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C'est l'un des plus gros scandales d'État de la Ve République... Le 10 juillet 1985, une bombe faisait sauter le bateau emblématique de Greenpeace, en première ligne du combat écologiste contre les essais nucléaires français. Edwy Plenel raconte l'incroyable histoire du Rainbow Warrior.

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00:00C'est l'un des plus gros scandales d'Etat de la Vème République.
00:03Voici l'affaire du Rainbow Warrior.
00:05L'affaire Greenpeace est un véritable feuilleton politico-policier.
00:09Une bombe a fait sauter le chalutier de Greenpeace.
00:11C'est un mensonge organisé, assumé au plus haut de l'Etat.
00:15Ce sont des agents de la DGSE qui ont coulé ce bateau.
00:20Les services secrets, moi je trouve qu'ils devraient encore être plus secrets parfois.
00:30Nous sommes dans la nuit du 10 juillet 1985 au port d'Auckland, en Nouvelle-Zélande.
00:35Alors que l'équipage du Rainbow Warrior, le navire amiral de Greenpeace,
00:39fête l'anniversaire d'un de ses membres, une explosion retentit à bord.
00:42Les gens sortent du bateau, sauf un, Fernando Pereira,
00:47qui est photographe, qui accompagne Greenpeace.
00:49Il va dans sa cabine pour récupérer ses appareils.
00:52Une deuxième explosion plus grosse que la première
00:54achève le Rainbow Warrior qui coule dans le port d'Auckland.
00:58On s'est réveillés à 2h du matin par la première équipe
01:01pour nous dire que le Rainbow Warrior s'est cassé
01:05et que Fernando était perdu.
01:07Fernando Pereira va mourir noyé.
01:11Dans le journal où je travaillais à l'époque, le journal Le Monde,
01:15ça ne fait qu'une brève, comme un fait divers.
01:17C'est un fait divers.
01:17Et il faudra attendre pour que ça fasse vraiment événement,
01:22début août 1985, donc pratiquement trois semaines après,
01:27pour que deux autres journaux affirment qu'en fait,
01:30derrière ce sabotage, il y a les services secrets français.
01:333, 2, 1, go !
01:37Depuis le milieu des années 60,
01:38la France mène des essais nucléaires en Polynésie.
01:41En 1968, elle teste une bombe H du nom de Canopus.
01:46135 fois plus puissante que la bombe d'Hiroshima,
01:49c'est l'essai atomique le plus puissant jamais réalisé par la France.
01:53Après cette réussite, le général de Gaulle a déclaré
01:56que c'est un magnifique succès pour l'indépendance
01:58et la sécurité de la France.
02:00L'industrie nucléaire accélère le développement économique
02:04de la Polynésie française,
02:05mais une partie de la population locale
02:07dénonce les graves conséquences sur l'environnement.
02:10Sérieusement, je demande à monsieur Mitterrand
02:13de prendre sa bombe et de l'envoyer en France.
02:16C'est sous la présidence de François Mitterrand
02:18qu'il y aura le plus grand nombre d'essais nucléaires
02:23organisés dans le Pacifique.
02:25C'est dans ce contexte qu'en mars 1985,
02:28le Rainbow Warrior de Greenpeace gagne le port d'Auckland
02:31afin de mener une opération pour empêcher les essais nucléaires français
02:35dans l'atoll de Moruroa.
02:36Greenpeace, une organisation internationale
02:39qui multiplie les actions spectaculaires
02:41contre toutes les sortes de pollution de l'environnement naturel.
02:45Depuis plusieurs mois, les services secrets français
02:47ont infiltré Greenpeace par l'intermédiaire
02:50de la militante Frédérique Bonlieu,
02:52qui est en réalité l'agent Christine Cabon.
02:55Greenpeace a été totalement infiltrée à cette époque.
02:59Sa section française a été si infiltrée
03:03qu'après l'attentat, elle n'y survivra pas.
03:05Pendant un moment, il n'y aura plus de Greenpeace en France.
03:07Quelques jours seulement après le naufrage du Rainbow Warrior,
03:10la police néo-zélandaise interpelle Sophie et Alain Turange,
03:14un couple de touristes qu'ils accusent d'appartenir
03:16aux services secrets français.
03:18Derrière le nom d'Alain Turange se cache en réalité
03:21le colonel Alain Maffart, nageur de combat,
03:24commandant des troupes de marine.
03:26Derrière Sophie Turange, le capitaine Dominique Prieur.
03:29Grande, blonde, cheveux longs,
03:30elle se rend méconnaissable avant de partir pour Auckland.
03:34Cheveux teints en brun, coupés courts, grosses lunettes,
03:37elle se déclare jeune mariée et suisse.
03:40C'est ce dernier détail qu'il a trahi lors de son arrestation
03:43après l'attentat du Rainbow Warrior.
03:45Sur son faux passeport, elle fait inscrire son nom de jeune fille,
03:49Sophie Claire Payot, ce que les Suisses font très rarement.
03:53Il y a une autre équipe qui est celle du voilier ouvert.
03:56Ils partent de Nouvelle-Calédonie et ils apportent dans le voilier
04:01les tenues de plongée et l'explosif.
04:04Le couple Turange a pour mission de réceptionner
04:07et de superviser les hommes qui passeront à l'action.
04:09Cela ne fait pratiquement plus de doute,
04:11l'attentat contre le Rainbow Warrior a été commandité
04:15et organisé à Paris.
04:17Alors que l'étau se resserre autour des services secrets français,
04:20le ministre de la Défense Charles Ernu nie en bloc.
04:24Aucune organisation dépendant de mon ministère
04:29n'a reçu l'ordre de commettre un attentat
04:34contre le Rainbow Warrior.
04:36Le pouvoir nie, il faut trouver la carte
04:38qui va faire tomber le château de cartes
04:41et c'est là que je vais me retrouver revenant de vacances
04:45à devoir enquêter sur cette mystérieuse affaire.
04:49Alors que le Premier ministre néo-zélandais David Lange
04:52se fait de plus en plus insistant dans ses accusations
04:54à l'égard de la France,
04:55le président François Mitterrand lui fait parvenir une lettre
04:58dont voici un extrait.
05:05Quand je me remémore cette histoire,
05:07il y a, je dirais, l'inconscience de la jeunesse.
05:10Je me mets sur le dossier et commence un travail
05:14qui ne sera pas un travail solitaire,
05:16qui sera un travail d'équipe.
05:17Je serai celui qui sera un peu le fil conducteur
05:20de toute cette enquête.
05:21La police néo-zélandaise est dans l'impasse
05:23car ni les époux de Turange ni l'équipe de l'OVA
05:26n'ont pu commettre l'attentat contre le Rainbow Warrior.
05:28De son côté, la France continue de nier toute implication.
05:32La DGSE n'avait pas alors en Nouvelle-Zélande,
05:38outre le commandant Mafart et le capitaine Prieur,
05:44d'autres agents que ceux qui composaient l'équipage de l'OVA.
05:51Plusieurs rumeurs sont répandues dans la presse
05:53pour brouiller les pistes.
05:54Je me fais enfumer par les mensonges de l'appareil d'État.
05:58Il y a deux fausses pistes qui commencent à répandre.
06:01L'une, c'est que c'est une histoire totalement abracadabrante.
06:04Il y a une grande crise en Nouvelle-Calédonie,
06:07à l'époque, autour de l'indépendance.
06:09Il y a des extrémistes qui combattent cette indépendance
06:13et donc ces extrémistes de droite, plutôt,
06:16auraient monté cela pour nuire à la présidence socialiste.
06:20L'autre fausse piste, c'est l'idée d'un sabotage dans le sabotage.
06:24Rien n'indique pour l'instant que ces deux Français
06:27soient impliqués dans l'attentat.
06:29Celui-ci pourrait en effet très bien avoir été commis
06:32par une autre équipe, mêlant anciens agents de renseignement,
06:35mercenaires, activistes d'extrême droite,
06:37cherchant à nuire à l'image de la France dans le Pacifique.
06:40Au bout d'un moment, on comprend quelle est la pièce manquante
06:43et c'est comme ça que nous allons, avec un collègue du Monde,
06:47Bertrand Legende, et un collègue qui travaillait
06:49au Canard Enseigné à ce moment-là, Georges Marion,
06:52tomber sur la troisième équipe de nageurs de combat.
06:56C'est eux qui poseront les deux bombes, les deux explosifs,
07:00dans la nuit, sur la coque du Rainbow Warrior.
07:09C'est un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur
07:12qui m'a permis de compléter le puzzle.
07:16Il ne parlait pas si facilement
07:18et il fallait aussi accepter de boire quelques whisky pour y arriver.
07:22Vous allez démissionner.
07:25Écoutez, votre question est tellement drôle.
07:31Oui, c'est ça.
07:33Écoutez, non, je n'ai pas songé, je n'ai pas écrit, même des brouillons de l'air.
07:39Trois jours après les révélations du Monde
07:41sur l'existence d'une troisième équipe,
07:42Charles Hernu démissionne.
07:44L'amiral Pierre Lacoste, patron de la DGSE et Limogé.
07:47Le Premier ministre Laurent Fabius
07:49reconnaît enfin la responsabilité des services secrets.
07:53Ce sont des agents de la DGSE qui ont coulé ce bateau.
07:59Ils ont agi sur ordre.
08:01Le fusible Hernu a fondu,
08:03mais est-ce suffisant pour désamorcer complètement l'affaire ?
08:05Sans doute pas.
08:06Une question essentielle reste ce soir sans réponse.
08:09Qui a donné l'ordre de couler le bateau ?
08:10Cet acte contre le navire de Greenpeace
08:13ne pouvait avoir été fait qu'avec un ordre.
08:16Et nous soulevions deux responsabilités,
08:18celle de l'état-major, le chef d'état-major des armées
08:21et le chef d'état-major particulier du président de la République,
08:24et celle du ministre de la Défense, Charles Hernu,
08:27qui soit avait menti, soit avait accepté qu'on lui mente.
08:31L'entêtement du mensonge sera très très fort.
08:34Et c'est un mensonge organisé, assumé au plus haut de l'État.
08:39En 2005, l'amiral Lacoste affirmera avoir mis au courant
08:42François Mitterrand en personne.
08:44J'ai tenu personnellement à vérifier auprès de lui
08:48que ce n'était pas seulement une initiative de son ministre de la Défense
08:51et que Charles Hernu, lui, en avait bien parlé
08:54et m'a confirmé qu'il était bien au courant.
08:55Au bas mot, François Mitterrand savait avant et n'a pas empêché.
08:59Au pire, François Mitterrand a ordonné lui-même.
09:02En Nouvelle-Zélande, les deux faux époux de Turange
09:05seront condamnés à 10 ans de prison
09:07avant d'être expulsés un an plus tard.
09:09La France versera plusieurs millions de francs de dommages et intérêts
09:12à la Nouvelle-Zélande, à Greenpeace
09:14et à la famille de Fernando Pereira,
09:16le photographe mort dans le naufrage.
09:18Elle présentera également des excuses officielles
09:20au gouvernement néo-zélandais.
09:22Quant au colonel Jean-Luc Kister,
09:24l'un des nageurs de combat qui a posé les bombes,
09:26il fera ses excuses à visage découvert 30 ans après les faits
09:30au micro d'Edwi Plenel.
09:31Les passions se sont apaisées, dans mon esprit aussi,
09:35mais ma conscience me dictait quand même de faire ses excuses
09:43et d'expliquer ce qu'il faut savoir,
09:45c'est qu'on n'est pas des tueurs de sang-froid.
09:48Tous les États, qu'ils soient démocrates ou non,
09:53ont leur bonne raison pour commettre des inégalités
09:58et pour se défendre.
09:59La différence entre un État autoritaire et un État démocratique,
10:04c'est que dans un État démocratique,
10:06on a le droit de le révéler.
10:09Après, chacun juge.

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