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Crise des urgences : les patients attendent toujours plus longtemps aux urgences, 1 heure et 10 minutes de plus en 10 ans. Regardez le sentiment de Pierre Schwob, infirmier aux urgences de nuit de l'hôpital Beaujon, à Clichy.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 20 mars 2025.

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Transcription
00:00RTL Matin, avec Amandine Bégaud et Thomas Soto.
00:05Il est 8h16, interview d'Amandine Bégaud au cœur de l'actualité et au cœur des urgences ce matin.
00:09Urgences latentes explosent, titre par exemple le Midi Libre,
00:12parce qu'elles sont à l'image de l'ensemble de l'hôpital, de plus en plus malades, de leur manque de moyens.
00:16Parce qu'il faut entendre comment ça se passe sur le terrain,
00:18vous avez choisi de recevoir un infirmier urgentiste, Amandine.
00:21Il s'appelle Pierre Schwob, il travaille à l'hôpital Beaujolais à Clichy.
00:25Il est aussi le président du collectif Interurgences.
00:27Bonjour et bienvenue à vous.
00:28Bonjour et merci d'être là, d'autant que vous arrivez directement des urgences où vous avez travaillé cette nuit.
00:34Comment s'est passée la nuit ?
00:36Bonjour, merci de m'avoir invité sur votre radio.
00:38La nuit a été plutôt bien, il y a eu du travail, mais il y a eu pire en fait.
00:43C'est quoi une nuit plutôt bien ? Racontez-nous, ça commence à quelle heure, combien de patients ?
00:48Alors après ça dépend des services d'urgence, mais chez nous les infirmiers en tout cas travaillent en 12h.
00:52On commence à 19h, on finit à 7h du matin.
00:55Et après voilà, c'est l'habitude des urgences, donc on ne peut pas prédire ce qui va se passer.
01:00Mais cette nuit par exemple, quand vous me dites plutôt bien, on a eu pire.
01:04Racontez-nous pour ceux qui ne connaissent pas.
01:07C'est-à-dire que c'est en termes de flux d'arrivée, de typologie des patients.
01:11On va dire que ce soir, on n'avait pas un énorme flux et puis les patients étaient plutôt assez stables.
01:18Donc ça s'est plutôt bien passé.
01:20Et les nuits où ça se passe ?
01:21Le temps d'attente moyen était plutôt d'environ deux heures avant de voir le médecin.
01:24Donc c'est plutôt un délai qui est assez court comparé aux études qui sont sorties par le ministère.
01:29Effectivement, les chiffres qui ont été publiés hier par le ministère de la Santé,
01:35c'est ce temps de passage aux urgences qui augmente de plus d'une heure en dix ans.
01:40On est passé de quatre heures à plus de cinq heures aujourd'hui.
01:42Il ne s'agit là que d'une moyenne, sans compter bien sûr le temps d'attente.
01:46Ce chiffre-là ne le prend pas en compte.
01:48Quand vous dites on a connu bien pire, c'est quoi une nuit ?
01:53Ah ben si vous voulez, il n'y a pas si longtemps, il y avait des épisodes de grippe.
01:56Donc là, on a connu bien pire avec des temps d'attente qui pouvaient dépasser les six heures pour voir un médecin.
02:01Donc effectivement, il y avait une quantité de patients dans les urgences qui faisait que c'était difficile de fonctionner.
02:07Ça, après, c'est des épisodes saisonniers.
02:11Donc ça, on connaît, on sait que tous les ans, ça va nous arriver dessus
02:15et que tous les ans, ça va être très compliqué à gérer.
02:18La problématique en parallèle des urgences, c'est-à-dire que ce n'est pas une problématique des urgences.
02:22Les urgences, c'est juste le symptôme d'un système de santé qui est un petit peu à la dérive.
02:26C'est à la fois la vitrine sur la médecine de l'extérieur, donc de la ville, donc de l'accès aux médecins
02:31qui est de plus en plus difficile pour une partie de la population
02:34et à la fois la difficulté d'hospitaliser nos patients au sein de l'hôpital avec les fermetures de lits de ces dernières années.
02:39Et donc ça, ça s'aggrave et donc la situation s'aggrave d'année en année.
02:44Et effectivement, ça a des conséquences plutôt néfastes sur certains patients.
02:47Ça fait 12 ans que vous travaillez aux urgences de l'hôpital Beaujolais.
02:50C'est vraiment pire aujourd'hui qu'il y a 12 ans ?
02:52Ah oui, ça n'a rien à voir.
02:53Mais c'est-à-dire ? Racontez-nous, parce que vous êtes certes président du collectif intérieur urgences
02:59et c'est important bien sûr de porter les revendications et on va y revenir.
03:03Mais vous êtes aussi infirmier, vous avez les mains dedans, si j'ose dire, tous les jours.
03:07Oui, non, ça n'a rien à voir.
03:08Enfin, le nombre de patients a été multiplié par deux, on va dire, sur le nombre de passages annuels.
03:15Donc entre quand je suis arrivé et maintenant, le nombre de lits a diminué.
03:20Je ne peux même pas vous donner un chiffre, mais on a plus de 200 lits supprimés sur mon hôpital depuis les 12 dernières années.
03:25Donc effectivement, les conséquences, elles sont très néfastes et on les voit aujourd'hui aux urgences.
03:30Moi, quand j'ai commencé, par exemple, vous aviez un taux d'occupation de ce qu'on appelle
03:33les unités d'hospitalisation de courte durée, qui sont des lits,
03:36qui sont un petit peu l'aval des services d'urgence et qui dépendent des services d'urgence.
03:40On avait un taux d'occupation qui était à 80% quand j'ai commencé.
03:43Aujourd'hui, il est à plus de 200%.
03:46Donc les 200%, ça veut dire qu'il y a une partie de la population qui ne va pas dans ces lits-là,
03:51mais qui reste sur le flux des urgences, ce qu'on appelle plus communément des hospitalisations brancardes.
03:56Donc sur des brancardes, dans des couloirs.
03:58C'est tout à fait ça, donc on a vu, moi j'ai vu l'augmentation effectivement des personnes,
04:03majoritairement d'ailleurs des personnes âgées, puisque c'est les premières victimes de notre système aujourd'hui.
04:07C'est les personnes âgées et c'est elles qui en payent le prix le plus lourd,
04:11parce qu'on sait, avec les dernières études qui sont parues,
04:14qu'une personne âgée qui reste plus de 4h sur un bancar, ça a des conséquences,
04:17notamment sur son risque de mortalité, son risque de morbidité,
04:21et sur la durée moyenne de séjour derrière, en milieu hospitalier.
04:24Donc les patients aujourd'hui sont parfois en danger aux urgences ?
04:30Aux urgences !
04:31Pas pour de votre faute, mais...
04:32Indirectement, c'est ce qu'on a appelé pendant très longtemps la maltraitance institutionnelle.
04:37Ça reste une maltraitance, et comme toute maltraitance, ça a des conséquences sur les patients, effectivement.
04:42Et en majorité, ces patients-là, ce sont des patients âgés.
04:46Mais il n'y a pas qu'eux, les patients psychiatriques aussi sont aujourd'hui victimes du manque de solutions d'hospitalisation en milieu psychiatrique,
04:54ce qui fait qu'on peut se retrouver avec des patients qui restent plus de 24h, 48h avec des contentions,
05:00ce qui pose quand même certaines problématiques.
05:02Oui, tout à fait.
05:04Donc ça pose quand même certains problèmes moraux, tout simplement.
05:09On a tous, Pierre-Chloé, régulièrement des témoignages, et ici on en parle aussi, de personnes âgées notamment,
05:15qui sont restées des heures et des heures dans des couloirs aux urgences, 8h, 9h, 10h, 14h parfois.
05:22Quand vous voyez ça, puisque ça vous le voyez avec vos yeux,
05:27ça vous met quoi ? En colère ? Vous avez honte ?
05:31Même si ce n'est pas vous le responsable directement ?
05:33Oui, effectivement, moi je suis assez en colère, parce que ça fait 12 ans que je suis là, donc j'ai vu le système un peu se dégrader.
05:42Je suis un peu plus inquiet maintenant sur les professionnels,
05:45puisqu'on a une perte d'anciens, notamment au sein des services de relance, où il y a un énorme turnover,
05:51et j'ai peur que ce qui se passe actuellement devienne en fait une habitude,
05:55et tout simplement un système normal pour certains.
05:58C'est-à-dire que ceux qui arrivent, qui débutent aux urgences aujourd'hui, ne restent plus ?
06:02Alors, au niveau des urgences, vous avez toujours eu un très très gros turnover.
06:05Les chiffres de l'adresse, je crois, pour l'année 2024, c'est à peu près un infirmier sur deux hospitalier
06:09a quitté sa fonction hospitalière ou a changé de métier dans les 10 ans.
06:14C'est les chiffres. C'est un sur deux sur les infirmiers hospitaliers.
06:18Mais c'est quoi le problème d'après vous ? C'est un manque de personnel, un manque de moyens ?
06:21Je regardais les chiffres, et c'est François Langlais ici sur RTL qui nous les rappelait il y a quelques mois,
06:26il y a plus de 40 milliards d'euros supplémentaires qui ont été débloqués pour l'hôpital public en plus du budget.
06:3240 milliards d'euros, c'est trois fois le budget de la justice, c'est colossal.
06:36Il y a eu les augmentations de salaires qui étaient nécessaires et qui, bien sûr, ne sont pas suffisantes.
06:40Mais les augmentations de salaires, c'est 7-8 milliards d'euros par an.
06:44Il est passé où le reste de l'argent ?
06:46Alors après, il faut comprendre, dans un hôpital, 70% des dépenses d'un hôpital, c'est les salaires.
06:52Quand on fait effectivement les augmentations de salaires, notamment via le Ségur avec les 180 euros par mois,
06:57ces dépenses-là, elles ne sont pas compensées par l'État.
06:59Ce qui fait qu'aujourd'hui, vous avez des hôpitaux qui sont endettés
07:01et qui ne s'endettent pas auprès de marchés financiers comme la France pourrait le faire.
07:05Elles s'endettent auprès de banques comme moi je pourrais le faire.
07:08Donc les 40 milliards, ça a servi à rembourser l'endettement des hôpitaux, c'est tout ?
07:11Vous avez des taux d'intérêt qui sont assez extraordinaires.
07:14Il y a certains hôpitaux qui sont presque au bord de la faillite, on va dire.
07:18Donc effectivement, pour faire des économies, ce n'est pas très compliqué.
07:22Il y a deux solutions, soit on ferme des lits, soit on ferme l'hosto.
07:26Mais à l'heure actuelle, on est sur une volonté de fermer des lits.
07:30Alors, on nous explique qu'on ferme des lits pour deux situations,
07:34parce qu'il n'y a plus de personnel et parce qu'on fait le virage ambulatoire.
07:38Pour le virage ambulatoire, pour vous donner un ordre d'idée,
07:42en 2023, on a fermé à peu près 6800 lits d'hospitalisation complète.
07:46Les hospitalisations complètes, c'est des lits qui sont ouverts 24h sur 24, 7 jours sur 7,
07:50qui marchent le jour, la nuit, enfin c'est des services classiques.
07:53En 2024, on en a fermé à peu près 4900.
07:57En parallèle, en 2024, on a ouvert à peu près un peu moins de 3500 lits ambulatoires.
08:02Les lits ambulatoires, c'est des lits qui sont ouverts par exemple de 8h à 20h,
08:05qui ne prennent pas en charge ce qu'on appellerait la vale des urgences,
08:08ou en tout cas une partie de la population.
08:10On fait ça principalement pour des raisons financières,
08:13parce que ça rapporte beaucoup plus.
08:14On est dans un modèle de tarification à l'activité, il faut faire de l'acte.
08:17Le problème, c'est qu'une grande partie de la population déjà
08:20ne correspond pas vraiment au modèle ambulatoire,
08:22notamment les personnes âgées, les personnes polypathologiques,
08:25comme on a pu le voir pendant le Covid, et qui sont un certain nombre.
08:29Le problème de ça, c'est que l'ambulatoire, ce n'est pas un crime,
08:32c'est une très belle avancée, ça permet de diminuer les risques,
08:35mais ça ne les supprime pas.
08:36Et le problème, c'est qu'on a joué sur l'ambulatoire
08:38au détriment de l'hospitalisation conventionnelle.
08:40Et tout ça se retrouve aujourd'hui au niveau des urgences.
08:43Vous voyez continuer comme ça combien de temps ?
08:46De toute façon, l'hôpital Beaujolais et l'hôpital Bichat
08:50sont censés fusionner dans un futur hôpital,
08:53une sorte d'usine de soins dans le Nord-Saint-Ouent en 2030.
08:58Je ne suis pas sûr d'y aller là-bas.
09:00Vous avez quel âge ?
09:01Moi, j'ai 35 ans.
09:0235 ans, et vous dites, si ça se trouve, dans 10 ans...
09:06Je ne suis pas sûr, mais en tout cas,
09:08au vu de la direction qui est prise actuellement
09:11et des choix qui sont pris d'un point de vue du gouvernement,
09:13de toute façon, je pense que je ne ferai pas une carrière complète.
09:16Et de toute façon, c'est à peu près le discours
09:18qui est tenu aujourd'hui par le directeur général de l'APHP.
09:21Aujourd'hui, le directeur de l'APHP, il nous dit
09:24qu'un professionnel ne fait pas sa carrière complète à l'hôpital.
09:27Résultat, aujourd'hui, vous avez effectivement...
09:30On a axé, on va dire, l'attractivité du métier,
09:33mais absolument pas la fidélisation.
09:35On n'a absolument pas parlé des conditions de travail
09:37qui sont de pire en pire, on va dire, dans les hôpitaux,
09:39et ce qui fait que les gens, effectivement, restent très peu de temps.
09:42Et aujourd'hui, tout ça, c'est d'un point de vue économique.
09:45Un fonctionnaire en début de carrière coûte moins cher
09:48qu'un fonctionnaire en fin de carrière.
09:49Donc, si un fonctionnaire ne reste que 10 ans à l'hôpital,
09:51il coûtera beaucoup moins cher qu'un quelqu'un
09:53qui a 15, 20 ans d'expérience.
09:54Merci beaucoup, Pierre Chouabdet.

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