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"Je sais dans quel film je joue comme une merde, je sais dans quel film je joue bien."

Il s’est fait connaître dans "Les Tuche". Aujourd’hui, il crève l’écran dans le film "En fanfare". On a discuté avec Pierre Lottin de son métier d'acteur. Et il nous a répondu TRÈS franchement.

"En fanfare" d'Emmanuel Courcol est actuellement en salle.
Transcription
00:00Quand on joue, en fonction du rôle, il y a des centres de gravité qui ne sont pas les mêmes.
00:03Pour les tusses, par exemple, c'est très en haut, c'est un truc qui est genre...
00:06Et là, c'est quelque chose qui est plus au niveau des épaules.
00:09Ça, voilà.
00:10C'est le centre de gravité qui bouge, en fait.
00:12Et donc, du coup, c'est pas...
00:14Ça, quoi.
00:15Ça s'apprend, ça ?
00:17Non, mais ça se sait.
00:18Moi, je ne savais pas ça avant.
00:19Il y a un gars qui m'a dit ça un jour.
00:20J'ai fait, ah putain, mais j'avoue, c'est vrai.
00:21Et du coup, après, j'ai appliqué le truc et ça marche.
00:23Quand on est boulanger, en général, on progresse.
00:25Le pain, il devient meilleur parce qu'on fait du pain.
00:27Sur le métier d'acteur, est-ce qu'on progresse ?
00:29Et en quoi ?
00:30On progresse si on aime ce qu'on fait, quoi.
00:32Et après, parfois, il y a des acteurs et des actrices qui deviennent un peu blasés parce que...
00:35Je ne sais pas.
00:36Mais...
00:37Vous, typiquement, qu'est-ce que vous faites mieux qu'avant ?
00:39Moi, je suis plus blasé qu'avant.
00:40Donc, j'arrive mieux à être blasé qu'avant.
00:42Non, je présente mieux qu'avant, moins fabriqué.
00:45Parce qu'avant, j'essayais de changer ma voix et tout.
00:46Je faisais des trucs complètement flingués, comme j'essayais de faire dans Lupin.
00:48Pour les tusses ?
00:50Oui, les tusses, c'est autre chose.
00:51La voix, elle a été...
00:52Oui, je ne suis pas cassé.
00:53Mais non, les tusses, c'est autre chose parce que c'est dans le comique.
00:55Pour moi, le comique, c'est encore un autre truc.
00:58Alors évidemment, le grand public, pour le grand public, vous, c'est les tusses.
01:01En fait, c'est assez à part dans votre carrière.
01:04Oui, oui.
01:05Ça vous embête, Lupin ?
01:06Non, je m'en fous. C'est génial, justement.
01:07Ça a changé quelque chose ?
01:08Non, j'imagine que oui, ça a changé votre salaire, les rôles qu'on vous propose, tout ça.
01:12Le salaire, oui.
01:13Mais...
01:15Oui, ça a changé quelque chose.
01:17Non, si je suis dans la rue, on m'en connaît par rapport à ça.
01:19Oui, après, j'ai fait un autre court-métrage qui était assez lié à ce que je fais maintenant.
01:24Mais ça a changé un truc.
01:28Oui, dans la rue, oui.
01:29Je suis connu ad vitam aeternam pour ça.
01:31Je peux faire n'importe quel film, quasiment, dans la rue, on m'en connaîtra pour ça.
01:35Mais je m'en fous parce que c'est un film qui...
01:38Vraiment, en plus, c'est un film qui fait du bien aux gens.
01:40Je ne suis pas le bien-pensant, tout ça.
01:44Mais les gens, ils partagent...
01:47Ça fait rire les gens, en fait.
01:48Les gens, oui.
01:49Mais les critiques de cinéma, pas tous, quoi.
01:51Oui, je m'en fous.
01:52Oui, je m'en fous.
01:53Parce qu'ils ne l'ont pas vu.
01:54Les acteurs du cinéma, les critiques, je m'en fous.
01:55C'est vrai ou c'est un peu une posture ?
01:57C'est vrai que c'est une posture.
01:58Non, je m'en fous parce que je me fais chier pour les plus petits trucs.
02:01Ça, c'est un truc assez énorme et qui pourrait prendre la tête.
02:04Non, je m'en fous parce que si je me prenais la tête pour ça, j'exploserais, en fait.
02:07Du coup, je suis obligé de vraiment me concentrer pour prendre la part du vrai et du faux.
02:11De ce qui est réel et ce qui n'est pas réel.
02:13Et de ce qui est justifié et pas justifié.
02:15Si on me dit que j'ai été pourri sur un rôle et que j'étais pourri sur le rôle,
02:17oui, je m'en fous.
02:18Après, c'est Marco Ferrucci sur Internet, je m'en fous.
02:20C'est comme quand les gens disent que je n'aime pas sa tête,
02:22c'est un acteur de merde, ça, ce n'est pas la vraie vie.
02:23Moi, je sais où j'en suis par rapport à ça.
02:25Je sais dans quel film je joue comme une merde.
02:26Je sais dans quel film je joue bien.
02:28Non, c'est moi qui fais le truc.
02:30Moi, j'ai beaucoup aimé le film.
02:31Et notamment, il y a un truc qui marche vraiment,
02:33et ça se voit visuellement quasiment, c'est le vote duo avec Benjamin Inverne.
02:37Vous le connaissiez avant ?
02:38Non.
02:39Comment vous avez travaillé ensemble ?
02:40Non, mais on s'est sentis avant.
02:41Avec Benjamin, on s'est sentis tout de suite.
02:42C'est que ça se fait assez rapidement.
02:45J'ai vu qu'il y avait de la bienveillance de mon côté et de son côté.
02:51Alors, ce n'est pas le même parcours aussi, la comédie française.
02:53Oui, c'est plus noble.
02:56Mais ça reste du bois.
03:01Je trouve que c'est vraiment un très, très bon comédien.
03:03C'est un très, très bon acteur.
03:04Donc, j'avais ce respect.
03:05Il le saura que en voyant l'interview.
03:08Mais j'ai beaucoup de respect.
03:10Parce que c'est quoi un très bon acteur ?
03:12C'est un mec qui a le sens de la rupture.
03:14C'est du rythme, quoi.
03:15Oui, c'est ça.
03:16Après, moi, je suis jeune.
03:17Il faut dire ça.
03:18Il faut demander ça à des anciens, en plus.
03:19Parce que je ne me sens pas légitime de dire qu'est-ce que c'est un bon acteur.
03:21Je trouve que ce serait de se la raconter, de dire
03:23que l'acteur, c'est ça, je connais tout.
03:25Mais pour moi, en tout cas, un bon acteur,
03:27c'est un mec qui est généreux, qui a le sens de la rupture.
03:29Et respectueux, aussi.
03:30Est-ce que vous, en tant qu'acteur, vous avez des trucs
03:32que vous avez l'impression que vous n'arriverez pas à jouer ?
03:34Est-ce que vous avez l'impression que vous avez des limites ?
03:35Non, non.
03:36Mais il y a des trucs qui vont me demander beaucoup de travail
03:38pour y arriver.
03:40Par exemple, j'aimerais vraiment jouer un Shakespeare du classique.
03:43Je sais que j'y arriverais.
03:44Si je le fais, je sais que j'y arriverais.
03:46Mais ça va me demander beaucoup de travail pour trouver le déclic.
03:48Ce n'est pas forcément des trucs par rapport au phrasé,
03:50parce que le phrasé, je peux le changer.
03:52Mais c'est trouver le travail pour trouver le déclic.
03:54Pour choper le truc, en fait.
03:56Pour trouver le code.
03:57Trouver le code du truc.
03:59Et c'est ça, justement, quand on prépare un rôle,
04:01à un moment donné, il y a un moment de bascule, c'est ça ?
04:04Ça dépend.
04:05Parce qu'il y a des rôles que j'ai beaucoup bossé,
04:07et quand j'arrivais sur le tournage, je ne comprenais pas.
04:09Et j'ai quand même tenu mon truc.
04:10À la fin, ils étaient contents.
04:11Ça fait chier, d'ailleurs.
04:12Parce que tu bosses deux mois, tu te plies en quatre.
04:15Parfois, tu pars dans d'autres pays.
04:18Là, c'était pour aller tirer avec des fusils,
04:20pour me faire tatouer partout.
04:22J'avais pris un rôle vraiment hacker.
04:25Et finalement, ce n'était pas si bien que ça.
04:28Parfois, j'ai fait très confiance à des réalisateurs,
04:29et je me suis retrouvé à jouer comme des merdes.
04:31Comme vraiment pas bien.
04:32Vraiment, vraiment pas bien.
04:34Tu n'en as pas le film ?
04:38Non.
04:42Quand je me suis fait confiance, ça allait.
04:45Mais ce n'est pas vrai.
04:46Par exemple, pour La nuit du 12,
04:48au début, je me suis dit que je n'avais pas confiance.
04:50Il y a Camille Rosaforte qui m'a dit que lui, il fait confiance.
04:53Du coup, j'ai un peu baissé la garde.
04:55J'ai fait confiance, on a fait un truc bien.
04:57J'adore les réalisateurs, mais c'est l'amour vache.
04:59Parce que les réalisateurs, ils pensent à nous aussi.
05:01Ils font chier, je ne sais pas quoi.
05:03Mais c'est l'amour vache.
05:04Il y a des réalisateurs, genre, énormément.
05:06Énormément.
05:08C'est quand même eux qui me prennent dans leurs films.
05:10Sur Enfant Phare, comment ça s'est passé dans cette préparation ?
05:12Est-ce qu'à un moment donné, vous avez dit
05:13que vous aviez pigé le rôle ?
05:17Non, parce que je voyais ce qu'il voulait.
05:19Il voulait un truc par rapport à ce que je sais un peu faire.
05:22Donc du coup, on savait où on voulait en venir.
05:25C'était quoi le truc ?
05:26J'ai ouvert une porte.
05:27Et c'est ça qui est cool, c'est qu'en ouvrant une porte,
05:29il a capté quel personnage ouvrait la porte, en gros.
05:32Puis moi, j'étais content parce qu'il a capté tout de suite.
05:34Comment on ouvre bien la porte, alors ?
05:36C'est un truc d'épaule, c'est un truc qui se fait dans le corps.
05:40Je ne sais pas, c'est les centres de gravité qu'on change.
05:43Parce que parfois, quand on joue en fonction du rôle,
05:45il y a des centres de gravité qui ne sont pas les mêmes.
05:47Pour les tusses, par exemple, c'est très en haut.
05:49C'est un truc qui est genre comme ça.
05:50Et là, c'est quelque chose qui est plus au niveau des épaules.
05:53Ça, voilà.
05:54Ça fait un mec qui s'y connaît grave.
05:58Mais c'est le centre de gravité qui bouge, en fait.
06:00Et donc du coup, c'est pas...
06:02C'est ça, quoi.
06:03Et ça, ça prend, ça ?
06:05Non, mais ça sait.
06:06Moi, je ne savais pas ça avant.
06:07Il y a un gars qui m'a dit ça un jour.
06:08J'ai fait, ah putain, mais j'avoue, c'est vrai.
06:10Et du coup, après, j'ai appliqué le truc et ça marche, quoi.
06:11C'est une question de sensation, un peu.
06:13C'est la sensation de ça marche ou ça marche pas.
06:15Et quand ça marche pas, il ne faut pas trop...
06:17Et comment on sait que ça marche ou ça marche pas ?
06:18Bah, tu sens.
06:19C'est comme la différence entre, je ne sais pas,
06:20le jus de fraise et le vinaigre.
06:23Tu sais quand c'est du jus de fraise,
06:24tu sais quand c'est du vinaigre, quoi.
06:25Putain, je suis philosophe, moi.
06:27Mais sur soi-même, c'est plus dur.
06:29Le jus de fraise et le vinaigre, je comprends.
06:30Mais soi-même, quand on joue,
06:32des fois, on n'a peut-être pas le recul nécessaire.
06:34Alors, ça, c'est...
06:36Quelle question je me suis posée pour quel film ?
06:38Et du coup, après, avec le recul, je me suis dit,
06:39bon, ça, je me suis posé une question comme ça
06:42pour ce film-là.
06:43Ça a marché, donc du coup,
06:44j'ai pris le même vecteur, en gros.
06:45D'accord, donc ça, c'est l'expérience, quelque part.
06:46Ouais, ouais, ouais, il y a ça.
06:48Parce qu'il y a des écoles d'acteurs.
06:50Je ne sais pas ce qu'on y apprend.
06:52Parce qu'il y a des gamins qui font des films...
06:54On apprend à ne pas faire plein de trucs.
06:56Du coup, ça apprend beaucoup, quoi.
06:58C'est-à-dire ?
06:59Ben...
07:01On s'influence tous un peu à jouer
07:03comme des merdes un peu à l'école.
07:06Les trois quarts, on ne joue pas bien.
07:08Parce qu'on est encore en train de chercher.
07:11On est intimidé par les acteurs, tout ça.
07:13On se dit, putain, jamais j'arriverai à faire ça.
07:15Là, on se prend la tête et tout.
07:17Et donc, du coup, quand on sort de ça
07:20et qu'on arrive vraiment dans le vrai milieu,
07:22on se rend compte de ce qu'il faut lâcher,
07:24ce qu'il ne faut surtout pas faire.
07:25Et du coup, comme on fait l'affaire d'un truc pas bien,
07:27on fait un truc bien.

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