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"Aujourd'hui, il y a 1 jeune sur 5 qui présente des troubles dépressifs."

La journaliste Salomé Saqué explique à Brut pourquoi la santé mentale des jeunes est, selon elle, “un problème de santé publique majeur que l’on ne prend pas assez au sérieux, politiquement particulièrement”, alors que sort en poche son livre "Sois jeune et tais-toi".

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Transcription
00:00Je crois qu'on ne parle pas du tout assez de santé mentale et particulièrement de la santé mentale des jeunes
00:05et surtout qu'on ne prend pas assez le problème au sérieux, politiquement particulièrement,
00:09parce que c'est un problème de santé publique majeur.
00:12Aujourd'hui il y a un jeune sur cinq qui présente des troubles dépressifs
00:16selon une enquête de Santé publique France, c'est deux fois plus qu'en 2017.
00:20Est-ce que les jeunes sont plus dépressifs qu'avant
00:23ou est-ce qu'en fait les jeunes disent qu'ils sont plus dépressifs qu'avant ?
00:27Alors ça c'est très compliqué à évaluer.
00:29En tout cas ce qui est certain c'est que les études qu'on a aujourd'hui
00:31nous montrent une augmentation dans le temps, y compris récemment,
00:35de la déclaration des troubles dépressifs et des soins également, des demandes de soins.
00:39Moi je lutte vraiment contre ce cliché qui voudrait que les jeunes soient plus sensibles, plus victimaires.
00:43Moi j'ai voulu montrer avec des faits, des chiffres, des statistiques,
00:46que très objectivement la condition économique de l'emploi par exemple des jeunes
00:50s'est dégradée ces dernières décennies,
00:52que les questions d'écologie bien évidemment le contexte s'est dégradé,
00:56l'éco-anxiété est un phénomène nouveau qu'on n'observait pas avant
00:59parce qu'il n'y avait pas ces thématiques d'écologie, de changement climatique
01:03qui étaient présentes dans l'espace médiatique, dans l'espace public.
01:06On n'a pas d'étude aujourd'hui qui dirait que les jeunes vont mal très précisément à cause de ça.
01:11On sait que c'est multifactoriel, on peut écouter ce que nous disent les professionnels de santé,
01:15ce que m'ont dit moi aussi les jeunes sur le terrain,
01:17mais on ne peut pas avoir une certitude absolue dans ce qu'on dit.
01:21Par contre on a quand même des paramètres qui nous permettent d'affirmer
01:25que la situation se dégrade.
01:27Est-ce qu'il n'y a pas un biais ?
01:28Est-ce que cette population de 15-25 ans qui a des problèmes de santé mentale,
01:33est-ce que c'est parce qu'ils sont jeunes ?
01:35Ou est-ce que c'est parce qu'ils sont d'un niveau social par exemple ?
01:37Est-ce que finalement on va mal quand on est pauvre ?
01:39Est-ce qu'on va mal quand on est jeune ?
01:41Je pense qu'il y a un lien à établir très clairement.
01:43La pauvreté est un facteur de dégradation de la santé mentale
01:46et les jeunes sont de plus en plus exposés à la pauvreté.
01:48Est-ce qu'on doit regarder la société par le biais de l'âge uniquement ?
01:52Non, je pense que ce serait une erreur.
01:54Je pense qu'une des premières grilles de lecture
01:56quand on veut analyser les dynamiques de société,
01:58c'est aussi une dynamique de classe,
02:00c'est aussi une grille de lecture qui met en valeur les rapports de domination,
02:04les revenus tout simplement, le patrimoine, on est d'accord là-dessus.
02:08Mais l'âge fait aussi partie des grilles de lecture qu'on devrait intégrer
02:11puisqu'on voit bien qu'il y a des phénomènes générationnels quand même assez clairs.
02:14S'il y a des jeunesses,
02:16et les jeunes ne sont pas une seule et unique voix avec une seule et unique situation,
02:20ils évoluent dans le même contexte.
02:22C'est quand même intéressant de le rappeler,
02:24c'est-à-dire que l'on soit riche ou pauvre,
02:26quand on est jeune, on est plus exposé aux conséquences du réchauffement climatique,
02:29par exemple, que lorsqu'on est plus âgé.
02:31Ça, ça a été montré notamment dans le dernier rapport du GIEC.
02:33Est-ce qu'il n'y a pas aussi la question des écrans,
02:35puisque le président de la République l'a récemment abordé ?
02:38Est-ce que vous, dans l'étude que vous avez faite,
02:40dans le livre que vous avez écrit, est-ce que ça joue ?
02:43Alors c'est très intéressant parce qu'encore une fois,
02:45je me suis posé la question et je n'ai pas trouvé d'étude,
02:48encore une fois en manque de données,
02:50d'étude qui nous dirait que vraiment,
02:52il y a un lien entre consommation d'écran,
02:54détérioration de la santé mentale et que c'est bon,
02:56on est sûr que c'est ça qui est à l'origine de la détérioration de la santé mentale.
02:58Sinon, je l'aurais mentionné.
02:59Instinctivement, on s'en rend bien compte que,
03:01effectivement, ça a une incidence négative,
03:03surtout quand c'est consommé dans l'abus,
03:05qu'il y a une dimension addictive aussi à ces écrans-là,
03:07ça dépend complètement de ce qu'on y fait.
03:09Mais là encore, je ne crois pas que les jeunes soient particulièrement touchés,
03:12par rapport au reste de la population.
03:14Oui, les jeunes ont des addictions aux écrans qui se développent,
03:17mais au même titre que beaucoup de nos parents, par exemple.
03:19Les écrans peuvent aussi être un facteur de lien.
03:23Et il y a beaucoup de jeunes qui vont trouver certaines communautés,
03:26qui vont trouver des endroits où ils peuvent parler de ce qui les anime,
03:29sur les réseaux sociaux ou dans des jeux vidéo.
03:32Et c'est là où je me garde bien d'être dogmatique sur le sujet,
03:35parce que je pense que c'est extrêmement complexe à analyser.
03:38Mais de manière générale, je pense que beaucoup de jeunes
03:41se sentent incompris par le reste de la société.
03:44Et qu'il y a un phénomène aussi de repli sur sa propre génération,
03:48pour parler avec des personnes qui comprennent ce qu'on vit.
03:50Et je pense que ça fait partie des choses qui ont vu naître le fameux Ok Boomer.
03:54C'est que beaucoup de jeunes sont fatigués d'entendre des critiques
04:00sur leur génération, qui n'ont absolument pas lieu d'être, qui sont infondées.
04:04D'avoir des comportements de mépris de la part d'une partie des plus âgées
04:08auxquelles ils doivent faire face.
04:09Et que la réponse, qui a été virale sur Internet, c'était le Ok Boomer.
04:13Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que de toute façon, tu ne comprends rien.
04:16De toute façon, tu n'essaies même pas de nous comprendre.
04:18Mais est-ce que c'est vraiment nouveau ?
04:19Les jeunes critiquent leurs parents.
04:21Les parents ne comprennent pas leurs enfants.
04:23Et puis, il y a des conflits générationnels.
04:25Est-ce que c'est vraiment nouveau, les conflits intergénérationnels ?
04:27Pas du tout.
04:28C'est ça que je trouvais d'ailleurs intéressant.
04:30C'est qu'en faisant des recherches, je me suis rendu compte
04:32qu'on trouvait des traces de critiques extrêmement vives
04:35à l'égard des jeunes générations, jusque dans l'Antiquité.
04:38En revanche, ce qui est inédit, c'est déjà la partie démographique.
04:44Aujourd'hui, les plus jeunes sont en minorité dans la société.
04:48Les 18-29 ans sont deux fois moins nombreux que les plus de 60 ans.
04:51Donc, ceux qui ont le pouvoir, notamment le pouvoir économique et le pouvoir politique,
04:55ce sont les plus âgés.
04:56Là, vous me parlez de pouvoir.
04:57Mais en vérité, je ne parle pas des États-Unis,
05:00où on a deux candidats relativement âgés actuellement pour la présidentielle.
05:03Mais en France, en tout cas, le président Emmanuel Macron,
05:06quand il a été élu, il n'avait même pas 40 ans.
05:09Je crois qu'il avait 39 ans.
05:10C'est vrai.
05:11Le Premier ministre aujourd'hui, Gabriel Attal, c'est un trentenaire.
05:14En fait, on n'a jamais eu des personnalités politiques aussi jeunes.
05:18Donc, on pourrait imaginer qu'elles comprennent davantage les jeunes.
05:21Est-ce que c'est vraiment ça le problème ?
05:23Est-ce que c'est vraiment l'âge des gouvernants qui pose souci ?
05:25Ce n'est pas l'âge des gouvernants le problème.
05:27Le problème, c'est avant tout les politiques qu'ils mènent,
05:29qui ne prennent pas en compte les intérêts de la jeunesse.
05:31Et au même titre qu'on a pu avoir des femmes qui ont œuvré contre les droits des femmes,
05:35on peut avoir des jeunes qui œuvrent contre les droits des jeunes.
05:37Je pense que la représentativité est quand même importante,
05:40parce que ça peut aussi permettre aux jeunes de s'identifier,
05:43de se projeter dans des postes à responsabilité politique.
05:47Je ne dis pas que c'est complètement insignifiant,
05:50mais clairement, ça ne suffit pas pour mener une politique
05:54digne de ce nom à l'égard de la jeunesse.
05:56Est-ce qu'il n'y a pas aussi une dimension, avec le Covid,
05:59avec la guerre en Ukraine, que ce qu'on pensait inimaginable se passe ?
06:06Si, mais c'est ça qui fait peur à beaucoup de jeunes.
06:09Le Covid, c'est tellement fou, à 20 ans, 18 ans,
06:15de se faire enfermer chez soi, privé de ses meilleures années,
06:18privé d'Erasmus, privé de vie sociale, privé de couple,
06:23privé de toutes les expériences structurantes.
06:26C'est ce que nous disent aussi les psychiatres,
06:28c'est des moments structurants de la vie.
06:30Ils ont été privés de ça du jour au lendemain,
06:32sans que personne ne s'en émeuve vraiment,
06:34sans qu'il y ait de politique publique d'ampleur
06:36qui soit mise en place pour pallier toutes les conséquences que ça avait.
06:40Et après, on leur a demandé de reprendre leur vie comme si de rien n'était.
06:43Mais bien sûr que c'était complètement inimaginable,
06:45et donc d'autant plus choquant.
06:46Il faut bien rappeler que, en ce qui concerne, par exemple,
06:48les aides aux actifs, comme le chômage partiel,
06:50sont arrivées quasi immédiatement avec le premier confinement.
06:53Ça a été beaucoup plus compliqué pour tout ce qui touchait les jeunes,
06:56alors qu'on rappelle que les jeunes, c'était les premiers exposés à la précarité,
06:59parce que pour beaucoup, ils n'avaient pas de chômage partiel, par exemple.
07:02Ce que vous voulez dire, c'est que pendant le confinement,
07:03on s'est occupé d'abord des vieux plutôt que des jeunes ?
07:05Bien sûr. Bien sûr qu'on s'est occupé avant tout des plus âgés, des actifs,
07:11les plus âgés qu'on voulait protéger de la maladie,
07:13les actifs dont on a garanti les revenus,
07:16et les jeunes, qui étaient donc les jeunes actifs,
07:18voire les non-actifs, au sens où ils n'étaient pas…
07:21ils étaient encore pour beaucoup en études.
07:23Et ces jeunes-là ont été sacrifiés.
07:25Ça a impacté de manière absolument frappante leur santé mentale.
07:29Et on ne vit pas de la même manière un enfermement à 75 ans qu'à 20 ans.
07:37Il faut vraiment avoir ça en tête.
07:39Et moi, beaucoup de jeunes que j'ai pu interroger et de milieux sociaux très différents,
07:43c'est ça qui était intéressant,
07:44c'est-à-dire y compris des jeunes qui avaient eu de très bonnes conditions de confinement,
07:48ils avaient l'impression qu'on leur avait volé des années.
07:50Est-ce que ça relève d'une erreur politique ou est-ce que ça relève du cynisme politique ?
07:53C'est-à-dire qu'à partir du moment où les jeunes votent moins que les personnes plus âgées,
07:57quand il y a un choix à faire, ils n'arrivent pas en premier.
08:00Alors moi, je ne suis pas dans la tête des dirigeants.
08:02Je ne peux pas leur prêter des intentions en tant que journaliste.
08:05Mais je ne peux que constater qu'il n'est pas rentable électoralement de s'occuper des jeunes.
08:10Et ça, c'est extrêmement clair puisque les plus de 60 ans sont deux fois plus nombreux que les 18-29 ans.
08:15Donc on ne gagne pas des élections avec les voix des jeunes, surtout que les jeunes votent moins.
08:18On arrive à la fin de cette vidéo.
08:20Potentiellement, notre conversation a déprimé encore un peu plus les jeunes.
08:25Est-ce qu'on peut quand même terminer par une sorte de touche d'espoir ? Qu'est-ce qu'on peut faire ?
08:31Je pense que ça dépend d'où on se place.
08:35Si on est une personne qui n'appartient plus à la génération des 18-29 ans que je décris dans le livre,
08:41on peut se pencher sur les jeunes de notre entourage et leur poser des questions tout simplement sur ce qu'ils vivent.
08:47Je pense que vraiment, beaucoup de jeunes ont besoin de ça, d'être entendus, d'être écoutés réellement, sans jugement.
08:53Rien que ça, ça pourrait déjà énormément améliorer les choses.
08:56Ensuite, quand on est jeune, je pense qu'il faut essayer de faire entendre sa voix au maximum.
08:59Il faut savoir qu'aujourd'hui, dans le contexte extrêmement difficile que je viens de décrire,
09:03il y a quand même plus de jeunes qui s'engagent que de retraités.
09:07Et ça, c'est nouveau, c'est une bascule récente.
09:09Et moi, ce qui m'a donné énormément d'espoir, c'était pendant les signatures de livres,
09:13de voir des personnes qui venaient avec leurs parents, leurs grands-parents,
09:16qui s'échangeaient des livres, qui avaient de vrais sujets de discussion.
09:19Donc tout n'est absolument pas perdu.
09:20Et moi, je n'écrirais pas un livre comme ça si je n'avais pas un véritable espoir
09:23vraiment ancré en moi, dans le fait qu'on puisse avoir une forme d'union intergénérationnelle,
09:29qu'on puisse avoir une solidarité qui se redéveloppe,
09:31qui aille contre cet individualisme qui est quand même latent dans notre société
09:36et qui nous permette de mieux faire société.

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