Olivia Ruiz est autrice, compositrice, interprète et écrivaine. Révélée lors de la première saison de la Star Academy, elle devient célèbre grâce à son hit, « La femme chocolat », en 2006.
Depuis toujours, Olivia Ruiz est très attachée à sa famille. Descendante d'immigrés espagnols, elle a à coeur le sujet de l'exil. Elle exprime ses opinions contre l'extrême droite lors de ses concerts, quitte à s'attirer repousser certains spectateurs.
Elle avoue s'être pris « en pleine face » le mouvement #metoo. Elle a éprouvé un sentiment de culpabilité de ne pas avoir perçu la détresse de certaines de ses consoeurs. Elle se rappelle ses sanglots à l'coute des témoignages de victimes. Par ailleurs, elle admire toutes les « bouches décousues ».
C'est aussi grâce à cette libération de la parole qu'elle s'est sentie assez forte pour parler une soumission chimique dont elle a été victime qu'elle s'est remémorée alors qu'elle rencontrait la fille de Gisèle Pelicot.
Bien qu'elle prenne position, Olivia Ruiz ne se définit pas comme « engagée » car, pour elle, l'engagement sous-entend une implication quotidienne et une grande connaissance du sujet. D'après la chanteuse, c'est un terme trop grand pour caractériser sa musique.
"A quoi sert une chanson ?"... si elle est désarmée ? » chantait Julien Clerc sur un texte d'Etienne Roda-Gil. Les chanteurs ont toujours été témoins et acteurs des grandes mutations sociales, politiques et culturelles. Ils sont le reflet et le porte-voix des luttes, des espoirs et des révoltes... on pense bien sûr à Léo Ferré, à Serge Gainsbourg ou encore à Renaud et d'autres grandes voix, mais aujourd'hui, avec l'omniprésence des réseaux sociaux et le clivage qu'ils génèrent, les prises de position des artistes sont de plus en plus périlleuses. Dans une série d'entretiens menés par Didier Varrod, directeur musical des antennes de Radio France, des artistes explorent la force de leurs oeuvres en lien avec l'engagement sous toutes ses formes.
A travers ces discussions, chaque artiste dévoile à Didier Varrod comment une chanson peut devenir le miroir de ses convictions et celles de son public, voire même, au-delà de sa première raison d'être, un vecteur de changement de notre société : « A quoi sert une chanson ? »
Depuis toujours, Olivia Ruiz est très attachée à sa famille. Descendante d'immigrés espagnols, elle a à coeur le sujet de l'exil. Elle exprime ses opinions contre l'extrême droite lors de ses concerts, quitte à s'attirer repousser certains spectateurs.
Elle avoue s'être pris « en pleine face » le mouvement #metoo. Elle a éprouvé un sentiment de culpabilité de ne pas avoir perçu la détresse de certaines de ses consoeurs. Elle se rappelle ses sanglots à l'coute des témoignages de victimes. Par ailleurs, elle admire toutes les « bouches décousues ».
C'est aussi grâce à cette libération de la parole qu'elle s'est sentie assez forte pour parler une soumission chimique dont elle a été victime qu'elle s'est remémorée alors qu'elle rencontrait la fille de Gisèle Pelicot.
Bien qu'elle prenne position, Olivia Ruiz ne se définit pas comme « engagée » car, pour elle, l'engagement sous-entend une implication quotidienne et une grande connaissance du sujet. D'après la chanteuse, c'est un terme trop grand pour caractériser sa musique.
"A quoi sert une chanson ?"... si elle est désarmée ? » chantait Julien Clerc sur un texte d'Etienne Roda-Gil. Les chanteurs ont toujours été témoins et acteurs des grandes mutations sociales, politiques et culturelles. Ils sont le reflet et le porte-voix des luttes, des espoirs et des révoltes... on pense bien sûr à Léo Ferré, à Serge Gainsbourg ou encore à Renaud et d'autres grandes voix, mais aujourd'hui, avec l'omniprésence des réseaux sociaux et le clivage qu'ils génèrent, les prises de position des artistes sont de plus en plus périlleuses. Dans une série d'entretiens menés par Didier Varrod, directeur musical des antennes de Radio France, des artistes explorent la force de leurs oeuvres en lien avec l'engagement sous toutes ses formes.
A travers ces discussions, chaque artiste dévoile à Didier Varrod comment une chanson peut devenir le miroir de ses convictions et celles de son public, voire même, au-delà de sa première raison d'être, un vecteur de changement de notre société : « A quoi sert une chanson ? »
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NewsTranscription
00:00Générique
00:18Bonjour Olivia Ruiz.
00:20Bonjour Didier.
00:21Vous êtes autrice, compositrice, interprète.
00:24Vous avez écrit également deux romans qui ont eu un succès énormissime.
00:31Vous êtes revenue en tant qu'artiste, autrice, compositrice, interprète avec un nouvel album La Réplique.
00:38Ma première question avant de rentrer, de scanner un petit peu le sens de cette réplique,
00:46c'est que j'ai lu pas mal d'articles vous concernant, de portraits au moment de votre retour discographique
00:52où l'idée même qu'on puisse dire que vous étiez engagée vous faisait froncer les sourcils.
00:58Qu'est-ce que ça signifie en fait de froncer les sourcils quand on parle d'engagement ?
01:04Il y a quelque chose pour moi derrière le mot engagement qui est immense,
01:10qui est de l'ordre d'une vie, que je rattache à quelque chose qui est...
01:18Pour moi, quelqu'un d'engagé, c'est quelqu'un pour qui l'engagement est quotidien.
01:24C'est pas mon cas, je crois pas.
01:28Pour moi aussi, il va avec l'engagement une immense connaissance.
01:32C'est que la définition finalement que je m'en fais personnellement.
01:36Mais du coup, je ne corresponds pas à cette définition.
01:39Mon engagement, il est quotidien peut-être en tant que mère,
01:45donc peut-être quelque chose de lié à un engagement peut-être plus social,
01:51pédagogique, éducatif par rapport à ma vie de femme.
01:55Mais en engagement politique, je trouve le mot un petit peu trop grand pour ma musique.
02:04Vous pensez qu'on a démonétisé aussi cette notion d'engagement ces dernières années ?
02:09Est-ce qu'il n'y a pas ça aussi un petit peu dans votre façon de prendre du recul par rapport à cette notion ?
02:17Probablement. Probablement que cette démonétisation n'aura fait qu'alimenter ma peur de cette étiquette, entre guillemets.
02:27Et en même temps, ça a aussi son lot de positifs.
02:32C'est-à-dire ?
02:33C'est-à-dire qu'il y a quelque chose de beau dans le fait que chacun se saisisse d'un engagement ou d'un autre avec spontanéité,
02:42occupe les réseaux sociaux avec ça et prenne la parole selon sa propre langue et selon sa propre sensibilité,
02:52avec la limite qu'il ou elle a définie et respectera ou pas, d'ailleurs.
02:59Mais c'est vrai à la fois que je ressens, malgré ça, malgré cette chose que je trouve géniale, une nécessité de me protéger.
03:12Peut-être aussi parce que nombre de mes amis artistes qui se sont positionnés peut-être un peu plus franchement
03:18ont payé les pots cassés de ça. Peut-être que j'ai peur de la récupération.
03:23Peut-être que j'ai un attachement si fort à ma liberté qu'un engagement précis et défendu aux yeux de tous figerait cette liberté
03:32et ma possibilité de changer d'avis aussi.
03:35Ça veut dire que vous êtes relativement en position d'humilité par rapport à cette idée d'engagement
03:42qui, quand même, jalonne votre vie artistique puisque très rapidement, une fois sortie du château de la Star Academy,
03:50vous avez très vite parlé de vos grands-parents, de l'exil, du drame de ces réfugiés qui étaient issus du franquisme espagnol.
04:03Tout ça, ça a fait partie de votre identité artistique, de votre inspiration ?
04:08C'est peut-être simplement mon cheminement personnel qui a des teints sur ma vie artistique presque à mes dépens
04:15puisque moi, j'étais dans cette recherche de m'inscrire dans un monde, de m'inscrire dans une communauté.
04:21Peut-être que c'est quelque chose de purement intime et égoïste, tout ça, finalement.
04:25Et à la fois, peut-être aussi que ça a un peu soigné une forme de culpabilité.
04:33Quand on est, comme dirait Annie Arnaud, un transfuge de classe, c'est difficile de vivre avec ça.
04:41C'est difficile parce que ça nous éloigne finalement et ça nous met dans une autre sphère
04:46alors que notre volonté d'être humain, elle est de rester le plus possible protégée par le cocon,
04:53que ce soit celui de la famille, celui des amis, celui de la communauté.
04:56Donc, je ne sais pas à quel endroit se situait la genèse de cette nécessité d'affirmer les racines que je portais,
05:09mais peut-être aussi il y avait une volonté de dire « tu peux y arriver ».
05:15Au même titre que dans la chanson « Abuelo » sur mon dernier disque, je raconte rarement des choses intimes.
05:21Rarement, je raconte littéralement les choses.
05:24Et là, c'est l'éloge funèbre de mon grand-père, quasiment mot pour mot, qu'on a posé sur une musique.
05:31Et clairement, je sais pourquoi je l'ai fait.
05:34Je sais que je l'ai fait parce que je voulais que celui qui allait écouter cette chanson se dise
05:39« moi qui n'ai rien, je peux réussir quelque chose ».
05:43Ce petit immigré qui n'a rien entre les mains à part une passion indécente pour le cinéma
05:49et une volonté d'intégrer un pays, mot, que je hais par-dessus tout
05:58et que pourtant qui est celui qui vient de se réinventer une vie sur un territoire d'adoption.
06:09Voilà. Pour le coup, là, c'était ça, ma démarche.
06:12C'était me dire que celui qui a l'impression qu'il part avec juste deux béquilles,
06:18sache que s'il en a une envie profonde, un jour il marchera.
06:24Simplement, l'envie, le fait de ne pas perdre la flamme,
06:28le fait de penser justement à s'inscrire dans un groupe aussi,
06:33parce que je crois que ça c'est salvateur et c'est une artiste solo qui vous dit ça.
06:38Ce que j'entends en fait quand vous prononcez le mot culpabilité
06:42ou cette injonction finalement pour toutes et tous à aller mieux,
06:48c'est que votre engagement il est lié finalement à une forme de réparation.
06:53Vous avez voulu réparer vos ancêtres qui ont été blessés
06:58et qui sont comme des blessés de guerre finalement.
07:01Et ça je crois que c'est quand même commun à beaucoup d'entre nous.
07:05On est nombreux, je crois, à avoir ce syndrome du sauveur,
07:11d'avoir envie tout à coup de ne trouver son propre bien-être
07:19que dans le fait d'être capable de relever.
07:22C'est vrai que le bonheur a peu de saveur quand il est partagé.
07:26Moi, par exemple, je suis quelqu'un qui ne sait pas aller au resto toute seule.
07:29Je suis incapable de prendre du plaisir à manger toute seule.
07:33C'est un truc qui ne fait pas sens.
07:35Et tout ça, effectivement, est totalement intimement lié, je crois.
07:41C'est une question de personnalité,
07:45une question d'héritage silencieux.
07:50Et effectivement, comme je n'ai pas pu réparer les miens,
07:54parce que peut-être qu'ils étaient trop cassés
07:57et je n'étais pas une superglue suffisamment puissante,
08:00aujourd'hui, je me dis que cet héritage, il sert à ça.
08:04Il sert à réparer les prochains.
08:09Ou sinon, aller réparer, simplement leur dire vous n'êtes pas seule.
08:14Et toujours pareil, tout est possible.
08:19Vous avez été la fée conductrice d'un spectacle magnifique
08:23qui s'appelle Bouche cousue.
08:25Derrière ce titre très fort, bouche cousue,
08:28au pluriel, il y avait cette idée que pour des générations successives d'immigrés,
08:34il fallait rester dans une forme de silence
08:38pour justement pouvoir rester sur la terre pas toujours hospitalière.
08:43Quelles sont les bouches cousues d'aujourd'hui, Olivia Ruiz, pour vous ?
08:49Ce que je trouve magnifique, c'est que là, j'aurai plus de facilité, Didier,
08:53à vous parler des bouches décousues au moment où on se parle
08:58et d'à quel point tout ça est rempli d'espoir
09:05et ça me donne énormément d'émotion que de vous parler des bouches cousues.
09:09Et en même temps...
09:10Ces bouches décousues, ce serait qui, alors ?
09:12Ce seraient toutes les féministes qui prennent la parole,
09:15ce seraient toutes les associations qui dénoncent et qui ont le courage de le faire,
09:19ce seraient toutes les femmes qui, après des années de silence, enfin libèrent leur parole.
09:23Ce serait le pape qui s'excuse pour toutes ces années d'omerta.
09:30C'est tout ça.
09:32C'est tout ça qui fait que j'ai beaucoup de plaisir aussi à vivre cette époque pourtant tellement violente
09:39parce qu'au milieu de toute cette noirceur et de cette violence,
09:44je trouve que la lumière devient perceptible
09:48et que ça devient de fait plus facile de s'y accrocher
09:52et de garder un petit peu d'énergie positive au milieu de tout ce qui nous tire comme ça vers...
09:59L'obscurité.
10:00L'obscurité, la peine, la dépression,
10:03parce que l'impuissance est insoutenable
10:07quand on est spectateur d'une guerre à une poignée de kilomètres de chez nous,
10:12qu'on est parent ou qu'on n'est pas parent, d'ailleurs, qu'on est juste humain.
10:16Vous dites quand même, à propos du mouvement MeToo,
10:19que vous l'avez pris en pleine face, pour rester polie.
10:23En pleine gueule, vous l'avez dit.
10:25Oui.
10:26Pourquoi ?
10:27Parce que je crois que je me pensais peu armée en arrivant dans ce métier
10:34et que même aujourd'hui, au moment où je vous parle, je me sens assez peu armée.
10:39Et en même temps, avec ce mouvement, je me suis dit
10:45que j'étais armée, je suis armée, je ne l'ai pas réalisée
10:49et je ne me suis pas rendue compte que mes consœurs ne l'étaient pas autant que moi.
10:55Et ça, ça a été, oui, un choc, encore une fois, de culpabilité,
11:00de se dire, mais comment j'ai pu être autant centrée sur moi
11:06pour ne pas me rendre compte qu'à côté de moi, tout ça existait ?
11:12Comment j'ai pu parfois m'en rendre compte
11:15et me dire que, comme moi, j'étais capable,
11:20parce que j'avais reçu les bonnes armes, comme je dis à mon fils,
11:24parce que mes parents, probablement, m'avaient mis les bonnes armes
11:27dans la besace de passer au-delà de toute cette agressivité
11:35et de toutes ces agressions, sans me dire, à un moment donné,
11:39balance des gommes, parce que la prochaine,
11:50elle sera peut-être un petit peu moins solide.
11:55Et c'est en ça que Me Too, ça a été, franchement,
11:59très honnêtement, des heures de larmes devant mon ordi,
12:02de me dire comment, à un moment donné,
12:06on peut ne pas faire attention, et rien que d'en reparler avec vous,
12:10ça me touche, parce qu'immense choc de se dire
12:15qu'on ne peut pas ne pas regarder à côté de soi
12:18et ne pas intervenir et ne pas être suffisamment à l'écoute
12:22pour se rendre compte et agir. Voilà, c'était dans ce sens-là.
12:27Je vous vois très émue en en parlant.
12:30Vous savez aussi que je suis une hyper émotive, il ne faut pas...
12:34Émotion, et en même temps, dans ces yeux qui brillent,
12:37je vois toujours ce qui vous caractérise et que j'aime tant,
12:40c'est-à-dire ce volcan qui ne s'éteint jamais
12:45et qui peut se réanimer à tout moment.
12:50Est-ce que vous auriez confié la même chose à propos
12:54de cette soumission chimique dont vous avez quand même été victime ?
12:57Mais heureusement pour vous, ça s'est plutôt bien terminé.
13:01S'il n'y avait pas eu le mouvement MeToo,
13:03est-ce que la conséquence de ce mouvement,
13:05c'est une confession très forte de votre part
13:08sur le fait d'avoir été victime de soumission chimique ?
13:12Quand je vous dis que je m'en veux d'avoir eu des œillères à mes dépens,
13:18typiquement, Didier, c'est le jour où je donne un entretien
13:24à l'association Mandorpa, qui est l'association de Caroline Darrian,
13:28la fille de Gisèle Pellicot, en donnant l'interview,
13:32après avoir accepté de soutenir l'association,
13:36que je réalise que j'ai été victime de soumission chimique.
13:41Tout à coup, à la fin de l'interview, je dis
13:43mais en fait, moi aussi, ça m'est arrivé, évidemment.
13:47Et c'est en ça que parfois on avance, et comme vous dites,
13:52avec sa colère, avec quelque chose qui, du coup, pousse à avancer
13:57et on oublie de mettre un coup de frein et de regarder les choses
14:02telles qu'elles sont dans sa propre vie et dans celle du monde
14:07dans lequel on s'inscrit.
14:09Donc non, c'était même pas une volonté telle que celle qu'on peut décrire.
14:15J'ai juste eu envie de soutenir cette femme
14:18parce que son témoignage m'a touchée,
14:20parce que l'histoire de sa maman et sa propre histoire m'ont bouleversée
14:26et je me suis rendue compte que je faisais partie des victimes
14:29pendant le premier entretien.
14:33Et comment on fait après ça ?
14:35Une fois qu'on se rend compte que, finalement, sans être dans le déni,
14:39on fait aussi partie de ces victimes ?
14:43On se dit qu'encore une fois, il n'y a pas de hasard
14:47et que si on arrive là, à un moment,
14:51c'est qu'il y a quelque chose qui nous y amène
14:54et que tout d'un coup, cette évidence entre une association, une femme et vous
14:58est là pour certaines raisons.
15:00Mais ce n'est pas anodin d'avoir oublié de mettre ce nom-là sur cet événement.
15:08Il y a quelque chose, encore une fois, qui est de l'ordre d'avancer.
15:12Et il ne faut pas avancer à tout prix, je crois.
15:17C'est quelque chose, moi, que je travaille chaque jour,
15:20de me dire non, là, je n'avance pas, je fuis en avant.
15:23Et comment je fais pour avancer et pas fuir en avant ?
15:28Cet été, vous avez été porteuse de la flamme olympique.
15:33Vous avez accepté sans même réfléchir.
15:37Et je crois que ça a été l'occasion pour vous de rappeler certaines valeurs
15:43qui dépassaient proprement les valeurs de l'olympisme.
15:47Déjà, le fait d'accepter d'être porteuse de la flamme olympique,
15:50quel sens ça avait pour vous ?
15:52Déjà, vous me mettez face à une sacrée contradiction,
15:55parce qu'effectivement, je dis que je ne suis pas une chanteuse engagée.
16:00Et au moment où on me donne la flamme, la première chose que je dis,
16:03c'est que le département et la région,
16:06qui sont en train de passer complètement RN d'une façon effrayante,
16:10me choisissent.
16:11N'oubliez pas que je suis petite fille d'immigrés,
16:14et que là, vous choisissez la petite fille de trois immigrés,
16:17et que tous ces gens-là qui ne veulent plus d'immigrés chez nous,
16:19dans 50 ans, vous n'avez plus de porteur de flamme,
16:22si on continue sur ce chemin-là.
16:24Donc effectivement, vous me mettez vraiment face à une sacrée contradiction.
16:28Vous étiez fière ?
16:29J'étais terriblement fière,
16:31mais j'étais fière parce que je suis ce que je suis,
16:34parce que je suis provinciale,
16:37parce que ça voulait dire que ma région me voyait
16:42comme quelqu'un qui la faisait rayonner, peut-être.
16:48Donc j'étais fière par rapport au mien.
16:51Il y a ce complexe d'infériorité
16:53qu'il faut cesser de cacher chez nous, les provinciaux,
16:57et qui n'est pas aidé par le complexe de supériorité
17:01entre autres des Parisiens
17:04ou d'un certain profil socio-professionnel.
17:10Donc il y avait ce truc-là aussi,
17:12de me dire, j'apporte quelque chose à ma région,
17:16avec le chauvinisme qui est le mien.
17:18Cette flamme, est-ce qu'elle vacille pas aussi parfois,
17:21comme lors de cette dernière séquence politique qu'on vient de vivre,
17:24qui a été très dure et qui reste très anxiogène,
17:28de se dire, Olivia Ruiz,
17:30finalement, dans mon public,
17:33il y a peut-être des gens qui ont voté RN,
17:36puisqu'ils sont 11 millions ?
17:39Ça ne m'a pas arrêtée,
17:42parce que je les déplorais à un moment donné dans l'été,
17:46parce que je trouvais ça fatigant émotionnellement.
17:50Mes concerts ressemblaient,
17:53pour un petit quart d'heure d'entre eux à chaque fois,
17:56à des meetings.
17:57C'est vrai que c'était trop dur, en fait.
18:00C'était trop dur de se dire,
18:01là, en gros, plein de gens vont faire,
18:04encore une fois,
18:06que d'autres vivront,
18:08et peut-être avec encore plus de violence,
18:10franchement,
18:11que celui qui a gâché une partie de l'existence des miens.
18:15Donc, c'était impossible de me taire.
18:17C'était au-delà de mes possibilités.
18:20Donc, j'ai parlé.
18:21Et quelques fois, effectivement,
18:23j'ai reçu des messages terribles
18:27à la suite de ça sur les réseaux.
18:32Voilà, on nous dit, en gros,
18:35que ce n'est pas ce qu'on nous demande,
18:38que ce n'est rien à rien,
18:40que parfois, c'est juste, je me désabonne.
18:43Voilà, un message qui dit,
18:44ok, j'étais au Festival à Lounage,
18:46j'ai entendu ce que vous avez dit,
18:47je me désabonne.
18:48Bon, ok.
18:50Bon, voilà, on prend ça aussi.
18:53On ne peut pas avoir les applaudissements.
18:55Et puis, plus on nous aime, plus on nous déteste.
18:57C'est une règle de base.
18:58Donc, ma foi,
19:00si trois ou quatre parmi les centaines de milliers de spectateurs
19:07que j'ai croisés cet été ont pu se dire,
19:09tiens, moi aussi, j'ai un grand-père,
19:13je ne sais rien, juif polonais,
19:17j'ai un grand-père, je ne sais rien,
19:21qui est venu,
19:23et je ne me l'étais pas formulé comme ça, en fait.
19:27Voilà, sans faire de militantisme,
19:30on ne peut pas non plus occulter sa propre histoire.
19:35Et puis, on ne peut pas.
19:37Vous n'avez pas eu envie de coudre votre bouche à ce moment précis ?
19:42Ça, j'avoue que même quand j'en ai envie,
19:44j'ai un peu de mal.
19:45Vous avez un peu de mal ?
19:46Dans certaines situations, si.
19:48Je préfère être purement observatrice
19:52qu'ouvrir mon bec.
19:55Ça veut dire que le silence peut être politique,
19:57Olivia Ruiz aussi ?
19:58Une forme de silence peut être politique ?
20:00Je fais partie des gens qui prônent qu'il faut assassiner le silence,
20:06quoi qu'il en soit, quoi qu'il en coûte,
20:09mais effectivement, le silence peut être politique.
20:14Et cette phrase est très belle.
20:17Est-ce que lorsque vous avez écrit, composé, enregistré, réalisé cet album La Réplique,
20:25il n'y avait pas aussi quand même une forme d'engagement
20:29à dire que finalement, il fallait lutter contre l'uniformisation,
20:34la standardisation,
20:36et que la meilleure manière de s'incarner dans la vie,
20:39c'est d'être à contre-courant ?
20:41C'est ça que raconte La Réplique.
20:45Il y avait ça.
20:46Il y avait ça, évidemment.
20:48Dans la chanson La Réplique,
20:52il y a la voix de la femme qui regarde des corps de jeunes filles
20:57à demi-nus toute la journée sur les réseaux
21:02parce qu'elle est abonnée à des chanteuses, à des comédiennes,
21:05et qui parfois se dit, déplore l'absence de mystère.
21:16Et déplore aussi des bouches
21:19qui sont beaucoup trop exagérément transformées.
21:25J'ai de la peine.
21:28J'ai de la peine.
21:29J'ai 44 ans, je n'ai jamais fait une demi-injection de rien.
21:32Peut-être que je vous dis ça aujourd'hui,
21:34et que dans 15 jours, il ne va falloir pas plus de temps que ça.
21:38Demain, je changerai d'avis.
21:40Ce n'est pas une position de principe.
21:42Pas du tout.
21:43Mais la femme que j'ai envie d'être
21:48et que j'aimerais rester jusqu'au bout de ma vie,
21:51c'est une femme qui s'embellit par le sport,
21:56par la thérapie, par l'alimentation,
22:01mais pas par le Botox et l'acide hyaluronique.
22:04Il y a quelque chose que je trouvais perdument triste là-dedans.
22:07Il y a quelque chose qui fait que pour moi,
22:09ce n'est pas ma vision de la femme idéale.
22:12Celle qui succombe à ces sirènes-là.
22:15Ce n'est pas pour ça que je ne serai pas
22:19celle qui succombe un jour.
22:21Mais dans mon fantasme à moi,
22:24je serai ma femme idéale si j'arrive à me passer de ça,
22:27à m'assumer, à être bien dans ma tête et dans mon corps,
22:30sans avoir besoin de cette aide-là.
22:32Parce que le message en tant que femme
22:34que j'ai envie de transmettre aux jeunes filles,
22:37aujourd'hui, et à mon fils,
22:39c'est que le physique n'est tellement rien
22:45comme part de ton rayonnement,
22:48de ton aura, de ton énergie,
22:50de tout ce qui fait que tu vas resplendir, ou pas.
22:53Je suis un peu démunie face à ces questions-là.
22:55Personnellement, en tant que femme,
22:58et en tant que génération qui précède
23:02celle de plein d'autres,
23:05et la peur aussi de ce à quoi tout ça va ressembler
23:08pour ces jeunes filles qui ont juste une volonté
23:10de se sentir bien, qui ne passent pas par le bon endroit,
23:13qui prennent tout sauf le chemin
23:15qui va les amener à se sentir bien, finalement.
23:18Est-ce que, pour terminer,
23:20le fait aussi que vous soyez maman
23:23a donné aussi un autre regard
23:26sur ce que c'est qu'être responsable
23:29dans la vie de la cité, Olivia Ruiz ?
23:31Bien sûr.
23:33Par exemple, la grande fan de mode
23:36et de haute couture que je suis,
23:39pour ce dernier album qui était La Réplique,
23:41a demandé au responsable image
23:44d'éviter au maximum
23:47d'aller chercher de la haute couture.
23:49Et ça, si je n'étais pas maman,
23:51je ne réfléchirais pas comme ça.
23:53Je voudrais que mon fils,
23:55même s'il arrive dans une situation
23:58beaucoup plus confortable
24:00que celle dans laquelle je suis arrivée,
24:02n'ait pas un attachement aux marques,
24:05mais un attachement au style.
24:07Aujourd'hui, moi, j'aime de grands couturiers,
24:11mais j'ai construit mon style
24:13en allant au Frip de Narbonne
24:15et je me faisais des looks,
24:17je vous le promets Didier,
24:19qui étaient dignes de grands couturiers
24:21avec 4,50 francs.
24:23J'avais un style incroyable
24:25qui m'a permis d'avoir des amitiés,
24:27qui m'a permis plein de choses,
24:29parce que c'était une façon de m'exprimer
24:31qui était cruciale à l'époque
24:32où j'avais moins l'occasion
24:33de le faire par la voix.
24:35Et mon fils, je voulais lui apprendre ça.
24:37Donc on essaye d'éviter
24:39d'avoir une grosse virgule au possible,
24:43même si ce n'est pas tout le temps facile,
24:46parce que ça peut stigmatiser aussi,
24:51d'une certaine façon,
24:53et en même temps, moi, j'ai envie de ça.
24:55J'ai envie d'apprendre à mon fils, regarde,
24:57il n'y a pas un gros sigle nulle part,
24:59et pourtant, tu ne me trouves pas stylée.
25:01Voilà.
25:03On a entendu les paroles d'une femme
25:05quand même terriblement engagée, investie,
25:08enragée aussi.
25:11Ce sera ma dernière question, réellement.
25:14Vous restez enragée ?
25:16Vous restez une femme en colère,
25:17comme disait Barbara ?
25:19Je reste une femme en colère,
25:21mais j'essaye de moins gaspiller mon énergie
25:25en colère quand elle est vaine.
25:27J'ai beaucoup tapé dans le vide, comme ça.
25:30Je me suis épuisée à donner des coups dans le vide.
25:35Maintenant, j'essaye d'attendre
25:37d'avoir le pouching ball en face
25:40pour me mettre en colère,
25:41histoire de ne pas gaspiller toute cette énergie
25:43et de garder l'énergie pour des choses
25:46sur lesquelles j'ai un pouvoir.
25:48Merci beaucoup, Olivia Ruiz.
25:50Merci, Didier.
26:00Sous-titrage Société Radio-Canada