Juan Branco : « Diomaye Faye a été reçu dans des conditions indignes à Paris »
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00:00Nous sommes sur le point de rompre nos relations avec l'Algérie, nous n'avons plus aucun partenaire dans la région.
00:06C'est dit quoi concernant la France et c'est dit quoi concernant l'avenir de ces pays en Afrique ?
00:12L'effondrement d'un empire.
00:14L'effondrement d'un empire, très clairement, avec tout ce que cela génère en termes de possibilités d'émancipation pour des peuples
00:22qui ont été absolument asservis au cours de cette période.
00:26Et donc une vague d'espoir extraordinaire et aussi une responsabilité tout aussi importante dans un contexte qui est particulièrement dur,
00:34voire impossible à subvertir.
00:37Parce que moi, je le vois au Sénégal, le niveau de violence qui immédiatement s'est appliqué sur les autorités,
00:44nouvellement en place de la part des institutions internationales et du pouvoir économique et financier,
00:49pour s'assurer qu'il y ait une continuité des politiques adoptées jusqu'ici,
00:53avec notamment tout de suite une pression financière qui est amenée à la signature d'un accord avec le FMI,
01:00mais auparavant à la souscription d'un certain nombre d'instruments financiers,
01:06avec l'aide de JP Morgan, si je ne me trompe pas,
01:09qui est particulièrement inquiétante et révélatrice de la faiblesse des marges de manœuvre qui sont à disposition du nouveau pouvoir.
01:16Et de quoi le rapport du FMI ?
01:18Le FMI, en fait, on est dans une dialectique assez particulière entre les autorités sénégalaises et le FMI aujourd'hui,
01:24où les autorités sénégalaises cherchent à maintenir un lien avec cette institution,
01:31ont fait le choix de ne pas rompre avec ces institutions néocoloniales,
01:35mais du coup sont soumises à un certain nombre de prescriptions imposées par ces instances,
01:40et qui les ont amenées notamment, après avoir fait un audit sur l'état réel des finances publiques,
01:47à énoncer un certain nombre d'admissions quant aux difficultés en termes de finances publiques, tout simplement,
01:54et à devoir adopter des mesures qui les empêchent d'investir aujourd'hui dans les éléments fondamentaux
02:03qui permettraient à leur économie de se développer.
02:05C'est-à-dire qu'il n'y a à ce stade aucune mesure réelle qui n'a été prise pour développer l'industrie de la pêche nationale,
02:14pour investir dans la recherche et l'éducation, pour investir dans le secteur énergétique,
02:19notamment des énergies renouvelables qui sont une source d'autant plus importante
02:24qu'il y a une électrification partielle qui s'est beaucoup accélérée ces dernières années
02:31et qui, avec justement le surplus de capacité de production de solaire en Chine par exemple,
02:37permettrait de récupérer à bas coût des capacités de production qui seraient relativement décentralisées
02:43et permettraient justement à tout l'arrière-pays de se développer de façon relativement autonome
02:47par rapport au flux de la mondialisation, à la fois en termes agricoles mais aussi éventuellement à terme industriel.
02:52Et tout ce travail n'est pas mené parce qu'on cherche à les tenir étouffés sous la contrainte financière immédiate.
03:00Il ne faut pas se tromper sur le jeu de dupe que proposent ces institutions,
03:06c'est-à-dire avec des conditions apparemment alléchantes en termes de financement et ainsi de suite,
03:11c'est empêcher de dégager des marges qui permettraient en fait un véritable développement sur le moyen et le long terme.
03:17Donc cet asservissement, je ne vois pas de rupture aujourd'hui avec celui-ci et de façon générale.
03:23La contrainte est telle que j'étais très marqué de voir le président du Sénégal venir à deux reprises à Paris
03:32dans les mois qui ont suivi sa prise de pouvoir et s'afficher avec un Emmanuel Macron souriant à la porte de l'Elysée.
03:40Après avoir été reçu au quai d'Orsay dans des conditions qui m'apparaissent parfaitement indignes
03:44et sans prendre des mesures de rupture qui étaient pourtant promises et annoncées de longue date.
03:52De sorte qu'y compris le Tchad, qui est quand même un régime en partie vassalisé à l'égard de la France Afrique,
03:58a pu annoncer plus tôt que le Sénégal le retrait des troupes françaises de son territoire.
04:04J'ai été très frappé par les images du président de la République reçues dans un petit salon du quai d'Orsay
04:11où j'avais vu exercer, quand j'étais conseiller du ministre, un niveau qui était insultant à l'égard de ses fonctions et de son importance.
04:20Avec, dans mon souvenir, un directeur d'administration à la même table que le président de l'État sénégalais,
04:25dans cette salle qui est en fait une salle d'apparat, une salle à coucher,
04:31parce que l'hôtel du ministre du quai d'Orsay, pour l'anecdote, avait été construit au XIXe siècle
04:39pour recevoir les dignitaires étrangers, qui étaient à l'époque principalement des monarques,
04:44et donc c'était construit comme un palais, donc on n'était que quatre à y avoir accès lorsque j'étais au quai d'Orsay.
04:51Donc je passais des soirées à me banader.
04:54Il y a une chambre d'eau toute en argent, une autre chambre d'eau toute en or,
05:02et des salles un peu comme ça où il y a des gendarmes et ainsi de suite.
05:05C'est dans l'une de ces salles qu'a été reçu le président du Sénégal,
05:09qui n'aurait même pas dû être reçu au niveau ministériel.
05:12C'est-à-dire que déjà le simple fait d'être reçu au niveau ministériel était quelque chose.
05:15Et donc là, ce qu'on voit, c'est l'influence d'un appareil diplomatique sénégalais traditionnel asservi,
05:22qui a prolongé les dynamiques de l'ancien régime,
05:26et qui quelque part a mis dans cet étau l'autorité politique sénégalaise nouvelle,
05:31qui est censée incarner la rupture et qui n'a pas pu incarner la rupture
05:34par défaut de préparation et d'ajustement de l'appareil étatique à l'égard de cette nouvelle donne.
05:39Et cela donne, en fait, des scènes qui sont inacceptables et, à mon sens, humiliantes.
05:44Et donc, ces ruptures-là, qui ne sont pas mises en œuvre à court terme parce que
05:49les contraintes, justement, d'un système encore persistant sont tellement puissantes,
05:55risquent d'obéir à la capacité, à long terme, de se pouvoir émanciper son peuple et à honorer ses promesses.
06:01Et donc, il y a une inquiétude, évidemment, à cet égard.
06:04Mais ce ne sont quant aux difficultés qu'il y a à véritablement provoquer une rupture
06:09lorsque l'on fait partie d'une région du monde qui était les plus exploitées,
06:12les plus soumises à cet ordre économique.
06:15De sorte que même la France, aujourd'hui, qui est quand même la huitième conscience mondiale,
06:18se soumet largement au diktat, non seulement financier, mais de l'Empire états-unien.
06:23Alors, imaginez-vous le courage qu'il faut, lorsque l'on est un État du Sahel,
06:27à prendre ce chemin qui, nécessairement, va passer par une mise en danger d'intérêts nationaux,
06:33mais aussi, plus généralement, de sa population.
06:35C'est-à-dire que c'est un risque que vous prenez, alors que vous n'êtes pas certain de pouvoir l'emporter.
06:39Et on l'a vu, le prix payé par les populations maliennes, du Burkina Faso, et ainsi de suite,
06:44est immense, du fait d'une tentative d'émancipation qui peut, à tout moment, encore échouer
06:51et pour laquelle beaucoup de personnes ont intérêt à ce qu'elle échoue
06:54parce qu'elles ne veulent pas de contamination aux autres États africains.
06:58Elles ne veulent pas que cela soit un signal envoyé comme quoi ce serait possible.