En pleine "Fashion Week", semaine des défilés de mode à Paris, la journaliste, amoureuse de la mode et autrice de “Défilé au Louvre” aux éditions Seghers, Sophie Fontanel, est l'invitée de France Inter.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50-du-week-end/l-invite-de-7h50-du-we-du-dimanche-26-janvier-2025-1768496
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00:00Et notre invitée ce matin en pleine Fashion Week, la semaine des défilés de mode à Paris pour l'automne-hiver 2025-2026.
00:06Et journaliste, autrice, amoureuse de la mode, mais avec distance, justesse et ironie.
00:11Bonjour Sophie Fontanel !
00:12Bonjour !
00:13Vous avez récemment publié le livre « Défilé au Louvre », une visite passionnante dans le plus célèbre musée du monde
00:19qui s'arrête sur de nombreux tableaux, des sculptures, comme si c'était en fait un défilé de mode.
00:23C'est étonnant, c'est drôle.
00:25La mode c'est de l'art ou c'est du business, du commerce ?
00:28On a beaucoup dit que c'était du business, en oubliant que l'art c'est du business.
00:33Michel-Ange aussi c'est du business.
00:34Donc maintenant, je crois qu'on dit que la mode c'est de l'art.
00:38Je vous pose la question parce que le Louvre, c'est lui, c'est sa directrice qui vous avait sollicité pour cet ouvrage très riche.
00:44Il vient aussi d'ouvrir une exposition qui est magnifique.
00:47Objet d'art, objet de mode, expo sur 9000 m² qu'on n'attendait pas forcément dans un musée aussi patrimonial.
00:54Ça vous a surpris ?
00:56Non, ça s'appelle Louvre Couture.
01:00Non, moi je faisais partie un petit peu de ce projet parce que défiler au Louvre était comme un teaser.
01:06Même si ce n'est pas le même sujet exactement.
01:09C'était un peu la bande-annonce pour le dire en français.
01:12Non, ça vient de quelque chose d'évident, c'est que la mode, on a dit qu'elle était entrée au musée quand aux Etats-Unis on a fait une première exposition sur Saint-Laurent.
01:23Mais en vrai, la mode a toujours été dans les musées parce que sur les sculptures, dans les tableaux, les gens sont habillés.
01:30Et si vous voulez dater un tableau, vous regardez un peu comment les gens sont habillés, vous savez à quelle époque on est.
01:35Et c'est ce que vous montrez dans votre livre, on va évidemment en parler.
01:38L'exposition a été ouverte cette semaine en présence de tout le gratin de la mode, vous y étiez évidemment.
01:44Qu'est-ce que vous en avez pensé ?
01:46Moi, c'est parce que j'aime les visites avec le gratin.
01:49Là, ce qui était émouvant, c'était de voir quand même les créateurs devant, pour ceux qui sont encore vivants, mais les créateurs devant leur robe, dans le Louvre.
01:58Ils avaient vraiment l'impression d'être sanctifiés parce que c'est vrai que c'est cet environnement tellement impressionnant, tellement...
02:06En fait, dès qu'on va au Louvre et qu'on regarde, c'est tellement captivant qu'ils n'en revenaient pas d'être là.
02:11Vous parliez d'art et de business, ils sont les premiers étonnés de voir qu'enfin, on dit qu'une robe, c'est autre chose que juste un bout de tissu qui finit dans une décharge.
02:21Et puis ce qui est intéressant, c'est les résonances entre les œuvres d'art et les créations de ces 45 maisons qui sont présentées.
02:29Les tableaux, les tapisseries, les mobiliers qui sont en résonance avec des structures, avec une veste Chanel, avec des robes Givenchy.
02:36Donc l'art et la mode, ça fait bon ménage. C'est la même chose d'ailleurs, c'est ce que vous disiez.
02:39En fait, par exemple, il y a une robe magnifique avec un bambi de Jean-Charles de Castelbajac qui est mise devant une tapisserie, enfin dans une salle de tapisserie.
02:52Et c'est vrai que les gens s'arrêtent éberlués parce qu'en fait, ça les fait regarder les deux.
02:56Ça les amène à regarder la robe, bon déjà, peut-être pour la première fois de leur vie, ils la regardent comme ça, et puis ils regardent les tapisseries.
03:04Et ça fait longtemps que, moi je travaille dans la mode, ça fait longtemps que dans la mode on regarde les tapisseries, vous savez.
03:10Donc on sait très bien tout ce qu'il y a là-dedans de foisonnant au niveau des idées.
03:15Mais c'est étonnant ces résonances, à la fois dans votre livre et dans l'exposition, parce qu'on est aussi à l'époque des influenceuses.
03:22On a l'impression que beaucoup des tendances, en fait, qu'on va voir dans les rues, dans les magasins, elles sont fixées par des bureaux de style,
03:28par des influenceuses, par Kim Kardashian, par Kendall Jenner, par TikTok.
03:32Mais vous savez...
03:33C'est pas la mode sanctifiée, ça ?
03:35Non, ça la salit, pas toutes les influenceuses, pas tous les influenceurs, mais il y a quand même un petit truc un peu dégueulasse, on est bien d'accord.
03:44Mais c'est la même chose dans l'art.
03:46C'est-à-dire que moi, la vie m'a amenée, je ne venais pas du tout de ce milieu-là, à aller parfois chez des gens qui avaient beaucoup d'argent.
03:51Ça fait mal de voir un Rembrandt chez eux, ça fait mal de voir un tableau d'Andy Warhol chez eux pour prendre des choses très différentes.
04:01On se dit « mais qu'est-ce que ça vient foutre là, chez ces gens qui n'ont aucun goût, qui sont vulgaires, qui sont méprisants ? »
04:08Bon, c'est comme ça, l'argent est un rouleau compresseur qui passe sur tout.
04:13Par exemple, qui est-ce qui décide que le marron va revenir dans nos vestiaires, qu'il va devenir la couleur d'une saison ?
04:20Est-ce que ce sont les créateurs ? Est-ce que ça part de la création des créateurs ou est-ce que c'est un bureau de style qui est payé pour ça ?
04:27Les bureaux de style, vous direz que ce sont les bureaux de style, moi je crois que ça vient de la rue, toujours.
04:33Et la rue, ça peut être le Louvre, vous voyez ce que je veux dire, ça peut être le musée, ça vient de gens qui dans les maisons,
04:40parfois c'est le créateur lui-même, parfois il n'a pas le temps, ça vient de gens qui vont se nourrir d'un vieux film, d'un tableau, d'une sculpture,
04:50qui vont attraper, comme Saint-Laurent qui allait au Louvre et qui voyait des choses, comme un tableau qu'il avait acheté de Goya,
04:57et il a fini par faire ce look dans un défilé, et ça, ça fabrique la mode d'une manière de s'habiller,
05:06de s'habiller en noir avec une ceinture rose, voilà, ça vient de là, ça vient de Goya, ça passe par...
05:12Quand je vous dis la rue, pour moi Goya c'est la rue en fait, c'est dès qu'on sort du studio de création pour aller s'abreuver quelque part.
05:19Par exemple, j'observe que vous, vous ne portez pas le marron qui est censé être la couleur phare de l'automne-hiver aujourd'hui.
05:24Ah oui, je sais que c'est le marron, je l'ai même moi aussi dit, oui, mais heureusement, personne ne suit la mode, personne ne veut être démodé,
05:35on a l'air aussi con si on est démodé que si on suit la mode en fait, ce qu'il faut c'est se mettre au milieu,
05:40c'est se mettre au milieu dans un moment où on est à l'aise et où on comprend que quelque chose peut bouger,
05:46il n'y a rien de pire que ce qui ne bouge pas, c'est le début de ce qui est réactionnaire.
05:49Alors par exemple, il y a la mode sanctifiée comme vous disiez au Louvre, et puis il y a un défilé qui va être fait par Jacquemus par iPhone,
05:57est-ce que c'est dommage ou est-ce que c'est justement la modernité ?
06:00Non, Jacquemus c'est un créateur qui ne se trompe pas sur à qui il s'adresse, et il s'adresse fondamentalement aux gens.
06:12Et c'est pour ça qu'il s'arrange toujours pour qu'il y ait un accès d'une manière ou d'une autre assez chaud,
06:17même s'il y a très peu d'invités assez chauds, en général il y a 40 personnes depuis quelques temps,
06:21mais il s'arrange pour qu'il y ait un accès plus grand, parce qu'il sait que c'est lié à la rue.
06:29Il y a des gens qui pensent que c'est lié au pognon, et il en faut quand même de l'argent,
06:33même pour s'acheter quelque chose chez Jacquemus, même si ce n'est pas le plus cher.
06:36Mais lui il sait que ce n'est pas lié à des gens au bout du monde, qu'il aimerait bien peut-être,
06:43mais qui ont suffisamment de pognon et puis qui se laissent un peu guider par le bout du nez pour acheter des choses.
06:48Il sait que ça se passe ailleurs, que la vraie gloire de la mode c'est ailleurs.
06:52C'est vraiment dans un rêve des gens, dans un cœur des gens, dans une envie d'élégance.
06:56Les résonances entre l'art et la mode, c'est donc, on en parlait tout à l'heure, le thème de votre livre défilé au Louvre,
07:02il y a beaucoup de beaux mondes, il y a la baigneuse d'Ingres, il y a la dentelière de Vermeer, il y a la Joconde,
07:06vous dites que c'est un cas inouï de longévité dans le monde des modèles.
07:10Elle vous regarde déjà, la Joconde, c'est ça qui m'amusait, c'est qu'on dit que quand vous bougez dans la pièce, elle vous regarde.
07:16J'ai eu la chance de pouvoir y aller toute seule.
07:18Ce qui est rare aujourd'hui.
07:20Oui, c'est rare, il y a des gens pour la garder, mais on n'est pas complètement seuls.
07:23En tout cas, elle vous regarde dans un monde où les mannequins, et elle sourit, c'est des rares personnes au Louvre qui sourient.
07:31Et parmi les mannequins aussi.
07:33Les mannequins ne sourient pas, et la Joconde sourit, comme par hasard, c'est la plus célèbre.
07:39Vous savez qu'à l'époque, on ne souriait pas parce qu'il y avait des temps de pause qui étaient tellement grands qu'on ne pouvait pas rester à sourire.
07:44Ça fait mal aux zygomatiques.
07:45Ça faisait mal.
07:47Mais aujourd'hui, les mannequins pourraient sourire, ils ne le font pas.
07:50Et c'est dommage.
07:51Moi, je trouve.
07:52Il y a ce tableau de Goya dont vous parliez tout à l'heure, c'est l'un de vos préférés, c'est un petit garçon avec des cheveux longs, des yeux verts,
07:58et une très jolie combinaison, vous pouvez nous le décrire ce tableau ?
08:01Il a un petit costume de velours avec un petit pantalon court comme ça, un col blanc comme un col Claudine, on dirait aujourd'hui, c'est pas vraiment ça, un peu dentelé.
08:09Je dis Claudine, je vais très vite.
08:11Et il a une ceinture rose.
08:13Et ça, ce qui est là, est complètement fou, puisque c'est ça qui va donner, finalement, en Angleterre, au début des années 1920, avec des chics anglais,
08:25la ceinture de Smoking, qui est inspirée des choses dont les Perses s'entouraient la taille, et dont les Indiens s'entouraient la taille pour tenir leurs sarouels, leurs pantalons.
08:34Tout ça, c'est là, dans ce tableau de Goya.
08:36Qui appartenait à ?
08:39À Yves Saint-Laurent.
08:40Et il l'avait sous les yeux, il l'avait mis sur un petit chevalet, parce qu'il voulait pouvoir le tourner dans tous les sens et pouvoir le voir tout le temps.
08:47Donc, ça montre aussi que quand on aime les vêtements, c'est de manière obsessionnelle.
08:51Et ce qui est beau, c'est qu'un jour, à la fin des années 1970, il a fait défiler exactement ce look.
08:58Et aujourd'hui encore, la mode revient, puisque vous me parliez de tendance.
09:02La mode revient à se mettre des ceintures de Smoking.
09:04On peut se faire avec des mini-jupes, avec ce qu'on veut.
09:06Mais enfin, on se met quelque chose là, à la taille.
09:09Ben voilà, ça vient de Goya.
09:11Ce qui est bien, c'est qu'avec vous, on a aussi des conseils pour s'habiller.
09:13Pas mal ! Je peux rester toute la journée, si vous voulez, distiller des conseils.
09:16Oui, avec plaisir !
09:17Dans votre sélection, il y a aussi une vierge à l'enfant que j'ai trouvée très belle,
09:20du XIIIe siècle, de la Sainte-Chapelle.
09:22Une statue qui est blanche et dorée, qui est élancée,
09:24alors que c'est vrai qu'on est plutôt habitués au Louvre à voir des Vénus calipiges.
09:28Vous la comparez à un top-model d'aujourd'hui ?
09:30Oui, parce que cette obsession de la minceur, elle est assez récente.
09:36D'ailleurs, on le voit bien au Louvre.
09:37En revanche, ce qui est marrant à voir, c'est qu'elle est venue comment, cette obsession de la minceur ?
09:41C'est qu'on dit qu'on a délivré la femme du corset.
09:44On en voit beaucoup, des corsets, au Louvre.
09:46Dès qu'on a délivré la femme du corset, c'est-à-dire une seconde, vingt-cinq plus tard,
09:50on a dit qu'il fallait être mince.
09:51Parce qu'évidemment, s'il n'y avait plus de corset, il fallait se mettre au régime.
09:56Donc, c'est très rare les corps minces au Louvre, mais il y en a.
10:02Et de toute manière, même quand on les voit dans le passé, on trouve ça beau.
10:07Alors, difficile quand même, avant de vous laisser, de vous libérer, de ne pas vous poser la question,
10:10puisque vous avez arpenté le Louvre pour nous livrer ce livre,
10:13et qu'on a lu cette semaine, l'appel au secours de la directrice Laurence Descartes.
10:17Elle parle de la vétusté du musée, elle parle des températures qui varient trop pour les œuvres,
10:21elle parle de la fréquentation trop élevée.
10:23Ça, vous l'avez constaté dans votre travail ?
10:25Non, moi, je n'ai rien constaté, parce que j'y allais toute seule.
10:29La surfréquentation, non, mais la vétusté ?
10:30La vétusté, moi, je ne l'ai pas vue, mais je la crois sur parole.
10:35Si vous voulez, c'est un endroit...
10:38Enfin, franchement, il n'y a pas d'équivalent au monde, au musée du Louvre.
10:42C'est un endroit qui a pu, en plus, se moderniser d'une façon absolument extraordinaire.
10:47Il le prouve encore là, avec ce qu'il fait sur la mode.
10:50Il ne souffre pas du tout d'un manque de fréquentation,
10:52ce n'est pas du tout de la retape, c'est l'inverse.
10:55Il y a des jauges, il y a énormément de visiteurs.
10:58Mais c'est vrai que pour des gens qui penseraient que la culture,
11:02c'est que pour certaines personnes.
11:04Non, la culture, c'est pour tout le monde et c'est notre richesse.
11:07Quand on parle là de comment on va faire pour affronter le monde qui se profile,
11:10on va l'affronter, la France, par la culture.
11:12Et on attend la réponse d'Emmanuel Macron mardi à la directrice du Louvre.
11:16Sophie Fontanel, autrice de ce livre, défilé au Louvre, publié chez Segers.
11:20C'est drôle, c'est savoureux, c'est très beau, c'est à lire.
11:22Merci d'être venue sur France Inter.
11:25Et puis je vous rappelle cette exposition,
11:27le Louvre, couture, objet d'art, objet de mode, jusqu'au 20 juillet.