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L'Assemblée nationale examine, à partir de mercredi, une proposition de loi portée par Gabriel Attal qui prévoit notamment la création d'une comparution immédiate pour les mineurs et la remise en cause de l'excuse de minorité. Pour Muriel Eglin, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny , la priorité est de donner plus de moyens à la justice, la priorité est de donner plus de moyens à la justice .

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00:00Il faut-il durcir la justice des mineurs ? Les députés s'emparent du sujet avec l'examen
00:07ce soir de la proposition de loi de Gabriel Attal et avec nous en studio, une présidente
00:12de Tribunal pour enfants, celui de Bobigny en Seine-Saint-Denis, juge des enfants.
00:17Bonjour Muriel Hégelin.
00:18Bonjour.
00:19Vous êtes également vice-présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et
00:23de la famille qui a publié un communiqué sévère sur ce sujet.
00:28Le diagnostic, ces affirmations qu'on entend souvent dans la classe politique, les jeunes
00:33sont de plus en plus violents et la justice des mineurs est trop laxiste.
00:37Sur ces deux affirmations, quels sont les faits ?
00:40Les jeunes sont de plus en plus violents, c'est quelque chose que j'entends depuis
00:45que je suis juge des enfants en 1995 et qui a conduit à un certain nombre de réformes
00:51dans les années 90, ensuite en 2002, 2004, 2007, 2009, 2011, 2014, 2016, en tout cas
00:58il y a eu un certain nombre de réactions législatives à une supposée aggravation de la délinquance
01:02des mineurs.
01:03Ce diagnostic, est-ce qu'il est vrai ?
01:05Alors, ce que l'on constate, c'est depuis une dizaine d'années une baisse progressive
01:10du nombre de mineurs mis en cause dans des faits de délinquance.
01:14Néanmoins, cela ne signifie pas que la justice des mineurs devient moins sévère, ni que
01:20la violence des jeunes est moins importante.
01:22Au tribunal de Bobigny, nous constatons un développement de l'emprise de réseaux de
01:28trafic de stupéfiants sur des jeunes qui sont eux-mêmes victimes de violences importantes
01:35et qui agissent aussi cette violence.
01:37C'est un réel problème, de même que le développement et l'usage des réseaux sociaux,
01:42notamment dans le cadre de RICS ou du trafic de stupéfiants, ce sont des phénomènes
01:46nouveaux auxquels il faudrait s'attaquer.
01:48Mais de là à dire que la jeunesse a fondamentalement changé, qu'il faudrait changer de paradigme
01:53législatif, je crois que ce n'est pas du tout la question.
01:56Ce qui change, donc, c'est moins le nombre de faits, mais peut-être la nature de cette
02:02délinquance parce qu'il y a des phénomènes nouveaux, comme vous le soulignez, notamment
02:07les réseaux.
02:08Alors, je pense que c'est la nature des réponses qui devrait pouvoir évoluer avec une intensification
02:14de la prise en charge par les éducateurs de ces jeunes.
02:18Et c'est vrai que l'on constate et on entend aux informations des affaires extrêmement
02:24graves avec des jeunes qui décèdent et ça marque les esprits et on est très sensibles
02:28à cette question-là.
02:29Oui, parce que quand il y a des attaques au couteau, dont on parle beaucoup en ce moment,
02:31quand il y a du racket, quand il y a même simplement des incivilités, vous comprenez
02:34que les Français s'inquiètent ?
02:36Tout à fait.
02:37Mais je pense que la justice des mineurs est méconnue et que les Français ne savent
02:41pas que de très nombreux mineurs comparaissent quotidiennement devant les juges des enfants,
02:47voient des réponses apportées aux actes de délinquance, des réponses éducatives
02:51en premier lieu, mais aussi des réponses répressives, parfois extrêmement sévères.
02:56Voilà, environ 180 000 adolescents poursuivables, comme on dit, pour un fait commis.
03:01Ça, c'est les chiffres de 2023.
03:02On entre dans le détail, Muriel Aiglin, de ce texte examiné à l'Assemblée qui était
03:08expurgé par rapport à sa version initiale, mais plusieurs amendements vont être proposés
03:13aujourd'hui pour durcir cette justice des mineurs.
03:15La comparution immédiate pour les mineurs de moins de 16 ans en cas d'infraction grave,
03:21qu'est-ce que ça changerait par rapport à ce qui se passe aujourd'hui ?
03:24Alors, je vous avoue que je ne comprends pas bien pourquoi il y aurait nécessité d'une
03:29comparution immédiate.
03:31Tout simplement parce que nous avons un système qui permet déjà une forme de comparution
03:36immédiate.
03:37Actuellement, un jeune qui sort de garde à vue peut être présenté devant un juge des
03:40enfants et reçoit une convocation pour être jugé dans un délai de 10 jours à 3 mois,
03:45ce qui est extrêmement court.
03:46Si on se souvient bien de ce que disait Gabriel Attal, le fameux « tu casses, tu répares »
03:48qu'on entendait tout à l'heure, c'est qu'il faut une concomitance entre le moment
03:53où l'infraction est constatée et le moment de la punition.
03:56Ça, ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
03:57Alors, la concomitance de la réponse existe.
04:04Le jeune dont je vous parlais, qui peut être jugé en jugement en audience unique, qui
04:08est l'équivalent d'une comparution immédiate, il est présenté immédiatement à la sortie
04:12de la garde à vue devant le procureur de la République et devant un juge des enfants.
04:16Le juge des enfants va pouvoir prendre des mesures éducatives, des mesures de réparation
04:20« tu casses, tu répares », des mesures coercitives avec des contrôles judiciaires,
04:24des interdictions de sortir la nuit, de se déplacer dans certains quartiers.
04:27Ça existe et c'est appliqué ?
04:28Ça existe et c'est appliqué.
04:30La difficulté, c'est parfois la mise en œuvre, puisque nous avons des délais de
04:34mise en œuvre par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, notamment dans
04:38les grandes villes comme à Bobigny, par exemple, l'une des unités de la protection judiciaire
04:44de la jeunesse en Seine-Saint-Denis a une cinquantaine de mesures en attente, sachant
04:50qu'un éducateur prend en charge jusqu'à 25 jeunes.
04:52Donc il faudrait deux éducateurs de plus juste dans une seule unité.
04:56C'est un manque de moyens ?
04:57Alors c'est tout à fait un manque de moyens et un manque de recrutement.
05:00En outre, actuellement un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse accompagne
05:0525 jeunes, ça fait à peu près un rendez-vous par mois.
05:07Pour des jeunes qui sont un peu installés dans la délinquance ou même qui sont en
05:10situation de risque, c'est tout à fait insuffisant.
05:13Il faudrait vraiment pouvoir densifier la prise en charge et que l'éducateur ait le
05:17temps de faire des démarches avec le jeune, de le réinscrire dans un processus d'insertion,
05:22de l'accompagner sur le foyer auquel il est confié.
05:26Et cela, les éducateurs n'ont pas le temps de le faire, notamment dans des moments cruciaux
05:31que sont la commission de l'acte ou les semaines qui suivent la commission de l'acte.
05:35Il y a la question aussi de la prison qui est régulièrement remise sur la table, notamment
05:39par le ministre de l'Intérieur Bruno Rodailleau.
05:41Il disait qu'il faut une butée, il y a une vertu rédemptrice de la prison.
05:44Il allait assez loin, ça c'était fin janvier sur France 2.
05:47Aujourd'hui, ce qui est incroyable, c'est qu'il existe en France un droit au premier
05:51tabassage sans que celui-là soit vraiment puni.
05:54Voilà, il dit que la prison est rédemptrice ou au moins dissuasive.
05:59Qu'est-ce que vous répondez à ça ? C'est ce que vous constatez ou pas ?
06:01Alors, la prison est un outil dont nous ne savons pas encore nous passer.
06:05Et il est vrai que pour des jeunes qui ont déjà été condamnés à plusieurs reprises
06:10et qui sont aspirés dans une spirale de délinquance, un coup d'arrêt doit pouvoir être mis à
06:17un ancrage dans la délinquance et que la prison peut être utile dans ces circonstances-là.
06:23On entend aussi des gens qui disent que ça peut être contre-productif.
06:25Néanmoins, cela peut en effet être contre-productif et il faut bien connaître le parcours du
06:30jeune délinquant et bien connaître ses besoins et ses difficultés pour savoir sur quoi travailler.
06:35Le principe de la justice des mineurs, c'est l'individualisation de la réponse au plus
06:39près des besoins du mineur des actes qu'il a commis.
06:41On ne peut pas dire que la prison, c'est une bonne chose ou c'est une mauvaise chose.
06:45De manière générale, ça n'a pas de sens concernant la justice des mineurs.
06:48Je voudrais vous faire entendre aussi Jean Terlier, qui est député du Tarn, qui est
06:50rapporteur de ce texte et tout à l'heure, il a apporté une précision importante sur France Info.
06:55On va lever dans certains cas, mais toujours sous le contrôle du juge, ce qu'on appelle
07:00l'excuse de minorité.
07:02Toujours après, évidemment, avoir tenté cette promesse éducative qui intervient systématiquement
07:09et préalablement.
07:10On ne va pas appliquer cette procédure de comparution immédiate à des mineurs de 14
07:13ans qui sont prévio-délinquants.
07:15Ça s'adresse à des mineurs de 16 à 18 ans qui sont déjà dans un parcours délinquantiel
07:19très important.
07:20On parle de la comparution immédiate et ça se fait sous votre contrôle, nous dit ce
07:25député, quoi qu'il arrive.
07:26Est-ce que ça, au moins, ça vous rassure ?
07:27Alors, pas vraiment, parce que je vais vous donner un petit exemple.
07:31Un jeune qui est placé en garde à vue, qui a passé 48 heures de garde à vue, par exemple,
07:35dans le cadre d'un problème de RICS.
07:37Il sort de garde à vue à Bobigny, il est présenté au dépôt du tribunal où il passe
07:42encore 20 heures et il est présenté devant nous alors qu'il n'a pas pris de douche pendant
07:45trois jours, qu'il a mangé des sandwiches, qu'il n'a pas dormi parce que la lumière
07:49est allumée 24 heures sur 24 au dépôt de Bobigny.
07:51Il n'est pas dans les meilleures conditions pour pouvoir prendre conscience de ses responsabilités.
07:55En outre, si on devait le juger tout de suite, on n'a pas toujours les parents, à si bref
07:59délai, on est sûr de ne pas avoir l'éducateur référent.
08:01Il serait jugé par un juge qui ne le connaît pas, alors que, par ailleurs, la justice des
08:05mineurs garantit que le mineur compare devant un juge qui connaît déjà le mineur.
08:11Il serait également assisté par un avocat qu'il ne connaît pas et en plus, il serait
08:17dans des dispositions personnelles fatiguées, épuisées, qui ne lui permettraient pas ni
08:22de se défendre, ni de comprendre ce qui lui arrive.
08:24De prendre conscience en fait, donc là encore, selon vous, ce serait contre-productif en quelque sorte.
08:28Ce serait tout à fait contre-productif.
08:30En outre, on n'aurait pas les victimes et ça, je voudrais un peu parler des victimes
08:33parce que c'est un sujet qu'on aborde souvent, la réforme de la justice des mineurs, le
08:38code de justice pénale des mineurs permet de répondre beaucoup plus vite aux demandes
08:43d'indemnisation des victimes et ça, c'est un vrai progrès.
08:45Avec une comparution immédiate, on sait qu'on a beaucoup moins de victimes présentes et
08:49non seulement ça leur fait perdre une chance d'être indemnisées, mais en plus ça fait
08:54perdre une chance de cette rencontre entre auteurs et victimes qui est tellement porteuse
08:58pour sortir de la délinquance.
08:59Vous avez certainement vu comme moi ce film, je me souviendrai toujours de vos visages,
09:03qui montrent les effets particulièrement bénéfiques, y compris sur des délinquants
09:07très endurcis, de la rencontre avec les victimes.
09:09Merci beaucoup en tout cas Muriel Aiglin d'avoir été avec nous ce matin sur France Info.
09:14Je rappelle que vous êtes la présidente du tribunal pour enfants de Bobigny.

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