaire pour faire des interventions
48:14dans les lycées, notamment,
48:16auprès de toutes les classes de terminale
48:18sur la question du consentement.
48:20J'ai été très frappée de voir à quel point
48:23cette question n'est pas genrée.
48:25Les garçons avaient énormément d'intérêt
48:27pour cette question de questionnement,
48:30justement, sur comment est-ce qu'on peut être sûr
48:32d'un consentement, comment peut-on savoir,
48:35comment peut-on l'interpréter ?
48:37Il est vrai que, dans mon approche de consentement
48:40depuis la psychanalyse, il y a différentes approches.
48:43Ce que j'ai proposé, c'est un éclairage
48:45depuis la psychanalyse. J'essaie de montrer
48:48qu'il y a une forme d'énigme dans le consentement
48:51et qu'il ne faut pas réduire cette énigme,
48:53que le consentement en matière amoureuse et sexuelle
48:56n'est pas un consentement libre et éclairé,
48:59mais un consentement désiré qui renvoie aussi le sujet
49:02à une forme de prise de risque.
49:04Pour autant, il me semble très important,
49:07d'un point de vue éthique et clinique aussi,
49:09de faire une distinction entre toute cette énigme
49:13du consentement, son ambiguïté éventuelle,
49:16et le registre des abus, le registre des violations,
49:20qui la relève d'un forçage du consentement
49:23qui n'est plus de l'enigme, des chamailleries,
49:26des malentendus amoureux.
49:27Je pense que cette distinction, elle peut aussi apporter...
49:31Je ne veux pas résumer votre pensée,
49:33mais vous dites qu'il ne faut pas réduire le consentement
49:36à un contrat et lui laisser sa part énigmatique.
49:39Voilà.
49:41Alors, Boris Zirulnik,
49:42sur cette question d'intimité et de consentement,
49:46quel est votre point de vue ?
49:48Essayez d'être le plus concis possible,
49:51puisque l'émission approche de sa fin.
49:56-"Pendant très longtemps, les femmes ont été données."
50:00C'est-à-dire que, c'est la phrase de Lévi-Strauss,
50:02on ne leur demandait pas, on n'interdonnait pas
50:05le consentement.
50:06Depuis que les femmes deviennent des personnes,
50:09c'est-à-dire depuis quelques générations seulement,
50:12on est obligatoirement dans le consentement.
50:15Je pense qu'il y a un consentement préverbal.
50:19Quand un couple fonctionne bien,
50:20quand un couple est bien attaché,
50:22les deux savent très bien,
50:24il y a des signes préverbaux qui font partie de la vie des couples
50:28et le consentement est accordé ou refusé
50:32avec des rituels de couple qui passent très bien.
50:37Et ça permet d'éviter le contrat.
50:39Le contrat, c'est ce qui se passe aux Etats-Unis actuellement.
50:43Les garçons demandent où ils peuvent poser la main,
50:46ce qu'ils peuvent embrasser, ce qui dépoétise méchamment.
50:49Je pense que c'est par l'attachement
50:52que se passe le consentement.
50:53-"Merci."
50:54Najat Vallaud-Belkacem, puisqu'on termine l'émission là-dessus,
50:58comment vous reliez intimité, consentement et politique ?
51:02Parce que...
51:03Comment vous voyez cette trinité...
51:07En fait, je comprends que vous la posiez, cette question,
51:11parce que c'est sans doute la plus difficile, en réalité,
51:14dans le sens où...
51:17J'ai souvent remarqué, comme femme politique,
51:20comme responsable politique, que dès que les pouvoirs publics
51:23cherchent à agir sur quelque chose qui relève du domestique,
51:27du foyer, de l'intimité, c'est très mal vécu
51:29par un certain nombre de gens qui disent
51:31pourquoi vous vous immiscez dans mon organisation familiale.
51:35J'en ai fait l'expérience quand j'ai voulu,
51:37et je l'ai fait, réformer le congé parental
51:39pour qu'il soit mieux partagé entre les femmes et les hommes,
51:43parce que c'était utile pour faire des hommes des pères,
51:46mais aussi pour permettre aux femmes d'être autre chose
51:49que des mères et d'être dans la vie active
51:51et sur le marché du travail sans être lésées.
51:54J'ai bien vu à ce moment-là que j'avais des résistances,
51:57notamment sur le mode, mais c'est notre organisation,
52:00si ça nous va comme ça, etc.
52:02Donc, je conçois qu'il faut que les pouvoirs publics
52:05fassent attention à ne pas donner l'impression
52:07de cette ingérence dans l'intimité.
52:09Ca ne veut pas dire qu'il faut y renoncer,
52:12parce que parfois, comme le disaient les féministes
52:15des années 70, le privé est politique
52:17en matière d'égalité femmes-hommes.
52:19Les inégalités que l'on constate dans le champ de la vie sociale,
52:22sur le marché du travail, trouvent leur racine
52:25dans ce qui se passe dans le champ domestique,
52:28dans le foyer, dans la répartition des responsabilités
52:31des enfants, etc. Donc, le privé est politique.
52:33Si on veut avancer sur l'égalité femmes-hommes,
52:36et il faut le faire, car il n'y a que depuis quelques générations
52:40que les femmes sont des personnes, c'était très juste comme formule,
52:43donc, en réalité, on a encore beaucoup de travail à faire
52:46pour avancer sur ce champ-là, on doit aller chercher
52:49ce qui se passe dans le privé.
52:51Mais, là où je vous dis que c'est une question intéressante,
52:54il faut le faire avec doigté.
52:56Pour que les pouvoirs publics puissent le faire avec doigté,
52:59il faut qu'il y ait une bataille culturelle qui se mène,
53:02il faut que, dans le cinéma, dans l'éducation, etc.,
53:05il y ait d'autres modèles alternatifs désirables
53:08qui émergent et qui fassent que les gens aient envie, eux aussi,
53:12d'adhérer, en effet, à un couple où on se répartit mieux
53:16les responsabilités domestiques et familiales, etc.,
53:19et pas que ce soit une norme venue de l'Etat.
53:21Voilà ce que je veux dire, et c'est ainsi, il me semble,
53:24si on fait ce travail-là collectif avec différents émetteurs
53:28et acteurs, qu'on évitera de tomber dans un autre extrême
53:33qui est prôné par certains, qui est la transparence absolue
53:36de ce qui se passe dans le foyer. Je ne suis pas pour cette transparence
53:40et cette fin de l'intimité, que je trouve dangereuse aussi.
53:43Voilà.
53:44Merci. Alors, écoutez, si vous voulez bien,
53:47on va rester là-dessus.
53:48Ce doigté d'un côté, cet énigme de l'autre,
53:52comme quoi les relations entre hommes et femmes,
53:56masculins et féminins, doivent garder cette partie,
54:00cette intimité à préserver.
54:02Il ne nous reste peu de temps, mais quand même,
54:05de quoi vous présenter une brève bibliographie sur le sujet.
54:08Alors, Claude Habib a publié un livre qui s'appelle
54:12Le privé n'est pas politique,
54:14chez Gallimard.
54:16C'est la question que nous avons abordée.
54:19Julien Damon, vous vous intéressez depuis longtemps
54:23à ces questions, et vous avez publié
54:26les politiques familiales, chez que sais-je,
54:29en un mot. Vous pensez qu'on évolue
54:31dans ce domaine où, finalement,
54:33les archétypes empêchent que ça bouge ?
54:38On évolue, on évolue beaucoup,
54:40on évolue insuffisamment.
54:42Je laisse la conclusion à Elisabeth Badinter.
54:44Messieurs, encore un effort.
54:46Très bien. Clotilde Leguil,
54:48alors, c'est des n'est pas consentir.
54:50Vous gardez ce point de vue
54:55en y ajoutant cet énigme dont vous avez parlé.
54:58-"C'est des n'est pas consentir",
55:00c'est une phrase que j'ai interprétée
55:02pour défendre la beauté du consentement amoureux
55:05et pour faire bien la distinction
55:07entre la beauté du consentement, la mauvaise rencontre et l'abus.
55:11Alors, Najat Vallaud-Belkacem,
55:13vous avez publié, avec François Dubé,
55:16le ghetto scolaire au seuil,
55:18et chez Gallimard, la société des vulnérables,
55:22leçon féministe d'une crise,
55:25vous apprenez tous les jours
55:27ces leçons féministes.
55:29On sait que...
55:30Je trouve ça très intéressant comment,
55:32au moment du Covid et du confinement,
55:34tous les progrès qu'on avait cru acquis
55:36pour l'égalité entre les femmes et les hommes
55:39étaient tombés d'un seul coup.
55:41D'abord, on ne voyait plus les femmes dans le champ public,
55:44autour des conseils de défense réunis par le président de la République,
55:48dans les médias ou dans les analyses.
55:50Et puis, s'agissant du foyer, du domestique,
55:52très vite, la répartition sexuée des rôles s'est refaite
55:56avec des femmes qui se sont retrouvées
55:58à gérer tout ce qui relevait de la garde des enfants,
56:01de la gestion des enfants, etc.,
56:03pendant que les hommes étaient bien plus tranquilles
56:06pour faire leur télétravail.
56:08On s'est dit, mais en réalité, ces progrès sont tellement fragiles,
56:12comme le disait Simone de Beauvoir,
56:14il suffit d'une crise pour qu'ils s'effondrent.
56:16Alors, Boris Cyrulnik, vous allez vous publier
56:20quand on tombe amoureux, on se relève attaché.
56:24Voilà. Donc, c'est ce lien
56:26entre la liaison amoureuse et l'attachement.
56:30On en a parlé, mais dites-nous
56:32votre point de vue sur ces deux notions.
56:37Alors, en deux mots, c'est de l'amour
56:40et le réveil d'une empreinte,
56:43comme, généralement, c'est l'empreinte maternelle,
56:46alors que l'attachement se tisse au quotidien.
56:49On tombe amoureux, on ne tombe pas attaché,
56:52on le tisse au quotidien,
56:53et c'est là qu'on peut se mettre en place l'accord
56:57et peut-être l'égalité entre les hommes et les femmes.
57:00Merci, cher Boris Cyrulnik.
57:03Merci, mesdames,
57:06merci, messieurs, d'avoir participé à cette conversation,
57:11à la fois savante, mais quand même aussi évoquant
57:14les questions que se posent les gens aujourd'hui
57:18et qui sont de véritables préoccupations.
57:20Merci à l'équipe de LCP
57:22d'avoir permis la réalisation de cette émission.

Recommandations