Douglas Kennedy était l'invité de franceinfo soir le 7 novembre 2024.
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00:00Bonsoir Douglas Kennedy.
00:02Vous êtes écrivain américain, francophile et francophone né à New York.
00:07Vous entretenez avec les États-Unis une relation passionnelle
00:10et vous venez de publier en français « Ailleurs chez moi »,
00:14une plongée dans une Amérique divisée à la recherche de l'âme américaine.
00:19Et cette question en toile de fond, que signifie être américain ?
00:23Vous nous faites voyager dans les États-Unis et cela fait écho à l'actualité.
00:29Il y a quelques jours, vous écriviez « Mon instinct me dit que le monstre va encore gagner
00:33et cette fois cela pourrait bien sonner la fin de la démocratie constitutionnelle américaine ».
00:39Vous aviez raison, Donald Trump a été réélu. Est-ce que vous redoutez le pire ?
00:45On verra. La vérité, en 2016, j'étais le seul écrivain qui a dit « Fais attention ».
00:54Franchement, il y a eu beaucoup d'hommes blancs fâchés derrière lui
01:01et aussi on a sous-estimé sa force.
01:05Mais à l'époque, Trump était simplement un homme de fer,
01:11un peu voyou, présentateur de la télé-réalité, une blague, très New Yorkais.
01:21Et aussi un ex-démocrate, quelqu'un qui était fiscalement conservateur,
01:27mais socialement centriste.
01:30Tout a changé pendant son mandat, il est devenu…
01:34Il est beaucoup plus sérieux, beaucoup plus dangereux qu'avant, beaucoup mieux préparé ?
01:38Non, non, il est devenu de plus en plus extrême droit. Pourquoi ?
01:43Il a fait un pacte Faustien avec des évangélistes qui ont un pouvoir immense,
01:48politiquement, aux États-Unis.
01:50« Votez pour moi et je vais terminer l'avortement fédéral.
01:55Votez pour moi, je vais nommer des juges de corps suprême, très conservateurs. »
02:00Ils ont fait ça.
02:02Et cet électorat évangéliste, il a un poids important ?
02:09C'est un poids très important dans beaucoup d'États, surtout dans le Midwest et le Sud,
02:15où il gagne tout le temps.
02:17Cette année, c'est extraordinaire parce que,
02:23A, il était jugé coupable de 34 charges de corruption, des charges fédérales.
02:31A, il était jugé coupable dans un procès civil d'une viole.
02:36Je vais répéter ça.
02:38L'ex-président a été jugé coupable d'une viole, le prochain président, la même chose.
02:44Et aussi, il a orchestré le coup d'État raté le 6 janvier 2021.
02:51L'assaut du Capitole avec ses partisans.
02:55Et tout le monde a pensé, surtout mes compagnons démocrates,
03:00je suis un démocrate, mais je suis observateur.
03:03« Ah oui, mais clairement, personne ne va pas supporter ça.
03:07Ah oui ? Regardez le résultat. »
03:11Pourquoi on a sous-estimé le vote Trump à ce point ?
03:15Parce que, à part vous qui disiez ça dans la tribune,
03:18c'est vrai que beaucoup pensaient que Kamala Harris serait élue.
03:23Pourquoi on l'a sous-estimée ? C'est quoi le problème ?
03:25C'est une déconnexion ? On n'a pas compris ce que voulaient les Américains ?
03:30C'est une femme.
03:32C'est pour ça qu'elle n'a pas été élue, vous pensez ?
03:34Oui, c'est une femme.
03:36La misogynie reste dans la société américaine, surtout le rôle de président.
03:44L'idée qu'elle est à la tête des forces militaires.
03:51Et honnêtement, c'est passionnant.
03:55Quand j'ai écrit « Ailleurs chez moi », j'ai essayé de faire face à mon pays.
04:02C'est une road trip, je voyage beaucoup.
04:05C'est une autobiographie où j'utilise des aspects autobiographiques
04:10pour illustrer le changement de la société américaine depuis les années 50,
04:16quand j'étais né.
04:18Mais aussi le fait que maintenant, même si on est divisés,
04:23et on est très divisés,
04:25il y a franchement des connexions personnelles.
04:28J'ai un grand amour pour mon pays.
04:31Et en même temps, le résultat, mardi soir, honnêtement, c'est la preuve.
04:40Et par exemple, Harris est moitié africaine-américaine, moitié indienne.
04:48La majorité des hommes africains-américains ont voté pour Trump.
04:53Les Latinos aussi.
04:55Trump, dans une rallye, un de ses collègues, a dit quelque chose contre Puerto Rico.
05:04Trump a dit...
05:06Ses soutiens à critiquer Puerto Rico comme étant une île de déchets, d'ordures.
05:10C'est un poubelle.
05:12Mais est-ce que dire que Kamala Harris est une femme explique tout ?
05:16Parce que vous le dites vous-même.
05:18Donald Trump a remporté le vote populaire.
05:20Ça n'était pas arrivé pour un républicain depuis 2004.
05:23Il a fait des bons énormes dans des électorats démocrates,
05:27comme les Noirs américains, comme la communauté latino.
05:31Il a progressé dans des bastions démocrates.
05:33Est-ce qu'il ne faut pas entendre autre chose comme message
05:36jusqu'à un vote d'homme vis-à-vis d'un homme ?
05:40Non, j'en suis sûr.
05:41Ce n'est pas simplement une misogynie qui est sous le vernis d'une moitié de la population.
05:48Aussi, malheureusement, je pense que son image autoritaire...
05:57Franchement, quelqu'un qui est une brute...
06:02Une brute ? Vous pensez que ça plaît aux Américains qui ont ce besoin d'un homme fort ?
06:06Oui, toujours.
06:09Ça, c'était le problème avec Jimmy Carter.
06:13Il y a 50 ans, presque 50 ans,
06:16Carter qui était un homme hyper intelligent et très intelligent.
06:20Carter, quand il est président, il a fait un discours contre la consommation.
06:26Imaginez ça, un président américain qui a dit que la consommation, ce n'est pas la réponse.
06:33Et il a été battu par Reagan deux mois après ça.
06:37Mais Carter n'était pas quelqu'un de très fort.
06:40Et aussi pendant la crise avec les otages à Tehran,
06:45qui étaient jugés faibles.
06:48On a besoin de l'image de ça.
06:51Pas moi, mais la plupart de mes comparateurs ont besoin de ça.
06:56La vérité, je pense que Harris est très forte elle-même.
07:00Mais je pense que la misogynie, ça c'était la...
07:05C'est la principale raison de sa défaite, selon vous.
07:07Oui, tout à fait.
07:08Il n'y a pas d'autre explication ?
07:09Est-ce qu'elle n'a pas fait une mauvaise campagne ?
07:11Elle n'a pas su imprimer ?
07:12Non, c'était une bonne campagne.
07:15Et les sondages restaient très très proches.
07:19Mais pour moi, c'était la seule réponse.
07:22La campagne de Mme Clinton en 2016, c'était une mauvaise campagne.
07:27Mais aussi, c'était une femme.
07:29Et aussi, c'était la marque de Clinton, qui était une marque sale.
07:35Le truc, en fait, je suis toujours démocrate,
07:39mais j'ai beaucoup de problèmes avec Bill Clinton.
07:42Beaucoup de choses qu'il a faites comme président.
07:46Beaucoup de mauvaises choses aussi.
07:48Clinton, c'était un peu un non-repoussoir,
07:50alors que Kamala Harris n'avait pas cet effet-là.
07:52Mais bon, elle a perdu quand même.
07:54Non, tout à fait.
07:55Mais en même temps, j'espère que dans mon roman,
07:59on découvre un grand amour pour les États-Unis.
08:02Les espaces, la culture américaine, un certain optimisme.
08:08Bien sûr.
08:09Le jazz.
08:11Tout n'est pas noir du tout et critique, mais c'est complexe et c'est intéressant
08:15parce que vous avez un regard lucide sur vos origines, sur votre pays.
08:19Juste, je voudrais...
08:21Joe Biden a pris la parole tout à l'heure.
08:23Quelle est la responsabilité des démocrates et de Joe Biden dans cette défaite ?
08:29Joe Biden qui a quand même décidé de se représenter à l'âge de 81 ans.
08:33Est-ce que c'était bien raisonnable ?
08:35Honnêtement, je pense que Biden a fait une bonne décision en juillet.
08:41Clairement, il avait deux mois et demi pour Harris de gagner la Maison-Blanche.
08:50Ce n'est pas beaucoup de temps.
08:51Je pense que c'était remarquable qu'elle avance comme ça.
08:56Biden, j'ai un respect pour Joe Biden.
09:00L'économie est pas mal.
09:02Il a fait beaucoup de choses pour la classe moyenne.
09:05C'est une vraie politicienne avec une connaissance de Washington.
09:09Il était sénateur.
09:11Tout le monde dit que les observateurs disent que le bilan de Joe Biden est bon,
09:15mais les américains, l'un des principaux moteurs de leur vote Trump,
09:20selon d'autres observateurs, c'est aussi l'économie.
09:23C'est l'inflation.
09:24C'est l'inflation.
09:25C'est le fait qu'ils n'ont pas ressenti le fait de vivre mieux avec Joe Biden.
09:28Mais franchement, l'inflation est stable maintenant.
09:30L'économie, c'est pas mal.
09:31J'ai lu un article dans le Financial Times de Londres.
09:36C'est pas mal, honnêtement.
09:39Et la vérité, historiquement, c'est le président américain, républicain,
09:46qui a gâché l'économie.
09:49George W. Bush.
09:52Bush premier aussi.
09:54Bush premier a perdu son deuxième mandat en 1992 à cause d'une crise économique.
10:002007, de George W. Bush, une autre crise économique,
10:06et le candidat républicain John McCain a payé le prix.
10:11Mais aussi c'était Barack Obama qui est à côté de lui.
10:15Je pense que franchement, historiquement,
10:18Biden sera jugé un très bon président.
10:22Un très très bon président.
10:23Un peu sérieux.
10:24Qu'est-ce que vous allez faire ces quatre prochaines années,
10:25pendant ce mandat, ce deuxième mandat de Donald Trump ?
10:30J'aurai beaucoup de matériel.
10:35Vous dites que Donald Trump est un personnage de roman.
10:38Et aussi comme un observateur.
10:41J'espère que je vais continuer à écrire une chronique
10:44où je vais observer mon pays et le monde entier.
10:49Je pense que c'est très important, si on est romancier,
10:52d'être dans le monde entier,
10:55et pas dans un univers fictif.
10:58Il y a des romanciers comme ça.
11:00Mais pour moi, de plus en plus,
11:03avec ce livre « Avec ailleurs chez moi »,
11:05avec les deux derniers romans, « Les hommes ont perdu la lumière »
11:08et « C'est ainsi que nous vivrons »,
11:10j'ai fait face à l'écriture américaine.
11:15Et aussi le fait que de plus en plus,
11:17on vit pendant une période qui est un peu comme les années 30.
11:22Mais numérique.
11:24Merci beaucoup, Douglas.
11:26Je rappelle que vous êtes écrivain,
11:29et que vous publiez en français « Ailleurs chez moi »,
11:32une plongée dans une Amérique divisée aux éditions Belfont.
11:37Merci à vous.