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Les économistes Claudia Senik et Philippe Askenazy dirigent "Gouverner la démocratie, un enjeu crucial". Cet ouvrage cherche à comprendre les ressorts des crises démocratiques et comment améliorer le fonctionnement de la société, des institutions.

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00:00Deux invités ce matin dans le Grand Entretien, il n'en fallait pas moins pour aborder ce
00:05sujet crucial qui est aussi celui de leur livre « Gouverner la démocratie, un enjeu
00:10crucial », justement un ouvrage publié chez Odile Jacob et qui est, c'est surprenant,
00:15dirigé par deux économistes, Claudia Sénic et Philippe Askenazy.
00:17Bonjour à tous les deux.
00:18Bonjour.
00:19Posez vos questions chers auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:25Inter, vous publiez ce livre qui est très riche avec les contributions de plusieurs
00:29confrères du CEPREMAP, le Centre pour la Recherche Économique, et ses applications.
00:33Il tombe bien en ces temps politiques et économiques instables parce qu'il s'agit de comprendre
00:38les ressorts des crises démocratiques et d'améliorer le fonctionnement de la société,
00:42des institutions.
00:43Il y a ce cap que vous fixez, la transition énergétique, c'est le tout premier chapitre.
00:47Et puis il y a les moyens, voter autrement, comprendre les réseaux sociaux, améliorer
00:50la parité en politique, la démocratie en entreprise, on va en parler.
00:54Philippe Askenazy, question toute simple pour commencer, il y a eu cette année des scrutins
00:58majeurs dans le monde entier, la moitié de la planète s'est rendue aux urnes, c'est
01:02du jamais vu.
01:03Est-ce que ce n'est pas le signe d'un regain démocratique en 2024 ? Qu'est-ce
01:07qui rend en fait ce livre nécessaire ?
01:08Alors, le regain démocratique, il y a un petit peu un hasard en 2024, un agenda électoral
01:14qui a fait que, effectivement, notamment l'Inde a voté.
01:18Et ça fait beaucoup de monde.
01:19Voilà, ça fait beaucoup de monde.
01:20Mais ce que l'on voit, c'est qu'il y a un appétit pour la démocratie à travers
01:25le monde.
01:26Et quand même, les électeurs ont tendance à toujours se rendre aux urnes et si on regarde
01:31le scrutin français majeur de 2024, qui sont ces législatives anticipées, il y a eu,
01:38parce qu'il y avait un enjeu démocratique important, un très fort regain de participation
01:45avec à peine, entre guillemets, un tiers d'abstention.
01:51Et donc, c'est cela qu'il faut retenir.
01:55Et face à cet appétit démocratique, il faut qu'il y ait des institutions, des politiques
02:02qui répondent également aux demandes des citoyens.
02:07Et tout ce que l'on recherche à travers cet ouvrage, c'est ce que les économistes
02:12peuvent donner comme outil de réflexion, que ce soit aux politiques, aux gouvernants,
02:19mais aussi aux partenaires sociaux, aux citoyens, pour avoir la démocratie la plus
02:25pleine, complète possible.
02:26Il y a l'appétit démocratique et puis il y a la crise démocratique, dont le terme
02:32apparaît de plus en plus souvent dans la presse.
02:34Claudia Sénic, vous vous êtes connue pour vos travaux d'économiste sur le bonheur.
02:38Est-ce qu'on sait mesurer le bonheur des Français aujourd'hui ? Est-ce qu'il est
02:40corrélé à une possible crise démocratique ?
02:42Oui, c'est ce qu'on montre depuis assez longtemps dans différents ouvrages soutenus
02:46ou publiés par le CEPREMAP, le lien très fort entre la satisfaction dans la vie, l'optimisme
02:52ou le pessimisme, et puis le comportement électoral et le vote, l'orientation du vote,
02:57et puis aussi le rôle des émotions.
02:59En fait, c'est vrai que la participation, c'est la bonne nouvelle pour la démocratie,
03:02mais après il y a beaucoup de mauvaises nouvelles, notamment le rôle énorme des réseaux sociaux
03:06qui charrient un volume, 80% de ce que les gens lisent ou dont ils prennent connaissance,
03:12ça vient des réseaux sociaux et pas des informations.
03:14Il y a un conflit sur les réseaux sociaux, on va en parler un peu plus tard.
03:17Ce chapitre le montre, mais on l'a montré dans beaucoup d'autres, c'est vraiment
03:21ce rôle des émotions négatives.
03:23Et dans ce chapitre sur Twitter, par exemple, sur ce que font les gens sur Twitter depuis
03:27qui parlent volontairement sur Twitter, qu'est-ce qu'on voit en codant finalement
03:32tout ce qu'ils disent en sentiments positifs, négatifs, colères, peurs, etc. ? C'est
03:35la montée de la négativité.
03:37Y compris chez les jeunes, ça se fait un peu à la surprise.
03:39Surtout chez les jeunes et surtout aux extrêmes du spectre politique, c'est vraiment la
03:42montée de la négativité, donc la colère et la peur.
03:44Et ça, ça menace la démocratie parce que certains partis jouent là-dessus et font
03:49résonner encore plus ces émotions.
03:51C'est une forme de manipulation finalement des électeurs, qui jouent contre la démocratie.
03:56D'ailleurs, il y a un sondage d'Ipsos en novembre qui montrait que la moitié des
03:59interrogés étaient mécontents du fonctionnement de la démocratie.
04:02Trois quarts estiment que ce fonctionnement s'est détérioré depuis cinq ans.
04:05Voilà, donc c'est ces sondages qu'on fait année après année, période après période
04:10qui montrent que les Français sont insatisfaits des institutions, etc.
04:13Sauf les institutions locales, ce que montre ce sondage, si je me souviens bien.
04:16Et donc la démocratie est quand même fragile intrinsèquement parce que c'est un régime
04:21de liberté, protégé par le droit, mais de liberté.
04:25Philippe a parlé des institutions et c'est très important, mais il y a aussi le sentiment
04:30ou la culture démocratique, c'est-à-dire la vigilance, le fait d'être prêt à défendre
04:34farouchement ces libertés contre ceux qui sont libres de lutter contre elles.
04:38Philippe Askenazy, vous êtes des économistes, vous collaborez avec des économistes et
04:43pourtant il y a des questions sur les gaz à effet de serre dans ce livre, sur les réseaux
04:46sociaux, on en parlait, sur la parité, sur le mode de scrutin, vous êtes légitime
04:50pour parler de tout ça ? Oui, c'est l'ensemble des sciences sociales
04:53qui sont légitimes, par ailleurs, la plupart des…
04:56Ça ressemble à des questions politiques et sociales ?
04:58Oui, tout à fait, mais l'économie est une des grilles de lecture du politique depuis
05:06toujours.
05:07Lorsqu'on regarde même les économistes classiques, ils étaient historiquement aussi
05:14en pleine dans la question politique, du politique, l'économie politique est une partie de
05:22notre champ.
05:23On est légitime comme d'autres sciences sociales, par ailleurs, beaucoup des chercheurs
05:30et nous-mêmes, que ce soit Claudia ou moi-même, on collabore aussi dans d'autres travaux
05:34avec des chercheurs, que ce soit en sciences politiques ou en sociologie ou en droit.
05:40Là, l'idée était véritablement, c'est le rôle aussi du CEPREMAT, de donner le
05:44regard que peuvent apporter les économistes, on ne prétend pas un élément d'exhaustivité
05:51et lorsque vous parlez de la question gaz à effet de serre ou autre, on voit bien qu'en
05:55permanence vient le sujet économique, on nous dit c'est pas possible de faire la
05:58transition rapidement parce qu'il y aurait un coût économique important, etc.
06:02Justement, c'est là où on a une légitimité pleine, c'est d'expliquer que typiquement
06:09sur un sujet comme celui-là, il y a un chemin qui peut être tracé et qui est un chemin
06:14qui est compatible même dans nos économies capitalistes de marchés avec une transition
06:20et une décarbonation de nos économies et donc il y a aussi souvent une instrumentalisation
06:25de l'économie pour ne rien faire ou pour ne faire des politiques qui sont en fait délétères
06:34pour notre avenir et c'est aussi au rôle des économistes d'éclairer le chemin et
06:42de dénoncer certaines inactions.
06:44Sur la transition écologique, il y a quand même la question centrale de la taxation
06:48des émissions de CO2.
06:49Voilà, j'allais vous en parler.
06:50C'est vraiment la question et la question même délicate.
06:53Il y a cette citation qui est intéressante dans le chapitre qui est concerné, qui est
06:57donc le premier parce que c'est le plus important, c'est l'horizon, il y aurait
07:00donc de nouveaux risques, quelle que soit la stratégie adoptée, celle de ne rien faire
07:04et celle de faire, mais le risque de ne rien faire est donc aussi plus élevé que celui
07:09de faire.
07:10Donc il faut faire quelque chose.
07:11Et vous parliez de la question de la taxation de la taxe carbone qui pèse plus lourd sur
07:18les pauvres que sur les riches.
07:20C'est là le risque, c'est le risque gilet jaune, c'est le risque bonnet rouge.
07:23C'est perçu comme ça.
07:24Ce chapitre écrit par Kathleen Schubert, qui est un peu désespérée parfois, qui
07:28dit en fait, par exemple lors de la convention citoyenne sur le climat, qui a réuni des
07:32150 citoyens pour réfléchir à la trajectoire pour essayer de réduire les émissions de
07:37carbone de 40% à l'horizon 2050, je crois, elle dit c'était un peu tout sauf la taxe
07:44du CO2.
07:45Pourquoi ? Parce que c'est une taxe et donc c'est un prix.
07:48Évidemment, on voit, on a le sentiment que pour les riches, ça ne va pas être grave
07:52et pour les pauvres, ça va peser lourd, notamment ceux qui doivent prendre leur voiture, etc.
07:56Et même si on explique aux gens qu'il y aura de la redistribution, qu'on va utiliser
07:59la taxe pour dédommager, par exemple, le fruit de la taxe, on pourrait le rendre aux
08:03gens et avec cet argent, ils pourraient faire ce qu'ils voudraient, même si l'énergie
08:07serait plus chère.
08:08Mais voilà, donc ils seraient désincités d'utiliser leur voiture, par exemple.
08:12Même si on explique tout ça, il y a quelque chose, il y a une sorte de défiance.
08:16Ce n'est pas clair.
08:17Ça sera quand ? C'est incertain.
08:18Et donc, ça ne passe pas.
08:19Donc, ce qu'on appelle l'acceptabilité, c'est peut-être un peu maladroit ce terme
08:22acceptabilité.
08:23On a l'impression qu'on veut forcer les gens à avaler quelque chose.
08:26On pourrait dire acceptation ou appropriation de la transition énergétique, cet instrument
08:30de la taxe de la CO2 qui est l'instrument efficace absolument qu'il faut mettre en
08:34oeuvre.
08:35Il est vraiment très difficile à mettre en oeuvre pour des questions de justice sociale
08:39perçues.
08:40Voilà.
08:41Et on a tort de penser qu'il y a un risque d'injustice sociale, Philippe Askinazi ?
08:44Parce que je le rappelle, c'est ça qui a déclenché le mouvement des gilets jaunes.
08:48C'est la taxation aussi du carburant qui a déclenché le mouvement des bonnets rouges.
08:53Donc, il y a un risque politique.
08:54Oui, alors il y a certainement un risque politique.
08:56Il y a aussi un problème de crédibilité des politiques publiques.
08:59C'est-à-dire que souvent, il y a eu des éléments de taxation qui étaient des taxations
09:04qu'on dit régressives, c'est-à-dire qui pèsent plus sur les personnes aux plus faibles
09:08revenus avec des promesses qu'on allait faire une redistribution par derrière.
09:12Et ces promesses n'ont pas eu lieu.
09:13Et donc, il y a là à avoir gagné en crédibilité qu'il y ait une taxation carbone et qu'il
09:17y ait effectivement une compensation par ailleurs.
09:22Et puis, le second aspect quand même, c'est Kathleen Schubert et Fanny Henry, les deux
09:27autrices du chapitre, indiquent également qu'il y a, au contraire, ce qu'on a vu
09:35lors de la Convention citoyenne, un certain accord des citoyens sur plutôt les normes
09:42et les règles, qui est une autre manière, qui est moins, d'un point de vue strictement
09:47de théorie économique, moins performante que celle de la taxation, mais qui est vue
09:51comme finalement, cette fois-ci, plus égalitaire.
09:54C'est-à-dire que finalement, lorsqu'on met une taxation carbone, les plus riches
09:58peuvent continuer à polluer autant qu'ils veulent du moment qu'ils payent.
10:01Et donc, l'interprétation des autrices, c'est quelque chose qui est insupportable
10:05d'un point de vue social.
10:06C'est-à-dire qu'on est ce permis de...
10:08Ça s'entend.
10:09Ça s'entend tout à fait.
10:10Et donc, finalement, ce que l'on plaide, c'est plutôt la multiplication des outils.
10:15C'est-à-dire qu'à la fois qu'il y ait des outils qui font qu'on interdise, par
10:21exemple, l'absurdité qu'il y a d'aller faire du tourisme spatial, qui a un coût
10:24carbone absolument monumental pour un gain pour une infime minorité de la population.
10:33Donc, à la fois avoir des mixes qui sont des éléments d'interdiction, vous voyez,
10:37on va finalement aussi interdire à terme les véhicules thermiques pour des véhicules
10:46électriques.
10:47Donc, on change la taxation de l'énergie.
10:50Donc, il faut arriver, si vous voulez, à avoir ce mix qui rend une acceptation pour
10:58l'ensemble des citoyens et qui fasse bouger aussi les acteurs économiques et producteurs.
11:04Tout ne se joue pas au niveau des citoyens, mais aussi des modes de production que l'on
11:09peut avoir.
11:10C'est pour ça qu'il faut un plan global.
11:11L'acceptation, Claudia Séné, elle passe aussi par la méthode.
11:14Et c'est vrai que dans le chapitre, il y a plusieurs longs paragraphes sur la Convention
11:18citoyenne sur le climat.
11:20Le bilan, c'est qu'elle n'a pas augmenté la confiance dans les politiques publiques.
11:23Elle n'a pas fait émerger des politiques innovantes.
11:25Consulter les citoyens, comme l'a souhaité encore dans ses voeux récemment le président
11:30de la République, ce n'est pas la solution.
11:32En tout cas, pas comme ça.
11:33Ça répond à une demande de plus de participation, de plus d'inclusion des citoyens dans le
11:38débat public.
11:39Les consulter plus souvent que lors des élections formelles.
11:41Ça permet de faire connaître au public les grands enjeux, les problèmes qui se posent,
11:48les arbitrages.
11:49Donc, de ce point de vue-là, c'est intéressant.
11:52Après, bon, il y a 150 personnes, ce n'est pas tout le peuple, on n'est pas dans la démocratie
11:56athénienne, on ne peut pas réunir tout le monde.
11:59Les gens ont été divisés dans des groupes, donc cinq groupes thématiques.
12:03Manger, se déplacer, travailler, consommer, etc.
12:05Donc, ils n'ont eu qu'une vision chacun partielle.
12:07Et puis, ils ont abouti à toute une liste à l'après-vers, un peu comme disent les
12:10autrices.
12:11Comme dit là, c'est juste Kathleen Schubert cette fois-ci, de mesure.
12:15Mais bon, en tout cas, peut-être que ce n'est pas la forme la plus moderne, cette convention
12:20citoyenne.
12:21Pendant sept semaines, tous les week-ends, des gens, etc.
12:24En même temps, ça a été diffusé, filmé, donc tout le monde pouvait en prendre connaissance.
12:27Bon, c'est pas mal, ça ne va pas résoudre les problèmes, ce n'est pas performatif,
12:33ce n'est pas exécutoire.
12:34On ne va pas mettre en œuvre toutes leurs recommandations, mais en tout cas, ça rencontre
12:40une certaine demande.
12:41Comme les référendums d'initiatives citoyennes dont on avait parlé il y a quelques années,
12:44des choses comme ça.
12:45Voilà, on lui demande un peu de renouvellement, d'intensification de la démocratie.
12:50Donc, si je vous entends bien, le président a raison de vouloir formuler le vœu de faire
12:54plus appel au français.
12:55Le référendum, là, c'est plus difficile, parce que souvent, un référendum, c'est
12:59sur un sujet, mais souvent, c'est sur le gouvernant plutôt.
13:01J'ai une question intéressante de Dominique sur l'application France Inter.
13:05L'économie est-elle un art, une philosophie ou une science ? Faudrait-il être économiste
13:10pour diriger le ministère de l'économie ? Qui veut répondre ?
13:13Ça vous fait rire en tout cas.
13:16C'est une science sociale, donc ce n'est pas une science exacte.
13:18On essaye de comprendre les mécanismes, de repérer des lois, des régularités et de
13:24proposer des arbitrages.
13:25Et après, c'est aux politiques de trancher.
13:27Dans un prochain gouvernement, Philippe Askenazy, vous êtes candidat au poste de ministre ou
13:31au diocéanique ?
13:32Non, je ne pense pas.
13:33C'est un métier très particulier, c'est quand même essentiellement de la politique.
13:36Ce que l'on voit quand même d'un point de vue historique, c'est que les ministres
13:40qui étaient des anciennes économistes n'ont pas nécessairement été de meilleurs ministres
13:44que ceux qui étaient des non-économistes, comme Bruno Le Maire, par exemple.
13:47Ce qui compte, c'est qu'il n'y ait pas que le ministère de l'économie, il y a
13:56aussi le Parlement qui joue, les citoyens et qu'il y ait une écoute de l'ensemble
14:04de l'expertise.
14:05C'est-à-dire que ça fait quand même depuis plusieurs années où, notamment sur la question
14:10climatique, tout ce qui peut être avancé à la fois du côté de l'expertise des économistes
14:15mais aussi des sciences du climat ou d'autres sciences sociales ne sont absolument pas écoutées
14:22par les politiques.
14:23Donc, ce n'est pas tant l'identité de la personne qui compte, mais le fait que cette
14:29expertise des citoyens comme du monde académique soit prise en compte pour bâtir des politiques
14:40publiques qui soient les plus favorables aux citoyens.
14:43Dominique est au Standard de France Inter.
14:45Bonjour Dominique.
14:46Bonjour France Inter, bonjour à vos invités.
14:49Étant donné l'instabilité politique que traverse la France, tout comme la Grèce qui
14:57a été justement aidée par l'Union Européenne, est-il possible que justement l'Union Européenne
15:03puisse aider la France par rapport à la dette publique qui semble être un problème difficile
15:09à résoudre ?
15:11Merci Dominique pour votre question.
15:13Claudia Sénic, Philippe Askenazy.
15:15La France est tenue par ses engagements vis-à-vis de l'Europe en matière de déficit budgétaire
15:20et de dette.
15:21De toute façon, la dette lie les mains des politiques.
15:24On voit bien que quand on dépense une énorme partie de ses recettes fiscales pour simplement
15:28servir la dette, c'est-à-dire payer les intérêts et les remboursements éventuels,
15:34on n'a plus de moyens pour investir dans les technologies vertes, l'industrie, la santé,
15:41l'école, etc.
15:42Donc la dette est excessive et l'Europe doit nous aider à nous forcer à en sortir, à
15:52la léger disons.
15:53Puisque j'ai deux économistes en studio et qu'il est question de dette, de notre dette
15:58qui est importante, plus de 3 000 milliards et de budget, la question du budget c'est
16:02quand même le gros défi du gouvernement Bayrou.
16:05Le gouvernement qui laisse entendre qu'il va construire ce budget sur une prévision
16:08de croissance revue à la baisse, sans doute 0,8% au lieu de 1%, que l'objectif de déficit
16:12à atteindre sera moins ambitieux, le gouvernement Barnier visait 5% du PIB, ça sera sans doute
16:18un peu plus.
16:19Est-ce que Philippe Askenazy sait faire oeuvre de réalisme ?
16:22Oui, certainement.
16:23A la fois d'abaisser les prévisions de croissance, je pense que tout le monde s'accorde là-dessus
16:31parce qu'il n'y a pas qu'en France que l'économie patine, c'est un petit
16:37peu le lot de beaucoup d'économies européennes hormis l'Espagne, c'est surtout réaliste
16:43dans le sens qu'aujourd'hui il n'y a pas d'horizon où on peut faire passer
16:48un budget qui soit avec une ambition politique ou un plan politique clair.
16:58C'est plutôt ça qui est en quelque sorte inquiétant, plutôt que les chiffres 5-4,
17:02la dette, l'augmentation, c'est le fait qu'on perde des mois, voire des années
17:09pour construire une politique et Claudia en a parlé, on a des priorités qui sont
17:16l'éducation, le climat, les questions de transition.
17:22Toutes ces questions-là nécessiteraient, si on veut rester sur la question fiscale,
17:28une vaste remise à plat du système socio-fiscal français, ce qui ne peut pas être aujourd'hui
17:35mis en œuvre par nos gouvernants.
17:37Donc si on reste sur la question purement de transition climatique, on perd des trimestres
17:44et on a le risque de, jusqu'à la prochaine présidentielle, d'avoir une inaction.
17:50Il faut arriver à sortir de cela et peut-être que l'Europe peut aussi nous aider sur ce plan.
17:59Il y a la question des modes de scrutin qui abordaient aussi dans ce livre d'autres
18:04voies possibles pour sortir de l'instabilité politique, c'était le vœu que formulait
18:09François Bayrou à la sortie du Conseil des ministres vendredi, Claudia Sénic.
18:13Là, vous parlez d'un nouveau mode de scrutin par évaluation et alors c'est drôle parce
18:20que si on regarde 2007, le mode de scrutin par évaluation aurait donné, comme candidat
18:25le plus consensuel, François Bayrou, notre premier ministre.
18:27Oui, c'est un truc très intéressant de Jean-François Lallier qui montre que la manière
18:35dont on choisit ses dirigeants, la manière dont on vote, a un impact très fort sur ce
18:41qui va sortir du vote.
18:42Quand on vote dans une élection à un tour ou même à deux tours, ça a tendance à
18:47laminer le centre, comme il dit, c'est-à-dire que les gens essayent de choisir le candidat
18:51le plus proche de leur propre préférence et donc c'est jamais au centre parce qu'il
18:54y a beaucoup de gens…
18:55C'est polarisé.
18:56C'est polarisé.
18:57En revanche, quand on vote par note ou vote par approbation, c'est-à-dire qu'on note
19:02tous les candidats.
19:03Soit on dit oui ou non, soit on leur met des notes, mais là, au contraire, ça a tendance
19:09à favoriser les candidats les plus consensuels et donc ils ont fait des expériences sur
19:13site à la sortie des urnes en demandant, si on vous avait demandé plutôt de mettre
19:18des notes au candidat ou de dire si oui ou non, vous l'acceptez, qu'est-ce que vous
19:23auriez fait ? Et ce qui sort effectivement, c'est que François Bayrou, par exemple,
19:26dans cette élection-là, aurait été le candidat consensuel.
19:28Donc le mode de scrutin est très important.
19:31Et déterminant.
19:32Catherine est au Standard de France Inter.
19:34Bonjour Catherine.
19:35Oui, bonjour.
19:36Je souhaitais poser une question puisqu'on parle de démocratie.
19:39Il me semble que dans la mesure où toutes les actions politiques sont guidées par une
19:43logique de marché, de concurrence et de bénéfices et de profits, moi je ne sais pas pourquoi
19:48je vote en fait.
19:49Parce que quelles que soient les bonnes œuvres qu'on veuille soutenir, comme l'école
19:56ou n'importe où, le climat, etc., tout est soumis à la réglementation des marchés
20:02et aux profits et aux bénéfices qu'on peut en tirer.
20:04Donc je pense que c'est Supio qui a raison et que cette logique de gouvernance constante
20:09par les chiffres est très, très nuisible à la démocratie.
20:14Merci Catherine pour cette analyse.
20:16Claudia Sénic.
20:17Alors premièrement, je ne sais pas si les chiffres, c'est la même chose que le marché.
20:20On peut essayer de mesurer des performances, une efficacité, savoir si les politiques
20:24rendent les gens, par exemple, plus heureux ou moins, sans que ce soit une logique de
20:27marché.
20:28Et deuxièmement, vous avez raison, il y a des domaines qui doivent sortir ou qui ne
20:31sont pas naturellement dans le marché.
20:33L'école en fait partie, la santé en fait partie, tout n'est pas dans le marché.
20:37Après, troisièmement, pour financer tous ces biens publics, il faut de l'argent.
20:40Et peut-être que c'est ça qui menace la démocratie aussi aujourd'hui, c'est que
20:44les gens sont très attachés, on l'a vu, au vote, aux libertés, etc.
20:48Mais il y a aussi pour quoi faire.
20:50Il y a une enquête récente menée par Luc Rouband à Sciences Po qui montre que dans
20:55l'arbitrage entre plus de liberté et plus de richesse, ce n'est pas clair quand même
21:00pour la plupart des gens.
21:01Un tout petit mot, Philippe Askenazy.
21:02Oui, très vite, il ne faut pas confondre chiffres et marchés.
21:07D'ailleurs, il y a de plus en plus de chiffres alternatifs.
21:10Récemment, l'INSEE a sorti ce qu'on appelle des comptes augmentés où sont inclus les
21:14questions carbone et qui changent le regard.
21:17Et donc, je pense que plutôt la problématique, c'est qu'aujourd'hui, on a des promesses
21:23politiques qui ne sont pas ensuite mises en œuvre.
21:26Les personnes votent, au dernier législatif, on a eu près de 70% des actifs qui ont voté
21:34pour des partis qui prônaient l'abrogation de la réforme des retraites et on se retrouve
21:39dans une situation où on a un gouvernement qui est contre cette abrogation et une Assemblée
21:45nationale qui est dans l'incapacité de l'abroger.
21:48Donc, je pense que tout cela nourrit l'idée que ce sont les marchés qui ont la main.
21:52C'est plutôt un dysfonctionnement de nos institutions qui crée aujourd'hui cette
21:59disjonction entre les demandes qu'ont pu exprimer les citoyens et une réalité.
22:05L'économie est partout, mais il ne faut pas non plus trop exagérer sa place.
22:11Et elle peut aider à esquisser des pistes.
22:13C'est ce que vous faites dans ce livre « Gouverner la démocratie a un enjeu crucial ».
22:17On n'a pas eu le temps de parler de la parité ni de la démocratie au travail.
22:20Tout cela est très riche, très foisonnant.
22:22Je vous renvoie vers ce livre qui est publié aux éditions Odile Jacob et pour finir sur
22:27une note positive, je voulais citer Daniel Cohen, l'ancien directeur du CEPREMAP qui
22:32nous a quittés en 2023.
22:33« Il faut ressentir non pas seulement de la tristesse face au monde qui se délite,
22:37mais de la joie pour celui qui est possible ».
22:39C'est aussi ça que vous faites dans ce livre.
22:41Claudia Sennick, Philippe Askenazy, merci beaucoup d'être venu ce matin sur Inter.

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