• il y a 4 jours
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00:00Vincent Bolloré, il est procédurier.
00:02C'est sa façon de faire taire les gens,
00:03et les journalistes en particulier.
00:05Les citoyens devraient pouvoir avoir accès à ces enquêtes
00:07et de fait, aujourd'hui, ils en sont privés.
00:09Contre la liberté de la presse, spécifiquement.
00:11C'est des témoins privilégiés de ces méthodes.
00:15Je ne pouvais pas accepter de me taire, en fait.
00:18Résultat, je suis une des seules à pouvoir témoigner librement.
00:21Le problème, c'est qu'en achetant le silence des journalistes,
00:23il empêche la population d'être informée de ce qui se passe.
00:25Donc il prend en otage la démocratie.
00:28Ça ne va pas être seulement le JDD,
00:29ça ne va pas être seulement Canal+,
00:30ça va être toutes les sociétés qui appartiennent au groupe Vivendi,
00:33plus toutes celles qui appartiennent au groupe Lingardère.
00:35On ne peut pas transiger, on ne peut pas négocier sur tout.
00:37Et notamment, on ne peut pas négocier sur la liberté d'expression.
00:39On ne peut rien dire, en fait.
00:40C'est complètement bussé, c'est quelqu'un qui faut protéger les journalistes.
00:44De toute façon, si tu signes pas,
00:45je te harcèle, je te vire sur une faute imaginaire,
00:47tu sors sans rien, t'auras peut-être même pas le chômage,
00:49et va au prud'homme, au revoir, à dans trois ans.
00:52Je suis capable de m'asseoir sur toutes les lois
00:54qui protègent les salariés et qui protègent les journalistes.
00:57Donc, ayez peur et taisez-vous.
01:06Ce sont ces méthodes, intimider,
01:09sidérer l'ennemi qu'on a en face
01:13pour mieux l'impressionner et, à vrai dire, pour nous faire taire.
01:16Il va se retrouver avec des gens qui,
01:18soit sont d'accord, soit n'osent pas parler.
01:21Mais qui, en tout cas, sont mis au pas.
01:24Ce qu'il veut, c'est, on va dire, des bons petits soldats,
01:26des gens qui ont le doigt sur la couture du pantalon
01:28et qui ne feront pas d'histoire et qui exécuteront ces armes, tout simplement.
01:33Et si, demain, ces témoignages venaient à disparaître ?
01:37Et si les journalistes étaient contraints au silence ?
01:42Chez Reporters sans frontières,
01:44nous avons enquêté sur un phénomène discret,
01:46mais aux conséquences majeures, les clauses de silence.
01:52Derrière ces termes, une réalité alarmante.
01:56Aujourd'hui, en France, le droit des entreprises de protéger leur image
02:00prime sur un principe pourtant fondamental,
02:03celui du droit à l'information.
02:10Benoît Hué, avocat spécialisé en droit de la presse
02:13et expert juridique auprès de Reporters sans frontières,
02:16tire la sonnette d'alarme.
02:17Depuis quelques années, en fait, les professionnels des médias
02:20et puis les praticiens du droit, comme moi, qui travaillent avec des médias,
02:23se sont rendus compte que, dans le cadre des prises de contrôle
02:27de certains médias, qui engendraient généralement des départs,
02:30les employeurs faisaient signer massivement aux journalistes
02:33des clauses de confidentialité extrêmement larges,
02:36qui les obligent de manière illimitée dans le temps
02:38à ne pas parler de leur ancien employeur.
02:42En France, les grands médias sont aujourd'hui détenus par la police,
02:45En France, les grands médias sont aujourd'hui détenus
02:47par quelques groupes industriels et financiers,
02:50dont les activités dépassent largement le secteur de l'information.
02:58L'extension du groupe Bolloré et le départ massif de journalistes
03:02de médias d'information a mis au jour une pratique.
03:06En quittant leurs médias, des centaines de journalistes ont dû signer
03:09des clauses de confidentialité, de loyauté ou encore de non-dénigrement.
03:16Des mots anodins en apparence, mais qui, dans les faits,
03:19peuvent museler celles et ceux qui ont pour mission d'informer.
03:23Vous n'avez pas le droit de parler, de porter atteinte à l'image,
03:27à la réputation de la société, de ces sociétés filles, de ces sociétés
03:30sœurs, de ces sociétés mères, etc., de manière très, très, très large,
03:34de telle sorte que le journaliste va avoir l'impression
03:37qu'il ne peut plus dire quoi que ce soit sur cette société
03:39sans prendre un risque juridique.
03:41Ça a notamment été révélé par une enquête du média Arrêt sur image,
03:44qui a expliqué comment ces clauses dites de silence
03:47avaient notamment affecté les médias rachetés par le groupe Bolloré,
03:50c'est-à-dire Europ1, Paris Match, Prisma,
03:53le JDD, Canal+, ITélé, etc.
03:59Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef adjoint
04:01de spéciales investigations sur Canal+,
04:04est l'un des premiers condamnés en vertu de ces clauses.
04:07Son tort ?
04:08Avoir dénoncé les pressions éditoriales au sein du groupe de Vincent Bolloré,
04:12notamment dans le documentaire RSF Le Système B,
04:16l'information selon Vincent Bolloré.
04:21Alors, elles existent dans plein d'entreprises,
04:23ce n'est pas lié à Bolloré,
04:24mais les clauses classiques admissibles, c'est
04:26tu ne dois pas aller chez le concurrent pendant six mois,
04:27tu ne dois pas trop raconter ce que tu as vu de l'entreprise
04:29pendant un an, pendant deux ans.
04:30Ça, c'est classique, c'est admis par la jurisprudence en France.
04:33Dans les clauses que fait signer Bolloré,
04:34moi, en tout cas, j'ai été confronté à des clauses du genre
04:37je ne dois rien dire qu'il puisse porter atteinte à l'honneur
04:39ni de lui, ni de ses entreprises, ni de ses cadres,
04:42et sans limite de date.
04:44Ça veut dire que tu as 50 ans,
04:45tes journalistes, en fait, tu n'as plus le droit du tout
04:46de dire le moindre truc sur aucun réseau social
04:49qui pourrait porter atteinte à l'honneur de Vincent Bolloré
04:51ou de ses entreprises, jusqu'à ta mort.
04:55Certains journalistes n'ont pas accepté de signer ces clauses.
04:59Après 20 ans à Paris Match, Caroline Fontaine,
05:01élue de la Société des journalistes, a contesté son licenciement au prud'homme
05:05sans envisager de négociations préalables,
05:08car un accord aurait impliqué ces clauses.
05:13Ce sont des clauses de confidentialité qui sont courantes,
05:16c'est-à-dire en entreprise, on signe, même quand on commence à travailler,
05:19on signe une clause de confidentialité.
05:21Elle est importante parce qu'elle est là pour protéger l'entreprise,
05:24qu'on ne divulgue rien, qu'il puisse porter atteinte
05:26à ses intérêts financiers, commerciaux,
05:28qu'on ne divulgue pas ses secrets de fabrication, etc.
05:31Donc elle est légitime.
05:32Sauf que dans le cas de la presse, en fait, elle a été dévoyée.
05:36Quand on raconte ce qui se passe dans les entreprises du groupe Vivendi,
05:41ce n'est pas des secrets de fabrication.
05:42Je ne dévoile pas comment Paris Match a réussi à négocier et avoir tel scoop.
05:49Ça, c'est des secrets de fabrication.
05:50Mais nous, on n'est pas du tout sur ce terrain-là.
05:52Nous, on est sur le terrain de la démocratie et de la protection
05:56de l'indépendance des journaux et de leur déontologie.
05:58Et donc là, la liberté d'expression, le devoir de témoigner
06:04doit primer sur ces clauses qui sont faites justement
06:07pour qu'on ne sache pas ce qui se passe à l'intérieur de ces rédactions.
06:12Donc ça, c'est absolument pas possible de faire signer ça à un journaliste.
06:15Et pourtant, il impose ce type de clauses à des centaines et des centaines de gens.
06:19Et c'est d'autant plus inquiétant qu'on est quand même une profession
06:22un peu différente, dans le sens que vraiment, nous, notre profession,
06:26elle a pour but de révéler les choses.
06:28Et là, on demande aux journalistes de se taire,
06:32de ne pas révéler ce qu'ils connaissent eux-mêmes.
06:34Parce qu'évidemment, si on raconte, on porte atteinte à notre entreprise.
06:38On nuit à sa réputation.
06:39Et ça, ça me paraît complètement dément.
06:42Notre enquête estime que quelques 500 journalistes sont concernés,
06:45un chiffre probablement sous-estimé.
06:49Large, floue et sans limite de temps, ces clauses les font taire.
07:02On ne peut rien dire, on est complètement musé,
07:04ce qui est quand même faux pour des journalistes.
07:06Je regarde ce que les autres disent,
07:07mais moi, je ne peux pas mettre mon grain de sel sur des sujets que je suis,
07:11ou que je vois traités d'une façon qui ne me convient pas,
07:14mais je ne peux pas m'exprimer.
07:16Ça suscite de la crainte, donc je pense que c'est l'objectif de Vincent Bolloré,
07:21donc c'est réussi.
07:23Ça touche ma vie de citoyenne, parce qu'en tant que citoyenne,
07:25je ne m'exprime pas, en fait.
07:27Je suis aussi citoyenne, je ne suis pas que journaliste.
07:30On est parti du jour au lendemain,
07:32ce n'était pas quelque chose qu'on a déterminé,
07:34on n'a pas tellement eu le choix.
07:37Dans des cas comme Europe 1 et le JDD,
07:39on a pu estimer qu'il y avait plus de 200 personnes qui étaient concernées.
07:42C'est-à-dire que c'est l'essentiel des effectifs d'un média
07:45qui va être concerné par cette clause.
07:46C'est notre douzième jour et qu'on a revoté la grève ce matin.
07:50Est-ce que ça doit donner le droit à un seul homme
07:53de prendre le contrôle sur toute une radio
07:56sans aucune garantie d'indépendance éditoriale ?
08:00Rachats anticipés, grèves, départs massifs,
08:03changements radicals de la ligne éditoriale,
08:06agendas politiques.
08:08Les pratiques du groupe de Vincent Bolloré
08:10illustrent à elles seules les dérives possibles d'une telle clause.
08:16Comment informer quand on est tenu de se taire sur son ancien employeur,
08:20voire sur un groupe tout entier ?
08:23Des voix s'élèvent.
08:25Mais ceux qui osent briser la loi du silence
08:28en paient le prix fort.
08:33En 2021, RSF a sorti le documentaire
08:35« Le système B. L'information selon Vincent Bolloré »,
08:39dans lequel l'ancien rédacteur en chef adjoint
08:41du programme Spécial Investigation sur Canal+,
08:44dénonce les pressions sur le journalisme d'enquête.
08:48Pour ses propos, Jean-Baptiste Rivoire a été condamné
08:51en première instance devant les prud'hommes.
08:53Oui, c'est quelqu'un qui gère par la terreur.
08:56C'est-à-dire qu'il n'est pas question que qui que ce soit
08:58résiste aux oucas de l'actionnaire,
09:00surtout pas en matière d'information,
09:01parce que l'information est stratégique pour lui
09:03et il veut en faire exactement ce qu'il veut.
09:05Et donc, les journalistes sont des petits soldats.
09:07Moi, quand j'arrive enfin à sortir de Canal fin 2021
09:09au prix de la signature de ces clauses de silence,
09:11RSF me sollicite pour parler dans le documentaire
09:14« Le système B. », je vais dire des choses assez banales,
09:16que Bolloré règne par la terreur,
09:18ce que lui-même admet devant les salariés, etc.
09:20Donc, je ne vais pas révéler le secret de l'entreprise,
09:22mais lui considère que c'est suffisant pour faire un procès.
09:26Et donc, l'assignation devant la justice,
09:29c'est « Vous avez dit dans le film de Reporters sans frontières
09:31« tatata » qu'il était méchant, qu'il régnait par la terreur, etc.
09:35Ce n'est pas admissible, paf, terminé. »
09:37Et donc, voilà, c'est pour ça que je suis poursuivi
09:39devant les tribunaux et qu'ils me demandent de rembourser 150 millions.
09:42C'est dément, je n'ai jamais imaginé que ça puisse être le cas,
09:45que quelqu'un puisse être condamné
09:47pour avoir raconté, fait son métier de journaliste, au fond.
09:51Et ça, c'est ça qui s'est passé et ça, c'est très inquiétant.
09:54Comment ça se fait que cet imbruti, on lui a fait signer une cléuse de silence
09:56et il parle ?
09:57Ce n'est pas grave, il n'a qu'à ne pas parler des médias.
09:59C'est un sujet qui n'est pas majeur, il n'a qu'à ne pas en parler.
10:01Bon alors, ça veut dire qu'en fait, en tant que journaliste aujourd'hui,
10:03je devrais faire mon boulot en oubliant complètement
10:05de porter un regard critique sur le fonctionnement du système médiatique français.
10:08Ben non, en fait, c'est au cœur de la démocratie.
10:10Donc, ce n'est pas possible.
10:11Là, il y a des nouveaux actionnaires qui sont rentrés récemment dans ce jeu,
10:15dans la presse, qui n'étaient pas des professionnels de la presse
10:18et qui, eux, ont décidé d'acheter ces journaux,
10:21non pas pour gagner de l'argent, puisque désormais, les journaux perdent de l'argent,
10:25mais pour les utiliser à des fins de personnel,
10:27soit pour défendre leur intérêt financier, soit pour défendre une idéologie.
10:31Et ça, c'est assez récent.
10:32C'est ce qu'on a appelé l'arrivée des actionnaires prédateurs.
10:34La clause ne va pas seulement porter sur l'employeur en tant que tel,
10:37mais sur toutes les sociétés du groupe qui appartient à l'employeur.
10:40Par exemple, ça ne va pas être seulement Europe 1,
10:41ça ne va pas être seulement le JDD,
10:43ça ne va pas être seulement Canal+,
10:44mais ça va être toutes les sociétés qui appartiennent au groupe Vivendi,
10:47plus toutes celles qui appartiennent au groupe Lingardère,
10:49puisque ces sociétés ont désormais le même actionnaire.
10:53Aujourd'hui, en France, les journalistes pourraient être empêchés de s'exprimer
10:58ou de faire des révélations sur les activités tentaculaires de ces grands groupes.
11:03Pour Vincent Brenghart, l'avocat de Jean-Baptiste Rivoire,
11:06il s'agit d'une grave atteinte à la liberté d'expression.
11:10Donc, on a cette clause en disant
11:11« interdiction de tenir des propos qui pourraient être éventuellement nuisibles
11:14à la situation financière, économique, commerciale ou administrative de la société,
11:20ainsi que de toutes les sociétés du groupe Canal+, Vivendi,
11:24et de leurs dirigeants et préposés. »
11:26Donc, Canal+, du groupe Avas, Prisma Média,
11:29Gameloft, Vivendi Village, Nouvelles Initiatives, Editis.
11:33Et notamment, Vivendi Village, ça concerne par exemple les salles de spectacle,
11:37ça concerne les billetteries.
11:38Les Nouvelles Initiatives, ça concerne par exemple Dailymotion.
11:41Editis, évidemment, le secteur de la littérature,
11:44le secteur de l'éducation, le secteur de la distribution.
11:47Ça veut dire qu'en fait, le protocole qu'il a signé uniquement avec son employeur,
11:51dans un cadre extrêmement précis,
11:53l'empêcherait de révéler une information d'intérêt général.
11:56On ne peut pas transiger, on ne peut pas négocier sur tout.
11:58Et notamment, on ne peut pas négocier sur la liberté d'expression,
12:00on ne peut pas négocier sur la capacité, aujourd'hui,
12:02que tout journaliste doit pouvoir avoir,
12:04notamment de critiquer la concentration des médias.
12:07C'est une clause qui porte atteinte à la liberté d'expression des journalistes,
12:12qui sont les chiens de garde de la démocratie,
12:15et qui doit donc être protégée avec d'autant plus de force.
12:19Médias, culture, industrie, politique,
12:23les sujets pour lesquels des journalistes n'osent plus s'exprimer sur les réseaux sociaux,
12:26enquêtés, publiés, par peur d'être poursuivis
12:29ou de devoir rembourser les indemnités de leurs ruptures conventionnelles sont nombreux.
12:37Après avoir quitté Canal+,
12:39Jean-Baptiste Rivoire a fondé Off Investigation,
12:42un média indépendant qui couvre principalement
12:45le paysage politico-médiatique français.
12:51On a décidé d'aller dans les coulisses des médias
12:53et des propriétaires de presse et de leur influence.
12:55Là-dedans, il y a deux personnes qui sont liées à Bolloré.
12:57Comme Bolloré, c'est une espèce de tentacule,
13:00il a barre sur la politique, sur les médias,
13:02ben oui, on ne pourrait pas, quelque part, parler de Zemmour
13:04et du soutien du groupe Bolloré à Zemmour,
13:05parce que ça pourrait être considéré comme portant atteinte à l'honneur de Bolloré.
13:08Donc en fait, c'est des clauses absolument étouffantes
13:11pour la liberté d'information, évidemment.
13:19Caroline Fontaine, ancienne journaliste à Paris Match,
13:22n'a pas voulu se retrouver en situation de devoir signer ses clauses.
13:25Son licenciement, qu'elle conteste au prud'homme,
13:28illustre un dilemme.
13:29Même en voulant préserver leur liberté,
13:31les journalistes sont impactés.
13:33Ses anciens collègues, liés par ses clauses,
13:36ne peuvent pas témoigner en sa faveur.
13:41Donc moi, j'ai été licenciée avec une lettre de licenciement,
13:43avec des motifs qui étaient, à mes yeux, fallacieux.
13:46Sous le choc, on se dit, je vais aller négocier.
13:49Quand on arrive à un accord, on signe une clause de confidentialité.
13:53Donc moi, j'ai refusé cette négociation,
13:55parce que je refusais de signer cette clause de confidentialité.
13:58Comme ce combat que j'ai porté pour l'indépendance de mon journal,
14:02que j'aimais énormément,
14:03je n'avais pas fait tout ça juste pour ensuite monter,
14:06signer un chèque et ne plus avoir le droit de témoigner.
14:09Je ne pouvais pas accepter de me taire, en fait.
14:13Résultat, je suis une des seules aujourd'hui,
14:15d'ailleurs c'est aussi pour ça que je suis là aujourd'hui,
14:18à pouvoir témoigner librement.
14:19En revanche, ce n'est pas un choix facile.
14:24La vérité, c'est que quand vous êtes journaliste dans un média
14:26dont Bolloré prend le contrôle très brutalement,
14:29vous avez un actionnaire qui est immensément riche,
14:31qui peut vous coller des procédures.
14:33En fait, il y a une totale inégalité entre le salarié et l'actionnaire,
14:36et donc Bolloré est totalement en position de force
14:38pour imposer des clauses de silence à tout un tas de gens,
14:40ce qui, dans le journalisme, est quand même compliqué.
14:43Dans ma lettre de licenciement,
14:44ils racontent des réunions où je me serais mal comportée de manière violente.
14:48Or, c'est tout l'inverse qui s'est passé.
14:50Il fallait que des gens présents à cette réunion puissent dire
14:53que nous sommes témoins que Caroline Fontaine
14:56a été violemment prise à partie lors de cette réunion.
14:59J'ai beaucoup de difficultés à avoir des gens qui puissent témoigner,
15:05parce que ceux qui sont partis et qui ont signé cette clause
15:07ont interdiction de le faire.
15:08Non seulement pendant qu'on se bat, on n'a pas le droit de parler,
15:12quand on est parti et qu'on a signé cette clause,
15:14on n'a pas le droit de parler,
15:15mais ceux qui refusent de signer cette clause
15:17et qui veulent le faire valoir en justice
15:20et permettre ainsi qu'on reconnaisse un licenciement
15:24pour des raisons politiques,
15:25eux, ils ne peuvent pas s'appuyer sur des témoignages de leurs camarades.
15:29Donc en fait, tout le monde est réduit au silence.
15:32Et ça marche à 99%.
15:34La plupart des gens qui ont signé ces clauses respectent ces clauses en disant
15:36« ben oui, mais je ne vais pas quand même rembourser 150 000 euros.
15:40On est dans un achat massif du silence.
15:42En fait, on achète une oberta. »
15:45Son but, c'est l'exemple.
15:47Moi, quand il me licencie, alors que je suis juste élue à la Société des journalistes,
15:51ce n'est pas moi qui licencie,
15:53c'est qu'il dit « je suis capable de m'asseoir sur toutes les lois
15:56qui protègent les salariés et qui protègent les journalistes,
15:59en licenciant Caroline Fontaine.
16:01Donc, ayez peur et taisez-vous. »
16:04L'impact de cette oberta va bien au-delà de la liberté éditoriale des journalistes.
16:10Devant les commissions parlementaires,
16:12des journalistes peinent à témoigner.
16:15Lors de son audition en 2022,
16:18l'ex-journaliste d'Europe 1 Olivier Samin
16:20a évoqué sa crainte de prendre la parole,
16:23en raison des engagements qu'il a dû signer.
16:27« Mais je vous demande quand même d'avoir à l'esprit le fait
16:29que je suis sur un étroit chemin de crête,
16:32délimité d'un côté par la nécessité, pour moi,
16:36de répondre à vos questions au nom du droit à l'information d'intérêt public,
16:40et délimité de l'autre par cette clause de loyauté,
16:43c'est son nom, que j'ai dû signer quand j'ai quitté l'entreprise. »
16:47Le sénateur David Assouline, rapporteur de cette commission,
16:50raconte, dans une interview pour le site d'information Arrêt sur image en septembre 2023,
16:56que des journalistes l'ont contacté pour livrer leur témoignage de manière anonyme,
17:00par crainte de représailles.
17:04Quand RSF publie le 11 juillet 2024 une tribune dans Libération
17:08pour dénoncer la mutation de la radio Europe 1
17:11en une machine à fabriquer de l'opinion,
17:13parmi les 63 signataires,
17:1537 sont contraints à l'anonymat,
17:17parce que baillonnés par une clause de non-dénigrement
17:20qu'Europe 1 leur a fait signer lors des plans de départ décidés en 2021.
17:29Rachat de médias,
17:30instrumentalisation politique,
17:32censure.
17:33Derrière ces clauses,
17:35une menace insidieuse plane sur la liberté de la presse
17:38et le droit des citoyens à être informés.
17:41Ce que veut faire Bolloré, en instaurant cette omerta systématique,
17:44c'est faire que la population ne prenne pas conscience de ce qu'il est en train de faire.
17:47Lui, il dit publiquement, moi je ne m'implique pas en politique,
17:50en fait, il s'y implique énormément,
17:51il pèse extrêmement lourdement sur l'information des Français,
17:55sur leur orientation politique en faveur de l'extrême droite.
17:57Et dans ce contexte, moi j'ai compris après coup qu'en fait,
17:59c'est absolument stratégique,
18:01il sait très bien ce qu'il fait,
18:02il sait très bien comment il ment devant le Parlement,
18:04il sait très bien ce qu'il est en train de faire politiquement en France
18:05et il est très important qu'il n'y ait pas des centaines de journalistes
18:07qui viennent raconter, en fait, il m'a censuré ceci, il m'a empêché de cela,
18:11il m'a dit qu'il fallait favoriser Zemmour parce qu'il était candidat à la présidentielle, etc.
18:14Il ne faut pas que les gens parlent.
18:15On sait quand même que ces journaux sont en train de se transformer,
18:18ou se sont déjà transformés en organes de propagande de son idéologie réactionnaire
18:23et eux ne pourront pas le documenter.
18:25Ils ne pourront pas raconter les liens importants qui existent
18:28entre Vincent Bolloré et des catholiques réactionnaires
18:31et comment ces liens se lisent dans ces médias.
18:35C'est un type qui veut orienter le peuple français dans un sens et que ça ne se voit pas.
18:38C'est, je veux dire, d'une toxicité absolue en termes démocratiques.
18:41Moi, je me souviens, autant le JDD, ils ont fait cinq semaines de grève
18:45et donc leur lectorat, ils n'ont pas trouvé le JDD pendant cinq semaines
18:48et peut-être ils ont compris ce qui se passait.
18:51À Paris Match, nous, on n'avait pas de moyen d'alerter nos lecteurs.
18:55Il y a eu un Noël où ils ont fait un grand sujet sur la Vierge Marie
19:01et l'écriture de Noël et ce n'était pas du tout des articles de journalistes.
19:04C'était du prosélytisme.
19:06Mais comme c'était dans Paris Match, comme c'était écrit comme un article,
19:10tout avait l'odeur, la couleur d'un article, le lecteur, qu'est-ce qu'il en sait ?
19:15Un exemple de ce que peut faire Bolloré en imposant le silence,
19:18par exemple, en 2017, il se trouve que des journalistes de Cadal,
19:21un peu par hasard, racontent que dans une dictature africaine qui s'appelle le Togo,
19:24le peuple est dans la rue contre le dictateur.
19:26Le dictateur fait tirer sur la foule.
19:29C'est raconté dans tous les médias, c'est un problème.
19:31Bon, un peu naïvement, les journalistes de Cadal s'intéressent à ce truc-là,
19:33font un reportage de l'effet papillon sur cette répression au Togo.
19:38Vous feriez quoi, vous, si vous étiez dirigé par la même clique depuis 50 ans ?
19:49Ça va indisposer le dictateur togolais qui va s'en ouvrir à Vincent Bolloré.
19:53Le sujet va disparaître des replays de Cadal+,
19:55et un mois plus tard, fin 2017, Bolloré va faire diffuser un publi-reportage
19:58sur les antennes de Cadal clandestinement sans dire que c'est un publi-reportage à 7h du matin.
20:03Dans son engagement pour demain, le Togo peut aussi s'appuyer sur sa stabilité.
20:07Stabilité de l'économie, mais aussi une stabilité politique
20:11qui sécurise tout le pays et encourage des investissements venus du monde entier.
20:17Aujourd'hui, on peut faire de la désinformation,
20:19raconter des choses qui ne sont pas de la réalité,
20:21Aujourd'hui, on peut faire de la désinformation,
20:23raconter des choses qui sont fausses,
20:25et personne ne peut dire que tout ça est faux.
20:27Les citoyens ont le droit d'avoir accès à des enquêtes sur tout sujet d'intérêt général.
20:33Le fonctionnement d'un média est clairement un sujet d'intérêt général
20:36et les citoyens devraient pouvoir avoir accès à ces enquêtes,
20:38et de fait, aujourd'hui, ils en sont privés.
20:40En fait, ce n'est pas un problème de corporatisme de journaliste,
20:42c'est-à-dire que Bolloré impose des clauses de silence
20:44à des centaines de journalistes qui ont été obligés de quitter les médias qu'il a pris d'assaut.
20:49On pourrait se dire, tant pis, de toute façon, c'est des journalistes, on s'en fiche, etc.
20:52Le problème, c'est qu'en achetant le silence des journalistes,
20:54il empêche la population d'être informée de ce qui se passe.
20:56Donc, il prend en otage la démocratie.
20:58Nous, on ne se bat pas pour nous.
21:00C'est vraiment une bataille pour qu'on ait la liberté d'informer.
21:04Parce que si on n'est pas informé, comment on vote ?
21:06Comment même on consomme ?
21:08Comment le journalisme sert à ça ?
21:10Il sert à ce qu'on puisse, en conscience,
21:12mettre un bulletin de vote,
21:14ou pas d'ailleurs,
21:16acheter telle chose ou pas,
21:19ça permet de savoir ce qu'on fait.
21:21Ça permet d'être libre dans ses choix.
21:23Le pouvoir politique ne semble pas avoir pris la mesure
21:25de la gravité de ce qui est en train de se passer.
21:27On est dans une dérive mortifère,
21:29totalement hostile à l'information indépendante.
21:31Moi, je trouve ça extrêmement inquiétant.
21:34Extrêmement inquiétant.
21:36Et je trouve ça très inquiétant
21:38que les pouvoirs publics laissent faire,
21:40ne s'en saisissent pas.
21:42Je fais cet appel-là à essayer
21:44que tous ceux qui aient signé cette clause
21:46essayent de se mettre ensemble,
21:48pour faire une action collective,
21:50pour pouvoir la dénoncer.
21:52Parce que c'est trop important.
21:54Il faut raconter.
21:56Il faut raconter ce qui se passe.
22:16...

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