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"Nous sommes au début d'une violente saignée industrielle ", averti Sophie Binet (CGT). De quoi l'industrie française est-elle malade ? Comment la sauver et la rendre plus compétitive ? Regardez Arnaud Montebourg, entrepreneur et ancien ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique.
Regardez L'invité de RTL avec Thomas Sotto du 12 novembre 2024.

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Transcription
00:00L'invité d'RTL Matin est Thomas, vous recevez aujourd'hui l'ancien ministre de l'économie et du redressement productif, passé aujourd'hui de l'autre côté de la barrière puisqu'il est entrepreneur, c'est Arnaud Montebourg.
00:14Bonjour et bienvenue sur RTL, Arnaud Montebourg.
00:16Bonjour monsieur Soto.
00:17Nous sommes au début d'une violente saignée industrielle, plus de 150 000 emplois vont disparaître, s'inquiète la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.
00:25L'industrie française est-elle inexorablement en train de mourir ?
00:29Non, elle connaît là une très mauvaise passe, dont on peut mesurer très facilement les raisons.
00:37D'abord, ça ne veut pas dire qu'elle va disparaître, ça veut dire qu'elle est en difficulté, comme on a connu en 2009, en 2012, en 2013.
00:47C'est cyclique et inévitable ?
00:48Simplement, il faut savoir organiser la protection de nos intérêts industriels et économiques.
00:53Par le protectionnisme de Donald Trump, il faut appliquer la même recette ?
00:57François Lenglet parlait de ses droits de douane, peut-être de 60% qu'il va mettre...
01:01C'est inéluctable, d'ailleurs.
01:02L'Europe a commencé à mettre des taxes timidement sur les véhicules chinois.
01:06Nous ne pourrons pas, nous, être le déversoir de la confrontation mondiale entre la Chine et l'Amérique.
01:11Et donc c'est une des raisons pour lesquelles l'Europe va devoir, après l'élection de Donald Trump,
01:16qui va augmenter la conflictualité, devoir entrer, finalement, en situation de protection quasi-militaire de nos marchés, de nos frontières, parce que nous sommes...
01:25Protection quasi-militaire ?
01:26Militaire économique, oui. Sur le plan économique, c'est-à-dire que nous allons devoir nous défendre.
01:30Parce que sinon, nous allons finir très mal.
01:32Je rappelle que dans l'analyse du rapport Draghi, qui dit que nous avons 30% de croissance en moins par rapport aux Etats-Unis, je ne vous parle même pas de la Chine,
01:40c'est une analyse qui, aujourd'hui, fait frémir, parce qu'en fait, nous sommes en train de décrocher, sur le plan mondial, sur le plan technologique, sur le plan des investissements,
01:49sur le plan, d'ailleurs, économique général. Pourquoi ?
01:52Parce que vous avez deux empires économiques qui sont en train d'investir et qui font une course à la dette.
01:57Quand nous, on est en train de réduire tous les budgets.
02:00Donc on est en train, donc, de détruire les capacités économiques, les capacités de production et d'innovation.
02:07On a quand même largement changé de monde. Vous fûtes de gauche, je ne sais pas si vous l'êtes encore, mais à l'époque, on ne parlait que d'ultralibéralisme,
02:13on ne voulait pas de barrière aux frontières, on ne parlait que du commerce mondial. Et là, vous nous dites, vive le protectionnisme.
02:18Écoutez, quand j'étais au gouvernement, je me battais déjà pour convaincre nos amis européens.
02:23J'avais quasiment élu domicile sur un lit de camp à Bruxelles, pour arriver à faire des majorités dans le conseil de gouvernement, pour les convaincre de mettre des protections.
02:33D'ailleurs, quand il y a eu l'affaire Alstom, rachetée par Général Electric, j'ai pris un décret, qui s'appelle le décret qui a laissé mon nom, tant mieux.
02:43Le décret Montebourg, qui permet de bloquer un certain nombre d'investissements étranges en France.
02:48C'est du protectionnisme, mais c'est du protectionnisme timide et retardataire.
02:52Retardataire, par rapport à ça.
02:54Mais, je voudrais vous dire pourquoi nous sommes, et Madame Binet de la CGT a raison de dire qu'on est en difficulté.
03:00Nous avons pris quand même deux décisions politiques qui ont conduit à cette situation.
03:06D'abord, je voudrais signaler la question des prêts garantis d'Etat.
03:10Personne ne sait, mais pendant le Covid, on a prêté 120 milliards.
03:14Il y a 120 milliards qui se baladent dans le bilan des banques en ce moment.
03:17C'est de l'argent prêté aux entreprises pour qu'elles survivent.
03:19C'était le cas dans le monde entier.
03:21Mais, on a dit en France, il faut rembourser au bout de 5 ans.
03:24Désolé, aux Etats-Unis, on a prêté sur 30 ans.
03:27Donc, il n'y a pas de problème sur les prêts garantis d'Etat.
03:30Là, les entreprises, elles ne peuvent pas rembourser.
03:32Pourquoi ? Parce que la charge de remboursement est trop lourde.
03:35Donc, c'est l'Etat qui aujourd'hui, qui est intransigeant sur ces questions,
03:38qui envoie les petites entreprises au tapis dans le tribunal de commerce.
03:42C'est pour ça que nous sommes dans une situation aujourd'hui de 66 000 faillites par an.
03:49C'est-à-dire qu'on a dépassé le record de la grande récession 2008-2009.
03:53Donc là, il faudrait presque un choc du Made in France pour dire au gouvernement entrant,
03:58je l'avais déjà suggéré au gouvernement précédent,
04:01il faut étaler, à la limite sur 10 ans, les prêts garantis d'Etat.
04:06Ça, c'est la première décision.
04:08La deuxième, c'est la question de l'électricité.
04:10On a accepté les systèmes de formation européens,
04:14de formation des prix en Europe sur l'électricité, qui sont délirants.
04:18Donc aujourd'hui, on est trois fois plus cher qu'on l'était en 2019.
04:22Il faut sortir du marché européen de l'électricité ?
04:24En tout cas, ce marché, ce système de formation des prix d'électricité est contre les traités.
04:29Ce n'est pas prévu dans les traités, donc on n'a aucune raison,
04:31même quand on est un amoureux formaliste des traités européens,
04:34on n'a aucune raison d'accepter ça.
04:36Deuxièmement, c'est contraire à notre intérêt économique.
04:38Donc vous avez aujourd'hui, on parle des boulangers.
04:40Ma boulangère à Louran, elle a payé une facture de 100 000 euros.
04:43Ça, ça a plombé les entreprises.
04:45Mais je peux vous parler de toutes les entreprises qui sont allées au tribunal de commerce,
04:48parce qu'elles sont allées en faillite.
04:50Qu'est-ce qui s'est passé avec Michelin ?
04:52Pourquoi on avait plan social à Michelin ?
04:54Il y a un an, le patron de Michelin a prévenu.
04:56Il a dit, si vous maintenez les prix de l'électricité,
04:58je vais être obligé de fermer les usines.
05:00Est-ce qu'il y a eu une réaction du gouvernement français ? Aucune.
05:02Donc, nous sommes maintenant au pied du mur,
05:04c'est-à-dire que nous devons faire comme l'Espagne et le Portugal,
05:07qui ont négocié des conditions d'extraction des systèmes de formation des prix européens d'électricité,
05:12nous devons revenir à la compétitivité qu'on avait en 2019.
05:15Je rappelle, on a un parc nucléaire qui est un des plus compétitifs au monde,
05:20qui est amorti, et nous payons une électricité délirante,
05:23qui d'ailleurs enrichit les traders d'électricité.
05:25Je vous rappelle que le président du gouvernement auquel vous avez participé
05:28a fermé une centrale nucléaire à Fessenheim.
05:30Pardon ? C'est M. Macron qui a fermé ?
05:32Oui, c'était enclenché.
05:34Ah, mais M. Toto, je me suis opposé, comme membre du gouvernement,
05:38je me suis opposé à toute fermeture de réacteurs,
05:41et tant que j'étais là, il n'y a eu aucune fermeture de réacteurs.
05:44J'en suis désolé, mais c'était postérieur.
05:47Vous évoquez ?
05:48Mais j'en sais quelque chose, parce que je suis allé quand même à l'époque,
05:51sur une de ces chaînes de télévision, une qui devait être la vôtre,
05:54en disant, en 2012, un an après Fukushima,
05:57la filière nucléaire est une filière d'avenir.
05:59J'ai failli me faire scalper par tout le gouvernement.
06:01Vous parliez de Michelin, on peut parler d'Auchan,
06:06est-ce que les dividendes distribués, qui font beaucoup parler à chaque fois,
06:09vous indignent, ou est-ce que ce sont des polémiques futiles et gratuites ?
06:12Non mais, il est évident qu'il y a un déséquilibre.
06:15Mais c'est la cause du problème ou pas ?
06:17Ce n'est pas la cause, c'est le contraste entre, d'un côté,
06:20l'actionnariat qui maintient sa performance,
06:23et le territoire qui paye les pots cassés.
06:26Donc, c'est sûr qu'il n'y a pas de solidarité entre le capital et le travail dans ces cas-là.
06:30Mais, je vais vous dire, on a besoin d'avoir un Michelin
06:33qui maintient des usines sur le sol français.
06:35Ils ont d'abord fermé en Allemagne, ils ont été précautionneux,
06:38puis quand ils ont fermé en Allemagne, ils disent,
06:40on vous a prévenu, maintenant on ferme en France.
06:42Donc, le vrai sujet, c'est comment on arrive à continuer à produire des pneus
06:46de façon compétitive sur le sol national.
06:48Je rappelle que tous les dix ans, il y a eu une crise du pneu,
06:50il y a eu Goodyear, il y a eu la crise Bridgestone, etc.
06:53A chaque fois, on ferme, à chaque fois on lit.
06:55Ce n'est pas l'État qui va financer Michelin.
06:57C'est à Michelin de gérer ça.
06:59Non mais attendez, excusez-moi, je ne vous parle pas de l'État là.
07:01Je vous dis, le prix de l'électricité pour l'économie,
07:03nous sommes capables de le produire à un prix très compétitif.
07:06Pourquoi nous acceptons d'entrer dans la mécanique européenne
07:09qui nous oblige à payer plus cher que ce que nous produisons,
07:12ce qui n'est absolument pas acceptable.
07:14Et ça, ce n'est pas l'État. C'est juste...
07:16Mais Michelin, il y a d'autres problèmes.
07:18Le bon sens.
07:19Les voitures se vendent moins, le fait que ça compte aussi.
07:21Ça, c'est certain. Je ne vais pas excuser ça.
07:24Mais quand même, je vous rappelle que si nous avons une boucherie
07:27dans toute l'industrie automobile, c'est aussi en raison
07:30de la perte de compétitivité globale de toute l'Europe,
07:33et particulièrement de la France sur l'électricité.
07:35Et puis enfin, vous avez un problème,
07:37et ça, c'est un sujet fondamental,
07:40c'est qu'on n'arrive pas à parler de ça en France.
07:42On n'arrive pas à en parler.
07:43C'est un sujet trop compliqué pour les journalistes,
07:45c'est un sujet trop pas con pour les politiques,
07:47mais en revanche, les entrepreneurs, les entreprises,
07:50elles, elles payent la facture et les pots cassés.
07:52Arnaud Montebourg, pourquoi vous avez renoncé à la politique ?
07:54Parce qu'elle ne peut plus changer la vie ?
07:56Non, mais moi j'ai fait mon temps.
07:58Est-ce que vous y croyez encore ?
08:00Je ne vous demande pas si vous allez revenir, on s'en fout.
08:02Mais est-ce que c'est parce qu'elle ne peut plus changer la vie, la politique ?
08:05Est-ce que vous les abusez, vous aussi ?
08:07Écoutez, il est bien certain que quand on veut réaliser des choses,
08:12l'entreprise permet de réaliser concrètement des choses.
08:16C'est beaucoup plus modeste, mais c'est beaucoup plus concret.
08:19On a l'impression que Macron ou Tartempion, ça ne changerait pas grand-chose pour la suite.
08:23On en est là ?
08:24Écoutez, moi je crois que depuis 20 ans,
08:27les gouvernements se succèdent et mènent la même politique.
08:31Parce qu'il y a une sorte de recentrage qui est effectué sous l'influence de l'Union Européenne.
08:36Donc vous pouvez voter, c'est toujours pareil.
08:38Donc là, on va arriver à un moment où on va restructurer la relation avec l'Union Européenne.
08:42Il ne s'agit pas d'abandonner l'Europe, on en a besoin.
08:44Mais il s'agit de reprendre une partie de nos compétences.
08:46C'est le cas par exemple sur l'électricité.
08:48Il va falloir qu'on les reprenne.
08:49Et sur beaucoup d'autres.
08:50La question du protectionnisme.
08:51Ce qui va se passer sur le Mercosur.
08:53Vous parlez là des plans sociaux.
08:55Vous allez avoir la crise agricole en même temps que les plans sociaux.
08:57Pourquoi ? Parce que le Mercosur, l'Union Européenne, dans sa stratégie fédéraliste,
09:01va nous faire gober le Mercosur et va détruire encore des plans,
09:05des pans supplémentaires de l'agriculture française.
09:08Donc vous voyez bien qu'on a un problème avec ce système-là.
09:12Merci beaucoup Arnaud Montembeau.
09:13En un mot, vous êtes heureux ou pas dans votre nouvelle vie ?
09:15Je résume souvent la situation en disant, monsieur Soto,
09:17bonheur individuel, désespoir collectif.
09:20Eh bien, occupez-vous des autres.
09:21Merci beaucoup Arnaud Montembeau.

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