A l'occasion de la publication de son nouveau roman, "Où vont les larmes quand elles sèchent ?", le médecin généraliste Baptiste Beaulieu est passé dans le studio de France Bleu Occitanie pour parler du mal-être des professionnels de santé et de l'état des urgences, notamment à Toulouse.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 C'est le 6/9 France Bleu Occitanie.
00:02 Nous sommes le jeudi 5 octobre, 8h15 ce matin sur France Bleu et France 3 Occitanie.
00:07 On reçoit le médecin toulousain, star des réseaux sociaux, Baptiste Bollieu, qui sort
00:10 un nouveau roman "Où vont les larmes quand elles sèchent ?" C'est aux éditions des
00:14 Iconoclasts.
00:15 Il est avec nous pour en parler ce matin.
00:16 Bonjour Baptiste Bollieu, merci d'être avec nous ce matin.
00:20 Je rappelle, vous êtes médecin généraliste, romancier, chroniqueur chez nos confrères
00:24 d'Inter, papa depuis peu.
00:26 Petite question toute simple, vous faites comment pour arriver à faire tout ça ?
00:30 J'ai pas la télé, ça aide beaucoup, ça libère du temps.
00:33 Vous avez le téléphone quand même.
00:34 J'ai le téléphone quand même.
00:36 Vous arrivez à recevoir encore des patients à Toulouse parce que vous avez un cabinet
00:39 à Toulouse si je me trompe pas ? Oui tout à fait, mais moi malheureusement
00:41 je fais partie de ces médecins qui ne peuvent plus accepter de nouveaux patients et ça
00:45 me déchire le cœur à chaque fois qu'on m'appelle de devoir répondre "je suis
00:49 désolé on ne prend plus de nouveaux patients".
00:50 Malheureusement c'est la seule méthode qu'on a trouvée pour pouvoir permettre à nos patients
00:54 qui viennent déjà nous voir d'avoir bénéficié des soins de qualité, d'un temps d'écoute
00:59 suffisant, ce qui est de plus en plus problématique de nos jours.
01:04 Vous savez le temps de consultation disponible dans les années 90 il était de 15 minutes
01:07 à 20 minutes, aujourd'hui il est estimé à 6 minutes le temps de consultation.
01:12 Si on ne va pas bien on ne peut pas dire beaucoup de choses en 6 minutes.
01:15 Non, on va revenir dessus, on va peut-être d'abord parler un tout petit peu de votre
01:18 roman, d'ailleurs vous faites comment pour allier écriture et en même temps vos consultations,
01:23 vous vous dédiez des jours ?
01:24 Oui tout à fait, je travaille le mardi, le jeudi, le vendredi, le reste du temps je m'occupe
01:29 de mon bébé où j'écris à la librairie Ombre Blanche, c'est mon petit coin d'un
01:33 café, c'est mon lieu d'écriture favori.
01:37 Et donc dans ce roman que je montre là, juste devant à la caméra, on suit l'histoire
01:42 de Jean, médecin de famille dans une ville du sud-ouest qui n'arrive pas à pleurer,
01:45 plus à pleurer plutôt, depuis cette nuit où un enfant épileptique est mort parce
01:49 que sa maman a inversé l'adresse et les secours n'ont pas pu arriver assez vite,
01:54 c'est écrit à la première personne, au fil des pages avec les indices on comprend
01:57 que ça se passe à Toulouse.
01:58 Est-ce que c'est l'un de vos romans, vous pourriez dire, les plus personnels peut-être ?
02:02 Tout à fait, parce que c'est même pas vous qui parle.
02:06 Si, si, tout à fait, j'avais envie de parler de mon métier, de rendre hommage à mon métier,
02:09 de rendre hommage aux médecins, aux soignants en général, aux infirmiers et infirmières
02:12 et pour permettre aux lecteurs et lectrices de mieux nous connaître, mieux connaître
02:15 ce que c'est que notre quotidien, ce que c'est concrètement d'accueillir la plainte.
02:19 Et ça c'est un travail à part entière, d'accueillir la plainte des gens, d'être
02:22 à un bureau et d'écouter toute la journée, voir défiler des visages et puis essayer
02:27 d'être présent à ces visages.
02:28 J'avais envie que le lecteur lisse ça comme s'il était au théâtre et que j'étais
02:32 devant lui sur une chaise et que je lui disais "voilà, j'arrive plus à pleurer, je vais
02:35 te parler de mon métier pendant 250 pages et peut-être qu'à la fin j'arriverai enfin
02:39 à lâcher une larme".
02:40 Oui, parce que c'est un jeune médecin, Jean, qui quitte la brutalité des urgences
02:44 alors qu'il est interne.
02:47 Il s'installe dans un cabinet d'une ville pensant y trouver là peut-être un peu plus
02:50 d'humanité.
02:51 Bon, la réalité le rattrape un peu, les violences intrafamiliales, fin des sujets de
02:54 tous les jours.
02:55 Moi quand je vous lis, je me dis les médecins souffrent peut-être tout autant que les patients.
03:00 Pendant vos études de médecine, vous avez trouvé que ça manquait dans la formation,
03:04 d'être préparé à ça ?
03:05 On n'est pas très très, comment dire, protégé de tout ça.
03:09 Il faut être sur le pont et puis on vit dans un modèle productiviste qui touche aussi
03:13 l'hôpital.
03:14 On doit être là, être vaillant.
03:15 C'est difficile aussi de confier parfois ces doutes ou ces angoisses parce qu'on a
03:20 peur qu'on nous prenne pour un futur mauvais soignant ou mauvais médecin qui n'est pas
03:24 capable de créer cette carapace, de s'anesthésier au malheur de l'autre.
03:28 Je dis c'est très bien de ne pas s'anesthésier au malheur de l'autre, ça prouve qu'on
03:30 a encore une main, qu'on n'est pas des robots et les gens ne voudraient pas être
03:32 soignés par des robots.
03:33 Et donc là vous espérez aussi libérer peut-être la parole des médecins parce qu'on n'entend
03:37 pas souvent ce genre de témoignage d'un médecin qui…
03:40 Non, effectivement, et je pense que je ne suis pas le seul médecin.
03:43 Vous savez, c'est la profession qui compte le plus fort au dessus.
03:46 C'est vrai qu'on sait mieux faire que les autres.
03:48 Oui, vu comme ça.
03:49 Mais c'est surtout aussi, je pense que d'accueillir la plainte tous les jours, c'est…
03:53 J'allais dire, c'est pas humain.
03:55 C'est très humain au contraire, mais c'est très difficile et qu'il faut aussi pouvoir
04:00 avoir des soupapes, des lieux où on peut échanger sur nos pratiques, sur ce qu'on
04:05 a vécu, sur les difficultés qu'on a rencontrées avec tel ou tel patient.
04:07 Et je ne suis pas sûr que beaucoup de médecins aient ces lieux de soupape-là.
04:12 Moi, c'est l'écriture.
04:13 Oui.
04:14 Ce matin, sur notre antenne, on parlait de l'hôpital marchand, les soignants qui quittent
04:18 leur poste épuisé.
04:19 Vous, vous revenez, vous en partez des urgents, vous n'en sortez pas un m'demne, vous
04:23 décrivez même, vous dites que c'est un merdier géant.
04:26 Quand un patient aujourd'hui a besoin d'un suivi psychologique, vous l'envoyez vers
04:31 des hôpitaux, vous avez peur qu'il soit mal soigné.
04:33 C'est surtout qu'il aurait de la chance, il est soigné.
04:36 Vous savez, aujourd'hui, pour un patient qui ne peut pas payer une psychologue, on
04:41 l'oriente vers les CMP, les centres médicaux psychologiques.
04:44 Sauf que les délais d'attente, maintenant à Toulouse, c'est 9 à 12 mois.
04:47 Donc si vous venez, vous dites j'ai envie de me tuer, de tuer mon patron, je rêve la
04:50 nuit, je me jette d'une fenêtre, pas de problème, je vais vous avoir à rendez-vous
04:54 dans 12 mois avec un psychologue.
04:55 Je ne suis pas sûr qu'on aide beaucoup les gens.
04:57 Dernière question peut-être, qui n'a rien à voir, mais celle qu'on attend tous.
05:01 Est-ce qu'aujourd'hui, vous arrivez à pleurer, finalement ?
05:04 Depuis que mon fils est né, je n'ai pas arrêté de pleurer pendant les jours qui ont suivi.
05:09 Mais je pense que c'est normal.
05:10 Pour tout et pour rien, si on nous amenait un plat au resto, je me mettais à pleurer.
05:14 La servante a cru qu'il n'était pas bon.
05:16 Non, c'est juste qu'on était content.
05:17 Super, je rappelle Baptiste Bollieu, vous êtes médecin généraliste ici à Toulouse
05:22 et romancier.
05:23 Vous sortez aujourd'hui un nouveau roman.
05:24 Où vont les larmes quand elles sèchent ? Aux éditions, les iconoclastes.
05:27 Je le montre devant la caméra.
05:29 Merci encore une fois d'être revenu.