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00:00Je suis née en Norvège, à Oslo,
00:02d'une maman belge qui était danseuse
00:05et d'un papa norvégien qui était artiste peintre
00:08et qui a été déclaré schizophrène.
00:10Il était aussi très alcoolique et très absent.
00:12Lorsque j'ai eu un peu moins d'un an,
00:14ma mère a dû quitter la Norvège en urgence
00:16avec moi pour me protéger.
00:18Donc je suis arrivée en Belgique à l'âge de un an.
00:20On est retournés vivre chez les parents de ma mère.
00:22Et à partir de ce moment-là, j'ai vécu un quotidien
00:26avec énormément de violence psychologique,
00:28énormément de violence physique.
00:30Il faut savoir que mon grand-père était procureur général
00:33et qu'il gérait sa famille comme on gère une cour d'assises.
00:36Ma grand-mère pouvait débarquer aux toilettes,
00:38m'attraper par les cheveux et me traîner sur le sol
00:41juste parce qu'elle en avait envie.
00:43Et puis par la suite, il y a eu des violences sexuelles
00:46qui ont débuté d'abord de mon cousin qui était adolescent.
00:51Mes grands-parents étaient au courant de beaucoup de choses
00:53mais ne disaient rien.
00:55Quand on vient d'une famille plutôt bourgeoise,
00:58ce sont des choses dont on ne parle pas.
00:59Et par la suite, ma mère a commencé à être violente
01:02physiquement avec moi et mes grands-parents.
01:05Et c'est devenu un espèce de cercle vicieux
01:08où je subissais la violence de l'un
01:10et puis quand je voulais faire une pause,
01:12je subissais la violence de l'autre.
01:13Et puis ça n'arrêtait pas.
01:15J'étais la chose d'un groupe d'adultes
01:18qui faisait absolument n'importe quoi avec moi.
01:20Je crois que j'ai commencé une dissociation.
01:24Et à partir de ce moment-là,
01:26j'étais capable de rester des heures sans bouger,
01:28comme un objet, quelque part, sans aucun souci.
01:31Vers l'âge de 6 ans, ma mère emménage dans sa propre maison.
01:35Donc j'emménage avec elle.
01:36Elle rencontre un homme avec qui elle va se mettre en ménage
01:41et qui abusera de moi pendant deux ans.
01:43Les abus se sont installés, mais vraiment lentement.
01:46Ce n'était pas quelque chose de violent d'un seul coup.
01:50C'était vraiment un coup de manipulation
01:52et de petit à petit,
01:53il nous a un petit peu manipulés toutes les deux, séparés,
01:57en me disant à moi que si ma mère me frappait,
02:00c'est parce qu'elle ne m'aimait pas,
02:01parce qu'elle n'avait jamais voulu m'avoir.
02:02Donc petit à petit, je m'accrochais à lui
02:04comme s'il était le seul adulte au monde qui m'aimait.
02:06Il était le seul à faire des activités avec moi,
02:09à m'emmener à l'extérieur de la maison.
02:10Donc c'était un peu mon sauveur.
02:12Puis un jour, en montant dans ma chambre pour me dire bonne nuit,
02:15petit à petit, ça a commencé.
02:16Je crois qu'à 11 ans, on a déjà un petit peu plus conscience
02:19de certaines choses qu'à 6 ans.
02:21Quand on est éduqué dans un milieu
02:22dans lequel on n'a pas le droit de parler,
02:24parler, ça signifie finalement,
02:27c'est peut-être un peu fort comme mot, mais mourir.
02:28Si je parle, il va m'arriver quelque chose.
02:30Si je fais du bruit, si je montre que j'existe,
02:32je vais m'en prendre une.
02:33Deux ans plus tard, donc à l'âge de 11 ans,
02:36ma mère le quitte parce qu'il la trompe.
02:38Elle commence à le soupçonner d'avoir abusé de sa propre fille,
02:41d'avoir peut-être abusé d'une autre adolescente.
02:44Pour elle, c'est inconcevable.
02:46Et dès qu'il quitte la maison,
02:48elle se rend compte que j'ai une attitude,
02:50elle ne me reconnaît plus.
02:51Je refuse de me laver.
02:52Je ne veux plus me déshabiller.
02:54Je ne veux plus me regarder dans le miroir.
02:56Si quelqu'un essaie de prendre une photo de moi,
02:57j'explose l'appareil photo.
02:59Je m'auto-mutile.
03:00Je ne mange plus, je deviens anorexique.
03:02Je me tape pratiquement la tête dans les murs.
03:04J'ai des bleus tout le temps, absolument partout.
03:06Je crois que quand je m'auto-mutilais,
03:08quand je me faisais autant de mal physiquement,
03:10c'était surtout pour me calmer.
03:12J'ai commencé à faire d'énormes crises d'angoisse.
03:14Et chaque fois que je me coupais,
03:15je revenais à moi, je revenais à la réalité.
03:17Et puis petit à petit,
03:19je pense qu'il y avait aussi une recherche
03:20d'auto-destruction, d'auto-punition,
03:23peut-être aussi de purification.
03:25Je me sentais comme quelque chose de sale,
03:27de sali, de dégueulasse, comme une souillure.
03:29Un jour, elle trouve mon lit rempli de sang.
03:31Et là, elle me dit « Maïté, il faut qu'on parle
03:34parce qu'il y a quelque chose qui ne va pas. »
03:35Et à ce moment-là, je remonte mes manches
03:38et puis elle fond en larmes et elle me dit
03:41« Je crois que cet homme t'a fait quelque chose. »
03:42Et je lui dis « Oui. »
03:43Et je crois que c'est la seule et unique fois
03:44où j'ai vraiment été proche de ma mère.
03:46Quand ma mère a vu ma détresse,
03:48elle a commencé à se diriger
03:50vers des professionnels de la santé mentale.
03:52Je n'allais plus du tout,
03:54je ne voulais plus aller à l'école.
03:55Puis en plus, j'étais victime de harcèlement
03:57à l'école à cause de mes coupures.
03:59Puis l'école a fini par me renvoyer
04:00en me disant que c'était dangereux
04:02parce que j'allais potentiellement
04:03découper mes camarades.
04:04Je me baladais toujours avec mon cutter
04:06qui était dans mes bottines
04:07et je me coupais dans les toilettes de l'école.
04:09Et un jour, à l'âge de 13 ans,
04:11les profs me retrouvent les veines
04:14complètement tranchées dans les toilettes,
04:16dans une flaque de sang.
04:17Et à partir de ce moment-là,
04:18j'ai été obligée d'accepter
04:20d'être hospitalisée
04:21dans des unités psychiatriques.
04:22Il n'y avait aucune sécurité,
04:24les patients s'agressaient
04:25en permanence entre eux.
04:26On pouvait rentrer et sortir
04:27comme on voulait de la chambre
04:28des autres patients.
04:29Il y a des adultes qui violaient
04:31les jeunes qui étaient sur place.
04:32J'ai été violée par un patient
04:33de cette psychiatrie.
04:34On était sous camisole chimique permanente,
04:36donc on était à moitié présents.
04:39Et finalement, on sort de ces unités
04:40en étant dans un état
04:41encore plus catastrophique qu'à l'entrée.
04:43Je crois qu'au plus on avait
04:45un traitement inadéquat avec moi,
04:46au pire j'étais dans mes attitudes.
04:48Au plus je ressentais de l'injustice,
04:49plus j'extériorisais.
04:51Et à un moment donné,
04:52ils ont dû mettre fin à mon hospitalisation
04:54parce que ce n'était plus possible.
04:56Je suis restée six mois
04:57et c'était une véritable catastrophe.
04:59Et en sortant de cette unité,
05:01j'étais une véritable
05:03bombardardement des goupilles.
05:05J'ai été directement placée
05:07dans les foyers de l'état d'enfance.
05:08J'ai dû apprendre à me débrouiller
05:10complètement différemment
05:11puisqu'à l'inverse des autres,
05:12je n'ai pas vécu dans la rue,
05:14j'ai vécu enfermée.
05:16Donc vraiment, je ne connaissais
05:17rien du monde extérieur.
05:18Très vite, je me suis mise à consommer
05:20du speed, de la cocaïne,
05:23donc des 13 ans et de l'alcool.
05:26Et puis à 15 ans, je suis tombée dans
05:29le krach et j'ai commencé
05:31à me shooter à la cocaïne.
05:33Et puis je suis passée à l'héroïne,
05:35MDMA et toutes sortes de drogues.
05:37J'aimais beaucoup la sensation
05:39d'être coupée du monde.
05:41J'avais vraiment comme une espèce
05:42de petite couverture de survie
05:43qui m'enveloppait.
05:44Et donc j'arrivais à aborder les choses
05:47qui me broyaient véritablement
05:49de l'intérieur avec une légèreté
05:50déconcertante et j'adorais ça.
05:52Je pouvais enfin fonctionner
05:53dans un monde que je n'aimais pas,
05:55dans un monde que je ne comprenais pas.
05:56Puis petit à petit,
05:57les doses ont augmenté.
05:58Mon but, ça a été de finalement
06:00de ne plus jamais être en descente,
06:02de ne plus jamais, jamais,
06:03jamais être en contact avec la réalité.
06:04Donc je suis passée à un gramme par jour,
06:07puis à trois grammes
06:08jusqu'à une consommation
06:11complètement excessive.
06:13Les médecins ne savent même pas
06:14comment je suis encore vivante.
06:15Je suis complètement inconsciente
06:16du moindre danger.
06:17Je fugue, je traîne n'importe où
06:20à pas d'heure, je m'en fiche
06:21tant que j'ai ma drogue.
06:22J'ai quitté le foyer
06:23et donc je suis restée à la rue
06:25à Molenbeek, au bord du canal,
06:27dans un ancien bar à incendie
06:29pendant quatre mois.
06:30Je deviens de plus en plus maigre,
06:32je mange moins en moins,
06:33je me drogue de plus en plus.
06:34Et à un moment donné,
06:35j'attrape une flébite.
06:38Donc à force de me shooter
06:40dans le même bras,
06:41en ne me désinfectant jamais
06:42et en dansant n'importe comment.
06:43C'est une infection des veines.
06:46Ma mère me retrouve dans la rue.
06:49Je vais voir un médecin.
06:50À ce moment-là, le parquet accepte
06:52qu'elle me sorte de la rue.
06:54J'allais avoir 18 ans
06:55pour me mettre directement
06:56dans mon premier appartement.
06:57Il faut savoir que quand la décision
06:59ne vient pas de la personne qui consomme,
07:00ça ne sert à rien d'insister
07:02pour qu'elle arrête.
07:02Plusieurs personnes lui ont conseillé
07:04de m'enfermer dans sa cave.
07:05Elle ne savait vraiment plus quoi faire
07:06de moi à ce moment-là.
07:07De mes 18 à mes 20,
07:08je me drogue tous les jours
07:10et en permanence.
07:10Et j'augmente les doses
07:12de plus en plus en plus.
07:13Je bois énormément d'alcool.
07:15Puis, il y a eu toutes sortes
07:17de violences et de répétitions.
07:20Je me dirigeais vers des relations violentes.
07:22Là, je fais une vraie tentative de suicide
07:24où je me tranche les veines tellement fort
07:27que je me coupe la main,
07:29le tendon fléchisseur, les doigts,
07:31les nerfs, les muscles
07:32et tout ce qui va avec.
07:33J'ai failli perdre ma main.
07:34Et les médecins m'ont annoncé
07:36que je serais handicapée à vie
07:37et que je ne pourrais plus jamais l'utiliser.
07:39Et au final, pendant deux ans,
07:41à force de travail acharné,
07:43et bien, du drogue
07:46pour ne pas sentir la douleur
07:48quand je faisais mes exercices.
07:49J'ai réussi à récupérer
07:51une grosse partie de ma mobilité.
07:52Je crois qu'à cet âge-là,
07:54je devais avoir quelque chose comme 19 ans.
07:57Je ne pouvais plus.
07:58J'étais à bout.
07:58En fait, j'avais abandonné la vie.
08:00J'étais dans une errance brute,
08:02ni morte, ni vivante.
08:03À un moment donné,
08:04j'ai un espèce de déclic
08:06où je me dis,
08:07là, il faut que tu arrêtes
08:08de faire semblant de vivre
08:10ou de survivre, en fait.
08:11Fais un choix.
08:12Tue-toi ou vis.
08:13Mais arrête.
08:14Comme je consommais toujours énormément,
08:16j'avais toujours énormément de réserves
08:18de drogue chez moi.
08:19Et donc, mes dernières 24 heures,
08:22j'ai consommé 12 grammes.
08:24Et là, je me suis dit stop.
08:25Et j'ai pris la décision
08:27dès le lendemain
08:28de m'enfermer à l'hôpital
08:30pour faire une cure de désintoxication
08:31avec une aide médicale.
08:33Donc, je suis restée une semaine
08:35sous Baxter, etc.,
08:36pour me désintoxiquer de tous les produits
08:39que je prenais en une seule nuit.
08:40Ce vrage complet d'alcool,
08:44d'héroïne, de cocaïne,
08:45de crack, de speed, de MDMA,
08:47de tout ce qui passait.
08:49Donc, cette fois où j'ai pris
08:51ces fameux 12 grammes,
08:52est la toute dernière fois de ma vie
08:55où j'ai consommé de la drogue.
08:56Et aujourd'hui, ça fait bientôt 10 ans.
08:57Dans les mois qui ont suivi,
08:59je me suis rendu compte
09:00que l'ennui pouvait donner
09:02très fort envie de consommer.
09:04Il n'y a rien de pire que l'ennui.
09:05Donc, je me suis dit,
09:06il faut que je me trouve une passion,
09:07un petit job pour pouvoir
09:09avoir un quotidien bien rempli,
09:10pour ne pas replonger.
09:11J'ai très rapidement une réponse positive
09:13pour un entretien d'embauche
09:15d'une société d'événementiel
09:17qui bossait aussi dans la restauration.
09:18La secrétaire de cette société
09:20me convient à l'entretien d'embauche
09:22avec son patron,
09:23donc David,
09:24dans un restaurant à Liège.
09:26Et quand je suis arrivée dans le restaurant,
09:29moi, j'ai cru qu'on allait simplement
09:31discuter autour d'un repas
09:33ou qu'il y allait y avoir une équipe
09:34qui allait m'expliquer certaines choses.
09:36Et en fait, le restaurant était fermé,
09:37les chaises étaient relevées sur les tables.
09:40Et il y avait juste le patron
09:41qui était derrière le bar
09:42et qui m'a accueilli.
09:43Je ne saurais plus expliquer
09:46la suite de ce moment-là,
09:48mais je finis violée par cet homme
09:50et je reçois une nièce de billet
09:52en plein visage quand il a terminé.
09:54Et puis de nouveau,
09:56trou noir complet
09:57et une camionnette qui me jette
09:59devant les escaliers de la gare de Liège.
10:01Je ne comprends absolument pas
10:02ce qui vient de m'arriver,
10:03mais vraiment, pour moi,
10:04je n'ai même pas été violée.
10:05Je vais apprendre par la suite
10:06que c'est l'une des techniques
10:08qu'utilisent les proxénètes.
10:09On appelle ça une séance d'abattage,
10:10apparemment, où il y a un
10:12ou plusieurs proxénètes
10:13qui violent une victime.
10:15Et en balançant une nièce
10:16de billet au visage,
10:18ça annule la sensation du viol
10:19puisqu'on a déjà la sensation
10:21d'être prostituée.
10:22Quand un prédateur se trouve
10:23en face de quelqu'un
10:24qui a déjà été victime,
10:26qui a des failles énormes en soi,
10:29il le repère en cinq minutes.
10:30Ce sont des gens qui sont
10:32tout à fait capables de manipuler.
10:34À chaque fois, il y a une faille,
10:36on se glisse dans cette faille.
10:37Donc, quand je suis rentrée chez moi,
10:39déjà, j'étais en sidération
10:42et en dissociation totale.
10:43Je ne savais plus lire.
10:44Je ne savais plus rentrer chez moi.
10:46J'y ai arrêté à la gare
10:47pendant des heures.
10:47Quand je rentre chez moi,
10:49je suis contactée par la secrétaire
10:51à qui j'avais envoyé mon CV.
10:52Et elle me dit
10:53« Je suis vraiment désolée.
10:54J'ai vécu la même chose que toi. »
10:56Et il me force à recruter
10:57de nouvelles victimes.
10:58Et là, je me dis « Mais c'est quoi ? »
10:59Elle est en train de me confirmer
11:01que je viens de me faire violer,
11:02alors que je doutais encore.
11:03Elle me décrit ce qu'il lui fait
11:05et ça devient m'inconfidante.
11:06Et petit à petit,
11:07je m'isole complètement.
11:08Il faut savoir qu'à ce moment-là,
11:10je suis en couple avec une femme
11:11dont je suis assez amoureuse.
11:12Et David, donc celui qui m'a violée,
11:16n'arrête pas de me téléphoner.
11:17Et la secrétaire me dit
11:19« En fait, décroche.
11:21Parce que ça va être pire pour toi
11:22si tu ne fais rien. »
11:24Je décroche en panique.
11:25Et il me dit
11:25« Je sais que tu es en couple
11:27avec telle femme. »
11:28Il me dit son nom.
11:29Et qu'un accident peut être
11:29très, très rapidement arrivé.
11:31Je suis sous le choc, en fait,
11:32et je ne sais plus quoi faire.
11:34Et ce que je finis par faire,
11:35c'est que je la quitte
11:37de façon très soudaine
11:38et très violente pour la protéger.
11:40Le fait d'avoir fait aussi mal
11:42à une personne qui ne le méritait pas,
11:44je n'ai pas su me regarder
11:44dans le miroir pendant longtemps.
11:46Et du coup, le fait d'avoir fait ça
11:49m'a totalement isolée.
11:50J'ai appris à être soumise,
11:52à être un objet sexuel
11:54depuis toute petite.
11:55Donc, c'est comme s'il avait fait appel
11:57à des anciens mécanismes
11:58qui n'avaient pas besoin de beaucoup de temps
12:00pour se remettre en place
12:01si c'était déjà là, en fait.
12:02À partir de ce moment-là,
12:03j'ai été harcelée tous les jours.
12:05Il y a eu des voitures
12:06qui venaient me chercher
12:07et il a commencé à me vendre
12:09à des clients dans des hôtels,
12:11chez des particuliers et dans des soirées.
12:13Par rapport à cette période-là,
12:14il y a encore beaucoup de choses
12:15qui sont assez floues
12:16puisque j'ai eu une amnésie traumatique
12:18pour une certaine partie
12:20de ce qui s'est passé.
12:22Mais je me rappelle essentiellement
12:23du début et de la fin.
12:25Il faut savoir que dans Liège,
12:26il y a énormément d'immeubles
12:29qui sont des hôtels de passe.
12:30Mais si on ne le sait pas,
12:32on ne le voit pas de l'extérieur.
12:34Il y a des voitures qui m'ont emmenée là
12:36et qui restaient devant
12:37pour ne pas que je m'en échappe.
12:39Et on me donnait à des hommes
12:41qui avaient 40, 50, 60, 70 ans.
12:44Je me rappelle qu'on m'a amenée aussi
12:45chez des particuliers
12:46qui avaient plus d'argent.
12:48Je sais que ma peur était
12:50bien plus grande
12:51chez les particuliers
12:52parce qu'il n'y a personne à l'accueil,
12:53parce qu'il n'y a personne qui gère.
12:54Il n'y a rien ni personne
12:56à part vous et votre violeur.
12:59On m'a aussi emmenée,
13:00c'était dans une soirée privée
13:02échangiste où là aussi,
13:04j'ai plein de petits morceaux
13:06de souvenirs qui me reviennent
13:07de voitures dans lesquelles
13:08on m'a fait passer,
13:11on m'a enfermée dans une espèce
13:12de cube géant avec plein de...
13:15avec des trous pour les yeux
13:16et pour les sexes masculins.
13:18J'ai des couples
13:19qui ont abusé de moi ensemble.
13:21Enfin, c'était n'importe quoi.
13:23Donc, pour ma part, ça a duré six mois.
13:26Au début, j'avais tellement peur
13:28de ce qui m'arrivait
13:29que j'essayais de m'enfermer
13:30dans la pièce d'à côté.
13:31Donc, à un moment donné,
13:32pour que ça devienne moins douloureux,
13:33il y a quelque chose
13:36qui était déjà là depuis mon enfance,
13:37mais comme un interrupteur
13:38qui s'est enclenché
13:39à l'intérieur de moi.
13:40Et à partir de ce moment-là,
13:42j'ai eu beaucoup moins mal.
13:43Mes souvenirs s'arrêtent.
13:44Ma dissociation m'a sauvé la vie
13:46et c'est le cas depuis mon enfance.
13:48Après six mois, un jour,
13:49mon téléphone cesse de sonner.
13:51Il n'y a plus de voiture
13:52qui me surveille ou qui m'empêche
13:54de m'échapper.
13:55La secrétaire ne me contacte
13:57plus non plus.
13:58Et au début, ça me fait très, très peur.
13:59Et je me suis enfermée chez moi
14:01pendant des jours et des jours
14:02en n'osant plus sortir,
14:03en n'osant plus bouger,
14:04en n'osant plus rien faire.
14:05Et un jour,
14:06l'inspecteur principal de la brigade
14:08traite des êtres humains de Liège
14:09me contacte et il me dit
14:11« Voilà, bonjour.
14:12J'aimerais qu'on se rencontre. »
14:14Et là, je me dis « Merde !
14:15Je vais avoir des problèmes.
14:16Je vais finir en prison.
14:18Je suis une mauvaise personne.
14:19Je pense être du mauvais côté
14:20de la barrière.
14:21J'accepte de le rencontrer. »
14:23Et là, il me dit « Voilà,
14:24ce monsieur s'appelle comme ça.
14:26On a fait arrêter six personnes.
14:28La pile de feuilles qu'il y a là,
14:30sur mon bureau,
14:31c'est toutes les victimes.
14:32Il y en a des centaines.
14:33Je suis dans un état de choc tel
14:34que je comprends même pas tout.
14:36J'enmagasine même pas tout.
14:37Ça, c'est trop.
14:38Et j'apprends aussi que
14:41les victimes ont entre 14 et 22 ans.
14:44L'inspecteur a vu mon visage
14:46changer complètement.
14:47Je me suis effondrée sur le bureau.
14:49Avant de m'effondrer,
14:50il m'a regardée dans les yeux
14:51et il m'a dit « Tu as été violée.
14:53Je le sais et je te crois. »
14:54Il avait étudié les profils
14:56longtemps à l'avance
14:57de chaque fille.
14:58Et chacune était menacée,
15:00mais jamais réellement directement
15:01sur sa personne.
15:02C'était toujours sur quelqu'un d'autre.
15:04Donc, il nous tenait toutes
15:05par la culpabilisation
15:07si jamais il arrivait quelque chose
15:10aux personnes à qui on tenait.
15:11Et j'apprends aussi que
15:13la secrétaire du réseau n'existe pas.
15:16C'est-à-dire que Elena, c'était lui.
15:18Ça a été reconnu comme circonstance
15:19aggravante pendant le procès.
15:21Donc, il aurait été reconnu
15:23pervers, manipulateur, etc.
15:25Parce que ça prouve qu'en fait,
15:26il avait totalement conscience
15:28de ce qu'il faisait,
15:29puisqu'il était capable d'expliquer
15:31le mal-être, les sensations
15:33que les femmes avaient
15:34et ce qui leur faisait subir.
15:35C'était suffisant
15:36pour qu'il soit condamné
15:37pour traite des êtres humains,
15:39proxénétisme,
15:40exploitation de la débauche et viol.
15:43Donc, lui a pris
15:44huit ans de prison ferme
15:46et il les a fait.
15:47Il est sorti en 2021.
15:48Par rapport à cette peine,
15:50oui, j'ai été contente
15:51parce que j'ai été reconnue victime
15:53et ça, c'est important.
15:53Mais je pense qu'il faut
15:54commencer à se réparer
15:56en dehors de toute condamnation
15:57en justice.
15:58Je veux dire, pour des faits de viol,
16:00il n'y a que 4% de condamnation.
16:01Donc, s'il faut vraiment
16:02attendre une condamnation,
16:03alors on ne se répare jamais.
16:05Les sept premières années
16:07après le réseau,
16:08j'ai cherché de l'aide
16:08absolument partout.
16:09J'ai rencontré plein de psychologues.
16:11Il y a très, très peu
16:12de psychotraumatologues
16:13et de victimologues
16:14capables d'accompagner les victimes
16:16de pédocriminalités,
16:17de viols multiples
16:18et de traite des êtres humains.
16:19Donc, je me suis mise, moi,
16:21à chercher à gauche, à droite
16:22pour essayer de comprendre
16:23mes propres schémas comportementaux.
16:26J'ai toujours maintenu
16:27cette espèce de petite flamme
16:28minuscule, mais apparemment
16:29super forte à l'intérieur de moi.
16:31J'ai commencé à faire
16:32énormément de militantisme
16:33contre la traite du vivant.
16:35Un jour, j'ai eu la chance
16:36d'avoir la parole
16:37au Parlement bruxellois
16:38à un événement où on abordait
16:40justement la traite des enfants.
16:42Et ça a eu un peu un effet
16:43boule de neige.
16:44Donc, par la suite,
16:45j'ai été contactée
16:46par plein d'associations.
16:47Je suis allée au Parlement fédéral,
16:49à la Commission européenne,
16:50à l'ONU Amnesty International.
16:52Et donc, je suis devenue
16:53une espèce de consultante
16:54en matière de traite sexuelle.
16:56J'ai commencé petit à petit
16:57à donner cours,
16:58mais aux professionnels,
16:59donc assistants sociaux, éducateurs,
17:01pour les sensibiliser
17:02au dysfonctionnement du système.
17:03Puis, j'ai écrit un livre
17:04sur les dysfonctionnements
17:06de l'aide à la jeunesse.
17:06Puis, je continue à écrire
17:08un nouveau livre
17:09sur la réappropriation corporelle.
17:11Je fais du théâtre aussi.
17:12Ça aussi, c'est une chose
17:13qui m'a énormément aidée
17:14dans ma reconstruction.
17:15En fait, je ne jouais pas,
17:17mais j'extériorisais absolument
17:18toute ma souffrance à travers le jeu.
17:20C'est sûr que devenir
17:20maman m'aide énormément,
17:22même si ce n'est pas
17:23forcément le rôle des enfants.
17:24C'est clair que je ne serais pas
17:25la personne que je suis aujourd'hui
17:27sans mon fils.
17:28Puis, j'apprends à redécouvrir
17:29plein de choses
17:30que je ne connaissais pas
17:32et que je n'ai jamais connues.
17:32À devenir un meilleur humain
17:34et puis l'amour de façon
17:36de façon très large,
17:37parce que l'amour matériel entre dedans.

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