C’est un procès historique qui a fait changer la loi… Cette semaine dans La grande histoire, Hugo vous raconte le procès d’Aix, qui fut un tournant dans la perception du viol dans la société française.
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00:00Mais je ne vous ai rien demandé, je ne sais pas qui vous êtes, alors vous la bouclez.
00:04Des injures, des crachats, des obsédités, des coups.
00:07La police !
00:09C'est un procès historique qui a fait changer la loi.
00:13La seule chose qui pouvait nous libérer, qui pouvait nous faire du bien,
00:16enfin en partie nous libérer, c'était de les tuer.
00:19C'est un climat de haine.
00:20Cette semaine dans La Grande Histoire, je vous raconte le procès d'Aix-en-Provence
00:23qui fut un tournant dans la perception du viol dans la société française.
00:27Ce qui est scandaleux, ce n'est pas de dénoncer le viol.
00:30Ce qui est scandaleux, c'est le viol lui-même.
00:38Nous sommes le 2 mai 1978 à la cour d'assises des Bouches-du-Rhône
00:42où s'ouvre le procès de trois hommes accusés d'avoir violenté et violé deux femmes quatre ans plus tôt.
00:48Alors si j'ai décidé de vous parler de cette affaire aujourd'hui,
00:51c'est parce qu'elle résonne étrangement avec l'affaire Mazan,
00:54que ce soit par l'absence de huis clos, la résonance médiatique,
00:57mais aussi par les arguments avancés par les avocats de la défense.
01:00Nous, nous étions comme des mortes vivantes.
01:02Nous étions des mortes vivantes.
01:05Et madame Pellicot emploie les mêmes mots, comme c'est curieux.
01:0950 ans avant l'affaire Pellicot, le procès d'Aix a permis pour la première fois
01:13de confronter l'opinion publique au viol
01:15et a marqué un tournant dans la lutte contre les violences sexuelles en France.
01:19Mais avant de vous parler du procès, revenons aux faits qui se sont déroulés en 1974.
01:28Nous sommes dans le parc national des Calanques, à une quinzaine de kilomètres de Marseille.
01:32Un couple de touristes belges, Anne Tonglet, 24 ans, et Araceli Castellano, 19 ans,
01:38sont venus camper dans la Calanque de Morgueux.
01:40Les deux jeunes femmes se font aborder par un pêcheur du coin.
01:45Celui-ci, vexé d'avoir été éconduit, revient le lendemain soir avec deux amis à lui.
01:50Vers une heure du matin, les trois hommes font irruption dans la tente des jeunes femmes.
01:55Elles sont frappées et violées pendant cinq heures.
01:58On se sentait sales, détruites au plus profond de nous-mêmes.
02:04À la suite de ce viol, Araceli Castellano tombe enceinte.
02:08Elle l'avortera dans la clandestinité.
02:11Quatre ans plus tard, le procès se tient aux assises d'Aix-en-Provence.
02:15Devant le tribunal, une foule en colère est réunie
02:17pour protester contre les victimes et leurs avocates.
02:20La police !
02:26Il a fallu traverser cette cohorte vindicative.
02:32Et nous l'avons fait parce que nous étions portés par la conviction
02:39que cette cause-là, il fallait la gagner.
02:42Avant de rentrer dans les détails du procès,
02:43il est nécessaire d'apporter un peu de contexte historique.
02:47Nous sommes dans les années 70, une décennie marquée
02:49par des mouvements sociaux décisifs pour les droits des femmes.
02:55Je pense que la femme doit rester à sa place
02:58et que l'homme doit... comment dirais-je ?
03:03C'est lui qui doit porter la culotte dans le ménage.
03:05Ah oui, absolument.
03:06Puisque c'est lui qui ramène l'argent à la maison,
03:08il est donc nécessaire que la femme tienne sa place
03:10et fasse le ménage et s'occupe de ses enfants.
03:13Au début des années 70, la notion de chef de famille
03:16et de puissance paternelle est abandonnée
03:19au profit de l'autorité parentale conjointe.
03:21Désormais, la loi prévoit que les deux époux assurent ensemble
03:25la direction morale et matérielle de la famille.
03:28En 1974, la pilule devient accessible à toutes.
03:32Une nouvelle loi instaure la gratuité et l'anonymat
03:35de la contraception auprès des centres de planification.
03:38Vous prenez la pilule ?
03:39Non, parce qu'on m'arrive pas.
03:41Mais autrement, moi je suis pour.
03:45Tout à fait.
03:45Pourquoi vous voulez pas qu'elle prenne la pilule, votre femme ?
03:48Personne ne l'en doute, parce qu'une femme qui prend la pilule,
03:52je sais pas moi, elle est plus libre.
03:56La décennie 70 voit également naître le MLF,
03:59le mouvement de libération des femmes,
04:01destiné à lutter contre toutes les formes d'oppression.
04:04Et le combat féministe le plus important à l'époque,
04:06c'est la lutte pour le droit à l'avortement.
04:10Le 5 avril 1971, le Nouvel Observateur publie
04:14le Manifeste des 343, appelé aussi le Manifeste des 343 salopes.
04:20Dans ce plaidoyer, des femmes connues ou non
04:22déclarent avoir avorté et réclament ce droit.
04:25Et l'un des moments clés de la lutte pour le droit à l'avortement
04:28se déroule en 1972 avec les procès de Bobigny.
04:32Marie-Claire Chevalier, une jeune femme de 16 ans,
04:35est jugée pour avoir avorté dans la clandestinité
04:37après être tombée enceinte à la suite d'un viol.
04:40Pendant le procès, son avocate Gisèle Halimi
04:43décide d'alerter l'opinion publique et de mettre en accusation la loi.
04:47Le procès lui-même, quel qu'ait été le jugement,
04:51le procès lui-même a marqué un pas irréversible.
04:54C'était quelqu'un d'extrêmement déterminé.
04:57C'est quelqu'un qui a toujours eu des convictions,
04:59qui s'est toujours battue, qui n'a jamais eu peur.
05:01Elle représentait, Gisèle Halimi, à l'époque pour moi,
05:05une femme engagée pour que, en particulier les femmes,
05:09trouvent cette liberté.
05:10Marie-Claire Chevalier sera finalement relaxée.
05:13Deux ans après ce procès historique,
05:15Simone Veil, alors ministre de la Santé,
05:17prononce un discours resté célèbre à l'Assemblée nationale.
05:21Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement.
05:24Il suffit d'écouter les femmes.
05:26C'est toujours un drame.
05:30Cela restera toujours un drame.
05:33En janvier 1975, la loi Veil légalise l'avortement.
05:38Cette année-là, Anne Tonglet,
05:40qui se bat pour que le procès de ces violeurs ait lieu aux Assises,
05:43fait appel à Gisèle Halimi pour rassurer sa défense.
05:46C'est ça qu'elle a eu comme géniale idée.
05:50C'était accuser la loi et pas celle qui était accusée par la loi.
05:56Alors moi, quand j'ai entendu ça, je me suis dit,
05:58c'est exactement ça qu'il faut faire avec le viol aussi.
06:03C'est accuser les lois qui ne sont pas du tout compétentes.
06:07Peu après leur agression en 1974,
06:09Anne Tonglet et Araceli Castellanou
06:11se rendent dans un commissariat de Marseille pour déposer plainte.
06:14Quand elles sont arrivées au commissariat,
06:16elles étaient d'abord jugées,
06:18elles étaient d'abord suspectées.
06:20Les premières questions qu'on leur pose,
06:22c'est alors les traces de sang et le marteau.
06:25Ce fameux marteau avec lequel Anne avait essayé de se défendre,
06:30ce marquot avec lequel ils avaient mis les piquets de leur tente.
06:33Les deux victimes sont conduites à l'hôpital pour y être soignées
06:36avant d'être soumises à un examen médical.
06:39Le couple est ensuite confronté aux trois agresseurs présumés,
06:42rapidement interpellés après le dépôt de plainte.
06:45Les deux femmes sont ensuite entendues par une juge d'instruction
06:48qui les soumet à une enquête de moralité,
06:50comme le veut la norme à l'époque.
06:52Ces enquêtes de moralité,
06:54avec ce postulat de leur anormalité,
06:57on n'était pas encore au mariage pour tous,
07:00on n'était pas à l'admission de ce qu'est l'homosexualité.
07:04Donc elles étaient véritablement indexées
07:07comme des jeunes femmes qui, finalement,
07:10ne méritaient que ce qu'elles allaient vivre
07:13dans cet enfer d'une nuit terrible pour elles.
07:16La juge d'instruction qualifie les faits en coups et blessures
07:19et attentats à la pudeur.
07:21Comme la très grande majorité des affaires de viol à l'époque,
07:24le procès aura lieu devant un tribunal correctionnel.
07:27À l'époque, on portait peu plainte.
07:30La force criminelle du viol était peu reconnue.
07:33Mais il y avait quand même tout un mouvement féministe
07:35qui s'en était saisi.
07:37Le procès se tient au tribunal correctionnel de Marseille en 1975.
07:41Les deux plaignantes se rapprochent de Gisèle Halimi
07:44et d'associations féministes qui se mobilisent
07:46pour que les faits soient requalifiés.
07:48Il a fallu dire que non,
07:50ce n'était pas seulement des atteintes
07:53à leur sexualité,
07:56que non, c'était un crime.
08:00Le tribunal correctionnel finit par se déclarer incompétent.
08:03L'affaire sera jugée devant une cour d'assises.
08:10Des injures, des crachats, des obsédités, des coups,
08:13c'était à chaque entrée ou sortie d'audience les mêmes scènes.
08:16Le 2 mai 1978, le procès des accusés s'ouvre
08:19devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône
08:21dans une ambiance très tendue.
08:23Devant le tribunal, les plaignantes et leurs avocates
08:26sont prises à partie par une foule en colère.
08:36C'était une ambiance très particulière,
08:38violente.
08:40Chaque jour, on entrait dans la salle
08:42entre une haie d'hommes
08:44qui disaient des choses du genre
08:46« Chez nous les femmes, on les perce ».
08:48Gisèle Halimi convie plusieurs figures intellectuelles
08:50pour médiatiser l'affaire
08:52et faire du procès une tribune politique.
08:54Avec les plaignantes,
08:56elles décident de lever le huis clos.
08:58L'objectif ? Que la honte change de camp.
09:018 victimes sur 10 n'osent pas porter plainte
09:03par honte, peur ou culpabilité.
09:05Pour l'association Choisir,
09:07la publicité des débats serait propre
09:09à mieux leur faire prendre conscience de leurs droits.
09:11Pendant l'audience, les proches des accusés
09:13présents dans la salle perturbent
09:15le témoignage des victimes.
09:17L'entrée dans la cour d'assises
09:19de tous les copains des accusés,
09:21c'était une horreur.
09:23C'était une horreur parce qu'il fallait les rappeler à l'ordre,
09:25il fallait contrôler,
09:27il fallait faire la police de cette audience
09:29à chaque fois que les victimes
09:31prenaient la parole et s'en prenaient aux accusés.
09:33Les avocats de la défense
09:35tentent de décrédibiliser la version des plaignantes
09:37en assurant qu'elles étaient consentantes.
09:39Il faut revenir à ce que
09:41Anne a dit de manière très forte
09:43quand on lui a
09:45quasiment dit « mais enfin,
09:47vous avez fini par consentir ».
09:49Très fortement, nous n'avons pas consenti,
09:51nous avons cédé.
09:53C'est un climat de haine et d'hostilité
09:55que nous éprouvons depuis deux jours.
09:57Nous n'avons à aucun moment ressenti
09:59de la part de tous ceux qui nous entouraient
10:01l'impression d'être compris.
10:03Durant sa plaidoirie,
10:05l'un des avocats des accusés, un certain Gilbert Collard,
10:07décrit ses clients
10:09comme de pauvres gars.
10:11Le droit de défendre des violeurs,
10:13c'est la défense, c'est être avocat.
10:15Mais tout de même, dire des accusés,
10:17c'est-à-dire leurs clients,
10:19que ce sont des pauvres gars
10:21qui finalement n'ont pas grand-chose
10:23dans le ciboulot, c'est inqualifiable.
10:25Il n'a pas fait
10:27beaucoup d'effet de manche.
10:29Il s'est vraiment laissé dominer par Gisèle Halimi.
10:31On commence par dire mais
10:33elle n'avait qu'à pas porter un jean collant,
10:35elle n'avait qu'à pas sourire, elle n'avait qu'à pas sortir,
10:37elle n'avait qu'à pas, elle n'avait qu'à pas,
10:39à la limite, elle n'avait qu'à pas exister
10:41en tant que femme.
10:43Au terme de trois jours d'audience,
10:45les trois accusés sont condamnés
10:47à des peines de prison ferme.
10:49Les jurés ont condamné Serge Petrelli
10:51à six ans de réclusion criminelle,
10:53Guy Roger et Pierre Mougalis
10:55à quatre ans de prison.
10:57Les mecs étaient scandalisés
10:59et je crois que Gisèle,
11:01elle était contente
11:03parce que ça marquait
11:05un changement.
11:07C'était important qu'il y ait une sanction
11:09mais la symbolique aussi
11:11était plus forte encore
11:13que le taux de la sanction.
11:15Un seul des trois accusés est condamné pour viol.
11:17La circonstance aggravante
11:19de crime en Réunion n'est pas retenue par le jury.
11:21Mais pour les victimes et leurs avocates,
11:23cette condamnation sonne
11:25comme une victoire.
11:27Le moment qui m'a le plus marquée dans ce procès,
11:29c'est plutôt la fin.
11:31J'ai pu
11:33voir quelque chose
11:35d'une lumière retrouvée
11:37dans leur regard
11:39et surtout d'une forme d'apaisement.
11:43Au lendemain du procès d'Aix,
11:45une proposition de loi est déposée au Sénat
11:47pour que le viol soit reconnu
11:49comme un crime.
11:51En décembre 1980, la loi sur le viol
11:53introduit une nouvelle définition
11:55de ce crime dans le code pénal.
11:57Désormais, tout acte de pénétration
11:59sexuelle de quelque nature qu'il soit
12:01commis sur la personne d'autrui
12:03par violence, contrainte ou surprise
12:05constitue un viol.
12:07Une personne reconnue coupable de viol
12:09encourt 15 ans de réclusion criminelle.
12:11Vous pensez que les hommes, tout de même,
12:13un jour, violeront de moins en moins ?
12:15Vous savez, moi, si je mène ces luttes,
12:17c'est que je dois être optimiste.
12:19Autrement, je ne les mènerais pas.
12:21Je pense qu'en tout cas, l'enjeu est très important.
12:23Vous savez, ça n'est pas un procès de viol,
12:25l'enjeu. Ce n'est pas une condamnation
12:27ou un acquittement. L'enjeu, c'est
12:29changer les rapports fondamentalement
12:31entre les hommes et les femmes.
12:33Il ne peut pas y avoir de société
12:35où le couple, au plan de l'amour,
12:37soit basé sur un rapport de force physique.
12:39C'est quasiment du fascisme.
12:45À toutes ces victimes, je veux leur dire
12:47aujourd'hui, regardez autour
12:49de vous, vous n'êtes pas seules.
12:51Alors que le procès Pellicot vient
12:53de s'achever, une question reste en suspens.
12:55Cette affaire va-t-elle entraîner
12:57une évolution de la loi comme ce fut le cas
12:59pour le procès d'Aix ? Certains demandent
13:01que la notion de consentement soit inscrite
13:03dans la loi. L'idée divise, mais
13:05pour Agnès Fichaud, cette inscription
13:07est nécessaire, mais pas suffisante.
13:09Ce qui me paraît être
13:11nécessaire, c'est
13:13de renverser ce qu'on appelle en droit
13:15la charge de la preuve.
13:17Aujourd'hui, c'est
13:19aux victimes, avec la loi que nous avons,
13:21de prouver qu'elles n'étaient pas
13:23consentantes. Et comme l'a si bien dit
13:25magistralement Anne, nous avons
13:27cédé, mais nous n'avons
13:29pas consenti. Nous devrions dire
13:31que la charge de la preuve, du consentement,
13:33repose désormais sur les accusés.
13:35Avant de vous laisser,
13:37je voudrais remercier Agnès Fichaud et
13:39Josiane Savignot pour leur témoignage, ainsi
13:41que toutes les équipes de Brut qui m'ont aidé
13:43à réaliser cette vidéo, en particulier
13:45Émilie, Asilis et Emeline.
13:47Et moi, je vous dis à très vite pour
13:49une nouvelle grande histoire.