Suzette Delaloge, oncologue médicale spécialiste du cancer du sein à Gustave-Roussy et directrice du programme de prévention personnalisée Interception, était l'invitée du 7h50 de France Inter ce mardi, à l'occasion de la Journée mondiale contre le cancer. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-04-fevrier-2025-5795082
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00:00Il est 7h48, Sonia Devillers, en cette journée mondiale contre le cancer, vous recevez ce
00:05matin une oncologue, médecin et chercheuse à l'hôpital Gustave Roussy.
00:10Sa spécialité, le cancer du sein.
00:13Son credo, la prévention personnalisée.
00:16Son programme, il est intitulé Interception, il consiste à éviter les cancers avant même
00:21qu'ils n'apparaissent en détectant des signaux précoces.
00:23Elle lui a valu il y a quelques jours le Grand Prix de la Recherche Rouen-Rose remis à l'Assemblée
00:28Nationale.
00:29Parlons donc d'épistage ! Bonjour Suzette de Laloge.
00:33Bonjour.
00:34Bonjour docteur.
00:35Peut-on prédire la venue du cancer ?
00:37Et bien oui aujourd'hui, de plus en plus.
00:42D'abord on sait que sur tous les cancers qui surviennent, il y a à peu près 40% d'entre
00:46eux pour lesquels on aurait pu prédire 5 à 10 ans avant que le cancer allait survenir.
00:51Identifier une situation de haut risque.
00:525 à 10 ans avant ?
00:53Oui.
00:54Par exemple chez quelqu'un qui est un grand fumeur, on a aujourd'hui un certain nombre
00:58de signaux en fonction de l'âge, du tabagisme, etc. pour prédire la survenue d'un cancer.
01:03Et c'est quelque chose qui est en train de s'affiner, donc on a des scores de risques,
01:06on a de l'intelligence artificielle sur les images qui s'ajoutent, on a de la biologie…
01:10On va y revenir mais pour qu'on comprenne bien, est-ce qu'on prédit une maladie qui
01:14n'existe pas encore ? Ou bien la maladie est déjà là mais le malade ne sait pas
01:19encore qu'il est malade ?
01:20En fait il s'agit de prédire une situation de risque, pas forcément prédire exactement
01:25un cancer, on n'en est pas du tout là, mais prédire une situation de risque augmentée
01:29par rapport à la population générale, donc une situation qui peut mériter des actions
01:34et pour lesquelles des actions de prévention, c'est-à-dire de diminution des risques
01:38et de dépistage plus intensif ou plus précis vont être parlantes, vont être efficaces
01:44à diminuer pour diminuer le cancer grave ou pour diminuer même la survenue du cancer.
01:49Et on peut détecter tous les cancers avant qu'ils ne surviennent ? Ou bien plus particulièrement
01:54le cancer du sein, votre spécialité ?
01:55Non, les grands développements ça va être plutôt dans le cancer du sein, les cancers
02:00les plus fréquents, le poumon en particulier, le colorectal aussi, on travaille beaucoup
02:05sur le pancréas, donc des cancers qui sont en augmentation, qui sont des cancers graves
02:09et importants.
02:10Justement, le pancréas, la plupart du temps quand on diagnostique un cancer du pancréas
02:13il est déjà largement avancé, métastasé dans tous les sens, ça fait très très peur
02:18un diagnostic de cancer du pancréas.
02:19C'est pour ça que c'est un des endroits où on essaie de travailler le plus pour la
02:23détection précoce, pour développer des biomarqueurs d'identification précoce du
02:28cancer et identifier des situations à risque élevé pour lesquelles on va pouvoir faire
02:33du dépistage.
02:34On peut dépister tôt éventuellement un cancer du pancréas.
02:36Donc on ne peut pas dire qu'il y a des cancers lents et des cancers rapides et que les cancers
02:40qui se détectent avant leur survenue ce sont les cancers lents ? Ma question est peut-être
02:45naïve.
02:46Non, c'est une excellente question.
02:47En fait le gros enjeu c'est de détecter tôt non pas les cancers lents et qui finalement
02:51sont indolents aussi et qui potentiellement ne vont pas forcément embêter la personne.
02:56On va dire qu'ils pourraient mourir d'autre chose un jour.
02:58Mais les cancers les plus agressifs, les plus rapides et les plus laitaux.
03:02Et c'est là une des grandes difficultés.
03:04Alors vous travaillez à la création d'un test salivaire.
03:08C'est-à-dire on recueille la salive pour détecter justement ces marqueurs qui pourraient
03:14prédire l'arrivée du cancer.
03:16Qu'est-ce qu'on cherche dans la salive ?
03:18En fait on analyse l'ADN de la salive.
03:20On peut aussi travailler sur l'ARN.
03:22Mais dans notre test, c'est l'ADN salivaire.
03:25Et dans cet ADN, il y a deux choses.
03:27Il y a l'ADN de la personne.
03:29Mais en fait la salive c'est un des fluides corporels.
03:32Donc on a à peu près 500 millilitres de salive qui sont fabriqués chaque jour.
03:38Et s'il y a un cancer quelque part dans l'organisme, il y a de l'ADN de ce cancer qui peut se
03:43retrouver dans la salive comme il se retrouve dans le plasma.
03:46Donc on va chercher des anomalies de l'ADN qui vont correspondre potentiellement à la
03:51présence soit d'un tissu en cours de cancérisation, soit d'un cancer.
03:54Des anomalies de fragments d'ADN, des anomalies de la séquence ou de la méthylation de l'ADN.
04:00Et l'autre chose qu'il y a, c'est de l'ADN bactérien.
04:02Et en fait c'est aussi un reflet assez intéressant et important, l'ADN bactérien, notre équilibre.
04:07Vous savez, le microbiote.
04:08Et donc on peut aussi regarder l'ADN du microbiote qui influence également la survenue des cancers.
04:14Alors là, je vous pose la question que je me pose mais qu'à mon avis se posent toutes
04:17les femmes qui nous écoutent là, terminez les mammographies ! Parce que ça fait super
04:21mal une mammographie.
04:22Personne n'a envie de faire une mammographie, terminez ! On voit juste la salive, ça va
04:26remplacer la mammographie.
04:27J'espère un jour, mais pas du tout aujourd'hui, très clairement.
04:31Pas du tout aujourd'hui, la mammographie reste absolument indispensable, c'est le
04:36meilleur outil de dépistage et de diminution de mortalité qu'on ait dans le cancer du
04:39sein.
04:40Il faut attendre un petit peu.
04:41Vous connaissez les mammographies, vous le savez docteur Delaloche, ça a été contesté
04:46d'abord parce que c'est irradiant, donc c'est des rayons, et puis ça a été contesté
04:50parce qu'il y a trop de ce que les médecins appellent des faux positifs, c'est-à-dire
04:53qu'on diagnostique l'arrivée d'un cancer alors qu'en fait il n'y en a pas et du coup
04:57on intervient sur une patiente qui en fait n'en avait pas besoin.
05:00Le surdiagnostic, en fait tout est une question de rapport bénéfice-risque.
05:04Ce qui est incontestable c'est que ça diminue dans l'ensemble de la population la mortalité
05:08par cancer du sein de 20 à 30%, donc ça c'est incontestable.
05:12Mais effectivement, en échange, on a à peu près 15% de surdiagnostics, donc on trouve
05:16des cancers chez des femmes chez qui en fait le cancer n'aurait jamais fait parler de
05:21lui.
05:22Mais disons qu'il y a ce que vous appelez des faux positifs, c'est-à-dire on va faire
05:27des biopsies alors que finalement c'était complètement bénin.
05:30Mais le rapport entre les deux, entre mourir d'un cancer, éviter des décès par cancer
05:34d'un côté et le surdiagnostic est pour l'instant totalement en faveur de la mammographie
05:39tant qu'on n'a pas mieux.
05:40D'accord.
05:41Alors pourquoi ça fonctionne si mal en France ? Pourquoi est-ce que le dépistage fonctionne
05:45si mal ? Si je prends le dépistage seulement du cancer du sein, moins d'une femme sur
05:49deux entre 50 et 74 ans, 45% pour être exact, réalise sa mammo de contrôle.
05:55Pourtant, de ce que j'ai compris, les radiologues n'ont pas le droit de faire de dépassement
05:58d'honoraires sur les mammographies, c'est entièrement pris en charge par la Sécu,
06:02donc c'est pas une question d'argent.
06:04C'est pas une question de moyens.
06:05Je pense, et c'est assez particulier à la France qui est un des pays où la participation
06:09est la plus faible, c'est pas que pour le sein, c'est pas que les femmes et la mammographie,
06:13le test scolorectal FIT qui est un simple test sur les selles, ça fait pas mal, personne
06:17ne le fait, enfin non, il y a 37% de participation, on a la même problématique.
06:21Je pense que la problématique est la plus sociétale dans la projection, donc autant
06:25on a du mal à se projeter en politique, autant on a du mal à se projeter en santé sur le
06:29futur et je pense que c'est une vraie problématique.
06:33Il faut être capable d'assumer le fait de prendre en charge sa santé du futur.
06:38C'est comme l'écologie, il faut que peut-être on arrête de…
06:41C'est quoi, on fait l'autruche ?
06:42Mais on fait l'autruche et il y a tellement de problématiques.
06:44Sur les propres maladies qu'on pourrait avoir ?
06:45Oui, il y a tellement de problématiques.
06:46On veut pas savoir ?
06:47Tous les jours, les gens n'ont pas envie de savoir, n'ont pas envie de peut-être
06:52faire un deep stage qui pourrait conduire à un diagnostic de cancer et ils n'ont
06:55pas envie d'avoir un cancer aujourd'hui, etc.
06:57Et alors attendez, vous venez de parler du cancer colorectal et on sait que les chiffres
07:00du cancer colorectal explosent et notamment dans une population jeune.
07:05Tout le monde doit faire des tests de dépistage de cancer colorectal, hommes et femmes.
07:10Oui, à partir de 50 ans, c'est vraiment très important.
07:13La mortalité par cancer colorectal, elle est élevée.
07:16C'est un cancer qui est beaucoup plus curable si on le dépiste tôt.
07:20C'est très simple, le test de sévité, on le trouve en pharmacie, 50 à 74 ans, tous
07:24les deux ans, c'est vraiment simple.
07:26Ça sauve des vies également.
07:27Donc en fait, on n'a pas besoin de faire une coloscopie ?
07:29On n'a pas besoin de faire une coloscopie si on a un test de sévité normal et si on
07:33n'a pas toute une histoire familiale, etc.
07:35Le problème, c'est que ça ne résout pas le problème des cancers qui surviennent chez
07:38les plus jeunes, qui sont en augmentation.
07:40Ce n'est pas une quantité énorme de cancers, mais c'est en augmentation dans les dernières
07:46années.
07:47Et donc, on est également en train de travailler à identifier pourquoi cette augmentation
07:52et comment est-ce qu'on pourrait détecter également chez les plus jeunes les situations
07:56de risque et le cancer colorectal ?
07:57Justement, c'était une question que je voulais vous poser, c'est-à-dire que votre
08:00programme de prévention personnalisée, qui aujourd'hui est dupliqué un peu partout
08:06en France et vraiment c'est l'avenir, en fait, il est pour qui ce programme de prévention
08:14personnalisée ? Parce que moi, quand je lis vos travaux, je vois que c'est pour les personnes
08:18dites à risque.
08:19Mais quand on voit une telle explosion des cancers chez les jeunes, qui est plus à risque
08:23que les autres ? On a l'impression qu'on est tous à risque.
08:26C'est une excellente question.
08:27L'idée, c'est de mettre en place des moyens dans la population générale d'identifier,
08:33de diagnostiquer les personnes qui sont plus à risque de faire un cancer dans les 5 à
08:3610 ans qui viennent.
08:37Et donc, pour certains cas, c'est relativement facile en fonction du tabac, etc.
08:42Les histoires familiales, des anomalies histologiques, certains paramètres biologiques, etc.
08:47Il est évident que ça, notre programme vise à démontrer qu'on est capable d'identifier
08:54en population générale les personnes plus à risque et qu'en travaillant, en plus des
08:58messages de santé publique et de la santé publique, sur ces personnes et cette prévention
09:03personnalisée, on va diminuer l'incidence de cancers graves et la mortalité.
09:07Mais c'est évident que pour l'instant, on n'est pas capable d'identifier toutes les
09:12personnes à risque.
09:13Donc, il y a énormément de travaux en cours, mais vraiment beaucoup, sur de l'intelligence
09:17artificielle, de l'analyse d'images, des développements de biomarqueurs, de biologie,
09:21pour être capable, plus largement, d'identifier des personnes à risque de façon plus jeune, etc.
09:26Aujourd'hui, c'est surtout la génétique qui nous permet d'identifier des personnes
09:30à risque jeunes.
09:31Il y a plein d'autres choses à faire sur les expositions, etc.
09:34Saskia de Villeux-Boulogne Suzette Delaloge, merci.
09:36Merci beaucoup.
09:37Et merci Sonia.