Le médecin légiste et auteur à succès Philippe Boxho était l'invité d'une conférence organisée par Le Soir devant 600 étudiants de l'UCLouvain. Xavier Counasse lui a notamment demandé s'il s'était déjà retrouvé, à la morgue, face à des morts...pas morts.
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00:00On a un petit jeu pour finir cette séquence-là, enfin petit jeu.
00:02Ça s'appelle « Avez-vous déjà ? ».
00:04Je me suis rendu compte qu'il y a plein de gens qui avaient envoyé des questions
00:06pour savoir si vous avez déjà fait les choses un peu originelles.
00:09Je vais essayer de regrouper.
00:10Vous devez me dire si vous l'avez déjà fait, oui ou non,
00:12et puis détailler ou raconter une petite anecdote là autour.
00:15Alors, « Avez-vous déjà ? », ça s'affiche pour les gens dans la salle
00:18qui me comprendraient mal.
00:19Il y a un cadavre qui se réveille à la morgue, un non-mort.
00:22Oui, en fait, il ne s'est pas vraiment réveillé et ce n'était pas à la morgue.
00:26En fait, j'en ai deux. Tu veux les deux ?
00:28Allez, allons-y, allons-y, on a pas de temps.
00:29Il y en a un qui s'est réveillé, ce n'était pas à la morgue, c'était chez lui.
00:33Il était tombé face en terre, donc contre le sol.
00:36Il avait un veston comme moi et voilà, il était par terre.
00:40Il avait pissé, donc dans l'urine, tu as les mouches qui étaient venues pondre
00:43et donc tu avais des larves de mouches qui étaient par terre.
00:46Les policiers, quand ils sont arrivés, l'ont interpellé.
00:48« Monsieur, monsieur », il ne répondait pas.
00:51Et puis, en plus, il y avait des larves, donc pour eux, il était mort.
00:53Donc, on vous amène.
00:54On m'appelle.
00:56Et c'était la foire, si je me souviens, c'était l'époque de la foire.
00:59La foire à Liège ?
01:00Oui, mais c'est la foire là aussi, parce que quand j'arrive...
01:02Ah, pardon !
01:04Quand j'arrive, tu as un policier qui arrive en bas et qui me dit
01:07« Écoute, monte vite, il n'est pas mort. »
01:09Je lui dis « Tu te fous de moi ? »
01:09Il me dit « Non, non, il n'est pas mort, monte vite. »
01:11J'oublie de demander l'étage, mais par les escaliers, tu arrives vite.
01:14Quand il y a une porte ouverte, tu te dis que c'est là.
01:15Et j'arrive, je vois un policier dans un coin qui ne va pas bien.
01:19Il est assis par terre, il n'est pas en grande forme.
01:21Et j'ai un autre policier qui est devant moi,
01:24il s'appelle Doutré, avec un grand sourire.
01:27Un qui ne va pas bien, un qui a un sourire, je sais que ça a passé quelque chose.
01:30Et je me doute que ça va être pas mal.
01:32Et puis j'ai le type par terre, le mort, qui parle.
01:34Donc, j'ai compris.
01:37Il me dit « Qu'est-ce qui vous est arrivé, vous ? »
01:38Il me dit « On m'a mis une prothèse de hanche,
01:40et je suis tombé par terre, je n'ai pas réussi à me relever. »
01:42En fait, il a luxé sa prothèse.
01:44Et je lui dis « Ça fait combien de temps que vous êtes par terre ? »
01:46« Ah ben, j'en sais rien. »
01:47Je me dis « Je ne vais pas y toucher.
01:49Parce que si j'y touche, et je ne mobilise qu'il est depuis un bon moment par terre,
01:52quelques heures, je risque de larguer ce qu'on appelle le « crush syndrome ».
01:56C'est-à-dire larguer des substances qui sont toxiques,
01:58qui proviennent de la nécrose des cellules,
02:00qui sont restées trop longtemps au contact du sol,
02:02et qui ont fini par mourir.
02:04Et cette substance, tu sais que tu as un délai variable,
02:09enfin un délai quand même, pour le passer à la dialyse.
02:12Donc, vaut mieux pas le bouger, t'as dedans.
02:14Je lui dis « Écoutez, ne bougez pas, les secours arrivent. »
02:17Bon, je papote avec lui, parce que, quand même,
02:19il est par terre et je devais dire « Il est médecin celui-là, il ne fait rien. »
02:24Et puis le SMUR est arrivé, on l'a embarqué,
02:26il est vivant, il va bien, on lui a remis sa prothèse, enfin tout va bien.
02:31Et il y a le policier là dans le coin, il ne va toujours pas bien.
02:33Et je lui demande au courant « Mais qu'est-ce qui lui est arrivé à lui ? »
02:35Parce qu'il ne me parle pas.
02:36Et je lui demande « Ça va, toi ? »
02:38Ouf !
02:38Je me dis « J'ai peut-être une autre ambulance pour lui, mais qu'est-ce qu'il a ? »
02:42Et t'as le collègue qui m'explique, il me dit
02:44« En attendant, on cherchait l'identité du monsieur et on ne trouvait pas ses papiers. »
02:49Alors, dans la pièce, c'est une pièce, c'est un studio,
02:52et le collègue a passé sa main entre le sol et le cadavre,
02:56il était dans la poche, il a trouvé le portefeuille,
02:58au moment où il a retiré, il y a le cadavre qui lui a attrapé le bras.
03:02Donc, il a eu la trouille de sa vie.
03:04Mais ce que je ne raconte pas dans le bouquin, parce que je n'ai quand même pas osé,
03:07c'est qu'il aurait peut-être dégainé et menacé de tirer tellement il eut peur.
03:13Résultat, à chaque fois qu'on allait sur un cadavre, il me filait son flingue à l'entrée.
03:18Mais même quand le cadavre puait être loin, je lui dis « Écoute, celui-là, s'il est vivant,
03:22je ne suis pas légiste. »
03:23Et il me le donnait quand même.
03:25J'ai dit « Tu peux même tirer dedans, il n'y a pas de problème, il est mort. »
03:28Ça, c'est un.
03:29Et l'autre, c'est un cadavre qu'on m'a amené,
03:31c'est chez nous, il y a la meuse qui passe à Indiège.
03:33Et dans la meuse, les cadavres, ils remontent toujours.
03:35Pour les enfants, c'est 7 jours, pour les adultes, c'est 10 jours.
03:37Il n'y a pas besoin de s'exciter, c'est toujours comme ça.
03:39Et j'ai l'impression d'être dans « C'était vieux près de chez vous » quand je raconte ça.
03:43Et le cadavre remonte, en général, pas loin de l'Institut de médecine égale.
03:46Donc les services de secours qui viennent, les pompiers le prennent dans la flotte,
03:50ils le mettent sur un brancard, hop, à la médecine égale, ils arrivent chez moi.
03:53Et quand ils mettent le gars sur la table, je me dis « Mais il n'a pas l'air mort, celui-là. »
03:57Il avait les muscles du visage qui étaient toniques, tu vois.
04:00D'habitude, les morts, ils ont les muscles qui se laissent aller, le visage.
04:03Il faut faire un petit effort pour les reconnaître.
04:05Lui, pas du tout.
04:07Le visage était tonique.
04:08Et en plus, il n'était pas franchement blanc, comme j'ai l'habitude de le voir.
04:12Alors, vas-y, pour trouver un stéthoscope en médecine égale.
04:15Et donc, vous faites quoi ?
04:16J'ai pris mon scalpel et j'ai coupé dedans.
04:20Pas profond, pas... Non, je vous explique quand même.
04:23Ça fait un peu étrange.
04:25Quand on meurt, le sang quitte les vaisseaux sanguins qu'on appelle les artères et les capillaires.
04:30Il n'est plus que dans les veines.
04:32Et quand tu coupes en surface, tu coupes des capillaires.
04:34Donc, quand tu coupes des capillaires, s'il saigne encore, c'est que le type est vivant.
04:37S'il ne saigne plus, c'est qu'il est mort.
04:39Il saignait.
04:41Je me suis mis à le réanimer.
04:42Je l'ai mis par terre, j'ai commencé à le masser.
04:45J'ai appelé les secours.
04:46Alors, tu vois, le type dans la centrale sent.
04:48Bonjour, docteur Bruxelles, médecine égale.
04:49Écoutez, je suis à la mort.
04:50On m'a amené un mort, mais il n'est pas exactement mort.
04:52Est-ce que vous pourriez m'envoyer une ambulance ?
04:54Et l'autre, de l'autre côté, foutait de ma gueule.
04:57Voilà.
04:58L'ambulance est quand même venue.
04:59Ils l'ont ramené à l'hôpital parce qu'ils ont réussi à récupérer un rythme cardiaque.
05:03Il y en avait encore un.
05:04Mais au bout, tu ne peux pas le sentir.
05:05Il était trop, trop atténué.
05:07Ils ont réussi à lui redonner un rythme cardiaque.
05:09Mais son cerveau, malheureusement, était grillé.
05:11Il n'a jamais repris.
05:13Et donc, trois jours plus tard, ils me l'ont ramené.
05:15OK, l'histoire ne finit pas si bien.