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"J'aime pas trop ce terme de 'cinéma de banlieue', j'ai l'impression que ça nous enferme une fois de plus dans une case."
Lui, fait du "cinéma tout court". Où il raconte des histoires qui parlent de banlieues en évitant la caricature. On a rencontré le réalisateur Ladj Ly et l'actrice Anta Diaw pour parler de leur nouveau film "Bâtiment 5".
Transcription
00:00C'est mignon, mais ça sert à rien.
00:01C'est très bien. Quoi qu'on fasse, on passera toujours pour la ragaille qui vandalise.
00:06On ne peut pas être qu'en colère, on ne peut pas.
00:11Si on en a marre de voir toujours les mêmes nous gouverner, c'est à nous d'acheter.
00:15Dans Bâtiment Sainte, dans l'idée, on a un personnage féminin,
00:20noir, musulman, qui porte le voile.
00:22C'est des personnages qu'on n'a pas l'habitude de voir au cinéma.
00:26Et j'avais aussi cette volonté de quelque part rendre hommage
00:29à toutes ces femmes qui habitent dans ces quartiers, qui se battent,
00:32qui créent des associations, qui militent.
00:34Et voilà, c'était ma façon, en tout cas, de la rendre hommage
00:38et en même temps de mettre en avant tout le travail qu'elle prend sur place.
00:42Et est-ce que votre envie de faire du cinéma,
00:44elle naît d'un manque de représentation, d'un espèce de manque
00:47de voir des personnages qui vous ressemblent ?
00:49Oui, complètement. Après, on part d'un constat, on se rend compte
00:52que malheureusement, il y a très peu de personnages
00:55dans lequel on arrive à se retrouver, très peu d'histoires dans lesquelles on s'y retrouve.
00:59Donc voilà, à partir de là, on se dit que c'est à nous de faire en sorte
01:02qu'il y ait les choses chances, d'où l'idée aussi de créer cette école Courtrage-Mé
01:05où justement, on se dit à partir du moment où on a envie de s'exprimer,
01:08raconter nos histoires, il faut tout reprendre à la base, se former au métier du cinéma.
01:13Donc voilà, moi, c'est pareil, je suis tombé dans le cinéma un peu par hasard.
01:17Je n'avais pas cette envie de faire du cinéma ou quoi que ce soit.
01:19Il se trouve qu'à 17 ans, je me suis acheté une première caméra.
01:22Et de là, voilà, mon propos s'est construit et je me suis mis à faire des films.
01:27Mais bien sûr, dans l'idée de raconter des histoires différentes, de raconter nos histoires.
01:31Moi, mon envie de cinéma ne vient pas forcément de ça.
01:33Mais par contre, le fait de penser que ce n'était pas accessible,
01:37je pense que ça vient effectivement du manque de représentation dans le cinéma.
01:40Le premier film qui représentait vraiment la banlieue,
01:43j'ai le souvenir, ça reste la haine.
01:45C'était vraiment le premier film qui nous représentait,
01:48qui représentait la banlieue, qui représentait des profils différents en tant qu'acteur.
01:52Donc oui, c'est un film qui nous a marqués, qui nous a beaucoup inspirés.
01:55La première fois que l'expression cinéma de banlieue, elle est utilisée dans la critique,
01:59c'est au moment de la sortie de La Haine par un critique qui s'appelle Thierry Jousse.
02:02Est-ce que pour vous, ce genre ou cette notion de cinéma de banlieue, ça signifie quelque chose ?
02:07Non, pas spécialement.
02:07Moi, je n'aime pas trop ce terme cinéma de banlieue
02:09parce que j'ai l'impression que ça nous enferme une fois de plus dans une case.
02:12Ça reste du cinéma où on raconte des histoires qui sont,
02:16qui sont en tout cas, qui parlent de banlieue.
02:18Mais pour moi, ce n'est pas un cinéma de banlieue.
02:20En tout cas, le cinéma que je fais, ce n'est pas un cinéma de banlieue.
02:22Ça reste du cinéma tout court et les récits parlent de ces quartiers.
02:28Mais ce n'est pas un cinéma de banlieue, non.
02:30Ça vous énerve quand on...
02:32Ça ne m'énerve pas, mais le fait à chaque fois de nous contourner dans des cas, c'est un peu chiant.
02:36Malheureusement, on a souvent tendance à mal parler de ces quartiers.
02:40Et nous, c'est important de parler d'autres histoires
02:43parce qu'il y a aussi plein de trucs positifs qui se passent dans ces quartiers.
02:45Et quand on voit Mon Fils Matiment 5, oui, c'est sûr, l'univers est très difficile,
02:49mais on a quand même de l'espoir avec ce personnage de Haby
02:53qui incarne vraiment l'espoir et qui va se battre, qui va se militer,
02:56qui va finir par monter son parti et s'engager politiquement.
03:00Et quand on prend les cas de banlieue, souvent, on fait des films.
03:03Enfin, certaines personnes font des films qui parlent de quartiers alors qu'ils ne connaissent pas du tout.
03:07Et finalement, on a l'impression que ce n'est pas vraiment dans la réalité.
03:11On est forcément dans la caricature et c'est un peu dérangeant.
03:14Justement, vous parlez de caricature.
03:16Est-ce que cette crainte de tomber dans une caricature,
03:18vous vous êtes déjà interrogé là-dessus ?
03:20Parce que je me souviens qu'en 2021, il y avait eu cette affaire à Cannes
03:23avec ce journaliste irlandais de l'AFP qui parlait de Bac Nord
03:27et qui disait que les habitants y étaient montrés comme des bêtes.
03:31C'était les mots qu'il avait utilisés.
03:32Bien sûr, nous, on se bat contre ça.
03:34Bien évidemment, on fait en sorte d'éviter la caricature.
03:37En tout cas, moi, c'est ce que j'ai fait dans mes films à l'écriture
03:40avec mon scénariste Giordano Gederlini.
03:43Vraiment, on fait en sorte de ne vraiment pas tomber dans la caricature
03:46et d'être vraiment dans la justesse, sans forcément prendre parti
03:50et raconter une certaine réalité.
03:52Mais malheureusement, oui, bien sûr, il y a beaucoup de films sur ces quartiers
03:55où on est dans la caricature, où on fantasme les choses.
03:58Et ça ne décrit pas, en tout cas, notre réalité à nous.
04:01Il y a une réplique qui m'a beaucoup marquée dans le film.
04:04C'est votre personnage qui dit « on ne peut pas être qu'en colère, on ne peut pas ».
04:08Vous vous êtes reconnue dans cette réplique-là ?
04:09Est-ce que cette colère-là, c'est quelque chose que vous avez vécu aussi ?
04:13Oui, forcément.
04:14Je pense que toute personne a déjà vécu des circonstances
04:19qui poussent à avoir cette colère en soi.
04:21Mais je me reconnais effectivement dans cette réplique
04:24parce qu'on a tous tendance à être un peu défaitiste
04:27face à des situations un peu particulières.
04:29Mais c'est vrai qu'au bout d'un moment, il est peut-être temps de se remettre
04:32en question soi-même et d'essayer de voir comment est-ce qu'on peut agir
04:35pour améliorer les choses, quel que soit le problème.
04:37Vous êtes parti en tournée avec le film, vous le montrez depuis un mois.
04:40Ça se passe comment ?
04:41Les retours sont vraiment très très bien, j'ai envie de dire.
04:46On sent que le film touche les habitants des quartiers où même pas.
04:50Les spectateurs en général sont vraiment touchés par le film.
04:54Et je pense que ça fait du bien de décrire une réalité
04:56sans justement être dans les clichés.
04:59Donc, je pense que c'est un film qui fait du bien.
05:02Et il y a beaucoup de gens qui sont concernés
05:03parce qu'on se rend compte que le logement, ça concerne vraiment...
05:06J'ai lu une étude qui disait, en gros,
05:08il y a plus de 6 millions de mal logés en France.
05:10Donc, ça ne concerne pas que les gens des quartiers,
05:12ça devient un sujet national.

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