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00:00Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Commissaires aux lois,
00:06C'est évidemment un très grand honneur d'avoir été pressenti par le Président de notre Assemblée pour siéger au Conseil constitutionnel.
00:20Et c'est également un honneur que de me présenter devant vous, d'une autre manière que celle dont nous avons l'habitude ensemble,
00:30pour Ă©clairer votre choix, dans lequel naturellement je m'en remets.
00:42Je suis, disons-le simplement, un admirateur de la Constitution de la Vème République.
00:54Devant l'histoire, ce régime est celui d'un double accomplissement.
01:04D'abord, il a inventé, après tant de révolutions, de soubresauts et une si longue période d'instabilité à l'intérieur même de la République,
01:18un système stable, un système républicain stable. Et c'était une gageure.
01:26Et depuis deux tiers de siècle, même si nous vivons une période plus incertaine, la France, grâce au régime de la Vème République, est arrivée au port.
01:38Et il se trouve que ce régime, qui est un régime qui permet aux gouvernements successifs d'avoir les moyens de l'action,
01:52et aux parlements de voter de grandes réformes, ce régime est aussi celui qui aura permis le plus grand accomplissement dans la protection des droits et libertés des Français.
02:08C'est assez singulier de voir cette conjonction de deux évolutions historiques qui a conduit la République, après tant de tempêtes, dans des eaux plus calmes,
02:24qui doivent nous donner à tous l'envie de préserver ce joyau de notre histoire constitutionnelle.
02:36La Vème République, elle est remarquable. Elle a fait naître ce régime stable et elle a fait progresser les droits et la garantie des droits.
02:50Je me souviens de ce qu'écrivait le grand essayiste libéral Prévost-Paradol dans son livre « La France nouvelle » de 1865.
03:04Il disait de la Révolution « La Révolution a fondé une société, elle cherche encore son gouvernement ».
03:12C'est-à -dire que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est un pur joyau de la pensée politique, a fondé une société, elle cherchait son gouvernement, elle l'a trouvé.
03:25Et dans la fonction du Conseil constitutionnel, ce qui est tout Ă fait remarquable, c'est qu'il est au carrefour de ces deux ambitions.
03:35Permettre à la République d'avoir un gouvernement stable, une législation respectueuse du droit et permettre la défense des libertés fondamentales,
03:49comme jamais ça n'a pu être le cas dans l'histoire de notre pays, et ceci en grande partie grâce au Conseil constitutionnel qui n'avait pas été inventé pour ça,
04:03mais qui a su, avec audace, conquérir ce rôle qui est si utile aux Français d'aujourd'hui.
04:14J'ai conscience que nos institutions sont aujourd'hui dans une phase de fragilité.
04:24Il n'est que de constater que nous avons connu quatre gouvernements en l'espace d'un an pour pouvoir caractériser cette évolution.
04:35J'espère pour ma part qu'il ne s'agit que d'une parenthèse.
04:40Entre droit et liberté, une certaine radicalisation du débat politique peut inspirer des inquiétudes.
04:50Et c'est le moment que le président du Sénat a choisi pour me proposer de siéger au Conseil constitutionnel.
04:57Je trouve ça intimidant et en même temps, j'ai conscience de la responsabilité, même si ce n'est pas une responsabilité individuelle.
05:07Il s'agit de participer à un collège avec une pluralité d'expériences, de visions, d'opinions.
05:14Mais c'est une responsabilité que je juge impressionnante, impressionnante par elle-même,
05:21mais impressionnante aussi dans cette période que nous sommes en train de vivre
05:26et dont nul parmi nous ne peut réellement imaginer ce qu'il en sortira.
05:34Mais nous avons besoin, les uns et les autres, chacun Ă notre place, d'ĂŞtre des piliers solides face aux Ă©volutions qui peuvent survenir.
05:47La Constitution m'a accompagné aux différentes étapes de ma vie de service public et de ma vie publique tout court.
06:00Je me rends compte que si on reprend la typologie des pouvoirs de l'esprit des lois, que je suis un homme des trois pouvoirs.
06:10J'ai été juge au Conseil d'État pendant neuf ans.
06:17J'ai servi d'exécutif dans diverses fonctions pendant 19 ans.
06:26Je suis parlementaire depuis 13 ans et demi.
06:31C'est un long voyage Ă travers les pouvoirs de la RĂ©publique.
06:37Et ça me fait penser qu'au Conseil constitutionnel, si vous me faites l'honneur de ne pas invalider la proposition du président du Sénat,
06:51je devrais toujours me souvenir de ces expériences combinées, de cette conjonction d'expériences qui peut-être explique le choix du président Gérard Larcher.
07:07Depuis plus de 40 ans, j'ai ainsi pu contribuer dans différentes fonctions au respect de la Constitution,
07:17mais aussi à l'évolution de la Constitution, ainsi qu'à la défense et au progrès des droits.
07:27Et j'ai expérimenté, comme j'ai essayé de le dire, la séparation des pouvoirs,
07:34dont la Déclaration des droits de l'homme dit qu'une société dans laquelle la séparation des pouvoirs n'est pas déterminée n'a point de Constitution.
07:50Avec Simone Veil, j'ai été en charge des lois de la bureautique.
07:54J'ai été associé aux premiers travaux qui ont abouti à la révision constitutionnelle de 1999, instaurant l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions publiques et électives.
08:09J'ai été aussi rendu attentif aux conditions d'accès à l'interruption volontaire de grossesse et à l'équilibre de la loi Veil qu'il faut à tout prix préserver. Je m'en suis souvenu.
08:26Avec Jacques Barraud et Alain Juppé, j'ai piloté les travaux de la révision constitutionnelle pour créer la loi de financement de la sécurité sociale et la loi organique pour mettre en œuvre cette révision constitutionnelle.
08:44Avec Jacques Chirac, j'ai été associé à la révision constitutionnelle proposée par Lionel Jospin sur l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions publiques et électives.
08:56J'ai participé à la révision constitutionnelle permettant à la Cour pénale internationale de voir reconnaître sa juridiction pour des ressortissants français.
09:11Ensuite, je me suis trouvé comme secrétaire général de la présidence de la République au cœur de la préparation de la révision constitutionnelle créant dans la Constitution un certain nombre de dispositions pour faire de notre République une République dont l'organisation est décentralisée.
09:33J'ai pu ensuite, comme président de conseil général et élu local, mesurer toute l'importance de ce quatrième pouvoir qui n'est pas pleinement reconnu mais qui est le pouvoir territorial dans notre République auquel je suis évidemment profondément attaché.
09:54J'ai pu contribuer également à la formule d'adossement à la Constitution de la charte de l'environnement à la manière du préambule de 1946 ou de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
10:07J'ai participé au lancement des travaux qui ont abouti à la réforme du statut pénal du chef de l'État en 2007 et à l'interdiction de la peine de mort qui a valeur constitutionnelle en France depuis 2007.
10:29J'ai également contribué à de nombreuses lois sur la laïcité avec le port des signes religieux ostensibles à l'École de la République, la lutte contre les discriminations et la buétique dont j'avais la charge auprès de Simone Veil pour faire aboutir les premières lois de buétique et dont j'ai été ensuite chargé au Conseil d'État en 2008 pour leur deuxième révision.
10:56Ministres, j'ai eu en charge de faire progresser la citoyenneté des personnes handicapées. Nous avons fêté ces derniers jours les 20 ans de la loi de 2005, mais j'ai également fait évoluer dans le sens du respect des droits des personnes le régime des tutelles et les droits de l'enfant.
11:20Enfin, depuis 13 ans et demi que je siège parmi vous, j'ai été l'auteur d'un certain nombre de dispositions constitutionnelles. J'espère que celles qui inscriraient dans la Constitution que nul ne peut se prévaloir de ses origines, de sa religion, pour qu'il soit dérogé en sa faveur à la règle commune,
11:45aboutira après mon éventuel départ de cette Assemblée. J'ai également été le rapporteur général des 50 propositions présentées par le président du Sénat en 2020 sur le plein exercice des libertés locales.
12:08Et j'ai remis en 2017 le rapport intitulé « 5 ans pour sauver la justice », qui a inspiré ensuite notre propre proposition de loi de programmation pour la justice, qui a été largement reprise ensuite par le gouvernement de l'époque.
12:33Enfin, dans la législation, il se trouve que nous avons été au cœur, pendant ma présidence de la Commission des lois, de législations sur le terrorisme, sur le renseignement, puis sur le Covid,
12:49qui, dans tous les cas, ont eu à trouver un point d'équilibre entre la nécessité de réaffirmer l'autorité de l'État et l'efficacité de la répression, et la nécessité absolue de préserver les droits fondamentaux.
13:07Et je crois que le Conseil constitutionnel a reconnu à cette époque la qualité de notre travail commun.
13:17J'ai aussi été attaché, avec la présidente Muriel Jourdat et mon prédécesseur à la présidence de la Commission des lois, Jean-Pierre Scheur, à ce que nous exercions pleinement notre pouvoir de contrôle,
13:34notamment dans une certaine mission d'enquête qui remonte maintenant à 2018, faire respecter les prérogatives du Parlement reste pour moi un impératif majeur.
13:50De cette expérience, je retire trois convictions qui pourront peut-être continuer à m'inspirer si je deviens membre du Conseil constitutionnel.
14:03D'abord, le législateur, que je suis encore, doit toujours se donner les moyens d'atteindre ses objectifs, mais la poursuite de l'intérêt général ne peut jamais se faire à n'importe quel prix.
14:21Il y a un principe de proportionnalité qu'il faut respecter entre les objectifs à atteindre et les moyens utilisés.
14:31C'est une des marques de fabrique du SĂ©nat et de sa Commission des lois d'ailleurs, d'y veiller.
14:39Le premier défenseur de la Constitution, ce n'est pas le Conseil constitutionnel, c'est vous, c'est le législateur.
14:47C'est à lui que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen remet le soin par la loi de trouver le bon équilibre dans la protection des libertés, dans la protection des droits fondamentaux, dans la protection du droit de propriété, dans la protection de l'égalité.
15:07Aucun de ces droits n'est un absolu. Il faut trouver un bon Ă©quilibre.
15:12La deuxième chose que je retire de cette expérience, c'est que la Constitution doit toujours s'adapter aux nouveaux enjeux de la vie en société,
15:26que malgré leur génie, les auteurs de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du préambule de 1946 ne pouvaient anticiper.
15:39Évidemment que la société a changé et qu'il faut en tenir compte.
15:43La troisième chose, c'est que les acquis de la Ve République, que sont la stabilité dont je parlais tout à l'heure,
15:50la capacité donnée au gouvernement de concevoir et de faire adopter les grandes réformes dont un pays peut avoir besoin,
16:00ces acquis doivent être défendus ou restaurés.
16:06Mais en tout état de cause, un meilleur équilibre entre les pouvoirs doit toujours être recherché.
16:14Parce que si c'est vrai que nous avons réussi à installer durablement en France, malgré la parenthèse qui s'est ouverte l'an dernier,
16:23un système de démocratie régulé par l'alternance, un meilleur équilibre entre les pouvoirs est tout de même nécessaire.
16:34Car face à la toute-puissance de pouvoir polarisé, heureusement qu'il y a un Sénat et heureusement qu'il y a un Conseil constitutionnel,
16:42dont je considère d'ailleurs qu'ils ont partie liée.
16:46Parce que chacun à sa place, et avec des instruments d'action différents, ces deux institutions,
16:53une assemblée parlementaire et une juridiction régulatrice de la vie publique,
17:01ont un rôle de contre-pouvoir pour freiner les excès possibles des pouvoirs polarisés.
17:08Et cet élément me paraît également très important.
17:12Aucun droit n'est sans limite, aucun pouvoir ne doit ĂŞtre sans limite.
17:18Et c'est bien la philosophie de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
17:26Je ne revendique bien sûr, et je m'en excuse, aucun titre académique décisif.
17:36J'ai tout de même modestement enseigné les institutions politiques et le droit constitutionnel pendant 15 ans à l'Institut d'études politiques de Paris.
17:48Et j'ai publié un certain nombre d'articles et un livre sur le fonctionnement de nos institutions républicaines.
17:58Mais au-delà de cette participation que je reconnais modeste à la réflexion constitutionnelle,
18:05je crois quand même pouvoir tenter de me définir au moins comme un praticien de la Constitution.
18:17Et s'il y avait à ce titre une qualité que j'aimerais mériter et me faire reconnaître au-delà de toute expertise juridique et constitutionnelle,
18:33qui pourrait évidemment vous paraître également nécessaire et utile,
18:39ce serait cette qualité étrangement indéfinissable qui consiste tout simplement à avoir du jugement.
18:53C'est peut-être une qualité qui permet progressivement de devenir sage.