Première invitée de cette nouvelle séquence vidéo, la championne paralympique de poursuite aux Jeux de Paris démontre une nouvelle fois qu'elle porte une parole forte contre les discriminations.
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00:00Salut tout le monde, bienvenue dans Engager, la nouvelle série vidéo de l'équipe où
00:05je pars à la rencontre de personnalités du monde du sport qui se distinguent par leur
00:08engagement.
00:09Aujourd'hui, on va aller discuter avec une athlète qui a brillé lors des derniers Jeux
00:13Paralympiques de Paris et qui est aussi devenue une icône de la communauté LGBT+, vous avez
00:17sans doute deviné qui c'est, on a rendez-vous avec Marie Patouillet !
00:20Salut ! Salut Marie, ça va ? Ça va et toi ?
00:29Merci de nous accueillir chez toi à Bagnolet ! Avec grand plaisir ! On y va ? Vas-y ! Merci
00:33beaucoup !
00:34Marie, on est chez toi, on avait demandé à l'invité de cette pastille de choisir
00:46le lieu de l'interview, pourquoi tu as choisi d'être chez toi ici à Bagnolet ?
00:50Parce que c'était une prise de parole engagée et que je pense qu'il n'y a pas d'autre
00:54endroit où je me sens mieux pour parler de ces sujets-là et on sait combien ça coûte
00:57de parler d'engagement, donc c'est important d'être dans un endroit où on se sent bien.
01:02Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voulais mettre un peu en avant ?
01:04Il y a ce petit Lego que j'ai eu en 2023 et à ce moment-là c'est vrai que je suis
01:10dans une période qui est hyper compliquée, je subis un peu le contre-coup de mon engagement
01:16et ça c'est un Lego que m'offre la Big Bertha, qui est une drag queen qui est géniale
01:21et je l'ai emporté avec moi dans toutes mes compétitions jusqu'au Jeux de Paris,
01:25donc ce petit bonhomme fait partie de mon engagement.
01:26On l'amène avec nous pour l'interview ?
01:28On l'amène avec nous, oui.
01:32Marie, merci de nous accueillir chez toi.
01:33Est-ce que tu comprends pourquoi c'est toi la première invitée de cette nouvelle Pastive vidéo ?
01:37Un peu, parce que je pense que je suis une des rares athlètes françaises à réellement
01:43afficher en tout cas mes opinions publiquement et à m'exprimer sur des sujets assez sensibles
01:49et c'est vrai que l'engagement fait partie de mon cheminement sportif.
01:56C'est quoi ces opinions ? C'est quoi tes valeurs ?
01:58C'est quoi les choses sur lesquelles tu ne transiges pas ?
02:00Le message que j'ai surtout envie de faire passer, c'est que...
02:04Enfin, il y en a plein, mais c'est de faire prendre conscience du caractère multidimensionnel
02:10ou intersectionnel de la lutte contre les discriminations et qu'on ne peut pas se contenter
02:14juste de se satisfaire d'une lutte contre une discrimination et sans s'intéresser aux autres.
02:22Et pour moi, dans le sport, il y a encore trop ça.
02:24Surtout dans le sport para, où on va certes poser la question du validisme et de comment
02:29inclure les personnes en situation de handicap, mais derrière, on ne se pose pas la question
02:33du racisme, on ne se pose pas la question de la LGBT-phobie, on ne se pose pas la question
02:37du sexisme.
02:38Et le fait de cumuler ces étiquettes, on cumule une charge mentale qui finit par être
02:46assez conséquente, on cumule aussi des processus d'exclusion qui peuvent être hyper impactants
02:52sur notre quotidien.
02:53Et si on en revient au sport, cumuler une charge mentale supplémentaire, c'est à la
02:58fin avoir un environnement de performance qui est moins serein, moins confortable que
03:07ceux qui ont tous les privilèges que nous, on n'a pas.
03:10Tu parles des discriminations que tu as pu vivre, est-ce que tu en as déjà subi ?
03:13À partir du moment où on est une femme, on en subit toutes, mais le sexisme, la lesbophobie,
03:21le validisme, et il y a un effet, quand on y accorde de l'importance, qui peut être
03:26très destructeur, où il y a une grosse perte de confiance, il y a un isolement, il y a
03:31une solitude qui s'installe quand on y accorde trop d'importance, et c'est hyper dur de
03:35le déconstruire, même moi parfois je redeviens cette gamine de 6 ans qui est terrorisée
03:40par le regard de l'autre.
03:41Et comment on fait pour qu'on prend ces discriminations un peu en pleine tronche ?
03:45Au début, on n'a pas les armes pour déjà en avoir conscience, on prend les blagues,
03:51on prend les remarques, et presque ça nous paraît normal, parce qu'on grandit dans
03:53cet environnement très patriarcal, et donc c'est ok.
03:56Mais une fois qu'on est capable d'identifier, c'est hyper dur aussi de pouvoir argumenter,
04:01et de pouvoir répondre à ces arguments qui sont tellement ancrés, comme on ne peut plus
04:06rien dire, ou ça a toujours été comme ça, et si on n'a pas les bons arguments, ça
04:11tombe à l'eau encore une fois, et on reste avec nos discriminations et nos traumas.
04:17Dans ton engagement, est-ce qu'il y a un élément qui a été un peu déclencheur ?
04:20Il y a eu un élément déclencheur, qui est Tokyo.
04:22Quand on fait une médaille au jeu, c'est censé être génial.
04:24Et malgré ça, je rentre, je suis un peu détruite, je suis en colère, je suis triste,
04:31et là je comprends que si je ne mets pas un autre sens derrière ma performance que
04:35la médaille, je vais avoir du mal à m'épanouir avec ma médaille.
04:38Peut-être que j'aurais préféré ne pas faire médaille, mais avoir un environnement
04:42safe pour moi.
04:43Quel était cet environnement que tu as considéré comme pas safe à Tokyo ?
04:46La phrase qui résume bien, c'est que quand je demande à ce qu'il y ait un environnement
04:50un peu moins sexiste, on me répond que si je ne voulais pas un sport sexiste, il fallait
04:53que je fasse un sport de filles.
04:54Et c'est de là où je me dis, je ne repars pas pour Paris dans cet environnement-là.
05:01Ça n'a juste aucun sens pour moi, et ce sera même destructeur pour moi personne.
05:05J'avais comme objectif d'aller au jeu en étant alignée.
05:07Et du coup, mon engagement fait partie de cette équation-là.
05:10C'est-à-dire que si je n'avais pas eu cet engagement-là, je n'aurais pas été
05:13alignée avec moi-même et avec mes valeurs.
05:15Cet engagement-là, il part aussi d'un instinct de survie perso.
05:19C'était aussi pour moi que je le fais, c'est-à-dire que si je voulais donner ma meilleure performance,
05:24il me fallait un environnement où je me sentais bien, je me sentais libre de pouvoir être
05:29qui j'étais.
05:30Et on ne peut pas être qui on est quand on est une femme lesbienne et qu'il y a des
05:34blagues où la femme est totalement objet sexuel en permanence.
05:38Ce n'est pas possible.
05:39Ça nous étouffe, ça nous oppresse et on ne peut pas être qui on est.
05:42À ce moment-là, je me disais, j'ai trois ans pour me déconstruire, pour me construire
05:48et pour être prête.
05:49Donc, ça voulait dire être prête sur le vélo, mais être prête aussi à faire bouger
05:53un peu les cases.
05:55Comment tu as fait pour que justement les mentalités échangent ?
05:59Il y a eu pas mal de rencontres, surtout dans le milieu associatif, avec des discussions
06:06qui m'ont moi aussi déconstruite et un peu poussée dans mes retranchements.
06:10Il y a eu des prises de parole, d'abord dans des petites sphères et puis de manière un
06:14peu plus importante, il y a eu des prises de parole dans les médias.
06:16Et puis, il y a eu des prises de parole auprès de personnes que j'avais identifiées comme
06:21personnes ressources dans les instances.
06:22Et en l'occurrence, il y en a eu deux ou trois où si elles n'avaient pas été là,
06:26je pense que les choses n'auraient pas bougé aussi vite.
06:29Ce n'est pas fatigant des fois d'éduquer les gens.
06:33Si, il y a des moments, c'est usain.
06:34Et puis, il y a des moments où on a des arguments en face de nous qui sont, mais d'une aberration.
06:41Total, quoi.
06:42Et c'est encore plus usant quand la discussion a lieu avant une séance d'entraînement
06:45et qu'à la fois, j'ai envie de rentrer dans le vif du sujet, de déconstruire et
06:49en tout cas de faire réfléchir la personne qui est en face de moi.
06:52Et en même temps, j'ai mon entraînement qui va suivre.
06:54Et c'est vrai que parfois, oui, il y a de la fatigue.
06:56Il y a des moments, 2023, j'ai envie de tout arrêter.
06:59Il y a une image qui a marqué pendant les Jeux de Paris, juste après ta victoire.
07:04Elle dit, je dédie cette course à ma femme.
07:06C'est quelque chose qui est totalement naturel et je ne me voyais pas faire autre chose.
07:11On en vient au sujet, oui, l'intime et politique.
07:15À partir du moment où on a une visibilité, ça a un impact politique.
07:19C'est très réducteur de se résumer, ne serait-ce que soit, en tant qu'être humain
07:23à une médaille et dire, je l'ai gagnée, c'est génial.
07:26Voilà.
07:27Et c'est important pour moi de réfléchir à ce qu'on a, chacun et chacune au fond
07:33de nous et ce qu'on a envie de partager comme émotion, comme message, comme engagement.
07:37Quel message on a envie de faire passer au-delà de la médaille ?
07:40Je voulais te montrer ces deux photos.
07:41Oui.
07:42Ça dit que c'est plus facile, ça gêne moins.
07:46Visiblement, si ça a moins été utilisé, une sœur qui va enlacer son frère plutôt
07:51qu'une femme qui va embrasser sa femme.
07:54Cette photo du baiser, elle a une force qui va au-delà d'un amour fraternel.
07:58Et c'est une belle représentation.
08:01On nous arrêtait plus pour nous dire merci pour le baiser, pour les émotions qui ont
08:05été transmises et partagées avec ce baiser que pour la médaille.
08:08Elle est là, la réussite.
08:10Elle est que ce que j'ai fait passer, ça va au-delà de la médaille d'or.
08:13Et pour moi, c'est ça qui est important.
08:15Avec Soraya, vous faites des shootings un peu des fois, notamment.
08:20Cette photo, quand on parle de visibilité, c'est aussi par ça que ça passe.
08:25Cette photo, elle rentre dans le cadre d'un projet de livre qui a été fait par Paint.
08:32Ils ont décidé de raconter des histoires d'amour queer.
08:37Il y a plein de couples queer avec une belle diversité, une belle représentation.
08:41Et la représentation, ça compte dans le militantisme.
08:46On n'est pas forcément militante que quand on va dans les manifs, quand on prend la parole
08:52ou quand on brandit une pancarte.
08:55Il faut le faire et c'est important, mais c'est aussi en donnant une représentation
08:59de la diversité qu'on combat les discriminations.
09:03Tant qu'il n'y aura pas de représentation de l'intersectionnalité, tant qu'il n'y
09:06aura pas de représentation de la diversité, il y aura des discriminations.
09:09Et ça, pour le coup, ça manque cruellement dans le sport.
09:12Et la représentation, elle est d'autant plus importante que souvent sur la visibilité
09:16des couples lesbiens, par exemple, il y a souvent ce discours de
09:19« Ah, mais en fait, c'est la vie privée, ça ne nous intéresse pas, ce n'est pas
09:22des choses importantes. »
09:23Alors qu'en fait, pour les couples hétéros, on ne se pose jamais la question de dire que
09:26c'est la vie privée et ça ne nous regarde pas.
09:27Oui, il y a un truc d'invisibilisation qui est assez ancré et qui est assez fort.
09:34Je parlais d'arguments durs à contrer, celui de « Mais ça ne devrait pas être
09:39un sujet.
09:40Moi, ça n'est pas un pour moi.
09:42Oui, mais en fait, toi, tu n'es pas concerné directement par ça.
09:45Donc en fait, si c'est un sujet et tant qu'on n'aura pas ce niveau égal entre
09:51n'importe quelle orientation sexuelle et l'hétérosexualité qui aujourd'hui
09:54est une norme et qui est la référence, ce sera un sujet.
09:58Il va falloir déconstruire cette norme hétérosexuelle pour que ce soit un non-sujet.
10:02La manière d'apparaître au monde et d'être dans la rue, c'est aussi des fois des actes
10:05politiques forts.
10:06C'est quelque chose que j'ai conscientisé dans le sens où je me suis posé la question
10:10est-ce que c'est moi ou si c'est moi, en fait, c'est OK.
10:13Mais là-dessus, en fait, le regard de l'autre, pour le coup, le handicap m'a beaucoup aidé.
10:16Je me suis heurtée au regard des autres très jeune, petite avec ma malformation et j'ai
10:22dû apprendre très tôt à devoir faire sans la validation des autres.
10:27On peut être une femme et pas forcément remplir les codes de la féminité définis
10:33par des normes assez hétéropatriarcales.
10:36J'ai des partenaires et dont des partenaires plutôt dans la mode où je fais des shootings
10:41et oui, c'est une représentation de shooter et d'être une femme avec le crâne rasé,
10:47avec un look qui peut parfois être androgyne.
10:49C'est donner une représentation.
10:52Autre chose que je voulais te montrer, c'est ce magazine dans lequel tu as donné une interview.
10:57C'est important aussi de parler à sa communauté ?
10:59Oui, c'est important.
11:01Cet article-là, moi, il me touche particulièrement déjà parce que c'est la première fois que
11:06je prends publiquement la parole sur les sujets des discriminations et je trouvais
11:13ça bien de le faire dans un magazine lesbien.
11:16Moi, à ce moment-là, j'avais l'impression de lâcher une bombe.
11:19Et quand je l'ai relu, je me suis dit « mais qu'est-ce que c'est timide et qu'est-ce
11:23que tu dis rien ? » Enfin, je me suis vraiment jugée quand même en me disant que j'ai
11:27évolué, mes prises de parole sont un peu plus incisives aujourd'hui, mais je pense
11:32que cet article-là, pour le coup, il représente et il ancre le déclic de mon engagement.
11:40Dernière chose, Marie, pour conclure cet échange, on t'avait demandé de préparer
11:44une sorte de carte blanche parce que cette séquence, ça s'appelle « Engagée » et
11:48c'est aussi pour donner la parole à nos invités.
11:52Donc, c'est un message à faire passer, c'est à toi, on t'écoute.
11:56Non, mais peut-être rajouter, tu vois, sur le militantisme, il peut prendre effectivement
12:00plusieurs formes.
12:01Militer, c'est aussi peut-être dire à son collègue à la machine à café ou à
12:05l'entraînement que la blague qui a été faite il y a cinq minutes, en fait, elle
12:10n'est pas OK.
12:11Et de petit à petit, essayer d'aller déconstruire comme ça, dans son entourage, des stéréotypes
12:18et des modes de pensée qui ne sont pas OK.
12:20C'est ça aussi militer, finalement, et qu'on milite avec ce qu'on a et c'est
12:28compliqué aussi.
12:29Mais le tout, c'est de se poser la question de qu'est-ce qu'on a au fond de nous
12:32et qu'est-ce qu'on a envie de faire passer comme message.