Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 17 mars 2025 : la comédienne Hélène Vincent. Elle est à l'affiche du film, "On ira", d'Enya Baroux depuis mercredi dernier.
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00:00Bonjour, Hélène Vincent.
00:01Bonjour.
00:03Vous êtes une comédienne aussi à l'aise au théâtre que sur le
00:06petit et le grand écran. Et pour cause, vous avez fait vos premiers
00:08pas, d'abord au sein du groupe théâtral universitaire du lycée
00:11Louis-le-Grand, dirigé par Patrice Chéreau et Jean-Pierre
00:14Vincent. Vos premières mises en scène et donc en lumière, vous
00:17ont permis d'épouser ce métier pour la vie, pour le meilleur
00:20et rarement pour le pire, finalement, quand on regarde ce
00:23parcours. Refusé au concours d'entrée au Conservatoire, vous
00:26avez reçu le Grand Prix d'interprétation féminine rapidement
00:29après, pour que la fête commence, finalement, et pour que la
00:33vie soit un long fleuve tranquille avec un très beau César à la
00:36clé. Et ce fameux métier, avec en plus du public en soutien de
00:43grands admirateurs, on va les citer tout à l'heure, on parle de
00:47grands admirateurs et de grands réalisateurs. Aujourd'hui, vous
00:50êtes à l'affiche du film On ira, Dénia Barou. Vous êtes mari,
00:53mère et grand-mère, aimante et aimée, mais qui en a ras le bol
00:57de l'avancée de son cancer généralisé pour se soulager de ses
01:00souffrances et refuser de se voir diminuer. De jour en jour, vous
01:05avez décidé de mettre fin à vos jours en Suisse, sauf que vous
01:09ne trouvez pas les mots pour l'annoncer à votre fils et à votre
01:12petite fille. C'est un aide-soignant, finalement, qui est là
01:14complètement par hasard, qui va se retrouver embrigadé dans
01:17quelque chose d'assez extraordinaire, dans un voyage imprévisible
01:21où mensonges et éclats de rire s'entremêlent. Vous avez d'ores
01:23et déjà reçu le prix d'interprétation féminine, et pareil pour
01:27Juliette Gasquet, qui joue le rôle de votre petite fille au
01:30Festival du film de l'Alpe d'Huez. Ce rôle est aussi beau que
01:34bouleversant, aussi drôle qu'émouvant. Vous avez 81 printemps,
01:39je me permets.
01:41Est-ce que ce film occupe une place, finalement, particulière dans
01:45ce parcours, dans cette vie extraordinaire que vous avez déjà
01:47parcourue ?
01:48Mais écoutez, je suis dans une période où, je ne sais pas, toutes
01:53les planètes sont alignées et il ne m'arrive que des choses
01:56absolument merveilleuses. Ce film-là, il y a eu quelques heures
02:01de printemps, de Stéphane Brisé, qui évoquait aussi le voyage
02:06en Suisse pour mettre fin à la maladie.
02:13Ce film-là, je l'ai attendu pendant sept ans, si je ne me
02:17trompe pas. Enya m'a passé le scénario fort longtemps. Elle a eu
02:22beaucoup de mal à le monter. Je voulais absolument le faire.
02:26Quand j'ai lu le scénario, je riais et je pleurais en même temps.
02:32C'est rare que la lecture d'un scénario vous mette dans cette
02:35émotion immédiatement. Il se trouve aussi que moi, je ferais
02:39bien un petit voyage en Suisse s'il le faut, sans afficher un
02:44militantisme à tout crin. Mais ce rôle, ce qui est magnifique,
02:50c'est que ce personnage-là, il est dans la vie totalement
02:55jusqu'à la fin. C'est un film, c'est un personnage qui
03:00transporte la détermination, le courage, l'espoir, la
03:04gourmandise de vie. Et voilà, si c'était le dernier, mon Dieu,
03:11mais quelle chance j'aurais eue.
03:13Enfant, vous étiez fascinée par votre grand-père, Hélène Vincent,
03:17qui était une figure très forte.
03:19Oui, oui, un voyou, un vrai voyou.
03:22Mais vous étiez fascinée par ce personnage.
03:24Il a été quand même, on va dire, au point de départ de votre
03:28envie de reprendre votre vie en main.
03:30C'est-à-dire que dans votre famille, vous aviez beaucoup de
03:33femmes qui ne choisissaient pas, qui subissaient plus qu'elles
03:36ne vivaient. Et vous, vous ne vouliez pas ça pour vous.
03:39Voilà, c'est ça. Moi, je ne voulais absolument pas.
03:42Les femmes qui m'entouraient avaient des récits de vie qui
03:45étaient extrêmement tristes.
03:50Et moi, très vite, je me suis dit, je ne veux pas ça.
03:53Très vite aussi, j'ai compris que les garçons avaient une
03:56meilleure place dans la vie, que pour les filles, il fallait
04:00se donner vraiment à fond pour casser une espèce de
04:05plafond de verre. Et puis, mon grand-père avait fait du théâtre
04:08amateur avec un certain succès à Auxerre, dans Lyon.
04:14Et c'était un peu le héros, la star de la famille.
04:20Même si c'était vraiment un voyou, j'aurais pas voulu l'avoir
04:25comme mec dans mon lit.
04:27Voilà, mais ça m'a fait rêver.
04:30Il faisait rêver, en gros, toute la famille.
04:33Et c'était, oh oui, non, mais Gabriel, il a, oui, mais non,
04:37mes grands-pères, oui, d'accord, d'accord.
04:39Et donc, du coup, j'ai fait du théâtre amateur sous la direction
04:45de mon père, quand j'avais dix ans.
04:48Voilà, je jouais un garçon dans un spectacle et de mon grand-père
04:53à cette expérience avec mon père est né le désir irrépressible
04:58de devenir comédienne.
05:00Tout ce que je voyais autour de moi qui concernait les femmes,
05:02ne pouvait en aucun cas me mettre en appétit
05:07pour vivre. Il fallait que je casse quelque chose.
05:10Fallait que je passe ailleurs et que je passe outre quelque chose
05:15que ma mère me répétait tout le temps.
05:17Arrête de te faire remarquer.
05:19Arrête de te faire remarquer.
05:20Voilà, calme-toi.
05:22Et j'ai choisi le métier pour se faire remarquer.
05:26Ma foi, il n'y a pas mieux.
05:29Jean Rochefort avait dit de vous sur le bal des casse-pieds
05:32réalisé par Yves Robert, tu vas faire une carrière formidable
05:35de second rôle jusqu'à la fin de ta vie.
05:37Ne t'inquiète pas, vous le faites mentir.
05:40Est-ce que par moment, vous avez douté, Hélène Vincent ?
05:45Non, j'ai pas douté de mes, j'ose le dire,
05:48j'ai pas douté de mes capacités à jouer.
05:54Mais j'ai été très en colère qu'on ne s'en rende pas compte.
06:00Je fais ma crâneuse là.
06:01Mais vraiment, je me suis dit bon sang,
06:04mais qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour qu'il se rende compte
06:07que quand même, je suis vraiment une comédienne.
06:10J'ai des choses à raconter.
06:11Je suis capable de beaucoup d'efforts.
06:18Ça m'a mis en colère, si bien qu'il y a eu un moment,
06:21juste avant La vie est un long fleuve tranquille.
06:24Je n'avais pas travaillé depuis deux ans, pas un coup de fil, nada.
06:28Et j'étais prête à arrêter ce métier.
06:32Et je voulais partir vivre à la campagne dans un petit village de la Manche
06:35qui s'appelle Amby.
06:37Voilà, j'avais une petite maison là bas et je voulais m'en aller.
06:40C'était fini.
06:41Je me dis pas possible, je ne peux pas continuer à vivre comme ça
06:44parce qu'en plus, j'étais interdite bancaire et tout le bazar.
06:50Bon. Et là dessus.
06:54Romain Brémont, casting, qui m'avait vu dans
06:58Liberté à Brême de Fassbinder au Festival d'Avignon,
07:01deux ans avant, parle de moi à Étienne Châteliers.
07:05Il me faut envoyer le scénar, je le lis.
07:08Le pisse de rire dans mon lit en lisant.
07:10Pardon, je suis incorrecte là.
07:12Et je le rencontre et Étienne me raconte son film.
07:19Et en long, en large, me demande de faire des essais.
07:24Je fais l'essai de la scène où on est tous à table,
07:27où la petite, elle renverse son assiette sur la nappe blanche, là, son assiette de soupe.
07:32Et il m'engage.
07:37Comment je vous dirais, c'est un pur miracle.
07:41Vraiment, il y a eu la rencontre avec Chéron Vincent.
07:45Il y a cette rencontre avec Étienne qui ouvre un chemin possible vers le cinéma.
07:52Et voilà, je l'ai attrapé et je ne l'ai pas lâché.
07:56Ce film parle d'humanité, de douceur.
07:59Il y a effectivement sur son point, le film Dénia, Dénia Barrault.
08:04Le thème principal, c'est effectivement la fin de vie, le droit de mourir dans la dignité.
08:09C'est encore un sujet tabou aujourd'hui.
08:12C'est ça, parce que ça n'engage pas que soi.
08:18Et moi, j'adhère, j'ai adhéré à l'association Droit de mourir dans la dignité.
08:23J'ai demandé à mes fils d'être mes garants comme il faut.
08:28Ça n'a pas été simple de les convaincre.
08:35Bon, voilà, ils ont signé le papier.
08:38Qu'est-ce qu'ils en pensent ? Je ne sais pas trop.
08:40Encore aujourd'hui, vous avez du mal à en discuter avec eux ?
08:42On en discute. Ce n'est pas un sujet de conversation non plus.
08:44Une fois qu'il y a eu ce moment-là où j'ai vraiment voulu adhérer
08:51et où il me fallait ces deux référents et mes deux garçons.
08:56Voilà, ils ont accepté de me suivre.
09:03C'est vrai que partir avec ces enfants, comme c'est dans le film là,
09:10c'est partir en étant aimé, en étant accompagné,
09:16en étant aimé et en aimant et en transmettant comme ça
09:21le plus beau qu'on ait de la vie à ces enfants.
09:30Je crois que c'est un cadeau.
09:32Quel regard vous avez sur le voyage que vous avez déjà accompli
09:35sur ces huit décennies passées ?
09:36On a l'impression que c'était hier finalement, vos débuts.
09:42Quelque part, j'ai le sentiment d'être une miraculée.
09:48Je pense que quand j'ai commencé à me mettre en chemin,
09:50j'avais 17 ans, quand j'ai dit je veux être comédienne, etc.
09:55Personne n'aurait misé un copec sur moi.
09:57J'avais, voilà, c'est sûr, j'avais pas de disposition particulière.
10:04J'avais pas un physique particulier.
10:08J'avais une chose et qui m'a sauvée, c'est de l'énergie.
10:14De l'énergie, de l'énergie.
10:17Voilà, mais j'ai l'impression que c'est à la fois proche et loin.
10:24Je me souviens du tout début de la première fois où j'ai monté
10:30les escaliers de la comédie française pour aller rencontrer Jacques Heyser.
10:35Mon père, qui avait fait son service militaire avec lui,
10:39voulait me le présenter pour qu'il aide la petite à peut-être trouver
10:43son chemin dans l'art dramatique.
10:48Je me souviens de ça, je me souviens de...
10:52Mais c'est...
10:54Alors, ce qui est difficile un peu en ce moment,
10:56c'est que beaucoup de gens que j'ai aimés s'en vont.
11:01Donc, ça, quand même, ça fait un truc là.
11:06Ils s'en vont les uns derrière les autres.
11:08Voilà, mais on s'est aimés et c'était bien.
11:16C'est ça que je garde dans cet aimer et cet aimer.