• il y a 18 heures
Olivier Dubois, journaliste, a été l’otage pendant 711 jours au Mali du GSIM, un groupe militaire terroriste lié à Al-Qaida.
Il raconte sa captivité dans le livre « Prisonnier du désert », disponible dès le 30 janvier 2025.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Le ton est monté très vite et l'on viendra saisir son arme et à faire feu, par exemple.
00:03Je m'appelle Olivier Dubois, je suis journaliste,
00:05et le 8 avril 2021, j'ai été kidnappé par un groupe djihadiste, Al-Qaïda au Sahel,
00:10et je vais être leur captif pendant 711 jours.
00:13J'ai été à Gao pour interviewer un cadre du mouvement du GSIM,
00:16un cadre djihadiste, qui était, on va dire, la tête de pro du mouvement
00:20dans une guerre à bas bruit entre deux mouvements djihadistes,
00:22qui sont l'État islamique au Grand Sahara,
00:25et le GSIM, le groupe de soutien à l'islamo-musulman.
00:27Il y a eu des échanges, j'ai demandé une lettre d'invitation,
00:30c'est que, semble-t-il, quelque chose qu'ils utilisent,
00:32qu'il faut avoir pour aller les voir, qui garantit votre sécurité,
00:35à l'aller comme au retour, et pourtant ça ne se passera pas bien.
00:38On part en voiture, le temps passe, moi j'avais donné deux heures à mon fixeur.
00:46Si j'étais pas là, si j'étais pas de retour dans les deux heures,
00:49eh bien qui déclenche une alerte, et on va rouler quatre heures.
00:52Puis les choses prennent une tournure définitive, je dirais,
00:56quand je suis sorti du véhicule, on s'arrête, c'est au crépuscule,
00:59on me déshabille, et on me donne des nouveaux vêtements,
01:02je rentre dans un nouveau véhicule, et le chauffeur, quand il s'installe,
01:05me dit, si ton gouvernement et ta famille font ce qu'il faut,
01:08tu pourras être libéré, et là je comprends que j'ai été kidnappé.
01:12C'est très dur au début, puisqu'on n'a pas l'habitude de vivre dans le désert,
01:14on n'a pas l'habitude de vivre dans les arbres,
01:15on n'a pas l'habitude de manger sur le sol, de dormir quand il pleut,
01:18quand il y a une tempête de sable, quand il fait froid,
01:20quand il y a un soleil brûlant, on n'a pas l'habitude de ça,
01:22et c'est au fur et à mesure des mois, et c'est ça qui est un peu extraordinaire chez l'humain,
01:26c'est qu'on s'adapte à tout, même à ça, même aux armes, même aux coups de feu,
01:31mais il faut une certaine période,
01:33moi je sais que j'ai beaucoup de mal évidemment à m'adapter,
01:36mais aussi beaucoup de mal avec un facteur particulier qui sont les insectes,
01:39les petites bêtes qu'on voit partout là-bas, les serpents, les scorpions, ça grouille,
01:43je me fais piquer par un scorpion une fois,
01:45ce qui est étrange, c'est que vous avez l'impression d'avoir une sorte de douleur intense et glacée,
01:49moi je me fais piquer à la main, donc ça part de la main,
01:51et ça remonte, ça remonte, ça remonte, ça remonte,
01:53et je savais, parce qu'on me l'avait dit, que le danger c'est que ça arrive au niveau du cœur,
01:57donc vous êtes dans la peur de cette progression lente,
02:00et à savoir jusqu'où elle va aller, est-ce qu'elle va aller jusqu'à la mort ?
02:04C'est un peu comme une cavale quelque part.
02:06Et on bougeait à peu près tous les 15 jours ou mois maximum,
02:09sauf l'hiver, où on restait dans un coin quasiment 4 à 6 mois.
02:13Il y avait des rapports quand même assez difficiles avec les gardiens un peu plus jeunes,
02:18parce qu'eux, ils sont totalement dédiés au projet,
02:21totalement dans le livre, et donc vous êtes un kouffar.
02:27Et un kouffar n'est pas à respecter, un kouffar c'est différent,
02:31il est sale spirituellement.
02:33Il y en a un qui s'est senti provoqué par les messages que j'avais de ma famille
02:39chaque huit du mois, et qui commence à les singer pendant que j'écoute,
02:43qui essaie de me troubler pendant que j'écoute, qui les insulte,
02:46le ton est monté très vite, et l'on viendra à saisir son arme et à faire feu par exemple.
02:49C'est des coups de sang.
02:51Mais les coups de sang viennent de leur côté comme de notre côté.
02:54C'est comme un harcèlement, comme quelqu'un qui vous tape comme ça,
02:58qui n'arrête pas, qui n'arrête pas.
02:59On encaisse, on encaisse, on encaisse, et au bout d'un moment ça explose.
03:02Donc on en vient à avoir peur d'eux évidemment,
03:03mais on en vient à avoir peur de soi aussi et de ses réactions.
03:11Quand je quitte le camp pour m'évader, généralement c'est vers 10h, parce qu'ils dorment.
03:14Ils se réveillent le lendemain matin vers 5h, 5h30 pour leur prière.
03:18Donc vous avez un laps de temps qui est quand même assez court.
03:21Et dans ce laps de temps, vous devez quitter le camp,
03:23traverser certainement une portion de désert jusqu'à une piste,
03:26espérer sur cette piste qu'un camion arrive,
03:29arrêter ce camion, et qui vous amène en sécurité,
03:31ce qui est encore une autre étape, jusqu'au camp international.
03:34Les trois premières fois, j'ai l'envie de partir, mais la peur d'échouer.
03:38La quatrième, elle est totale, mais je rencontre un camion,
03:42ça ne se passe pas comme prévu.
03:43Et le lendemain matin, en fin de matinée, aux environs de midi, je vais me faire attraper.
03:47Et là par contre, il se méfie de moi, j'ai une mauvaise réputation,
03:51et là je suis enchaîné jour et nuit.
03:52Vous êtes enchaîné à un arbre, vous êtes enchaîné à un rocher,
03:55j'ai été enchaîné aussi à la jante d'un poids lourd, d'un camion.
03:58Vous êtes enchaîné à tout ce qui passe en fait.
04:00La nouvelle de la libération tombe début mars, le 6 mars 2023.
04:05Et quand ça arrive, paradoxalement, ça fait alors,
04:08il y a une immense joie, et puis il y a une immense peur.
04:10Pourquoi ? Parce qu'il est arrivé que des otages par le passé,
04:13on leur dise qu'ils allaient être libérés, et ce n'est pas le cas.
04:15J'ai très envie d'y croire, avec une sorte de prudence comme ça,
04:19j'ai peur d'y croire, j'ai peur d'y croire.
04:21Et le compte à rebours, il était à 14 jours,
04:22dans 14 jours, ils disaient le message,
04:24Inch'Allah, si tout va bien, tu seras dehors.
04:26Et puis, le 14e jour, en effet, une moto arrive sous les coups de 6 heures du matin,
04:29j'ai le droit de prendre une gourde, une couverture, rien d'autre.
04:31Je vais rentrer dans le processus qui, 4 jours plus tard, va mener à ma libération.
04:35Le corps rentre, mais l'esprit n'est pas encore rentré.
04:37Il est toujours en vigilance.
04:39C'est des problèmes de sommeil, c'est des réminiscences,
04:41c'est des images qui reviennent,
04:42c'est des choses comme ça qui vont s'estomper dans le temps
04:44et on y travaille encore avec...
04:45Moi, je suis suivi, évidemment, comme tout otage.
04:48Il y a un confort ici, il y a le lit, il y a des restaurants,
04:50il y a vos amis, vos familles, il y a plein de choses,
04:53il n'y a pas tous à la barre.
04:54On vit sur le sol, on mange sur le sol, on fait ses besoins dans la nature,
04:57on se lave à poil sous un arbre, on s'habitue à ça.
05:00Donc, quand vous revenez un peu en arrière,
05:02évidemment, ça met du temps à se refaser corps et esprit
05:05dans cette nouvelle réalité, entre guillemets,
05:07mais du temps à rentrer en phase.

Recommandations