Alors que l’Espagne est encore sous le choc après les inondations d’une violence inouïe dans la région de Valence, les gouvernements sont questionnés quant à leur responsabilité dans la gestion de ces phénomènes et de leur prévention. Entretien avec François Gemenne, spécialiste du climat et co-auteur du 6e rapport du GIEC.
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00:00Je crois qu'on s'est trop longtemps crus relativement immunisés,
00:03invulnérables par rapport aux impacts du changement climatique.
00:09Le discours sur le changement climatique est relativement inaudible pour les victimes
00:14parce que c'est en quelque sorte comme si on les rendait responsables elles-mêmes
00:18de leur malheur, de leur situation.
00:20Alors que bien entendu, pour les victimes, il est important de pouvoir identifier des coupables.
00:25Et le changement climatique, c'est à la fois une raison assez diffuse
00:29et c'est un phénomène auquel chacun contribue.
00:32Et donc c'est pour ça qu'on ne peut pas du tout s'attendre à ce que,
00:37parce qu'elles ont été victimes d'une catastrophe ou parce qu'elles auraient peur d'une catastrophe,
00:42les personnes se mettent d'un coup à redoubler d'efforts dans la lutte contre le changement climatique.
00:47En réalité, ce n'est pas ça qui se passe et c'est même parfois contre-productif.
00:53Ça veut dire que parfois, les victimes peuvent voter pour des candidats climato-sceptiques par exemple,
00:58alors même qu'elles viennent d'être touchées par une catastrophe climatique.
01:02La catastrophe, c'est toujours la rencontre d'un risque naturel.
01:06Ici, ce risque est amplifié par le changement climatique
01:09avec une vulnérabilité politique, économique ou sociale.
01:12Et ça, c'est la responsabilité des politiques d'essayer de réduire au maximum cette vulnérabilité.
01:17Mais c'est pour ça que vraiment, il ne faut pas compter sur ce qu'on appelle parfois la pédagogie de la catastrophe
01:23dans la lutte contre le changement climatique.
01:25Ça, je crois que c'est un enseignement très important à tirer.
01:27Il y a politiquement une grande nécessité de déployer des politiques d'adaptation
01:33beaucoup plus robustes que celles que nous avons aujourd'hui.
01:36Je crois qu'on s'est trop longtemps cru relativement immunisés, invulnérables
01:41par rapport aux impacts du changement climatique
01:43et que nous prenons brutalement conscience en Belgique, certainement en juillet 2021,
01:48nous prenons brutalement conscience de notre propre vulnérabilité.
01:52Et donc, ça implique qu'en même temps que nous devons évidemment tout faire
01:56pour réduire autant que possible nos émissions de gaz à effet de serre,
01:59nous devons aussi déployer de plus en plus des politiques d'adaptation
02:03et notamment pour essayer de réduire autant que possible les dommages liés à ces phénomènes extrêmes.
02:09Et puis, bien entendu, avec la COP29 qui arrive à Bakou,
02:13va se poser à nouveau la question de la coopération internationale
02:17et de ce que nous pouvons faire ensemble dans un monde qui est à ce point fragmenté.
02:22En Europe, j'ai l'impression, hélas, que nous attendons trop des gouvernements.
02:25C'est-à-dire que nous sommes dans ce paradoxe où nous voudrions que les gouvernements agissent,
02:30mais nous ne donnons jamais mandat aux gouvernements d'agir.
02:33Très clairement, on voit bien qu'il y a un rejet des politiques climatiques et environnementales,
02:38que la transition est perçue comme une contrainte.
02:40Et donc, pour le dire brutalement, pour le moment,
02:43les gens ne veulent pas que les gouvernements agissent face au changement climatique.
02:48Ce sont plutôt les entreprises qui sont les locomotives de la transition,
02:51bien davantage que les gouvernements.
02:52Il est dans leur intérêt de décarboner leur processus industriel,
02:56potentiellement de changer de modèle d'affaires,
02:58de réfléchir à ce qu'est la croissance au XXIe siècle.
03:02Et on a aujourd'hui toute une série d'entreprises qui s'engagent dans cette transition.
03:07On a des résultats assez remarquables dans les secteurs comme l'acier ou la chimie,
03:11avec des baisses d'émissions qui atteignent parfois 10%.
03:15Pour le moment, le problème, c'est que sous les coups de butoir des populistes,
03:20les signaux qui sont envoyés par les politiques sont des signaux d'incertitude,
03:24sont des signaux d'intermoiement, d'hésitation.
03:27Et c'est ça évidemment qui retarde la transition.
03:29Tant que le politique hésite, recule, fait des bifurcations et des intermoiements,
03:35vous allez simplement attendre que la situation se clarifie et la transition n'aura pas lieu.