"À force de rencontrer des candidates, j'ai découvert qu'il y avait énormément de dérives…"
La télé-réalité, la journaliste Constance Vilanova en a beaucoup consommé. Alors elle a décidé d'enquêter sur les dessous de cette industrie et son impact sur la santé mentale des candidats. Voici ce qu'elle a découvert.
La télé-réalité, la journaliste Constance Vilanova en a beaucoup consommé. Alors elle a décidé d'enquêter sur les dessous de cette industrie et son impact sur la santé mentale des candidats. Voici ce qu'elle a découvert.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Les candidates féminines ne peuvent exister dans un programme qu'en se mettant en couple.
00:03C'est-à-dire qu'une candidate qui ne fait pas couple,
00:07elle sera évincée par la boîte de production, ou du moins elle ne plaira pas au public,
00:10elle ne sera pas reprise dans un autre programme.
00:12La téléréalité c'est un produit que j'ai beaucoup consommé,
00:15et même trop, j'ai même été addict à la téléréalité.
00:19Et j'ai découvert en enquêtant, et à force de lire des interviews,
00:23à force de rencontrer des candidates qui avaient énormément de dérives,
00:25et pour moi c'était important de les épingler ces dérives,
00:28parce que pendant 20 ans ça a été un angle mort médiatique.
00:31Ce qui est intéressant avec la téléréalité, c'est qu'elle a mis au cœur du paysage médiatique des anonymes,
00:38et elle a mis au cœur du paysage médiatique et de l'écran la banalité.
00:42C'est-à-dire qu'avant on faisait de la télé parce qu'on avait un talent,
00:44et maintenant on fait de la télé parce qu'on a envie de faire de la télé,
00:47et parce que notre personnalité peut plaire.
00:50Il n'y a plus cette question de talent, de je chante bien, je danse bien,
00:52sauf pour les télécrochets évidemment.
00:55Mais en tout cas c'est ça qui est intéressant,
00:56c'est d'avoir mis des anonymes de plein de classes différentes au cœur d'un programme.
01:01Pourquoi elle vous fascine autant ?
01:02Parce que qu'on l'aime, qu'on la consomme ou qu'on la déteste,
01:07elle ne laisse pas indifférent finalement.
01:09Non, le principe même de la téléréalité,
01:11c'est ce que Nathalie Nadeau-Albertini qui est sociologue dit,
01:14c'est de faire scandale en fait.
01:16Et en fait c'est ça qui fascine dans la téléréalité, c'est le scandale.
01:19Et on le voit encore aujourd'hui avec l'objet audiovisuel très étonnant
01:23qui a été Frenchy Sean.
01:25Et en fait elle a fait polémique jusqu'au ministère de la Culture.
01:28Quels sont les effets de la téléréalité sur l'estime de soi par exemple ?
01:31Je pense par exemple aux conséquences avec le cas d'Aurélie Preston,
01:35de FX, de Secret Story.
01:37Alors déjà il faut savoir que la santé mentale
01:39est quasi un élément de recrutement pour les casteurs,
01:42c'est-à-dire qu'en parlant avec des candidates,
01:46en échangeant avec des productrices, avec des casteuses,
01:50en lisant les interviews des candidates,
01:53on se rend compte qu'elles sont quasi toutes, même toutes polytraumatisées.
01:56C'est-à-dire qu'avant de faire de la téléréalité déjà,
01:59pendant le casting, elles étaient déjà assez fragiles.
02:02On est face à des jeunes qui sont très sollicités, très exposés d'un coup.
02:07Un tournage c'est fatigant parce qu'on dort peu.
02:10Et dans les téléréalités d'enfermement comme Secret Story,
02:13donc les téléréalités où on ne peut pas sortir,
02:15on a pu voir qu'à l'époque les candidats étaient poussés à bout.
02:21On enlevait l'heure par exemple dans la maison, l'heure du four était déréglée.
02:25Donc il y a aussi cette volonté un peu d'exciter les candidats
02:29pour créer de l'image et créer de la séquence.
02:32Et il faut savoir qu'à la sortie souvent, ces candidats-là étaient mal suivis.
02:36C'est-à-dire qu'on passe d'une notoriété minime à une exposition énorme.
02:41Ça crée aussi beaucoup de buzz sur les réseaux sociaux ces séquences-là.
02:45Donc c'est très difficile pour eux avant, pendant et après la téléréalité.
02:48Dans tous les cas, c'est très compliqué au niveau de la santé mentale
02:51pour les candidats et les candidates.
02:52Aurélie Preston qui a été vue dans les Anges particulièrement,
02:57pendant le tournage des Anges 8, elle a été harcelée par un autre candidat, Ricardo.
03:02Et il y a une scène qui a engrangé énormément de plaintes,
03:05enfin du moins de signalements du côté du CSA,
03:09le gendarme de l'audiovisuel qui est aujourd'hui l'ARCOM.
03:11Et en fait dans cette scène, on voit Aurélie qui se fait hurler dessus par l'autre candidat,
03:17Ricardo qui va jeter son matelas par la fenêtre.
03:21Et Aurélie racontera plus tard qu'il a menacé de lui jeter de l'acide au visage,
03:26qu'il a uriné sur son matelas.
03:29Et en fait il y a quelques temps, Aurélie Preston a fait une tentative de suicide
03:34qu'elle a d'ailleurs médiatisée, qu'elle a annoncée sur ses réseaux sociaux.
03:38Et elle raconte que c'est aussi toujours en lien avec cette émission-là
03:42qui lui colle encore à la peau.
03:44Parce qu'en fait c'est ça le problème de la téléréalité,
03:46c'est que quand on veut en sortir, je ne parle pas des candidats qui restent et qui s'épanouissent
03:50parce que c'est possible de s'épanouir dans ce milieu-là, il ne faut pas l'oublier.
03:53Mais les candidats qui en sortent, c'est très difficile de se décoller de cette image très tenace
03:59de la téléréalité qui est quand même un milieu très méprisé.
04:03Donc pour retrouver un boulot, pour rebondir après avoir fait plusieurs tournages,
04:06c'est très compliqué.
04:07C'est pareil pour Marie Garay qui est une des gagnantes de Secret Story.
04:10Elle est infirmière initialement et elle n'a pas pu reprendre son travail
04:15à la sortie des Anges.
04:16Il faut rappeler qu'il y a un lien de dépendance aussi qui se crée
04:18entre ces jeunes femmes-là et les boîtes de production.
04:20Parce que comme elles ont du mal à trouver du travail en dehors de la téléréalité,
04:25quand on leur repropose une émission, c'est aussi un peu logique qu'elles disent oui.
04:29Le dispositif même des émissions est un danger pour les femmes qui y participent pour plusieurs raisons.
04:35Déjà, quand on se voit à la télé, on a du mal à supporter son image
04:39et c'est ce que les casteuses m'ont dit ou ce que les candidats disent en interview.
04:43Ils expliquent dans le livre le fait de se voir à la télé fait qu'elles ne s'aiment pas,
04:47elles n'aiment pas leur physique.
04:49C'est seulement après ce premier tournage que les candidates vont passer sur le billard,
04:53commencer les injections, etc.
04:55Le problème, c'est que le public juge, quoi qu'il arrive,
04:58les femmes qui participent à ces programmes.
05:00C'est-à-dire que quand elles ne font pas de chirurgie,
05:02elles ont les fesses trop plates, elles n'ont pas assez de poitrine,
05:04elles ont des lèvres trop fines.
05:06Et quand elles passent par les injections, elles vont être jugées.
05:11Les téléspectateurs et les internautes, surtout, vont disséquer chaque changement.
05:17Et c'est ça qui est terrible pour elles.
05:19C'est qu'en fait, dans tous les cas, leur physique ne sera jamais assez
05:22et elles ne conviendront pas.
05:23– Il y a aussi également la question de la banalisation du viol,
05:26des violences sexuelles, du harcèlement.
05:28– En fait, à nouveau, le dispositif de ces émissions
05:32est un terrain pour banaliser la culture du viol.
05:36Les candidates féminines ne peuvent exister dans un programme
05:39qu'en se mettant en couple.
05:40C'est-à-dire qu'une candidate qui ne fait pas couple,
05:42elle sera évincée par la boîte de production,
05:45ou du moins, elle ne plaira pas au public,
05:47elle ne sera pas reprise dans un autre programme.
05:49Donc quand une jeune femme arrive dans un programme,
05:51il faut qu'elle fasse couple, il faut qu'elle séduise.
05:53Il y a aussi ces jeux qui sont mis en place,
05:57comme le jeu des problèmes dans les Marseillais,
05:59où on va encourager une jeune femme à faire un bisou obligatoirement
06:04à un autre candidat.
06:06On utilise des jolis mots parce que c'est un programme
06:08qui est diffusé à 17h30, mais ça peut rester des agressions sexuelles.
06:14Le consentement n'est pas éclairé, du moins, il est forcé.
06:19La masculinité aussi prônée dans ces émissions,
06:21elle est très toxique.
06:23On est face à des candidats qui s'estiment super puissants.
06:27Les candidats qui fonctionnent, qui marchent bien
06:29et qui marquent les esprits sont des grandes gueules,
06:32ce sont des candidats qui vont écumer les relations,
06:35qui vont avoir des dizaines d'ex.
06:37En fait, toute l'industrie, tout le dispositif favorise le sexisme
06:42et favorise la mise en danger des candidats.
06:44– Est-ce qu'on peut y trouver son compte ?
06:46– Bien sûr.
06:47– Est-ce qu'on peut être en bonne santé mentale ?
06:49Comment on fait ?
06:50– C'est vrai que la majorité des candidats qui parlent
06:53et qui vont critiquer cette industrie-là sont sortis du milieu
06:57parce qu'elles ne sont plus muselées par des contrats
07:01avec des boîtes de production.
07:03C'est très compliqué de témoigner contre une boîte de production
07:06qui n'est notre gagne-pain.
07:07Les candidats qui poursuivent dans la téléréalité
07:09sont devenus des géants sur les réseaux sociaux.
07:12Je pense à Jessica Thivenin qui a des millions d'abonnés,
07:14je pense à Mila Jasmin également, Maëva Guénem.
07:17On est face à des candidats qui, finalement, ont réussi
07:20à tirer un capital de toute cette industrie-là,
07:24à aussi produire énormément de richesses
07:27alors qu'elles venaient de milieux très défavorisés.
07:29– Est-ce qu'il existe des téléréalités, on va dire, éthiques ?
07:32– Il existe de plus en plus de téléréalités éthiques, selon moi,
07:36mais je peux prendre l'exemple de la Star Academy,
07:39même si ça reste un télécrochet.
07:41La Star Academy, par exemple, la saison précédente
07:45était très bienveillante, peut-être trop.
07:49C'est vrai que c'est compliqué parce qu'on a l'impression
07:52qu'une téléréalité, ça doit être du clash et du cul.
07:55Et là, on n'a eu aucun des deux.
07:57Mais pourtant, ça a vraiment marché,
07:58et je pense que le public a aussi envie de ça.
08:00Une téléréalité éthique, c'est complètement possible,
08:02et on le voit avec le virage que prennent
08:04toutes les boîtes de production en ce moment,
08:06qui est de mettre au cœur de l'intrigue le jeu et la stratégie.
08:09Je pense que pour éviter toutes les dérives dans la téléréalité,
08:11il faut déjà faire passer des entretiens aux candidats,
08:14et aux candidats, des entretiens longs.
08:16Les boîtes de production ne sont pas des policiers,
08:18donc il faut quand même demander le casier judiciaire,
08:20si possible, des candidats en amont
08:22pour éviter de mettre des prédateurs à l'écran.
08:25Mais je pense surtout qu'il faut renouveler complètement le genre
08:29et quitter toute cette téléréalité très scriptée
08:32qui va recycler les mêmes personnes, les mêmes candidats,
08:35redonner place aux anonymes, à la banalité justement,
08:38pour éviter cet écueil-là.
08:40Et je pense que les nouvelles générations méritent
08:43une téléréalité bienveillante et peut-être plus douce.