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00:00Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin Séverine Vermaer, la maman de Lucas.
00:06Bonjour Séverine, bienvenue sur Europe 1. Il y a deux ans, le 7 janvier 2023, votre fils Lucas
00:11met fin à ses jours en se pendant au barreau de son lit dans sa chambre à seulement 13 ans et demi. Pour vous c'est évident,
00:18c'est lié au harcèlement qu'il subissait au collège de la part de quatre élèves, mais ce lien,
00:23la justice, pour l'heure, refuse de l'établir.
00:25On va en parler, mais d'abord je voudrais que vous nous parliez de Lucas, de votre fils, qui est devenu un symbole
00:31malgré lui. C'est le titre du livre que vous signez chez Harper Collins, Séverine Vermaer, je le montre à l'écran
00:37pour ceux qui nous regardent sur l'appli Europe 1.
00:41Lucas, symbole malgré lui, mais de quoi est-il le symbole selon vous Séverine Vermaer ?
00:45Le symbole du harcèlement, de l'homophobie,
00:48c'est...
00:49malgré tout c'était un petit garçon solaire, enfin plein de vie, plein de joie,
00:53avec des projets plein la tête, mais voilà, le harcèlement l'a détruit.
00:58Alors racontez-nous qui était votre fils, Lucas, vous le décrivez comme un petit garçon
01:03qui était singulier, dès les premières années de sa vie, c'était quelqu'un qui savait qui il était, hein, Lucas ?
01:07Exactement, c'est un petit garçon joyeux, solaire, plein de projets,
01:12aventureux, qui croquait la vie à pleines dents.
01:16À trois ans, vous lui offrez une poupée qu'il vous demande, et vous l'accompagnez finalement dans la construction de son identité,
01:23sans jamais le juger, sans jamais le condamner, alors qu'il en a peur.
01:26Oui, parce qu'il n'y a pas de stéréotypes, il ne sait pas aller jouer fille-garçon,
01:29il m'a demandé une poupée, donc je lui ai offert.
01:32Il adorait piquer les habits, s'habiller avec les habits de fille, se maquiller, enfin voilà,
01:39il grandissait comme il voulait.
01:41Et un jour de 2020, il a dix ans, c'est ça, il prend son courage à deux mains,
01:45pour vous avouer, pour faire son coming-out, pour vous avouer qu'il est homosexuel, qu'il le sait.
01:51C'était un après-midi avec la marraine de ma petite,
01:54je le cherche partout dans l'appartement, et elle me dit, va voir, il est dans la salle de bain, il veut te parler, il n'est pas bien.
01:59Donc j'y vais, forcément,
02:01et j'arrive dans la salle de bain, il me demande d'éteindre la lumière, pour ne pas affronter mon regard, parce qu'un coming-out, c'est jamais évident,
02:08c'est souvent rejeté. Il a peur que vous le rejetiez. Voilà, il m'a dit, éteins s'il te plaît,
02:14j'ai peur que tu ne m'aimes plus. Alors déjà là,
02:17je lui demande ce qu'il se passe, et je lui dis, t'as fait une bêtise, parce qu'on pense tout de suite à ça.
02:22Et il me dit, je ne sais pas si c'est une bêtise, mais j'ai peur que tu ne m'aimes vraiment plus.
02:27Et là, il me dit, parle-moi,
02:30donc la lumière toujours éteinte, toujours dans le noir, et il me dit, j'aime pas les filles, je préfère les garçons.
02:37Donc j'allume la lumière, je lui dis, oui, alors, je le savais déjà. Sois heureux, tant que t'es heureux, qu'on ne te fait pas de mal.
02:43Que t'aimes une fille ou un garçon,
02:45ça ne regarde personne, ça ne regarde que toi, donc sois heureux, mon fils.
02:48Quoi que tu décides, je t'aime et je t'aimerai toujours.
02:51Donc jusqu'ici, tout va bien, il a 10 ans, vous vivez dans un petit village qui est à 50 kilomètres d'Épinal,
02:55et puis pour des raisons professionnelles, la vie vous conduit à emménager, en janvier 2022, c'était il n'y a pas très longtemps, c'était il y a trois ans seulement,
03:04en périphérie d'Épinal.
03:06Et c'est là que ça va se tordre en réalité, parce que vous emménagez dans un quartier qui ne vous plaît pas beaucoup, ça ne se passe pas très bien,
03:12et surtout au collège, ça va tout de suite prendre un tour un peu difficile pour Lucas, racontez-nous, Cébrine.
03:19Alors oui, on arrive d'un village, enfin fondé Vosges, et on arrive dans une petite ville pleine de bâtiments, de béton, tout ce qu'on n'a pas l'habitude.
03:30Lucas arrive dans son collège,
03:32à Golbaix, et
03:34c'est la descente aux enfers.
03:35Il a ses converses avec des petits coeurs roses au pied.
03:38En rentrée de septembre, oui, il a ses converses
03:41qui ne sont pas super flashy non plus, enfin
03:44voilà, on l'a trouvé dans le rayon homme, donc c'est pour dire.
03:48Et là, ça a été l'hécatombe pour lui, ça a été la descente aux enfers totalement.
03:52Ça se traduit comment, cette descente aux enfers ? Il y a quatre garçons, quatre abrutis, comme vous les appelez dans votre livre,
03:58qui vont s'en prendre à lui.
04:00Qui vont le dénigrer, qui vont l'insulter de sale pédé, grosse tapette,
04:05sale cassos, enfin c'est toujours dénigrant, parce qu'en plus ça c'est souvent avec deux pronoms.
04:10Très discriminatoire, donc il y a le sale déjà, et il y a l'insulte derrière.
04:17Et il vous en parle, Lucas, à ce moment-là ? Lucas m'en parle, j'en fais part au professeur principal dès la première réunion,
04:22qui agit tout de suite.
04:25C'est la seule personne que j'incrimine pas. La CPE ?
04:27C'est son professeur principal que j'incrimine pas, parce que lui a fait son travail.
04:32Par contre le reste de l'équipe, non. La CPE me
04:35me traite de menteuse à l'annonce du décès de mon fils, comme quoi j'avais pas appelé, alors qu'on a des relevés téléphoniques.
04:42Et là, les parents n'étaient même pas mis au courant.
04:48Alors arrive cette date fatidique du 7 janvier 2023.
04:54Vous partez à votre travail, on vous appelle, et là on vous apprend que votre fils a mis fin à ses jours, il s'est pendu dans sa chambre.
04:59Donc ce sont des moments absolument terribles.
05:01Mais finalement, ça va être encore pire après, parce qu'il va se mettre en branle une espèce de mécanique infernale, Séverine Wehrmacht.
05:08Alors il va y avoir l'épreuve judiciaire, évidemment. On va en parler parce que c'est très important. La justice a refusé
05:13d'établir le lien entre le suicide de votre garçon et le harcèlement dont il a été victime.
05:18Mais il y a aussi tout d'abord cette tempête médiatique qui s'abat sur vous,
05:22Séverine Wehrmacht. C'est à ce moment-là que Lucas devient ce symbole, malgré lui, du harcèlement.
05:27C'est le titre de votre ouvrage,
05:30mais ça ne se passe pas très bien pour vous. C'est de trop, en plus de la souffrance qui vous tombe dessus, Séverine Wehrmacht.
05:35Alors oui, on a été pris dans un engrenage médiatique contre notre volonté.
05:38Tout ça par d'une cagnotte que votre sœur lance.
05:40Que ma sœur a lancée pour nous aider à subvenir au funérail.
05:44Mais on a été harcelés, ça a été du harcèlement.
05:49Harcelés par qui ?
05:50Les journalistes. Par tous les journalistes.
05:53On est venus toquer à ma porte directement, alors que le bâtiment est sécurisé par un badge.
05:58Donc oui, on a vécu l'enfer. On nous suivait partout, on nous cherchait partout.
06:02J'ai protection rapprochée.
06:04Donc on voit ça que dans les films, mais on n'est pas habitués à tout ça.
06:07C'est votre avocate qui vous permet d'accéder à cette protection.
06:10Mon avocate m'a défendue, a tout fait pour qu'on puisse être protégé.
06:16Et j'ai un journaliste aussi qui a très bien fait son travail, parce qu'il a été très attentif.
06:21Je tiens à le souligner, parce que j'avais pas confiance aux médias.
06:26Olivier Jorba, qui travaille chez Vosge Matin, m'a énormément rassurée.
06:31Il m'a énormément mis en confiance avec le métier de journaliste.
06:36C'est grâce à lui qu'à cette heure-ci, j'ai plus peur de venir parler.
06:40Alors ça fait deux ans que votre fils est mort. L'anniversaire de son décès, c'était hier précisément.
06:44L'histoire n'est pas terminée, parce qu'il y a eu des procès jusqu'en appel.
06:48Et là, c'est assez ahurissant.
06:50La justice n'a pas voulu établir le lien entre le harcèlement, d'où a été victime votre fils, et le suicide de Lucas.
06:56L'argument de la défense déployé par les avocats des 4 garçons, c'est de dire
07:00qu'il n'y a pas de certificat médical, il n'y a pas de bilan psychologique
07:03qui atteste de la dégradation de l'état de santé de Lucas, à partir du moment où il est entré au collège.
07:08C'est vrai une verba ?
07:09Non, le lien de causalité est très compliqué à établir, dans tous les cas, en cas de suicide.
07:14Mais il n'y a pas de certificat, certes.
07:17On ne nous a pas aidé non plus, on ne nous a pas conseillé, on ne nous a pas orienté.
07:20Et on ne nous a pas cru, donc forcément, on manque de preuves.
07:25Mais le harcèlement est effectivement reconnu par l'enquête pédagogique qui a enfin eu lieu et qui est terminée.
07:32L'enquête après laquelle vous avez couru, parce qu'on vous l'avait promise,
07:36le ministre Papendia vous l'avait promise, elle n'a pas été ouverte, cette enquête administrative.
07:39Exactement, il a fallu que je me batte pour l'avoir.
07:41Il a fallu que j'interpelle M. Attal, qui est venu en visite dans les Vosges.
07:45Ça a été toute la matinée pour combattre, pour pouvoir le voir.
07:50J'ai réussi, on a discuté pendant une vingtaine de minutes.
07:54Il m'a promis cette enquête, donc encore sur la défensive pour être sûr.
07:59Je reçois un appel de la secrétaire de Mme Belloubet,
08:04qui me dit qu'effectivement, l'enquête va être mise en place.
08:08Elle me reçoit et elle me l'a promis et elle l'a mis en place.
08:10J'ai une dernière question pour vous, Séverine Verma.
08:12Vous écrivez que vous en voulez à votre fils d'être parti.
08:15C'est dur, c'est bon.
08:17J'ai envie de m'avoir abandonné, parce que j'aurais aimé qu'il me parle encore plus.
08:21J'aurais tout fait pour lui, comme pour mes deux autres enfants.
08:26Je serais partie au front, comme je le fais actuellement.
08:30Je lui en veux parce qu'il me manque.
08:34Je lui en veux, mais je le comprends.
08:39Merci beaucoup, Séverine Verma, d'être venue au micro d'Europe 1.
08:42Votre histoire est à lire dans votre livre.
08:44Lucas, symbole malgré lui, s'est paru ces jours-ci aux éditions Harper Collins.
08:48Bonne journée à vous. Merci d'être venue sur Rempain.

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