Que sont devenus les Français djihadistes engagés en Syrie ? Avec la chute de Bachar Al-Assad peuvent-ils représenter une menace sur le territoire français ? Regardez l'analyse de Olivier Christen, procureur national antiterroriste.
Regardez L'invité de RTL avec Thomas Sotto du 10 décembre 2024.
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00:00RTL Matin
00:04Et tout de suite, l'invité de RTL Matin, Thomas, vous recevez aujourd'hui, Olivier Christen, c'est le procureur national antiterroriste.
00:10Bonjour et bienvenue sur RTL, Olivier Christen, monsieur le procureur national antiterroriste.
00:14Bonjour.
00:15La Syrie vient de passer brutalement de la dictature au risque de chaos, la Syrie connue pour avoir abrité nombre de terroristes ces dernières années.
00:22Est-ce que cette nouvelle situation là-bas vous inquiète-t-elle quant au risque terroriste chez nous ?
00:28Alors évidemment, le changement de régime en Syrie peut être considéré comme une forme de déflagration, dont l'écho va devoir être mesuré,
00:37à la fois sur ce qui se passe sur le territoire syrien, et là-même on pourra y revenir, si vous le voulez, à plusieurs niveaux,
00:43et puis peut-être en certaines mesures sur les répercussions qu'ils peuvent avoir sur notre territoire.
00:49Et c'est l'analyse de cet écho, la façon dont on doit s'adapter à celui-ci, et adapter la réponse policière et judiciaire que nous organisons,
01:00sur laquelle nous travaillons, avec notamment les services qui sont en charge du renseignement ou de la police judiciaire,
01:07et au premier rang desquels la Direction Générale de la Sécurité Intérieure.
01:10Vous êtes vigilant ou vous êtes inquiet ?
01:11Nous sommes en relation sur ce point.
01:13Est-ce qu'on est en montée d'un cran ou pas dans l'inquiétude ?
01:16Je ne crois pas que nous ne sommes pas montés d'un cran dans l'inquiétude.
01:19Nous sommes vigilants parce que dès lors qu'il y a une situation géopolitique qui est mouvante,
01:24et notamment dans une zone du monde dans laquelle les tensions sont particulièrement importantes,
01:29nous savons d'expérience que ces tensions peuvent avoir des répercussions sur ce qu'on appelle la géodosphère,
01:38et sur la part de géodosphère qui est en France.
01:42Mais il est trop tôt, il est difficile de savoir dans quelle mesure cette aggravation des tensions,
01:49cette évolution des tensions aura un impact sur quelles peuvent être les motivations des personnes
01:57qui sont en voie de radicalisation violente, qui sont les proches du djihad sur le territoire.
02:03Et c'est à leur détection, à l'analyse de leur évolution, que nous travaillons en lien avec la DGSI.
02:10Pour être très concret, on a entendu que des prisonniers détenus notamment dans les prisons de Bachar el-Assad
02:14avaient été libérés par les rebelles. Savez-vous combien de détenus français s'y trouvaient dans ces prisons ?
02:19Ce que nous savons sur cette zone-là, c'est qu'il y a à peu près une grosse centaine de Français
02:27qui étaient dans la poche d'Idlib.
02:29Donc des combattants là pour le coup ? Des djihadistes combattés ou des prisonniers ?
02:33Non, là je parle plutôt des djihadistes combattants qui étaient dans la poche d'Idlib.
02:38C'est ceux sur lesquels il y a la principale préoccupation aujourd'hui.
02:42C'est-à-dire ceux que vous avez peur de voir revenir en France ?
02:45Ceux sur lesquels nous sommes attentifs sur ce qu'ils vont faire.
02:49Sur cette grosse centaine, il y en a à peu près une trentaine que je mets un peu à part
02:54puisque cela correspond plutôt à des femmes qui avaient fui l'État islamique lors de la débâcle de celui-ci
03:00ou qu'on puisse évader de certains des camps.
03:02Il y a le groupe qui est rattaché à Omar Homsayn, Omar Diaby
03:06qui était plutôt en rupture avec le HTS ou HTC.
03:12Et le mouvement terroriste de Nouvel Omphore syrien.
03:16Donc le groupe d'Omar Diaby qui était plutôt isolé,
03:20qui est toujours un groupe très actif dans la propagande
03:23et qui était plutôt celui qui était attractif pour les Français qui voulaient rejoindre la Syrie dernièrement.
03:28Et puis il y a une trentaine de personnes qui apparaissent être plutôt rapprochées du HTC
03:33qui peut-être ont rejoint les rangs combattants même si on les connaissait davantage
03:37comme des individus qui étaient plus investis dans les opérations de financement du HTC.
03:43Mais est-ce qu'ils sont traçables tous ces hommes-là ? Est-ce qu'on sait à peu près où ils sont ?
03:47On sait à peu près où ils étaient à un moment donné.
03:50C'est-à-dire que tous les individus français qui sont partis en Syrie sont à peu près identifiés.
03:56On était de l'ordre de 2500.
03:58On sait de façon assez précise ceux qui sont détenus dans les camps syriens
04:04et qui sont sous contrôle du Kurdistan.
04:06On sait qu'il y en a un certain nombre dont l'on sait qu'ils sont à priori décédés, à peu près 500,
04:13même si pour certains ce n'est que présumé.
04:16Il y a les 390 qui sont revenus.
04:18Et puis il y en a à peu près 300 qui ont disparu, c'est-à-dire sur lesquels on n'a plus de traces.
04:23Parmi ces 300, il y en a qui probablement ont rejoint des rangs,
04:27de façon clandestine évidemment, mais pour l'instant nous n'avons pas de traces immédiates.
04:32Et puis nous pensons que...
04:34C'est quand même un grand brouillard tout ça.
04:36Juste pour finir sur ce point, nous pensons que ce serait parmi ceux-là
04:39qu'il y aurait certains des individus qui étaient détenus dans les prisons de Bachar Al-Assad,
04:43de ce que vous évoquiez il y a un instant.
04:45Il y en avait deux que nous connaissions avec certitude
04:49et nous supposons qu'il y a un volant qui est plus large.
04:52Ce sont des états avec lesquels...
04:54Est-ce que vous redoutez que ces djihadistes rentrent en France ?
04:57Ils viennent poursuivre leurs projets en France.
04:59Est-ce qu'aujourd'hui c'est une inquiétude pour vous ?
05:01Je reste sur ce qu'était l'analyse jusqu'à présent,
05:04que ce qu'on appelle la menace projetée,
05:06c'est-à-dire la capacité de créer des commandos pour les envoyer sur le territoire européen,
05:09n'était pas la plus prégnante.
05:11Je ne pense pas que l'évolution récente de la situation en Syrie
05:14change beaucoup la situation sur ce plan-là.
05:16D'une part parce que le HTC,
05:19qui a indiqué qu'il est en rupture avec Al-Qaïda depuis 2016,
05:24qui fait aujourd'hui des déclarations
05:26selon lesquelles il s'éloigne du djihadisme international...
05:29Vous les croyez ?
05:30Est-ce que c'est possible à les croire ?
05:32Pardon, je vous pose une question,
05:33mais est-ce que pour vous, Abu Mohamed Al-Jolani,
05:35qui est le chef de ce groupe HTC,
05:37groupe classé terroriste par plusieurs chancelleries occidentales,
05:41est-ce que pour vous c'est un terroriste ?
05:43Je réponds juste pour faire la question précédente.
05:46Vous avez ce groupe-là,
05:48qui actuellement a un calendrier qui est plutôt syro-syrien,
05:52donc je ne pense pas que de cela,
05:54il y ait un gros risque de créer une menace projetée.
05:56Après qu'ils aient une activité terroriste ou non sur leur territoire,
06:00et les liens qu'ils peuvent avoir avec d'autres mouvements,
06:02c'est ce que l'on va devoir voir dans les jours, les semaines qui viennent.
06:05Et l'autre groupe, qui serait plutôt ceux à l'origine des menaces projetées,
06:08qui était l'État islamique, reste très affaibli.
06:11Nous avons pu voir que depuis le mouvement du HTC,
06:14il y a plutôt eu...
06:16Les américains ont renforcé leurs actions contre l'État islamique,
06:18et les relations avec l'État islamique et le HTC
06:20peuvent laisser penser que l'État islamique
06:22voit plutôt d'un mauvais œil la prise de pouvoir par le HTC.
06:24Donc par rapport à cette menace-là,
06:26je ne pense pas qu'elle ait évolué aujourd'hui au moment où nous nous parlons.
06:29Autre sujet d'inquiétude, monsieur le procureur antiterroriste,
06:31les détenus condamnés pour terrorisme chez nous en France,
06:33et qui arrivent au terme de leur peine,
06:35combien sont-ils ? Combien vont sortir de prison dans les semaines ou les mois qui viennent ?
06:38Actuellement, il y a 419 personnes que nous suivons
06:41pour avoir été condamnées pour des faits de terrorisme.
06:44C'est-à-dire les 419 personnes qui sont toujours sous contrôle,
06:48sous autorité judiciaire,
06:50que ce soit dans le milieu fermé, c'est-à-dire détenus,
06:53ou qui soient en aménagement de peine, post-détention.
06:56Sur les 235 qui sont actuellement dans le milieu fermé,
07:01sur l'ensemble des 419 que je viens d'indiquer,
07:03il y en a à peu près 70 qui sortent par an.
07:07Il y en a eu un petit peu moins cette année,
07:09puisque nous sommes aujourd'hui à 54.
07:11Donc il y en aura pour une soixantaine à la fin de l'année 2024.
07:15Il y en aura un petit peu plus en 2025.
07:17Combien en 2025 ?
07:19C'est difficile à dire aujourd'hui, parce qu'en fait,
07:21il y a tout un tas de dispositifs juridiques sur l'aménagement des peines
07:24qui peuvent être faits quand ils sont en toute fin de peine,
07:26qui sont décidés au cours de l'année.
07:28Donc je ne peux pas savoir de façon précise aujourd'hui.
07:30Ce que je peux simplement dire, c'est qu'il y a un dispositif très fin
07:35qui est mis en place par le service national du renseignement pénitentiaire
07:38d'évaluation de leur parcours et de leur niveau de radicalisation en détention.
07:44Et qu'une fois qu'ils sont sortis,
07:47l'articulation entre le suivi qui est fait dans un cadre judiciaire
07:50et celui qui est fait en renseignement par la DGSI
07:53permet d'avoir un suivi assez fin, une lecture assez fine.
07:57Ils ne sont pas lâchés dans la nature.
07:59La menace terroriste chez nous, ce sont aussi ces 3 jeunes hommes âgés de 19 et 20 ans
08:03qui ont été arrêtés parce qu'ils préparaient un attentat à Poitiers, semble-t-il.
08:06Déjà, c'était un vague projet ou c'était une vraie menace avec un passage à l'acte imminent ?
08:10Non, je pense que nous sommes dans le 9e attentat des jouets cette année
08:16parce que le niveau d'organisation, le niveau de planification
08:21et surtout, ce sont des individus qui préparaient des explosifs
08:26étaient suffisamment avancés pour que nous puissions considérer aujourd'hui
08:29que nous étions face à un attentat des jouets.
08:31Ils préparaient un attentat à la bombe ?
08:33Ils préparaient un attentat à l'explosif à la bombe, oui.
08:35Et qui visaient la mairie de Poitiers comme on l'a vu ?
08:37Ils avaient plusieurs cibles qui étaient identifiées, dont potentiellement Poitiers
08:43sans qu'à ce niveau-là, ils se soient allés à des repérages particuliers
08:47ou se soient allés suffisamment en avant pour considérer que la mairie
08:52ou la ville de Poitiers en général était une cible vraiment très arrêtée.
08:55Quelles étaient leurs autres cibles ? Elles étaient dans d'autres régions ?
08:57Il y avait différentes cibles institutionnelles.
08:59Les individus sont originaires de l'ouest de la France
09:01donc ils étaient plutôt sur les lieux qu'ils sans doute connaissaient
09:06ou qu'ils pouvaient voir.
09:08Mais sur le plan de la cible vraiment arrêtée, on était sur quelque chose de plus flou.
09:14En tout cas, c'était des gens entre guillemets sérieux, des apprentis terroristes sérieux.
09:18Oui, c'est des gens que nous considérons comme étant sérieux.
09:20Où en est la menace terroriste cette ancienne en France ?
09:22Elle est stable ? Elle est plus élevée qu'avant ?
09:25Comment vous la qualifieriez ?
09:27Nous la considérons depuis la fin de l'année 2023 comme à un niveau plutôt très élevé.
09:32Notamment pour les raisons que je vous ai indiquées tout à l'heure.
09:35Le climat de tension en général a accru.
09:38C'est quelque chose auquel les djihadistes sont assez perméables.
09:43Aussi parce qu'il y a des organisations terroristes qui se sont reconfigurées, réarmées.
09:48Notamment l'État islamique au corps Hassan qui diffuse une propagande importante.
09:52Et nous le mesurons au niveau des enquêtes qui sont ouvertes.
09:55Puisque sur l'année 2024 nous aurons en tout à peu près deux fois plus d'enquêtes sur le contentieux djihadiste que nous en avions ouvert en 2023.
10:03Ça fait combien deux fois plus ?
10:04Deux fois plus, ça fait en tout aujourd'hui 613 enquêtes qui sont ouvertes chez moi sur l'ensemble des contentieux.
10:16Et 87% de ces procédures concernent le contentieux djihadiste.
10:21Il n'y a pas de menace immédiate là aujourd'hui au moment où on se parle ?
10:25Il y a une menace qui est très concrète puisque vous venez de faire référence au neuvième attentat des jouets que nous avons repéré sur le territoire.
10:34Donc cette menace elle existe, elle se concrétise par des individus qui s'organisent pour avoir des niveaux de projets plus ou moins développés, plus ou moins aboutis.
10:45Donc on peut considérer que la menace est à un niveau élevé.
10:49Et ce sur quoi nous nous préparons en lien avec la réaction, en lien avec les services qui sont chargés de la détecter à nos côtés.
10:57Merci Olivier Christel, monsieur le procureur national antiterroriste d'être venu ce matin en direct sur RTL.