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"Ce qui a changé, c'est la manière que les gens ont de regarder des images."

Les écrans, c'est l'un des éléments du nouveau film de David Cronenberg, "Les Linceuls", présenté à #Cannes2024, dans lequel Vincent Cassel tient le premier rôle. L'occasion de discuter avec lui de l'impact des écrans sur son métier d'acteur…
Transcription
00:00Comment Cronenberg vous en a parlé au début ?
00:02Première chose qu'il vous a dit sur le film.
00:03Il m'a dit je vais faire un film sur le fait que j'ai perdu ma femme
00:05et est-ce que tu voudrais bien jouer moi ?
00:08Ah ouais ?
00:09Alors bon, on a fait deux films ensemble auparavant.
00:13Et je lui ai dit mais...
00:16Pourquoi moi ?
00:18Pourquoi moi ? Et putain je sais pas comment je vais faire pour jouer ça.
00:21En fait j'étais étonné, apeuré, efflaté qu'il me propose en fait.
00:25Et il m'a répondu de manière complètement en débonnaire.
00:29Il m'a dit mais justement c'est ça qui m'intéresse.
00:30C'est que tu sais pas comment tu vas faire.
00:32Votre personnage, il passe son temps à regarder la réalité à travers un écran.
00:36Est-ce que la multiplicité des écrans a changé votre façon, votre métier d'acteur ?
00:43Ok, c'est intéressant.
00:45Non, le jeu, le jeu non.
00:47Ce qui a changé en fait c'est la manière que les gens ont de regarder des images.
00:51Donc avec sûrement moins de concentration.
00:54Avec un besoin d'être satisfait plus vite.
00:59On n'a pas envie de se prendre la tête, on n'a pas envie de...
01:01En même temps aujourd'hui les gens ont vu tellement d'images que
01:04on n'a plus besoin d'installer les choses de la même manière.
01:06Avant il fallait faire un plan, machin, on explique.
01:08Ah, ils sont en Espagne, etc.
01:10Là aujourd'hui en 2-3 images les gens ont déjà compris.
01:12Donc notre œil a je crois beaucoup beaucoup accéléré pour situer un contexte, etc.
01:21Mais si vraiment je me laisse aller, j'ai envie de vous dire que
01:23voir trop d'écrans ça rend pas très intelligent.
01:25C'est intéressant quand même parce que...
01:27Est-ce que du coup, vu que l'œil du spectateur a changé,
01:30parce qu'effectivement on regarde des films parfois sur un petit écran,
01:33est-ce que ça veut dire qu'il faut changer la façon de faire du cinéma ?
01:36Ou au contraire, qu'il faut valoriser l'expérience sale, etc. ?
01:40Je pense que la manière de faire du cinéma a déjà changé.
01:44On peut parler de ça si vous voulez, c'est-à-dire que je suis persuadé que
01:46chaque avancée technologique change la manière qu'on a de raconter des histoires.
01:51Aujourd'hui pratiquement on s'est souvent posé la question,
01:52on pourrait laisser tourner les caméras, il n'y a plus de péloche, ça ne coûte rien.
01:55On s'en fout, il n'y a pas de développement.
01:57Donc on pourrait laisser tourner les caméras et donc on a des accidents,
02:00des accidents qui peuvent être montés.
02:01On peut retravailler la lumière, on peut cropper dans les images.
02:04On a beaucoup d'autres manières qui permettent de tourner en réfléchissant moins
02:08et de réfléchir plus après.
02:10Après il y a un côté esthétique.
02:12Par exemple, sur un téléphone maintenant le format c'est vertical.
02:15Moi je n'aime pas tellement le format vertical.
02:18Je trouve que c'est un peu...
02:19On le fait comme ça mais je fais encore partie des gens
02:21et c'est sûrement un truc de génération peut-être même.
02:24Quand je prends mon téléphone et que j'ai envie de regarder un truc,
02:26il y a plein de gens qui le bloquent en version verticale.
02:28Ils préfèrent regarder une petite bande comme ça.
02:30Maintenant moi je préfère le tourner et pouvoir voir le truc dans sa totalité.
02:33Dans le film, il y a un truc qui m'a frappé,
02:34c'est que le personnage passe sa vie à regarder des écrans
02:37et du coup ça a un impact même sur ses autres sens.
02:40C'est-à-dire que le toucher devient un truc fou.
02:42Ils ont du mal à se toucher même peut-être justement
02:44parce qu'à force d'être devant un écran, le rapport au monde et au réel change.
02:49Là vous êtes en train de raconter le drame de toute une génération.
02:52Il paraît que les jeunes ne baissent plus.
02:54Moi je me rappelle quand j'étais môme, le porno c'était un truc pas du tout accessible.
02:57C'était compliqué, il fallait acheter un bouquin avec une fausse moustache.
03:01Aujourd'hui tout est accessible donc je pense qu'on a la sexualité à changer.
03:06Les gens se satisfont eux-mêmes.
03:08Puis comme on sait c'est très compliqué de rentrer dans un rapport avec un autre humain.
03:11On les laisse des plumes d'une manière ou d'une autre.
03:14Donc évidemment on se referme sur soi-même
03:18et en fait tout nous pousse un peu à ça quand même.
03:19C'est ça qui est horrible, c'est qu'on n'a plus besoin de sortir pour bouffer,
03:22on n'a plus besoin de parler avec quelqu'un pour jouir.
03:26On n'a plus besoin de rien en fait, on n'a plus besoin de l'autre.
03:30Et je vais même avoir envie de vous dire comme tout est fait un petit peu
03:32pour qu'on regarde celui à côté et sa différence d'un mauvais oeil,
03:36que ce soit une différence sexuelle, une différence de croyance,
03:39une différence de genre entre les hommes et les femmes.
03:42Tout est fait en fait pour nous séparer aujourd'hui je pense.
03:43Il y a les réseaux sociaux aussi souvent dans les écrans.
03:45Vous en tant qu'acteur, est-ce que ça a changé votre métier les réseaux sociaux et de quelle façon ?
03:50Non ça n'a pas changé mon métier.
03:52Ça a rajouté un truc à notre métier.
03:53C'est-à-dire qu'aujourd'hui maintenant on devient un peu tous des...
03:58On fait tous de la pub pour quelque chose, pour quelqu'un en fait.
04:02Y compris pour soi-même d'ailleurs.
04:03Mais donc ça a ramené, en fait tout le monde devient son propre média.
04:07Ça a changé ça en fait.
04:10Mais encore une fois, c'est-à-dire que vous savez,
04:12moi mon boulot si on peut dire ça en état, c'est entre action et coupé.
04:15Réellement.
04:17Moi je joue entre action et coupé.
04:18Je ne donnerai pas cette interview,
04:19ça ne change rien au fait que j'ai fait un film avec David Cronenberg
04:21qui va être projeté ce soir et qui va être diffusé.
04:23Et c'est ça en fait dont les gens vont finir à ne pas se rappeler, j'espère.
04:26Tout ce qu'on peut dire à côté, c'est pour vendre l'essentiel.
04:30Mais dans l'industrie du cinéma, ça a changé.
04:31Il y a des gens qui sont castés parce qu'ils ont des followers sur Insta.
04:35Oui, très bien.
04:37Avant, il y avait des yabous ou alors parce que...
04:40Ou alors ils ont un joli petit nez ou alors ils ont des gros seins.
04:43Ou alors parce que en ce moment c'est bien d'avoir ça dans le casting.
04:50Tout est toujours politique et intéressé.
04:51A la fin, c'est doublé quand même.
04:53Nous ne lions pas, malgré tout.
04:56Et bon, c'est encore une fois, c'est des trucs avec lesquels il faut jongler, etc.
04:58Mais ça a toujours été comme ça.
05:00Avant, il fallait les followers.
05:00Avant, il fallait avoir fait des émissions connues à la télé ou alors il fallait...
05:06Vous voyez, c'est...
05:08Mais ce n'est pas ça qui reste.
05:10J'en suis persuadé.
05:10Moi, je me rappelle, comme vous disiez, court trajemé.
05:14Il y avait un côté débrouille, justement.
05:15À l'inverse, les écrans, puisqu'on parle de ça,
05:17ça permet aussi à toute une génération d'avoir accès au cinéma de manière beaucoup plus démocratisée.
05:22Vous avez quel regard là-dessus ?
05:24Je trouve ça fantastique.
05:25C'est-à-dire que réellement aujourd'hui, quelqu'un veut faire un film,
05:28il n'a besoin de rien.
05:30Franchement.
05:31Enfin, il a besoin d'un téléphone.
05:32Je crois même qu'aujourd'hui, le logiciel de montage est fourni avec le téléphone.
05:36Dans l'esprit, c'est toujours pareil, il faut avoir quelque chose à dire,
05:38il faut avoir un ton, quelque chose à proposer.
05:40Mais moi, pour avoir pas mal de fois travaillé avec des YouTubers,
05:47aujourd'hui, c'est des auto-entrepreneurs, super-travailleurs.
05:53Je pense à Mister V, je viens de travailler avec Mister V, qui n'a pas le temps.
05:56Et je parlais de ça à l'époque parce que ça me fascine un peu quand même.
06:00Et en fait, c'est le mec, il est producteur, auteur, cadreur, pratiquement.
06:04Il fait son contenu, il vend des trucs.
06:08Encore une fois, c'est un outil, ça dépend ce qu'on en fait.
06:10C'est aussi simple que ça.

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