C'est son premier film d'animation. Le réalisateur Michel Hazanavicius sort un nouveau long-métrage "La plus précieuse des marchandises", en salle le 20 novembre. Adapté du conte sur la Shoah de Jean-Claude Grumberg, il raconte l'histoire d'un couple de bûcherons et d'une rencontre. Celle d'un nourrisson jeté par ses parents alors qu'ils roulent vers les camps de la mort.
"En se déguisant sous la forme d'un conte, d'une petite chose de rien, l'histoire touche à des choses graves", explique le réalisateur, qui a dessiné chacun des personnages. "Mais l'élégance est de s'adresser aux enfants, de leur raconter ce qu'il s'est passé sans leur mentir ni les traumatiser."
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
"En se déguisant sous la forme d'un conte, d'une petite chose de rien, l'histoire touche à des choses graves", explique le réalisateur, qui a dessiné chacun des personnages. "Mais l'élégance est de s'adresser aux enfants, de leur raconter ce qu'il s'est passé sans leur mentir ni les traumatiser."
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00:007h49, Sonia De Villers, votre invité ce matin est cinéaste, il vient de réaliser son premier
00:09film d'animation.
00:11Il adapte un conte publié par l'écrivain Jean-Claude Grimbert dont toute l'œuvre
00:15est tentée par la Shoah.
00:16Voici l'histoire.
00:17Dans une forêt glaciale, pauvres bûcheronnes et pauvres bûcherons survivent difficilement.
00:23Un jour, tombe d'un train, fendant la neige à toute allure, une petite marchandise.
00:27C'est un nourrisson, jeté par ses parents alors qu'il roule vers les camps de la mort.
00:32Les bûcherons pourront-ils aimer cet enfant qui appartient à la race maudite des sans-cœur ?
00:37Bonjour Michel Azanavissus, bonjour Sonia De Villers, la plus précieuse des marchandises
00:42sort la semaine prochaine au cinéma.
00:44Vous avez dessiné chacun des personnages de ce film.
00:48Ce que vous avez réussi est d'une beauté et d'une délicatesse absolument prodigieuses.
00:56Pour raconter la Shoah, qu'est-ce qu'un conte peut faire qu'une autre forme de récit ne peut pas ?
01:02Alors d'abord merci, c'est très gentil.
01:05Écoutez, l'avantage du conte, c'est que dans les contes, les personnages n'ont pas de nom.
01:12Et en fait, le conte élève une histoire et la rend universelle et intemporelle.
01:17Et en faisant ça, en dépassant l'événement, il dit aux spectateurs, il présente des
01:27archétypes humains et il dit aux spectateurs qu'on est chacun des personnages.
01:31Et on a chacun en nous un génocidaire, on a chacun en nous une victime.
01:36Mais, et c'est la beauté de ce conte-là, on a chacun en nous un juste, on a chacun
01:40en nous quelqu'un qui, à un moment où le monde s'écroule, fait le bon choix et
01:44fait le choix de l'humanité et de la dignité.
01:46Alors le conte ramène aussi chacun de nous à l'enfance.
01:50Ce conte-là parle d'une enfant qui échappe de peu à l'extermination, or Jean-Claude
01:54Grimbert, l'auteur, a lui-même été un tout petit enfant, il est né en 1939, qui
02:00échappa de peu à la déportation.
02:02Son père a été arrêté devant lui et il a été déporté, exterminé, comme ses grands-parents.
02:07Donc c'est quand même, on a chacun en nous une victime de génocide, Jean-Claude Grimbert
02:14plus que d'autres.
02:15Oui, il écrit sur ce sujet depuis une soixantaine d'années, il a écrit beaucoup de pièces
02:20pour enfants, des textes pour enfants, c'est un grand auteur de théâtre, très récompensé,
02:26très joué, etc.
02:27Et il a mis je crois 60 ans pour écrire ce texte littéraire qui est d'une élégance
02:35je trouve infinie, parce que se déguisant comme ça sous la forme d'un conte, d'une
02:40petite chose de rien, en fait derrière, l'histoire est bouleversante parce qu'elle est profonde.
02:45C'est un conte philosophique aussi, elle est plus que touchante et elle touche à des
02:51choses graves.
02:52Et l'élégance c'est justement de s'adresser aux enfants et de leur raconter ce qui s'est
02:56passé sans leur mentir et sans les traumatiser.
02:59Parce que c'est l'histoire d'un bébé juif recueilli au fin fond de la Pologne.
03:03Les sans-coeur n'ont pas de coeur, les sans-coeur n'ont pas de coeur, les sans-coeur n'ont pas
03:06de coeur.
03:07Voilà ce que martèle la confrérie des bûcherons, ils trinquent, ils braillent, ils se soudent
03:12dans la haine.
03:13Seulement voilà, pauvre bûcheron, lui, a senti battre le coeur de la petite.
03:18Le plus dur, c'est de penser contre les autres.
03:20Il y a plusieurs trajets dans le film.
03:24Pour lui, effectivement, c'est l'apprentissage du libre-arbitre.
03:29C'est-à-dire, effectivement, penser contre les siens et se rendre compte finalement,
03:32au moment où il se rend compte que la petite a un coeur, en vérité, ce dont il se rend
03:37compte c'est que lui-même a un coeur.
03:38Pour la bûcheronne, c'est un peu différent, elle met tout sur le dos des dieux pendant
03:43au début et puis en fait, elle va se rendre compte, elle aussi, que c'est une affaire
03:47de choix.
03:48C'est les êtres humains qui vont aider cette petite et qui vont la sauver.
03:51Alors qu'au départ, elle pense que c'est les dieux, les dieux du train, les dieux
03:55de la forêt, les dieux du ciel, etc.
03:56Elle va se rendre compte que nous avons le choix.
03:59Alors justement, cette bûcheronne est une juste, comme le soldat à la gueule cassée
04:03qui va donner du lait de sa chèvre pour que survive le bébé, comme le pauvre bûcheron
04:08d'ailleurs, qui haïssait les sans-coeur et qui va finir par tuer tous ceux qui veulent
04:12du mal à la petite, comme un homme de peu qui ramasse le père survivant qui n'est
04:18plus qu'un corps décharné à la sortie d'Auschwitz.
04:21La plus précieuse des marchandises, c'est aussi un film sur les justes.
04:26Oui, et c'est un film, c'est une pulsion de vie.
04:29C'est-à-dire que c'est des gens qui ont défendu la vie.
04:31Alors d'un côté, vous avez le survivant effectivement qui lui va lutter pour la sienne,
04:35mais de l'autre côté, vous avez les justes qui eux vont lutter pour la vie plus large
04:40en général, en l'occurrence celle d'une petite gamine, mais ils vont tout sacrifier
04:45pour protéger la vie et je vous dis, c'est les personnages qui ont sauvé l'honneur
04:50de l'humanité pendant la seconde guerre mondiale.
04:52Alors, je vous demande maintenant de fermer les yeux et d'écouter cette voix parce qu'elle
04:56nous revient d'entre les morts.
04:58Il paraît que cette histoire est un conte et que rien de tout ça n'est arrivé.
05:04Ni les trains, ni les camps, ni les familles dispersées en fumée, ni le feu, ni les cendres,
05:13ni les larmes, ni la guerre, ni les survivants, ni la douleur des pères et des mères recherchant
05:22leurs enfants disparus.
05:24Jean-Louis Trintignant, le narrateur du film, son dernier rôle au seuil de la mort.
05:30Oui, c'était une évidence pour moi que ce vieil acteur, sans doute la plus belle
05:38voix du cinéma français, un homme qu'on connaît, un homme qu'on aime, dise ce texte,
05:45écrit lui aussi par un vieil homme, Jean-Claude Grimbert, et qui s'adresse aux enfants.
05:47Il y a quelque chose qui ressemble à un testament moral.
05:50Je trouvais très beau.
05:52Alors moi, d'assister à cette prise de son de Jean-Louis Trintignant, à titre personnel,
05:59c'était doublement bouleversant.
06:01Et effectivement, quand on voit en salle aujourd'hui cette séquence-là, tout d'un coup, il y
06:06a un fantôme qui arrive à la pièce.
06:08C'est-à-dire de là où il nous parle, et ça fait un écho au personnage du survivant
06:13qui lui aussi, après Auschwitz, devient un fantôme.
06:16Fallait-il dessiner Auschwitz-Birkenau ? Fallait-il entrer dans le camp de concentration ? Fallait-il
06:23pénétrer le four crématoire ? Fallait-il représenter les corps décharnés, les crânes
06:28fracassés, les charniers ? C'est la question qu'on se pose à chaque fois.
06:32C'est la question que vous vous êtes forcément posée.
06:34Oui, bien sûr.
06:35Du fait du conte écrit par Jean-Claude Grimbert qui s'adresse aux enfants, il y a une obligation
06:41de délicatesse, une obligation de tact.
06:44Mais il y a aussi une obligation de vérité.
06:46C'est-à-dire qu'il faut raconter ce qui s'est passé.
06:50Vous ne pouvez pas montrer ce qui s'est passé.
06:52C'est impensable de prétendre montrer des millions de morts, des millions de vies arrachées
06:59Il ne s'agit pas de ça.
07:00Mais en même temps, vous ne pouvez pas dire autre chose que ce qui s'est passé.
07:03Donc la seule voie possible, c'est celle de l'évocation, celle de la suggestion.
07:07Et pour ça, il me semble que l'animation, le dessin, le dessin n'est pas une représentation
07:14du réel.
07:15Il n'est pas réaliste.
07:16C'est une réinvention du réel.
07:17Et donc, il permet justement cette évocation, cette suggestion.
07:23J'ai essayé de suivre la voie tracée par Jean-Claude Grimbert dans son livre.
07:29Je crois que pour la première fois de sa carrière, Jean-Claude a ouvert les portes
07:33du camp et rentré dans un convoi de déportés.
07:35C'était à ma charge de mettre des images là-dessus.
07:39Oui, j'y ai été.
07:42Michel Hazanavissus, dans une tribune publiée dans Le Monde, il y a peu de temps, vous
07:47vous définissez comme juif, entre autres choses.
07:51Comme un juif qui n'en a jamais rien eu à cirer d'être juif.
07:55Et vous avez l'impression que vous êtes de plus en plus obligé d'être juif, de réagir
08:00en tant que juif, de vous positionner en tant que juif, de penser en tant que juif.
08:04Et vous ajoutez cette phrase qui a beaucoup marqué.
08:07Pourquoi j'ai le sentiment que depuis un moment, les juifs sont les ennemis les plus
08:11cools à détester ?
08:12Oui, parce que j'ai l'impression que l'époque me désigne.
08:18Il y a une phrase de Sartre qui dit que c'est l'antisémite qui fait le juif.
08:23C'est une phrase assez désagréable, mais j'ai l'impression que je la comprends un
08:26peu maintenant.
08:27Cette tribune est venue d'une blague, pour tout vous dire, où j'avais l'impression
08:32effectivement que d'une minorité un peu comme les autres, on était devenu le parangon
08:37du colonialisme et de l'impérialisme, etc.
08:39Et en quelques semaines que j'étais devenu méchant, cette blague, c'était moi, Moïché,
08:44méchant.
08:46J'avais appelé comme ça ma tribune, le monde n'a pas voulu garder le titre, mais ce qui
08:52est dommage, parce que cette tribune, elle est sérieuse.
08:54Mais ce que vous ajoutez dans cette tribune, et qui fait écho directement à votre travail
09:00sur le film, vous ajoutez « Et pourquoi j'ai l'impression que de plus en plus de gens ont
09:03un problème avec le simple fait de parler du génocide juif, dans le pire des cas par
09:08négationnisme, dans le moins pire par autocensure, par peur des emmerdes ? »
09:13Oui, je vais vous dire, il y a des petites choses qui me font peur ou mal, ou qui m'inquiètent.
09:22Par exemple, les quelques images, les quelques vingt-quatrièmes de secondes d'hésitation
09:29que beaucoup de gens ont avant de dire le mot juif, ou le mot arabe, ou le mot palestine
09:33ou le mot israël.
09:34On dit « Mais vous êtes juif ? » Ce petit « e » là, il est terrible en vérité.
09:39C'est-à-dire qu'il y a une surprotection, une précaution, il y a une peur de ces sujets-là
09:47qui n'est pas normale, parce que c'est pas grave d'être juif, c'est pas grave d'être arabe, tout va bien.
09:52Merci Michel Azanavissus, « La plus précieuse des marchandises » sort la semaine prochaine
09:57au cinéma et reparaît au seuil avec vos dessins.