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00:00Chers téléspectateurs, chers auditeurs, bienvenue dans ce nouveau numéro d'Ongle de vue.
00:24Vous connaissez le principe, près d'une heure en notre compagnie
00:27pour découvrir une personnalité que vous pensez déjà connaître.
00:30Et pour mener cet échange, à mes côtés, Mélinda Boulet, rédactrice en chef de France Senti
00:35et Catherine Villas-Copete, rédactrice en chef de RCI.
00:38Pour ce nouveau portrait, nous recevons aujourd'hui un sopraniste, un contre-tenor des arts lyriques,
00:44un timbre unique au service de la musique classique, Fabrizio Falco.
00:48Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:50Merci mesdames de m'avoir invité.
00:52Vous êtes un dénicheur de talents, la voix d'un style musical longtemps réservé à une élite.
00:57On vous connaît bien sûr à travers le concours Voix des Outre-mer et le festival Philao,
01:02sans compter bien sûr votre propre carrière.
01:04Mais avant d'aller plus loin, Mélinda Boulet va croquer votre portrait.
01:08Fabrice Di Falco, bienvenue.
01:10Vous êtes chanteur d'opéra.
01:11Vous avez fondé avec Julien Leleu le concours Voix des Outre-mer.
01:14Vous êtes né en Martinique en 1974.
01:17Vous avez grandi ici jusqu'à vos 18 ans.
01:20Vous avez fait vos classes au lycée de Bellevue.
01:22Votre maman rêvait d'être pianiste classique, mais elle n'a pas pu en faire son métier.
01:26Elle a fait carrière dans les statistiques.
01:28Votre père d'origine sicilienne travaillait dans l'univers financier.
01:32Vous baignez du coup dans la musique classique avec un piano à la maison,
01:35du Mozart, du Schumann dans les oreilles.
01:37Et votre mère, dès qu'elle le pouvait, vous amenait à l'opéra à Paris et ici,
01:42à tous les concerts de musique classique qu'il y avait également là-bas.
01:46Vous chantez à la chorale.
01:47Vous faire carrière à l'opéra est pour vous une évidence.
01:50Vous avez une voix aiguë, ce qui est peu commun pour un homme.
01:53Vous êtes raillé par vos camarades au lycée.
01:55Et c'est Maurice Alcindor qui, à l'époque, travaillait au lycée de Bellevue
01:58qui va devenir un petit peu votre ange gardien
02:00en vous faisant prendre conscience de la beauté et l'unicité de votre voix.
02:04Maurice Alcindor qui va aussi vous rappeler l'importance de la musique créole.
02:08C'est d'ailleurs dans son émission Palais Panisaison
02:10que vous donnez votre toute première interview.
02:12Une rencontre va marquer votre carrière,
02:14celle avec la cantatrice Barbara Hendrix en 1992.
02:18Lorsqu'elle vient en Martinique pour le festival de Fort-de-France,
02:21elle vous rencontre, elle vous auditionne et vous conseille d'entrer au conservatoire.
02:27C'est elle la première qui a remarqué la particularité de votre voix.
02:31Vous quittez donc la Martinique pour le conservatoire
02:34de Liliane Mazeran à Boulogne-Biancourt
02:36avec comme promesse faite à vos parents,
02:39celle de réussir grâce à un travail acharné.
02:42Ces derniers qui payent vos études vous fixent une seule condition,
02:46celle d'avoir de bons résultats.
02:48Ils demandent à la direction du conservatoire un bulletin de notes
02:51tous les trois mois pour s'assurer de votre réussite.
02:54Mais vous êtes tellement passionnés que vous ne quittez jamais le conservatoire.
02:58Vous suivez vos cours, les cours des autres
03:00et vous bouclez un cursus de 10 ans en 5 ans
03:04grâce à un travail rigoureux et acharné.
03:07Vous apprenez à incarner différents rôles, à jouer du piano.
03:10Le grand public martiniquais vous découvre en 1994
03:14sur le titre « Où est passé l'amour ? » d'Anne-Cosianna Fontaine
03:17interprétée par Philippe Rapini.
03:19Je vous propose qu'on écoute un extrait.
03:21Où est passé l'amour ? Où est passé le temps ?
03:25Le temps de dire je t'aime.
03:29Le temps de se sourire, le temps de se parler.
03:33Le temps de vivre un peu.
03:37Enchant donc ces oiseaux, ces anges venus du ciel
03:41avec leurs ailes d'espoir.
03:44Où est passé l'amour ?
03:47Où est passé la vie ?
03:55Qu'est-ce que cela vous évoque, cette chanson ?
03:58Un très beau souvenir, une très belle rencontre
04:01avec Anne-Cosianna Fontaine et Philippe Rapini.
04:03Une belle rencontre au-delà de la musique.
04:06Nous avons partagé des moments hallucinants
04:09de concert avec Annick.
04:11A l'époque, j'étais très fan de Richard Klederman.
04:14Pour moi, Annick Osella Fontaine était un peu
04:17le Richard Klederman ici en Martinique
04:20avec toujours de très belles mélodies,
04:22avec son superbe morceau « Les gorges de la falaise »,
04:25avec toujours des titres venant de notre île martinique.
04:29Quand je vois ce clip, ces images,
04:33ça me replonge évidemment dans ma tendre enfance.
04:37J'ai enregistré le clip quand j'avais 17 ans
04:41et ensuite c'est à 18 ans que c'est devenu public.
04:44Je continue votre portrait.
04:47Vous décrochez votre premier rôle à l'Opéra en Autriche.
04:50C'est une dame rencontrée en 1994
04:52lors d'un concert à la cathédrale
04:54qui voit déjà en vous la grandeur de votre talent
04:57et qui vous propose de vous mettre en contact
04:59avec sa fille qui est agent artistique.
05:01En 1999, vous décrochez votre prix de chant,
05:04vous invitez sa fille qui va devenir votre agent jusqu'à ce jour
05:08et elle va vous permettre d'inscrire votre nom à l'international.
05:11Votre premier rôle à l'Opéra est celui d'un magicien androgyne
05:14que vous allez jouer en Autriche.
05:16Vous allez vous faire connaître et vous faire un nom.
05:18Vous êtes le seul Français dans la troupe à l'époque.
05:21Vous avez joué dans le célèbre « Les nègres » de Michael Levinas.
05:24Vous vous considérez comme le noiseau des îles
05:26et vous volez haut pour faire connaître votre martinique et ses talents.
05:29Et c'est pour donner un peu de ce qu'elle vous a offert
05:31que vous montez avec Julien Leleu contrebassiste
05:34le concours « Voix des Outre-mer »
05:36qui va révéler de nombreux talents
05:38comme Livia Louis-Joseph Dauguet ou Alix Petrice.
05:40La liste est bien longue.
05:42Et depuis 8 ans, de la martinique à la Polynésie,
05:44vous faites découvrir l'Opéra aux jeunes
05:46en leur permettant, comme vous, de toucher les étoiles.
05:49Vous avez été nommé en 2016 Chevalier de la Légion d'honneur
05:52et nommé en 2022 Chevalier des Arts et des Lettres
05:55et officier de l'Ordre national du mérite.
05:57Ce que l'on sait moins de vous,
05:59c'est que vous êtes un très bon cuisinier,
06:01que vous aimez manger et pisser, un bon danseur
06:03et que vous êtes un homme spirituel attaché à des valeurs
06:06et que la fidélité est pour vous un sacerdoce.
06:09Est-ce que ce portrait, Fabrice Di Falco,
06:12est fidèle à l'homme que vous êtes ?
06:14Oui, il est fidèle à l'homme que je suis
06:17parce que je suis juste un jeune martiniquais
06:20qui a quitté sa martinique avec beaucoup de tristesse
06:24et qui a fait carrière et qui continue sa carrière
06:28parce que la martinique, à chaque fois que je prends l'avion,
06:31elle me manque parce qu'elle m'a créé.
06:34Donc en fait, quand je vous entends parler de qui je suis,
06:38moi-même je suis un peu comme spectateur de ce que je suis devenu,
06:42un chanteur d'opéra à l'international,
06:45mais en réalité je suis resté ce jeune martiniquais
06:48qui n'arrive pas à croire qu'il a pu chanter
06:51pour les grandes personnalités de ce monde
06:53et à être toujours là, vivant devant vous.
06:57Un jeune martiniquais justement qui a grandi dans une famille
07:00où, on l'a compris, il y avait une prédisposition à la musique.
07:03Vous n'avez jamais envisagé une autre carrière que celle-là ?
07:06Vous n'avez jamais eu peut-être d'autres passions ou vocations,
07:09même plus jeunes que la musique ?
07:11Ah non, en fait, dès petit, j'adorais le carnaval,
07:15j'adorais me déguiser, j'adorais cette fête populaire,
07:19cette fête où on ne vous regardait pas en vous critiquant,
07:23parce que vous pouviez vous habiller de toutes les couleurs,
07:26avoir l'incarnation de différents personnages
07:29et être tous ensemble, qu'il n'y ait pas de différenciation sociétale,
07:35de personnes, tous les milieux sont ensemble pour faire le carnaval.
07:38Donc j'ai grandi comme ça et en réalité, si vous voulez,
07:42devenir chanteur d'opéra, je crois que ça a toujours été au fond de moi.
07:47Je voulais être comédien, parce que le carnaval, c'est jouer du théâtre,
07:52je voulais être comédien.
07:53Et pendant longtemps, on a discuté avec Zann Palsy,
07:55la réalisatrice martiniquaise, qui me disait
07:58« Mais alors, pourquoi tu ne deviens pas comédien ? »
08:00Je lui réponds « Parce qu'en fait, finalement, je suis comédien.
08:03J'ai juste, au lieu d'une voix parlée, une voix chantée
08:06pour pouvoir réaliser des rôles. »
08:08Quels ont été les freins pour rembrasser cette carrière de chant lyrique ?
08:14Mais Linda l'a mentionné dans le portrait,
08:16quand vous étiez jeune, ici en Martinique,
08:18avec cette voix et puis cette personnalité, j'imagine déjà,
08:21qui se dessinait, celle que vous avez aujourd'hui.
08:25Vous êtes quelqu'un, un personnage à lui seul, Fabrizi Falco.
08:29Il a été dit que vous avez été raillé dans votre jeunesse.
08:32Est-ce que vous l'avez mal vécu ? Comment vous l'avez vécu ?
08:35Est-ce qu'à un moment, ça vous a incité peut-être à vous dire
08:39« Est-ce que je le ferai vraiment ? »
08:41Comment vous avez surmonté tout ça ?
08:43Je crois que quand on est différent, avec une voix différente
08:47de celle des autres garçons, et qu'on se rend compte
08:50de cette différence, il y a deux chemins.
08:53Il y a soit le chemin du combat, de la lutte,
08:56afin que l'autre puisse vous comprendre, l'autre puisse vous aimer,
09:00parce que vous allez lui montrer que vous n'êtes pas si différent.
09:02Vous avez juste une chose en plus.
09:04Il y a peut-être d'autres copains qui avaient une appétence au sport.
09:07Il y en avait d'autres qui avaient une appétence pour la mode,
09:09d'autres pour la cuisine, d'autres pour des métiers, je dirais, à risque.
09:13Moi, j'avais cette voix aiguë.
09:15Donc, j'ai choisi la voix de me faire accepter,
09:19et non pas la voix de me dire « Ah ben mince, je vais donc m'enfermer
09:23et je ne vais donc pas chanter et je ne vais donc pas montrer qui je suis. »
09:27Je n'ai pas eu, comment dirais-je, ce côté d'enfermement,
09:32parce que Maurice Alcindor m'a ouvert cette porte d'être fier de qui je suis.
09:36Et puis, mes copains et copines se sont moqués de moi très rapidement,
09:42mais assez rapidement.
09:43Ils se sont arrêtés, parce que la voix touche l'âme.
09:46Quand j'avais des caïds du lycée de Bellevue, du lycée technique,
09:50qui pouvaient me donner des noms d'oiseaux,
09:52je pouvais leur dire simplement en répondant par la puissance de ma voix.
09:56Et en réalité, je savais que la puissance d'une voix, surtout opératique,
10:00allait chercher au plus profond de leur âme, au plus profond de leur cœur,
10:04l'enfant qui reste en eux et qui pouvait être touché par une voix.
10:08En cela, ils devenaient mes potes.
10:10On va revenir sur vos années au conservatoire.
10:12Comment vous avez vécu l'exil ?
10:16Je le vis toujours mal.
10:21C'est difficile d'être déraciné d'une terre qui vous a fait naître.
10:25C'est difficile d'avoir une culture très différente des autres cultures.
10:29Donc, quand je suis arrivé à Paris, j'y suis allé souvent pour les vacances,
10:33donc pour les vacances, deux mois, etc.
10:36Mais venir à Paris, loin de sa famille, loin de ses amis,
10:42avec une culture différente, avec le froid,
10:47ça a été un combat, toujours pour se faire accepter,
10:52toujours se dire qu'on est comme tout le monde.
10:54Donc, ça a été un combat.
10:55Et pourtant, n'avez-vous pas à la base une double culture, justement,
10:59de par votre papa italien et votre maman martiniquaise ?
11:02On pourrait penser que vous auriez eu peut-être plus de facilité, justement, pour vous adapter.
11:08M'adapter en Italie aurait été beaucoup plus simple.
11:11Quitter la Martinique pour l'Italie, mon père est sicilien,
11:14quitter la Martinique même pour Florence ou pour Naples,
11:17ou pour Rome, ou pour Venise,
11:19ce sont des personnes qui nous ressemblent beaucoup plus.
11:21Et vous ne l'avez jamais envisagé, justement ?
11:23Non, parce qu'une carrière, surtout, comment dirais-je, pour un Français,
11:27est beaucoup plus facile quand vous allez à Paris,
11:30là où il y a des conservatoires, où on parle français.
11:33Donc, il aurait fallu que je parle un italien couramment,
11:36que j'arrive en Italie, comment dirais-je, avec une culture italienne.
11:41Mais mon père est italien,
11:43mais c'est ma mère qui a voulu me donner une culture anti-aise créole à 100%.
11:48Donc, il était plus logique que j'aille faire mes études à Paris
11:52et non pas en Autriche ou en Allemagne et en Italie.
11:55Voyez, mais pourtant, malgré la même langue, le français,
12:00l'hexagone reste pour moi, comment dirais-je,
12:04toujours avec beaucoup de, comment pourrais-je dire,
12:09toujours des zones d'ombre.
12:13D'accord. Cette voix si particulière que vous avez,
12:17est-ce que c'est un don sur le berceau du petit Fabrice
12:20ou est-ce que dans vos histoires familiales, si on remonte,
12:23il y a aussi des gens qui avaient des voix extraordinaires ?
12:26Alors, c'est amusant, c'est une très bonne question
12:29parce que pendant longtemps, j'ai pensé qu'il n'y avait personne dans la famille qui chantait.
12:33Et puis, un jour, nous sommes en Martigny, j'avais déjà commencé ma carrière,
12:38et puis, je ne sais pas pourquoi, ma mère se met à chanter
12:44et j'entends une voix vraiment très, très belle, lyrique,
12:48et je vais la voir, je dis, mais maman, donc cette voix me vient de toi.
12:51Et ma mère va me raconter une histoire assez hallucinante.
12:55Je suis né fin décembre 1974, ma mère était une femme très douillette
12:59et elle accouche de son premier enfant, elle me racontera toujours cette histoire
13:04comme elle avait très peur de l'accouchement.
13:06En fait, il y a une dame qui est venue lui dire,
13:08arrêtez de crier parce que ma mère criait, parce qu'elle n'avait même pas encore accouché,
13:11elle criait, vous imaginez, et cette dame a dû lui dire,
13:14enfin, vous criez beaucoup, on n'a même pas commencé l'accouchement,
13:17et d'un cri de ma maman, je suis sorti d'office.
13:21Et ma mère m'a dit, tu es peut-être devenu chanteur,
13:24parce qu'en fait, je n'ai même pas eu à souffler rien,
13:28tu es sorti d'office et tu as crié.
13:30Je suis né dans un cri, dans un cri où ma mère a voulu dire à cette dame,
13:34enfin, oui, j'ai peur, oui, j'ai peur, et finalement, je suis sorti comme ça.
13:37On va revenir sur vos années au conservatoire, vous étiez un élève assidu,
13:42vous avez suivi des cours qui n'étaient pas les vôtres
13:44pour justement gagner en compétence, augmenter votre niveau.
13:49Quel retour vous aviez de vos professeurs ?
13:51Alors mes professeurs, d'ailleurs, je les remercie,
13:53Liliane Mazon, Isabelle Daquet, d'avoir eu confiance en moi,
13:56ce directeur de conservatoire, Alfred Herzog,
13:58qui a quand même fait entrer dans un conservatoire
14:01quelqu'un qui ne savait pas réellement lire la musique,
14:03qui n'avait pas de connaissances musicales et de techniques vocales.
14:07Donc déjà, ils avaient misé, et moi, il fallait quand même que je leur montre
14:10qu'ils avaient eu confiance en moi.
14:12Pendant toutes ces années, jusqu'à maintenant,
14:14Liliane Mazon est ma prof et Isabelle Daquet est ma chef de chant.
14:17En réalité, pendant toutes ces années, je reste cet élève,
14:20cet élève qui veut toujours faire bien pour que son professeur soit heureux.
14:26Et à chaque fois que je fais un opéra, à chaque fois que je fais un disque,
14:28à chaque fois, j'ai soit Isabelle Daquet, soit Liliane Mazon
14:32qui me ramènent à qui je suis en me disant
14:35attention, tu n'es pas encore arrivé, fais encore plus de progrès.
14:38Donc en réalité, je pense que jusqu'à la fin de ma vie,
14:40tant que je chante, j'aurai toujours à essayer de leur plaire.
14:44Et justement, on va évoquer votre carrière vouée à l'art lyrique
14:48dans la deuxième partie de cette émission Fabrizio Falco
14:51après avoir marqué une très courte pause.
14:53A tout de suite.