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00:00Il est 7h45 en France, de plus en plus de bébés meurent à la naissance ou dans les premiers mois de leur vie.
00:05On en parle avec votre invité, il publie un livre enquête passionnant et édifiant Simon Colbeck sur le sujet.
00:11Bonjour à vous Sébastien Leurquin, vous êtes journaliste indépendant, vous êtes originaire des Pyrénées-Orientales, de Serrée,
00:17et avec Anthony Cortès qui est lui de Mias, vous publiez un nouveau livre enquête, ça s'appelle
00:234,1, le scandale des accouchements en France. 4,1, pour bien comprendre, c'est le taux de mortalité infantile l'an dernier en France.
00:33Ça veut dire que l'an passé sur 1000 naissances, en moyenne, 4,1 bébés sont décédés avant leur premier anniversaire et bien souvent dès leur premier jour.
00:42Cette mortalité infantile, elle est à la hausse depuis plusieurs années en France.
00:47Pour bien se rendre compte, l'an dernier, 2800 bébés sont morts en France avant leur un an.
00:53Sébastien Leurquin, on va essayer de comprendre pourquoi, mais d'abord, pourquoi vous avez enquêté sur ce sujet de la mortalité infantile ? Comment vous est venue l'idée ?
01:01Alors nous, avec Anthony Cortès, on est tombé en fait sur un rapport de l'INSEE passé quasi inaperçu à l'été 2023,
01:07qui montrait déjà une dégradation de la mortalité infantile dans notre pays.
01:11Ce qui nous a vraiment surpris, c'est le silence à la fois médiatique et politique autour de cette thématique,
01:16parce qu'elle révèle vraiment une déliquescence grave de notre système de santé.
01:21Là, ça touche aux êtres les plus vulnérables qui soient, les bébés.
01:24Donc on avait vraiment envie de comprendre ce qui se passait et c'est pour ça qu'on a lancé cette enquête.
01:28Alors la mortalité infantile est donc à la hausse et l'une des principales explications, selon vous, c'est la fermeture des maternités.
01:35Depuis 1975, c'est-à-dire depuis 50 ans, 3 maternités sur 4 ont fermé dans notre pays.
01:41Oui, c'est ça. Finalement, ce qu'on a voulu montrer, c'est qu'il y a un système aujourd'hui de démantèlement d'un côté,
01:47avec les petites maternités qui ferment à la chaîne,
01:50et puis ce qu'il y a pour effet de concentrer les naissances dans les plus grandes maternités qui sont surchargées.
01:55Donc on a un petit peu d'un côté des déserts médicaux et de l'autre, ce qu'on a appelé des usines à bébés,
01:59pour reprendre le terme qu'ont employé les soignants qu'on a interrogé au cours de notre enquête.
02:04Et on a été, dans certains cas, vraiment révélateurs, notamment dans le Lot,
02:08parce qu'il y a aujourd'hui, en France, 10 départements dans lesquels il n'y a plus qu'une seule maternité.
02:13C'est le cas de Cahors, parce que dans le Lot, 3 des 4 maternités du département ont fermé au cours des 15 dernières années.
02:19Ce qui a eu pour effet, en fait, et c'est ça en fait le principal effet de ce démantèlement des petites maternités,
02:24ça a eu pour effet de faire augmenter la distance entre les mamans et la maternité.
02:29Et ce qu'on montre, c'est qu'aujourd'hui, il y a 900 000 femmes qui habitent à plus de 30 minutes d'une maternité dans notre pays.
02:35Et la part de celles qui habitent à plus de 45 minutes a augmenté de 40% depuis l'an 2000.
02:40Or, et c'est une étude qu'on révèle dans le livre, un trajet supérieur à 45 minutes double le taux de mortalité pour les bébés.
02:45Et le taux de mortalité infantile dans le département du Lot, où il n'y a donc qu'une seule maternité,
02:50il est à plus de 6, c'est-à-dire nettement au-dessus de la moyenne nationale.
02:56Dans les Pyrénées-Orientales, le taux de mortalité infantile, en revanche, il est inférieur à la moyenne nationale, 3,3.
03:02C'est donc deux fois moins risqué de naître dans les PO que dans le Lot, selon ce chiffre.
03:07Pourtant, chez nous, il n'y a que deux maternités à Perpignan, l'hôpital, évidemment, et aussi la clinique Notre-Dame de l'Espérance.
03:14Pourquoi ce bon chiffre, entre guillemets, pour les Pyrénées-Orientales ?
03:18C'est vrai que dans les Pyrénées-Orientales, on a un taux de 3,3 pour 1000 et on peut s'en féliciter, c'est en dessous de la moyenne nationale.
03:24Mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la situation est extrêmement fragile dans tout le pays.
03:29Aujourd'hui, on est exposé, globalement, à une véritable dégradation et dans les PO, on n'a plus que deux maternités.
03:35Les deux sont situées à Perpignan, donc on voit que pour l'instant, le taux est bon,
03:39mais en fait, la distance va aussi augmenter mécaniquement dans le département pour les femmes qui résident loin de Perpignan.
03:46Si on prend par exemple le Haut-Valais-Spire, une femme à Saint-Laurent-de-Sardin, à Prats-de-Moyaux ou dans le Conflans,
03:52elles vont devoir parcourir une distance qui est grande, qui est parfois supérieure à 30 minutes, 45 minutes pour rejoindre la maternité.
03:58En plus de ça, dans ce phénomène de réduction du nombre de maternités, le risque serait que l'hôpital de Perpignan soit un jour seul au front
04:07et doivent absorber tout le flux de naissance, ce qui le transformerait peu à peu, lui aussi, en usine à bébés.
04:14Pour l'instant, pour expliquer le bon chiffre dans notre département, on peut quand même aussi se féliciter
04:18d'avoir une maternité de niveau 3, publique, très très bien dotée.
04:22Niveau 3, c'est le plus élevé en termes de sécurité, de matériel pour les grossesses les plus difficiles, les plus risquées.
04:28C'est ça, c'est que le personnel est formé, aguerri, et qu'en termes de matériel, la maternité est parée pour toutes les situations les plus à risque.
04:37Et il y a aussi l'hôpital transfrontalier de Puiserda, en montagne, côté espagnol,
04:41où les femmes qui résident en serre d'incapsire et en conflans peuvent donner naissance, peuvent accoucher.
04:48Il est 7h50, vous écoutez ici Roussillon, notre invité Simon Colbeck, un journaliste indépendant, Sébastien Lorquin,
04:53qui est co-auteur d'un livre qui s'appelle 4,1, le scandale des accouchements en France.
04:57Alors, les fermetures des petites maternités, ce n'est sans doute pas fini, puisque vous l'écrivez aussi dans votre livre.
05:02La Cour des comptes préconise les fermetures de toutes les maternités qui réalisent trop peu d'accouchements à leurs yeux.
05:08Vous pointez aussi les cliniques, le secteur privé qui se désengage, vous l'écrivez,
05:12le privé préfère poser des prothèses de hanche plutôt que réaliser des accouchements, c'est beaucoup plus rentable.
05:17Et puis, autre explication, Sébastien Lorquin, pour comprendre cette hausse de la mortalité infantile de notre pays,
05:22ce sont les césariennes. Vous écrivez que chez nous, elles se font souvent en urgence,
05:26et qu'évidemment, c'est alors risqué pour la maman et pour le bébé, alors que dans d'autres pays, on les programme.
05:31Et vous l'écrivez, chez nous, ces césariennes, si on ne les privilégie pas, c'est parce que ça coûte cher,
05:37parce que les femmes restent ensuite plus longtemps à la maternité.
05:39C'est donc vraiment aussi, toujours, une question d'argent, de rentabilité.
05:43Oui, ce qu'on montre avec cette question des césariennes, alors nous, on est journaliste,
05:47notre rôle, c'est de poser des questions, on n'est ni médecin, ni scientifique.
05:49Par contre, ce qu'on a fait, c'est qu'on a été interpellé par des recommandations de la Haute Autorité de Santé,
05:54qui datent de 2012, et qui recommandent, en fait, dans 4 cas de figure, aux gynécologues de tenter l'accouchement par voix basse.
06:01C'est le cas des gros bébés, des jumeaux, des bébés qui se présentent en siège,
06:04ou dans le cas où une maman aurait déjà eu une première césarienne.
06:06Dans ces 4 cas de figure, jusqu'en 2012, les gynécologues obstétriciens avaient tendance à favoriser une césarienne programmée,
06:14c'est-à-dire éviter le risque pour le bébé.
06:16Après ces recommandations, qui ont été prises,
06:18et c'est parce qu'on s'est plongé en détail dans les travaux préparatoires qui ont débouché sur ces recommandations,
06:22et qui fixent, en fait, le cadre, et il est bien écrit, noir sur blanc,
06:26que l'un des motifs pour lesquels ces recommandations sont prises, c'est l'argument financier.
06:30C'est-à-dire que, comme vous le disiez, une maman qui accouche par césarienne reste hospitalisée plus longtemps,
06:35et donc ça coûte plus cher pour la sécurité sociale.
06:38Et ce qu'on montre, en fait, avec ces recommandations de 2012,
06:41c'est qu'elles ont eu pour effet d'effectivement faire baisser le nombre de césariennes programmées,
06:45mais surtout de faire croître de 5 à 6% les césariennes en urgence.
06:49Or, une césarienne en urgence, il faut bien comprendre, c'est quand l'accouchement par voix basse se passe mal,
06:53que le bébé est bloqué, qu'il y a un problème grave,
06:55il faut sortir le bébé le plus vite possible par une césarienne d'urgence.
06:57Or, ces césariennes sont 6 à 7 fois plus morbides, mortelles pour les bébés.
07:01Il y a évidemment la prévention, aussi l'accompagnement qui se casse la figure, vous l'écrivez dans votre livre.
07:06Les PMI qui sont déplumées.
07:08Il y a le témoignage notamment, qui est extrêmement frappant, d'une sage-femme en Seine-Saint-Denis
07:12qui dit « désormais on rate des femmes faute de moyens ».
07:17On entend bien toutes ces explications, Sébastien Leurquin,
07:19mais dans le livre aussi, et vous l'écrivez,
07:21il y a aussi des voix pour expliquer que si la mortalité infantile augmente,
07:25c'est parce que l'âge moyen des femmes et des mamans augmente,
07:28que la précarité augmente, que les femmes fument toujours plus.
07:32Vous les entendez aussi ces arguments-là ?
07:34On entend ces arguments, on les a repris dans le livre,
07:37mais on les déconstruit et voire on les contredit d'une certaine manière.
07:42Parce que nous, c'est ce qui nous a été rapporté tout au début de notre enquête,
07:45les autorités de santé pointaient effectivement, comme vous le disiez,
07:48un certain nombre de risques liés aux femmes.
07:50Et en fait, ce qui nous a vraiment surpris, voire interpellé et même choqué,
07:54c'est que souvent, ça correspondait à une culpabilisation des femmes.
07:57Comme si elles-mêmes, de par leur comportement, de par leur surpoids,
08:00de par éventuellement leur âge tardif, étaient responsables de la mort de leur bébé.
08:05Dire ça, c'est absolument atroce.
08:07Surtout que ce qu'on a montré dans ce livre, c'est que les autres pays européens,
08:10ils sont aussi frappés par l'obésité,
08:14ils ont aussi l'âge moyen de la première maternité qui avance.
08:19Et donc, c'est presque faux de pouvoir affirmer
08:24qu'en France, on serait un cas unique à être dans ce cas de figure-là.
08:26Parce que, pour rappel, comme je le disais,
08:28nos voisins ont les mêmes grands modèles de population,
08:31si on prend l'Allemagne, l'Italie, la Belgique,
08:34eux ont la mortalité infantile qui décroît.
08:36Nous, en France, elle ne cesse de croître, alors même que notre natalité baisse,
08:39et au point qu'aujourd'hui, on est 23ème sur 27 dans l'UE,
08:43alors qu'on était dans le top 3 en 2000.
08:45Sébastien Leurquin, on pourrait parler de ce sujet pendant vraiment très longtemps,
08:48mais on arrive à la fin de ce rendez-vous,
08:51déjà, malheureusement, dans votre livre,
08:53et je vous incite à le lire si vous ne l'avez pas encore fait,
08:57il vient de sortir, il y a aussi une grande partie,
08:59plusieurs chapitres consacrés aux parents qui ont perdu un enfant,
09:02et comment ils se retrouvent souvent mal accompagnés,
09:05un peu seuls face à ce drame, à ce deuil évidemment,
09:08qu'ils s'attendaient à recevoir la vie, à donner la vie les mamans,
09:11et malheureusement le bébé ne survit pas.
09:14D'un mot Sébastien Leurquin, dans votre livre vous appelez un sursaut,
09:17mais est-ce que vous y croyez vraiment ?
09:19Parce que dans ce gouvernement il n'y a même pas de secrétaire d'Etat
09:21ou de ministre dédié à la petite enfance.
09:23C'est vrai, c'est proprement scandaleux
09:26que le gouvernement n'ait pas de ministre ou de secrétaire d'Etat
09:29qui soit fixé sur la question de l'enfance.
09:32Est-ce qu'on croit un sursaut ? Oui.
09:34Parce qu'on ne peut pas se résigner à l'échelle de notre société
09:37à ce que le taux de mortalité infantile continue de croître.
09:40Il y a un devoir politique, il y a un devoir moral
09:42à faire en sorte de prendre cette question à bras-le-corps,
09:44parce qu'on ne peut qu'être incité à mieux accueillir nos bébés.
09:48Et il faut que tous ensemble, en tant que citoyens aussi, on appelle à ça.
09:51Merci beaucoup Sébastien Leurquin,
09:53vous êtes l'un des co-auteurs de 4,1,
09:55le scandale des accouchements en France
09:57et aux éditions Bûcher-Chastel.
09:59Plein de choses encore dans ce livre dont on n'a pas parlé.
10:01Ça tombe bien, tout à l'heure vous serez avec Wendy Bouchard
10:03sur la radio ici,
10:05Wendy Bouchard à partir de 13h
10:07pour parler d'encore autre chose,
10:09d'autres chapitres parce que votre enquête est passionnante.
10:12Merci Sébastien Leurquin, bonne journée.
10:14Merci beaucoup.

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