Des milliers de prisonniers libérés et des centaines de personnes dans l’attente de revoir leurs proches disparus… Cette semaine dans La grande histoire, Hugo vous raconte l’enfer des prisons syriennes, symbole de la répression du dictateur Bachar el-Assad.
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00:00Vous avez probablement tous été sidérés cette semaine en découvrant ces images.
00:10Des milliers de prisonniers s'échappant de la prison de Saïd Naya après la libération
00:20de Damas par les rebelles syriens.
00:21Mais avant de parler de l'horreur des prisons, revenons brièvement sur l'histoire du régime
00:32syrien.
00:33En 1970, Hafez et l'Assad accèdent au pouvoir à la suite d'un coup d'état militaire.
00:43À coups de purges, d'arrestations massives et d'exécutions, ils mettent en place un
00:53état autoritaire.
00:54En 1982, l'armée encercle la ville de Hama, lieu d'insurrection des frères musulmans.
01:02Les bombardements font entre 10 000 et 40 000 morts, essentiellement des civils.
01:07En 1987, le régime construit la prison de Saïd Naya, située à une trentaine de kilomètres
01:13de Damas.
01:14L'idée est de semer la terreur et de faire taire toute voie dissidente.
01:18C'est ici que sont emprisonnés les opposants politiques, comme les communistes ou les
01:22frères musulmans, des intellectuels, des journalistes ou encore des militants des droits
01:26de l'homme.
01:27Ce qui réunit ces personnes, c'est un, le fait d'avoir été considéré comme une menace,
01:32d'être enfermé sans raison, et par ailleurs, lorsqu'ils sont enfermés, aucun document
01:37ne vient expliquer les raisons de leur enfermement.
01:39En 2000, Bachar el-Assad, fils cadet d'Afez el-Assad, accède au pouvoir.
01:47Ophtalmologue ayant étudié à Londres, il se présente comme un réformateur moderne.
01:53Mais lorsque le printemps arabe éclate en 2011, le dirigeant syrien réprime les
02:02manifestations dans le sang pour se maintenir au pouvoir.
02:15Le dictateur syrien ira même jusqu'à utiliser à plusieurs reprises des armes chimiques
02:21contre sa propre population.
02:22Des milliers de personnes sont arrêtées et disparaissent dans les prisons du régime
02:29syrien.
02:30Pour cette vidéo, j'ai pu m'entretenir avec Raja, un dessinateur syrien arrêté
02:34à deux reprises pour avoir participé aux manifestations du printemps arabe en 2011.
02:39Emprisonné dans le centre 227, un bâtiment des services de renseignement du régime situé
02:44en plein cœur de Damas, il a vécu l'enfer.
02:47Je vous laisse écouter son témoignage.
02:49Au centre 227, je me rappelle, il y avait toutes sortes de populations, des intellectuels,
02:58des ouvriers, des artisans, il y avait des médecins, des jeunes de différents âges,
03:04de 12 ans jusqu'à 80 ans.
03:07Donc, il y avait toutes les catégories de la société syrienne.
03:13Vous avez dit 12 ans ?
03:15Oui, il y avait des garçons, un garçon, mais il y avait même plus qu'ils n'avaient
03:20même pas 12 ans.
03:21Je me rappelle qu'on était au moins 2400 prisonniers.
03:25C'est les calculs qu'on faisait d'après les repas qu'on donnait, surtout les galettes
03:31de pain.
03:32Le pire, c'était de voir les cadavres des prisonniers qui mouraient, soit suite à la
03:39torture ou aux maladies.
03:42Les conditions sanitaires étaient très réduites.
03:46Donc, on mourait à cause des diarrhées ou à cause de la gale ou des infections, des
03:55furontes qui tuaient vraiment les gens, ou sous la torture, soit la chaise allemande
04:01ou l'électricité, ou juste d'étouffer un prisonnier à la main ou avec un bras de
04:10plomberie.
04:11Vous avez subi ce genre de torture ?
04:14Comme tous les prisonniers.
04:16Vous étiez chargé de déplacer les cadavres ?
04:19Oui, c'était un travail quotidien le matin et le soir.
04:22Il fallait sortir les cadavres chaque jour et les déposer dans des camions, soit le
04:29soir ramener des cadavres qui arrivaient avec des camions.
04:32Le centre 227, c'était un lieu où on regroupait les cadavres de plusieurs centres, jusqu'au
04:39lendemain, où il y a des camions qui prenaient ces cadavres et les conduisaient vers les
04:48fosses communes.
04:49Des fois, on craignait d'être transféré à la prison de Sidnaya ou d'avoir peur d'être
04:55transféré dans un drapeau vers les fosses communes.
04:59Deux mois après ma libération, quand j'ai mis les pieds au Liban, à Beyrouth, avec
05:05ma petite famille, j'avais ramené mon carnet de dessin et j'ai acheté un stylo binoir.
05:13Le stylo binoir coulait sur le papier blanc et tous les souvenirs que je n'osais pas
05:21les dessiner à Damas, ils ont commencé à sortir.
05:25Les vues de l'ancien cage avec des dizaines de prisonniers ou les silhouettes des prisonniers
05:34qui transportaient les cadavres.
05:35Il y avait un mélange de vouloir documenter et archiver et en même temps sortir la beauté
05:44cruelle des dessins des êtres humains et des corps suppliés et en même temps une
05:51sorte de thérapie.
05:54Au sein de l'appareil du régime syrien, la prison militaire de Sidnaya est devenue
05:58le symbole de la répression.
06:00Je vais reprendre les propos d'un ancien responsable de la prison.
06:07Cette prison, c'est la fin de l'humanité.
06:09La prison de Sidnaya peut accueillir entre 10 000 et 20 000 détenus.
06:13Décrite comme un véritable abattoir humain par Amnesty International, elle est composée
06:18de deux blocs, le bâtiment rouge en forme d'étoile à trois branches et le bâtiment
06:22blanc.
06:23Dans ce bâtiment rouge sont enfermés les membres de la population civile, considérés
06:27comme des opposants et donc un danger pour le régime et dans le bâtiment blanc sont
06:31enfermés les membres de l'armée et autres services composants de l'appareil de sécurité
06:36qui se sont opposés à Bachar al-Assad.
06:39Alors que plusieurs milliers d'opposants ont disparu depuis le début du printemps
06:43arabe, le rapport César, sorti en 2014, révèle pour la première fois la réalité des prisons
06:50syriennes.
06:51Ce rapport, basé sur des dizaines de milliers de clichés réalisés par un ancien photographe
06:57légiste du régime, permet d'authentifier 11 000 victimes tuées dans les prisons syriennes
07:02entre mars 2011 et août 2013.
07:21En 2017, un rapport d'Amnesty International basé sur les témoignages de 65 anciens prisonniers
07:26dévoile les atrocités commises à Saydnaya.
07:56Grâce aux témoignages d'anciens détenus, plus de 150 techniques de torture ont été
08:17recensées dans la prison.
08:18Électrocution, pendaison au plafond, supplice de la roue ou encore des viols à répétition.
08:26D'après le rapport d'Amnesty International, 20 à 50 personnes étaient exécutées chaque
08:50semaine.
08:51Selon l'association des détenus et des disparus de la prison, plus de 30 000 prisonniers
08:55ont été exécutés entre 2011 et 2018.
09:25Le 27 novembre, la coalition rebelle menée par le groupe islamiste HTS lance une offensive
09:49éclair contre le régime syrien.
09:51Entre Alep, Hama puis Homs, les villes clés tombent une à une.
09:59En dix jours, le régime en place depuis 54 ans s'effondre.
10:03Dimanche 8 décembre, les rebelles annoncent à la télévision publique syrienne la libération
10:08de la capitale Damas.
10:16Ce même jour, les rebelles prennent le contrôle de la prison de Saydnaya.
10:20Des milliers de prisonniers du régime retrouvent la liberté.
10:50Devant la prison, des milliers de personnes s'amassent en quête de leurs proches disparus.
10:55A l'intérieur, les rebelles ouvrent les cellules une à une, libérant même des femmes et des
11:01enfants.
11:07Dans les cellules, ils découvrent des prisonniers bouleversés et amaigris, certains ne se rappellent
11:12plus de leur propre nom.
11:14D'autres ont disparu depuis plusieurs décennies, comme ce Jordanien venu à Damas il y a 38
11:19ans pour étudier avant de disparaître.
11:26Dans les dédales de la prison, les rebelles découvrent les instruments de torture du
11:30régime syrien.
11:33Une course contre la montre est engagée.
11:37À coups de massue et de marteau-piqueur, ils mettent tout en œuvre pour trouver de
11:41potentiels prisonniers.
11:43Le lendemain de la libération de la prison, des équipes des Casques Blancs sont dépêchées
11:48pour mener des fouilles.
11:49De nouveaux prisonniers sont libérés.
11:57Les rebelles découvrent aussi des douzaines de corps dissous dans l'acide et les restes
12:01de vêtements et de chaussures appartenant aux prisonniers tués.
12:05Mardi 10 décembre, les Casques Blancs annoncent l'arrêt des recherches.
12:35C'est un exemple pour tout le Moyen-Orient en fait.
12:37Et un exemple pour chaque dirigeant qui croit un jour qu'il pouvait être un dictateur.
12:45Il faut toujours montrer les images, comment les gens humilient un dictateur et cassent
12:51les statues de despotisme.
12:59Merci d'avoir regardé cette vidéo, j'espère que vous en savez un peu plus sur les événements
13:03historiques qui se déroulent actuellement en Syrie.
13:06Il y a des nouvelles qui nous arrivent toutes les heures donc je vous tiendrai informé
13:09dans les commentaires.
13:10Et d'ailleurs n'hésitez pas à me poser des questions, j'y répondrai volontiers.
13:13Je voudrais remercier infiniment Najal Boukhaï pour son témoignage poignant que vous pouvez
13:18retrouver en intégralité sur nos réseaux et le site de Brut.
13:21Je vous conseille également son livre « Graver la mémoire » paru aux éditions El Vizo.
13:26C'est un recueil d'illustrations glaçantes mais essentielles pour témoigner de l'enfer
13:30des prisons syriennes.
13:31Je vous mets le lien dans la description ainsi que le rapport d'Amnesty International
13:35sur la prison de Saïd Naïa.
13:36Avant de vous laisser, je voudrais remercier également toutes les équipes de Brut qui
13:40m'ont aidé à réaliser cette vidéo, en particulier Théo, Asilis et Claudio.
13:44Et je vous dis à très vite pour une nouvelle grande histoire.