• avant-hier
Longtemps il a peint des parkings. Désormais, Guillaume Bresson saisit rixes et marges urbaines dans de grands formats à l’huile s’inspirant des maîtres classiques. Exposées dans l’aile d’Afrique du château de Versailles, ses œuvres trouvent un écho saisissant.

Exposition jusqu'au 25 mai 2025
Transcription
00:00L'exposition au Château de Versailles, c'est un peu pour moi le summum de cette logique-là,
00:04c'est d'arriver à faire rentrer dans un lieu symbolique comme le Château de Versailles,
00:08ces corps qu'on n'a pas l'habitude de voir dans les représentations et dans ce monde-là.
00:19Des scènes de violence urbaine au milieu des dorures et des parquets cirés,
00:23les tableaux de Guillaume Bresson auraient pu faire scandale au Château de Versailles,
00:27mais juxtaposée aux toiles gigantesques d'Horace Vernet,
00:30exaltant les conquêtes coloniales du XIXe siècle,
00:33la violence de ces combats urbains paraît toute relative.
00:36Invité par l'institution versaillaise pour sa première rétrospective,
00:40le peintre de 43 ans, Guillaume Bresson, apprécie cette confrontation.
00:44Il y a une forme de continuité de cette violence justement,
00:47qu'on retrouve dans les toiles d'Horace Vernet.
00:50On retrouve cette violence dans mes toiles,
00:52mais dans les périphéries des villes contemporaines,
00:57représentée du point de vue de ceux qui la subissent quelque part.
01:00Chez Horace Vernet, on était dans une représentation des puissants, des dominants.
01:04Chez moi, on est plutôt dans une représentation du point de vue des dominés.
01:08Au final, j'ai trouvé que c'était aussi une opportunité
01:11de créer presque une généalogie de cette violence,
01:14en montrant qu'en fait, les scènes de violence que moi, j'ai représentées quand j'étais plus jeune,
01:19elles venaient s'ancrer en fait dans une histoire de la violence plus grande.
01:24Car ce n'est pas dans les quartiers huppés que Guillaume Bresson a trouvé sa vocation artistique,
01:29mais dans les bars d'immeubles de Rengueuil, à Toulouse,
01:32où, adolescent, il excelle dans l'art du graffiti.
01:35Ce qui lui vaut plusieurs quarts d'avis.
01:37Ses parents s'inquiètent et décident de lui payer des cours de dessin
01:40qui le mèneront jusqu'au Beaux-Arts de Paris.
01:43C'est avec cette toile de fin d'étude, réalisée en 3 ans, qu'il débute.
01:47Son sujet ? La violence urbaine.
01:49Jusqu'ici peu représentée dans l'art et encore moins à la peinture à l'huile.
01:53Car à l'école des Beaux-Arts de Paris et dans le milieu de la critique,
01:57la peinture figurative est souvent mal vue ou considérée comme appartenant au passé.
02:01Ce qui vaut aux jeunes peintres des surnoms tels que le Caravage des banlieues
02:05ou le Poussin des parkings.
02:07J'avais jamais été en contact avec aucune forme d'art légitime, on va dire.
02:12Mais du coup, j'ai pris toutes les références un peu comme elles venaient,
02:16sans hiérarchie, je n'avais pas de bagage culturel qui me permettait de dire
02:20telle forme c'est une forme du passé et telle autre c'est une forme du présent.
02:23Pour moi tout était égal, ce qui fait que j'ai pu piocher un peu librement
02:27dans ce qui me plaisait, dans ce que je voyais.
02:30Cette forme de peinture en fait, qui appartenait à ces peintres,
02:33permettait de représenter la réalité sociale que j'avais envie de représenter
02:38de la manière la plus puissante.
02:40Visuellement pour moi l'huile c'est presque une peau.
02:43Il y a des transparences, il y a des épaisseurs sur lesquelles on peut travailler.
02:46Le corps est un peu au cœur de ma pratique.
02:48Il y a ce rapport à la peau, ce rapport presque sensuel à la peinture
02:52qui est très important.
03:00Le jeune peintre s'obstine dans cette technique,
03:02passe des journées entières à travailler les lumières, les contrastes, les valeurs
03:07et progresse jusqu'à atteindre une virtuosité incroyable.
03:10Dans ces tâtonnements, des phénomènes magiques vont alors se produire
03:13et donner un supplément d'âme à ces toiles.
03:16Car cette violence initiale soudain se métamorphose.
03:19Les scènes de bagarres se transforment en danses,
03:22les scènes de lutte en étreintes, presque affectives entre les sujets.
03:26Une ambiguïté qui vient du dispositif créatif de l'artiste.
03:30Avant de commencer à peindre, j'ai tout un processus qui se fait avec des modèles vivants.
03:35Ça a commencé avec mes amis, ma famille quand j'étais plus jeune.
03:39On a commencé par une séance de photos ensemble.
03:41On performait des mouvements ensemble qui allaient vers la violence
03:45mais qui aussi étaient affectifs parce qu'on était une bande d'amis.
03:49En réfléchissant plus tard à ces scènes,
03:51j'ai compris qu'il y avait une forme de rapport à la masculinité
03:54qui s'exprimait dans ces tableaux,
03:56qui était celui de ces milieux sociaux en fait.
03:59On était comme un groupe d'enfants,
04:01qui était celui de ces milieux sociaux en fait.
04:04On était comme dans un entre-soi masculin pendant cette jeunesse.
04:08Il y avait, je pense, un manque affectif quelque part.
04:11Il y avait des choses qui sont liées à l'isolement social.
04:15On ne pouvait pas aller dans les soirées.
04:18Ça pouvait provoquer de la violence qui est propre à ce milieu social.
04:23Une forme d'entre-soi masculin, de fraternité
04:27qui est présente dans, par exemple, la culture qu'on avait du rap,
04:31les films de mafia.
04:33Il y a une sorte de valorisation de la violence comme ça
04:36qui nous structurait presque quelque part.
04:38La technique de Guillaume Bresson s'inscrit dans la trajectoire des grands maîtres.
04:42Quand ces derniers concevaient leurs tableaux à l'aide de maquettes
04:45peuplées de personnages scénographiés et éclairés dans des décors,
04:48Guillaume Bresson conçoit aujourd'hui ces tableaux
04:51à l'aide de montage au Photoshop.
04:53Si les maîtres anciens avaient la photo, ils l'auraient utilisée.
04:57Ça permet des choses qu'en fait, juste en dessin d'après-modèle,
05:02comme ça, on ne peut pas se permettre.
05:04Par exemple, les corps en mouvement.
05:07Quelqu'un qui pose sur une jambe ne peut pas rester huit heures
05:11sur une jambe avec les bras levés.
05:13La photo, ça permet de figer des mouvements très intenses,
05:17très rapides aussi.
05:19Et ensuite, ça permet de stocker tout ça et de venir,
05:22grâce à l'outil numérique, découper dans les photos,
05:26recomposer, faire des calques, incruster dans des décors différents.
05:30Et tout ce travail de montage qui pouvait se faire peut-être avant
05:33avec des maquettes, moi, je peux le faire sur Photoshop
05:36par photomontage.
05:50Au moment de le peindre sur la toile,
05:52il faut retrouver une forme d'unité par la peinture.
05:54Et c'est ça qui fait que je ne peux pas vraiment copier la photo
05:57telle qu'elle est.
05:58Parce que le fait de devoir retrouver une unité de lumière,
06:01une unité d'espace dans le tableau, ça fait qu'il y a un travail
06:04de peinture qui doit réunifier le tout et qui se joue sur la toile.
06:12Cette toile-là, c'est un travail que j'ai fait en 2008.
06:16Les personnages ont posé en studio et le décor a été pris par ailleurs.
06:20Donc il y a tout un travail de reconstruction de la situation.
06:25Donc un travail sur la lumière qui doit permettre de faire penser
06:30que ces personnages-là au premier plan sont dans le même espace
06:33que ce personnage à l'arrière-plan qui a été pris
06:36dans une autre séance de photo.
06:38Dans le tableau, on peut voir qu'il y a différents types de gris.
06:41Il y a des gris qui passent du chaud à quelque chose de plus froid.
06:45On voit des réflexions un peu violettes, par exemple, de la lumière des néons.
06:50Parce que quand on va vers le plafond du parking,
06:54on est sur des gris qui sont très froids à cause de la lumière des néons
06:59et qui viennent se refléter dans le sol ici,
07:02qui est pourtant un gris plus chaud, que j'ai travaillé plus avec des terres,
07:05qui est plus terreux, en travaillant à chaque fois la matière.
07:08C'est-à-dire que les peaux vont être plus ou moins lissées,
07:11les habits aussi, alors que le béton va être…
07:13Il y a un jeu d'interprétation comme ça,
07:15en fonction de l'élément qui est peint dans le tableau.
07:18Au sein de ce rapport général de gris,
07:20il y a un système de petits accents de couleurs dans les carrosseries des voitures.
07:24On voit qu'il y a du jaune et du rouge, par exemple, un peu de vert.
07:27Le rouge, on le retrouve sur la droite du tableau.
07:29Le jaune, on va le retrouver sur la bande centrale
07:32qui fait passer de la droite à la gauche.
07:34Ensuite, on retrouve un jeu de couleurs entre vert, rouge, orange, violet,
07:39pour arriver à nouveau sur le personnage du fond
07:42qui reprend l'orange du camion
07:45et la casquette du personnage central qui reprend le même orange.
07:48Pour moi, il y a toujours un jeu d'ordre des couleurs
07:50qui se fait au fur et à mesure du tableau
07:52et qui n'est pas forcément celui qu'il y avait sur la photo initiale.
07:55Un travail si méticuleux que la réalisation d'un tableau nécessite plusieurs mois.
07:59Là encore, cette lenteur ne correspond pas vraiment à l'époque
08:02ni à la demande d'un marché de l'art très gourmand en volume.
08:06Mais Guillaume Bresson n'aura toujours pas son choix initial à contre-courant.
08:10Ce temps long de travail, il est essentiel pour maturer le tableau.
08:14C'est-à-dire qu'il peut rester très longtemps dans l'atelier
08:16et moi, je peux le regarder et je peux imaginer des choses,
08:20des choses que je dois rajouter, des choses que je dois enlever du tableau.
08:23Je suis un peu en porte-à-faux comme ça par rapport à la demande d'un marché
08:26qui voudrait qu'il y ait des dizaines et des dizaines de grands tableaux tous les ans
08:30alors qu'en fait, moi, je ne peux en produire qu'un ou deux ou trois maximum chaque année.
08:35Et ça a été longtemps une sorte de stress pour moi
08:37mais maintenant, avec le temps, je me rends compte,
08:39notamment dans cette exposition où je peux réunir tout ce que j'ai fait depuis 20 ans,
08:43je me rends compte qu'en fait, il y a quand même un corpus de travail
08:48qui est important, ce n'est pas rien.
08:51Et du coup, je suis très content d'avoir persisté dans cette lenteur.
08:56Ça donne quand même quelque chose qu'il n'y aurait pas
08:59si c'était des tableaux que j'avais faits en une après-midi ou en deux, trois jours.

Recommandations