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L'animation stop-motion a bercé nos enfances et pourtant elle pourrait être en voie de disparition. La faute à l'IA, au capitalisme du divertissement ou à une bête pénurie d'argile ? La « pâte à modeler » a beaucoup de choses à nous apprendre sur les logiques industrielles, surtout à travers le destin de ses artisans les plus emblématiques, les studios Aardman (Chicken Run, Wallace & Gromit, Shaun le Mouton).

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Transcription
00:00Bonne année tout le monde, on espère que vous avez passé de bonnes fêtes !
00:03C'est l'année de la bonne année, bonne année les gars !
00:05Au revoir !
00:07Peut-être qu'entre les conflits sur Qui Mange De Quoi et les débats familiaux de haut de volée,
00:11vous avez été confrontés à une autre tradition annuelle, les films d'animation.
00:15Avec vos gamins, vos neveux terminés à la patte patrouille,
00:18ou même pour votre petit plaisir personnel,
00:20ils font désormais partie intégrante de cette période de l'année.
00:23À la télé, sur les plateformes ou dans les étagères à DVD familiales.
00:27Entre vos propres Madeleine de Proust, la kilotonne de nouveaux trucs sortis pour l'occasion,
00:32et les classiques indéboulonnables.
00:33Car on le rappelle, le Noël où Blanche Neige est sortie,
00:36le front populaire était au pouvoir.
00:38L'original hein, pas le remake.
00:40Et au milieu de ce gigantesque télescopage de décennies de productions animées,
00:44vous aurez peut-être vu passer ce que l'on nomme improprement mais affectueusement,
00:48l'animation pâte à modeler.
00:50Et on pourrait se dire qu'il s'agit là d'un reliquat aux doux parfums désuets,
00:54et pourtant, en plus de la rediffusion continue des vieux classiques,
00:57ce Noël nous a amené un nouveau Wallace et Gromit,
01:00l'année d'avant un nouveau Chicken Run,
01:02et avant encore un nouveau Chaune le Mouton.
01:05Tous ces noms familiers, on les doit à un seul et même studio,
01:07sans doute le plus emblématique de cette technique d'animation à l'ancienne,
01:11les studios Hardman.
01:13Un petit village d'irréductibles Britons situés à Bristol,
01:16qui résistent encore et toujours depuis les années 70.
01:19Toujours la banane, toujours debout.
01:22Pourtant, et vous l'ignorez peut-être, en 2023,
01:25les amateurs du monde entier se sont émus à la possible disparition de ces productions,
01:30suite à la fermeture de Newclay Products, la société du sud de l'Angleterre,
01:33qui produisait l'argile nécessaire aux studios après plus d'un demi-siècle d'activité.
01:38Cette bête histoire de pâte à modeler a beaucoup à nous apprendre de l'industrie du divertissement,
01:43et peut-être de l'évolution de notre système économique en général.
01:46Alors, l'animation en stop-motion va-t-elle disparaître ?
01:49La crise du capitalisme, la mondialisation ou la toute-puissance des corporations comme Disney
01:54vont-elles avoir la peau de nos célèbres poulets ?
01:56L'IA peut-elle faire du « voilà ses gros mythes » ?
01:58C'est ce qu'on va voir aujourd'hui.
02:15D'abord, rapidement, c'est quoi l'animation pâte à modeler ?
02:18Déjà, ce n'est pas tellement une histoire de pâte à modeler,
02:21mais une technique qu'on appelle le stop-motion,
02:24un joli oxymore composé de arrêts et mouvements.
02:26J'espère que tout le monde voit à peu près le principe du cinéma,
02:29qui est de projeter une série d'images fixes suffisamment vite
02:32pour donner à votre cerveau l'illusion d'un mouvement,
02:35traditionnellement, mais pas nécessairement, 24 en une seconde.
02:38Dans le stop-motion, à la différence de l'animation dessinée en deux dimensions
02:42ou modélisée en 3D par ordinateur,
02:45on produit ces images fixes à partir d'objets physiques,
02:47d'où le nom français « animation en volume ».
02:50Ça implique donc de créer matériellement ces objets,
02:53de les photographier immobiles, de les bouger légèrement,
02:56d'en prendre l'image suivante,
02:57et de recommencer pour chacune des images qui composent chaque seconde du film.
03:02C'est ce qui lui donne son aspect si emblématique,
03:05avec la texture des matières ou l'identité reconnaissable de ses mouvements,
03:08et ça implique certaines conditions de production.
03:11En premier chef desquelles, comme vous l'imaginez,
03:13c'est méga chiant à faire.
03:16Alors, comme ça, on pourrait se dire qu'avec l'animation par ordinateur
03:19et les énormes blockbusters qui en sortent,
03:21c'est vraiment devenu archaïque.
03:22Déjà que même l'animation dessinée a bien subi cette concurrence,
03:26des figurines faites main qu'il faut bouger d'un millimètre 24 fois pour une seconde...
03:31Bon.
03:31Eh ben c'est précisément ce que s'est dit Phil Tippett lui-même dans les années 90.
03:35Et Phil, c'est pourtant pas n'importe qui, c'est même un des papes du stop-motion.
03:39Toute sa vocation, toute sa carrière,
03:41elle lui vient d'avoir vu les fameux effets réalisés avec cette technique
03:44par la légende Ray Harryhausen.
03:46Phil, c'est lui qui bossait sur les films de Lucas, Verhoeven, Jodent ou Spielberg.
03:51Et c'est d'ailleurs lui qui est crédité superviseur des dinosaures sur Jurassic Park,
03:55d'où la blague que c'est le type qui a le moins bien fait son boulot du film.
03:59Sauf que, justement, à la base, les dinosaures,
04:01ils devaient être réalisés avec cette technique,
04:03jusqu'à ce que les petits cons de geeks derrière leurs ordinateurs
04:05débarquent avec leur modélisation numérique.
04:08Alors qu'est-ce que t'en penses ?
04:09Non.
04:10Que notre métier est fini, vous voulez dire est teint.
04:13Donc, il a vu ça, il s'est dit,
04:15« Nick, la stop-motion, c'est finito. »
04:17Il est largement passé au numérique et à d'autres techniques,
04:20en foutant par la même occasion son grand projet de film d'animation à la poubelle.
04:24Et c'est vrai qu'on recourt assez peu à cette technique pour les effets spéciaux.
04:28Mais pourtant, dix ans plus tard,
04:30Chicken Run.
04:31Un carton absolu,
04:32sans parler de tous les autres films d'animation au succès variable
04:36qui continuent à être produits comme ça.
04:37Il faut dire que cette technique va à contre-courant des tendances de l'industrie.
04:41Tendances qui ne se sont pas arrangées depuis.
04:44Avec une concentration de plus en plus grande des capitaux au sein de conglomérats
04:48qui se reposent sur des superproductions calibrées,
04:50au moyen marketing hégémonique.
04:52S'assurant ainsi de phagocyter le marché
04:54et de remplir leur raison d'être primordiale,
04:56enrichir des actionnaires qui n'acceptent rien moins
04:59que des retours sur investissement à deux chiffres.
05:01Parce que oui, oubliez pas que quand on vous dit qu'une industrie a fermé pour manque de rentabilité,
05:06on veut rarement dire qu'elle était pas rentable,
05:08mais pas assez rentable pour les actionnaires.
05:11La colère gronde chez Michelin.
05:13Des centaines de salariés ont manifesté ce vendredi 8 novembre
05:16contre les fermetures annoncées des sites de Vannes et Cholet.
05:19Une décision incompréhensible pour les salariés
05:22alors que le groupe reste bénéficiaire.
05:24Aujourd'hui l'entreprise gagne de l'argent,
05:25l'entreprise est très rentable.
05:27Elle a annoncé qu'elle allait gagner 3,4 milliards d'euros au titre de 2024.
05:31Donc si l'entreprise est rentable et qu'elle ferme des sites,
05:34pourquoi d'autres ne seraient pas menacées ?
05:35Et l'industrie culturelle est une industrie capitaliste presque comme les autres.
05:40Sans vous refaire la baisse tendancielle du taux de profit,
05:42les propriétaires de ces groupes vont toujours plus chercher
05:45à maximiser leurs marges là où ils le peuvent.
05:48Notamment du côté de la main d'œuvre,
05:50en la précarisant au maximum sur des contrats à la tâche,
05:53en délocalisant une partie de l'activité dans des pays où elle est bon marché,
05:56ou en l'automatisant toujours plus.
05:58Ajoutez à cela une aversion au risque
06:00qui pousse à miser sur des productions calibrées,
06:02aux recettes éprouvées,
06:04basées sur des études de marché et désormais des algorithmes.
06:07D'où le fait que l'IA, c'est le nouveau truc qui fait mouiller les actionnaires et les managers.
06:31Selon cette logique, vous comprenez bien qu'un mode de production
06:33qui nécessite des matières premières en grande quantité,
06:36soumise très concrètement aux aléas du marché de celle-ci,
06:39comme dans le cas de l'argile pour Hardman,
06:41maniée par plein de petites mains expertes en continu sur des temps très longs,
06:45stockées et centralisées sur des plateaux communs au beau milieu de l'Angleterre,
06:48pour un investisseur qui est pas là pour l'amour de l'art,
06:51et ben c'est pas ouf.
06:52Surtout si ton entrepôt prend feu avec tout ton matos,
06:55comme c'est vraiment arrivé à Hardman en 2005.
06:58En fait, paradoxalement, le stop motion, par son côté artisanal,
07:02est une des méthodes les plus accessibles pour faire de l'animation.
07:04Elle permet d'en réaliser l'illusion de mouvements sans logistique coûteuse,
07:08dans un espace réduit, avec à peu près n'importe quoi,
07:11et pas une once de techniques de dessin.
07:13Extrêmement laborieuse, elle permet de compenser son absence de moyens
07:16par du temps et du travail.
07:18D'où le fait que ce soit une pratique très populaire
07:20pour les courts-métrages amateurs et les vidéos YouTube à partir de jouets.
07:23Cependant, dès qu'il s'agit de le porter à un niveau intense ou un peu industriel,
07:27le stop motion devient un des modes de production les moins efficaces.
07:31A l'origine, le studio Hardman au complet
07:33pouvait à peine produire 30 minutes de films par an.
07:36Leur grand succès leur a bien sûr permis d'augmenter grandement cette productivité,
07:40grâce à des équipes permanentes de plus de 100 personnes,
07:43ainsi que des centaines de renforts indépendants au pic de production,
07:47répartis sur de multiples plateaux dans d'immenses studios.
07:50Ce qui va avec...
07:51un coût...
07:52difficilement compressible.
07:54Et ça, ça pose déjà une question.
07:56L'industrie du divertissement produit énormément de choses, bonnes comme mauvaises.
08:00Mais est-ce que c'est souhaitable de laisser des choses comme les productions culturelles
08:03uniquement décidées par des logiques capitalistes ?
08:05Bon, moi je veux tout le temps tout socialiser de toute façon,
08:08mais sans aller jusque là, la question se pose partout.
08:10La santé, le logement, les services publics, les infrastructures, l'eau, l'énergie, que sais-je ?
08:15Et donc, on pourrait se poser la question pour le cinéma d'animation.
08:18Est-ce que tout doit être rentable, même les imaginaires ?
08:22Une illustration très poétique de ça, c'est le film d'animation L'Homme qui plantait des arbres.
08:27Réalisé au crayon de couleur directement sur un type de celluloïde spécial,
08:31chacune de ces 30 minutes est composée de 12 à 24 dessins
08:34que l'artiste Frédéric Bach a voulu réaliser tout seul.
08:37Avant de se résoudre quand même à en laisser 2000 sur les quelques 20 000 à son assistante Lina Gagnon.
08:42Le projet aura pris 13 années à se faire, dont 5 entières pour la production.
08:46Ce qui, vous me l'accorderez, surtout pour un court-métrage avec des possibilités de commercialisation limitées,
08:51est le business model le plus éclaté du monde.
08:54Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un des chefs-d'oeuvre les plus célébrés de l'animation,
08:58couvert de prix, dont un Oscar, cérémonie dont Bach fut un habitué,
09:02avec les 10 cours qu'il aura produit en 25 ans.
09:06Et quand je dis que c'est poétique, je dis vraiment pas ça à la légère.
09:09Puisque ce film, adapté d'une nouvelle de Jean Giono, raconte l'histoire d'un homme seul,
09:13qui, patiemment, tout au long de sa vie, et ignorant les affres du monde,
09:17plante un à un des arbres qui donneront à terme un paysage qui redonne vie à toute une vallée.
09:22Pardon, mais le niveau de méta entre l'histoire du film et l'histoire du film...
09:28Excusez-moi.
09:47Pour revenir à Hardman, s'ils sont toujours là,
09:50c'est en tirant leur épingle du jeu dans une économie, qu'on le veuille ou non, de marché.
09:54Ils font leur possible pour produire des choses qui marchent et capitaliser sur leur nom.
09:58Ils doivent négocier avec des grosses boîtes pour la distribution,
10:01des fois ils ont eu recours à des financements participatifs,
10:04ils ont diversifié leur activité,
10:06et tout en restant vaille que vaille sur le stop motion,
10:09ils ont optimisé leur production.
10:11Comme la plupart des studios du genre d'ailleurs,
10:13et c'est pour ça que c'est pas forcément de la pâte à modeler.
10:15Beaucoup ont recours à du compositing pour assembler les différents éléments physiques,
10:19voire à les coupler à du numérique,
10:21ou prenez un des rares films français du genre, Ma Vie de Courgette.
10:24Eux, ils devaient composer avec un budget réduit, qu'ils étaient aptes à rentabiliser,
10:28sachant qu'ils ne pouvaient pas compter sur le fait que tous les gamins du monde allaient se ruer à Noël
10:32comme si c'était la Reine des Neiges 5,
10:34sur un drame dans un orphelinat qui parle d'abus, de parents alcooliques et d'inceste.
10:38Bon bah pour réussir ça, ça a été beaucoup de temps et beaucoup d'huile de coude,
10:42très concrètement au rythme de 3 à 4 secondes par jour et par animateur,
10:46mais aussi de l'inventivité technique.
10:48Les personnages sortaient d'imprimantes 3D et étaient peints de façon à leur donner plus de texture.
10:53Même si les designs sont très simples,
10:56on a cherché à avoir des matières différentes dans la marionnette
11:02pour donner du détail photographique et presque du réalisme,
11:07même si la marionnette elle-même n'est pas réaliste.
11:09Ils avaient des séries de bouches correspondant au phonème
11:12et interchangeables rapidement à chaque image grâce à un système d'aimants.
11:16Bon bah les studios comme Hardman, c'est pareil à plus grande échelle.
11:19En fait, je trouve que sans le vouloir,
11:21tout ça réalise un peu le délire de William Morris dont on a déjà parlé ici,
11:25c'est-à-dire casser la distinction entre les outils industriels et la production artisanale.
11:29Et y compris dans le mode d'organisation, mais ça on va y revenir.
11:32Tenez, cette histoire d'argile.
11:34Face à l'émotion du public, ils ont vite annoncé que c'était gentil de s'inquiéter,
11:37mais qu'ils avaient prévu le coup.
11:39Qu'il leur restait de quoi faire au moins un film avec les 400 kilos
11:42qu'ils avaient précédemment acheté d'un coup à la boîte pour la maintenir à flot.
11:46Et qu'après, de toute façon, ils envisageaient de passer à une autre matière.
11:49Et c'était trop mignon parce que les gens étaient vraiment inquiets.
11:52Ils faisaient des memes pour dire qu'ils étaient prêts à braquer des entrepôts de pâtes à modeler,
11:55à se mobiliser, voire à se cotiser pour leur trouver un plan B.
11:58Parce que c'est ça aussi.
12:00Les gens, ils aiment Hardman.
12:02Et ils aiment Hardman parce que c'est fait différemment.
12:04Et cette différence fait qu'ils survivent à la concurrence du reste de l'industrie.
12:08Et ça, ça vaut pour la technique elle-même.
12:10Oui, on peut faire plus rentable que le stop motion,
12:13mais pas si on veut du stop motion.
12:15Moi, il y a une illustration de ça qui m'a frappé.
12:18C'est des partisans illuminés de l'IA, là,
12:20qui se sont justement vantés d'avoir, grâce à leur bidule,
12:23amélioré les effets en stop motion de Reariozone.
12:27Bon, déjà, comme d'hab', c'est absolument dégueulasse,
12:29mais c'est même pas la question.
12:31Ce que ces gens semblent pas comprendre, c'est que,
12:33pourquoi tu voudrais corriger ça ?
12:35C'est parmi les effets les plus emblématiques de l'histoire du cinéma.
12:38Et oui, ils ont cette identité un peu saccadée, un peu figurine,
12:41mais c'est pas un défaut.
12:43C'est la beauté du truc.
12:44Tout comme, la question, à mon avis, c'est pas vraiment
12:47est-ce que l'IA, un jour, techniquement,
12:49arrivera à faire un Wallace et Gromit regardable.
12:51La question, c'est plutôt, pourquoi vous avez envie de regarder
12:54des trucs qui ont pas été faits par des gens ?
12:57Il y a des gens qui vont me dire
12:58« Oui, mais les artistes IA qui font les trucs IA, c'est des artistes. »
13:01Est-ce qu'il faut vraiment répondre...
13:05Est-ce qu'on peut être sérieux, quoi, deux minutes ?
13:15L'art, normalement, c'est pour que des gens s'expriment à travers lui,
13:18par leur travail, et le partagent avec d'autres gens.
13:21Parce que même votre IA, en fait, elle aura fait que se reposer
13:24sur tout le vrai travail de vrais gens, et les sortir de l'équation.
13:45C'est vraiment une mentalité de capitaliste.
13:57Tenez, vous voulez savoir où il en est, Phil Tippett,
13:59le monsieur dinosaure qui a renoncé à son projet de long-métrage
14:03quand il s'est dit, dans les années 90, que le stop-motion, c'était terminé.
14:06Eh ben, 20 ans ont passé, et en 2010, le stop-motion était encore là.
14:11Donc t'as des gens de son désormais légendaire studio
14:14qui se sont portés volontaires pour l'aider à rebosser sur Mad God.
14:18Mais attention, en effet, pas en allant gratter chez les costards-cravates d'Hollywood,
14:22auprès de qui il avait pourtant un nom.
14:24Non, justement, il les connaît que trop bien, et il sait comment ça se passe.
14:27Lui, ce qu'il a en tête, c'est un truc un peu dingue, très personnel,
14:30qu'aucun décideur produira en l'état.
14:32Alors, il a fait ça sur les week-ends, avec qui voulait,
14:35il a fait des petits kickstarters pour trouver 150 000 balles,
14:38ce qui est ridicule comme budget.
14:40Il a sorti ça là, en 2021, dans quelques salles et pas mal de festivals,
14:44et il l'a vendu à la célèbre plateforme de streaming Shudder.
14:48Je sais pas si vous connaissiez Shudder, pas moi.
14:50Et voilà, ça a pris 30 ans, ils sont rentrés dans leurs frais,
14:53les critiques sont dithyrambiques, il a fait le film qu'il voulait,
14:56et ils ont eu besoin d'aucun actionnaire.
15:00Alors, ça n'a rien de révolutionnaire, mais il y a toujours des gens
15:03qui montrent qu'on peut faire autrement, au sein même de ce système,
15:06qu'on peut toujours sortir des choses des seules logiques de marché.
15:10Et que ça marche.
15:11C'est du déjà-là, déjà-là.
15:15Ça devient n'importe quoi l'imitation de Bernard Friot,
15:17c'est le feu du vampire, c'est l'affaire, c'est l'aspect,
15:22c'est l'affaire, c'est l'affaire, c'est l'affaire.
15:25C'est le feu du vampire, c'est l'affaire, c'est l'aspect de Bernard Friot.
15:31Ce qui est intéressant dans la culture, mais pas que,
15:35on le trouve aussi dans la production d'aliments par exemple,
15:39c'est qu'il y a énormément de dissidents.
15:42Par dissident, j'entends des personnes déterminées
15:47à ne produire que selon leur éthique, déterminées à ne pas travailler
15:53sur des objets et avec des modalités avec lesquelles ils sont en désaccord.
15:59Et pour moi, ce sont des communistes.
16:03Et si je dis ça, c'est que j'ai un dernier twist pour vous.
16:06J'imagine qu'à peu près tout le monde connaît Chicken Run,
16:09c'est le plus gros succès du studio Hardman,
16:11et c'est même le plus gros succès de l'animation stop-motion tout court.
16:15Et souvent, il y a des gens qui me demandent d'en parler,
16:17parce qu'évidemment, le propos du film,
16:19c'est globalement une histoire de rébellion contre l'exploitation,
16:22pour aller fonder un autre type de société.
16:24Il y aurait toute une analyse à faire, c'est vrai,
16:26parce que ce n'est pas juste de la résistance à l'exploitation.
16:29Il y a toute la question de la petite exploitation familiale
16:34qui s'industrialise en utilisant, comme dans Corporate,
16:37l'image de marque de la petite ferme familiale pour vendre des produits industriels.
16:43Mais ça montre aussi qu'en fait, c'était déjà une exploitation dégueulasse
16:46et que l'automatisation n'a fait que la renforcer.
16:50Ça met vachement en avant l'émancipation collective,
16:53parce que le personnage principal, elle peut se barrer toute seule.
16:57Dès le début, elle pourrait le faire.
16:59Elle est suffisamment compétente pour le faire.
17:01Mais ce n'est pas ça qu'elle veut faire.
17:02Ce qu'elle veut faire, c'est libérer tout le monde.
17:04Effectivement, c'est méga basé.
17:05Et juste, je mets ma hot take.
17:07Désolé, c'est ma hot take pour les vegans.
17:09Mais par contre, je ne suis pas d'accord.
17:11Ce n'est pas un film antispéciste.
17:13En tout cas, ce n'est pas un bon film antispéciste.
17:15Parce que c'est des humains, en fait, les poules dans Chicken Run.
17:19Forcément, si les poules, tu les humanises,
17:21tu leur mets des dents, des comportements d'humains,
17:23et des trucs comme ça,
17:24je trouve que ce n'est pas un bon argument vegan.
17:27Alors que Okja, c'est un bon film antispéciste.
17:30Parce que c'est un vrai animal.
17:32Ce n'est pas genre, imaginons que c'était un humain,
17:35vous seriez dégoûté qu'on les mange.
17:37Oui, mais ce qu'il faut, c'est convaincre les gens.
17:39Tu t'attaches à l'animal,
17:40et après tu vois des milliers d'animaux dans les abattoirs.
17:43Et je comprends que les gens disent,
17:44Okja, ça m'a rendu vegan.
17:45Chicken Run, non, je suis désolé.
17:47Ça ne marche pas.
17:48C'est une métaphore de l'exploitation.
17:50C'est une analogie sur l'exploitation en général.
17:52Ce n'est pas sur l'exploitation animale.
17:54Ce n'est pas des animaux.
17:55Ce n'est pas ça, des poules.
17:57Vous avez déjà vu des poules ?
17:58Les poules, ce n'est pas comme ça.
17:59C'est de gauche, quoi.
18:00Ça, je suis d'accord, c'est de gauche,
18:01et c'est ultra basé et tout.
18:02Il n'y a pas de problème.
18:03Studio Hardman, la petite étoile rouge, d'ailleurs, du logo.
18:08Je me demande, des fois.
18:10Bref.
18:14Elle n'est pas là.
18:15Et ça, c'est passé à côté de beaucoup plus de gens.
18:18Et c'est normal parce que ce n'est pas dans le film.
18:20Chicken Run, ça a été un énorme carton
18:23qui a propulsé le studio au cinéma
18:25dans le cadre d'un deal bien juteux avec DreamWorks.
18:27Deal que Hardman a rompu quelques années plus tard
18:30en désaccord avec le modèle économique du géant américain
18:33et le contrôle créatif qu'il voulait s'accaparer.
18:35Hardman a donc continué sa vie de son côté
18:37avec les galères et la réussite qu'on leur connaît.
18:41Ses deux fondateurs, Peter Lord et David Sproxton,
18:44deux amis d'enfance de Bristol où se trouvent encore les studios,
18:47ont transféré trois quarts des parts aux employés de Hardman.
18:53Alors, je suis d'accord, ça fait chier
18:55que ça tienne au bon vouloir des propriétaires.
18:57Mais que voulez-vous ?
18:58Le capitalisme, ça fonctionne comme ça.
19:00C'est même un peu le principe.
19:01Même, pour vous dire,
19:02ils ont carrément galéré à faire cette opération
19:04en devant monter un trust
19:06et tout un tas d'opérations financières compliquées.
19:08Mais toujours est-il que là, actuellement,
19:10la très grande majorité de la propriété,
19:13des décisions, des responsabilités et des profits éventuels
19:16ne reviennent pas à un borde d'actionnaires lointains
19:19qui en auraient rien à foutre,
19:21mais aux travailleurs du studio.
19:23Cerise sur le gâteau,
19:24à contre-courant de la tendance actuelle,
19:26cette opération garantit qu'aucun gros actionnaire
19:28qui en a rien à battre
19:29n'aille vendre le studio, ses futurs projets
19:31et ses propriétés intellectuelles
19:33à un géant type Disney.
19:39Et ça, mesdames et messieurs,
19:41c'est ce que j'appelle une success story.
19:43Et en sachant ça,
19:44j'espère vraiment que l'animation en pâte à modeler
19:47disparaîtra que quand les poules auront des dents.
20:08Tant que les verres qui sortent d'ici sont ancrés
20:10dans la mémoire de beaucoup.
20:13C'est une fierté aussi de travailler dans l'usine
20:14où on voit nos verres de cantine
20:16quand on était gamins.
20:18Et puis, tout le monde connaît.
20:20Tout le monde a connu.
20:22Et j'espère que tout le monde connaîtra encore
20:24pendant des années.

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